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HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ET POLITIQUE, Des établiſſemens & du commerce des Européens dans les deux Indes.
HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ET POLITIQUE Des établiſſemens & du commerce des Européens dans les deux Indes.
HISTOIRE PHILOSOPHIQUE ET POLITIQUE DES ETABLISSEMENS ET DU COMMERCE DES EUROPEENS DANS LES DEUX INDES.

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LIVRE SIXIEME.
LIVRE SIXIEME.
LIVRE SIXIÈME.
LIVRE SIXIÈME.
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LES royaumes de Caſtille & d’Arragon venoient de ſe réunir par le mariage de Ferdinand & d’Iſabelle. Cette réunion, & la conquête des provinces que les maures avoient poſſédées ſi long-temps en Eſpagne, donnoient à cette monarchie, une conſidération dans l’Europe égale à celle des plus grandes puiſſances. Le gouvernement ne s’occupoit que du ſoin d’affermir ſon autorité, & d’établir l’ordre dans ſes poſſeſſions. Les richeſſes que les Portugais commençoient à rapporter d’afrique, n’avoient point excité ſon émulation ; & la Cour ne ſongeoit [2]point à des découvertes dans des mers éloignées.

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Découverte de l’Amérique. Conquête du Mexique ; établiſſemens Eſpagnols dans cette partie du nouveau-monde.
Découverte de l’Amérique. Conquête du Mexique. Etabliſſemens Eſpagnols dans cette partie du Nouveau-Monde.
DÉCOUVERTE DE L’AMÉRIQUE. CONQUÊTE DU MEXIQUE. ÉTABLISSEMENS ESPAGNOLS DANS CETTE PARTIE DU NOUVEAU-MONDE.
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L’HISTOIRE ancienne offre un magnifique ſpectacle. Ce tableau continu de grandes révolutions, de mœurs héroiques, & d’événemens1 extraordinaires, deviendra de plus en plus intéreſſant, à meſure qu’il ſera rare de trouver quelque choſe qui lui reſſemble. Il eſt paſſé le tems3 de la fondation & du renverſement des empires ! Il ne ſe trouvera plus l’homme devant qui la terre ſe taiſoit ! Les nations, après de longs ébranlemens [2], après les combats de l’ambition & de la liberté, ſemblent aujourd’hui fixées dans le morne repos de la ſervitude. On combat aujourd’hui avec la foudre, pour la priſe de quelques villes, & pour le caprice de quelques hommes puiſſans : on combattoit autrefois avec l’épée, pour détruire & fonder des royaumes, ou pour venger les droits naturels de l’homme. L’hiſtoire des peuples eſt ſeche & petite, ſans que les peuples ſoient plus heureux. Une oppreſſion journaliere a ſuccédé aux troubles & aux orages ; & l’on voit avec peu d’intérêt des eſclaves plus ou moins avilis, ſe battre4 avec leurs chaines pour amuſer la fantaiſie de leurs maîtres.
L’HISTOIRE ancienne offre un magnifique ſpectacle. Ce tableau continu de grandes révolutions, de mœurs héroïques & d’événemens1 extraordinaires, deviendra de plus en plus intéreſſant, à meſure qu’il ſera plus2 [326]rare de trouver quelque choſe qui lui reſſemble. Il eſt paſſé, le tems3 de la fondation & du renverſement des empires ! Il ne ſe trouvera plus, l’homme devant qui la terre ſe taiſoit !Les nations, après de longs ébranlemens, après les combats de l’ambition & de la liberté, ſemblent aujourd’hui fixées dans le morne repos de la ſervitude. On combat aujourd’hui avec la foudre, pour la priſe de quelques villes, & pour le caprice de quelques hommes puiſſans : on combattoit autrefois avec l’épée, pour détruire & fonder des royaumes, ou pour venger les droits naturels de l’homme. L’hiſtoire des peuples eſt ſèche & petite, ſans que les peuples ſoient plus heureux. Une oppreſſion journalière a ſuccédé aux troubles & aux orages & l’on voit avec peu d’intérêt des eſclaves plus ou moins avilis, s’aſſommer4 avec leurs chaînes, pour amuſer la fantaiſie de leurs maîtres.
L’HISTOIRE ancienne offre un magnifique spectacle. Ce tableau continu de grandes révolutions, de mœurs héroïques et dʼévénemens1 extraordinaires, deviendra de plus en plus intéressant à mesure qu’il sera plus2 rare de trouver quelque chose qui lui ressemble. Il est passé le temps3 de la fondation et du renversement des empires ! Il ne se trouvera plus l’homme devant qui la terre se taisait ! Les nations, après de longs ébranlemens, après les combats de l’ambition et de la liberté, semblent aujourd’hui fixées dans le morne repos de la servitude. On combat aujourd’hui avec la foudre pour la prise de quelques villes et pour le caprice de quelques hommes puissans : on combattait autrefois avec l’épée pour détruire et fonder des royaumes, ou pour venger les droits naturels de l’homme. L’histoire des peuples est sèche et petite, sans que les peuples soient plus heureux. Une oppression journalière a succédé aux troubles et aux orages ; et l’on voit avec peu d’intérêt des esclaves plus ou moins avilis s’assommer4 avec leurs chaînes pour amuser la fantaisie de leurs maîtres.
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L’Europe, cette partie du globe qui agit le plus ſur toutes les autres, paroît avoir pris une aſſiette ſolide & durable. Ce ſont des ſociétés puiſſantes, éclairées, étendues, jalouſes, dans un dégré preſque égal. Elles ſe preſſeront les unes les autres ; & au milieu de cette fluctuation continuelle, les unes s’étendront, d’autres ſeront reſſerrées, & la balance penchera alternativement d’un côté & de l’autre, ſans être jamais renverſée. Le fanatiſme de religion & l’eſprit de conquête, ces deux cauſes perturbatrices du globe, ont ceſſé1. Ce levier, dont l’extrémité eſt ſur la terre & le point d’appui dans le ciel, eſt rompu ; &4 les ſouverains commencent à s’appercevoir5 [3], non pas6 pour le bonheur de leurs peuples, dont ilsne ſe ſoucient guère7, mais pour leur propre intérêt, que le grand point8 eſt de réunir la ſûreté & les richeſſes. On entretient de nombreuſes armées, on fortifie ſes frontieres, & l’on commerce.
L’Europe, cette partie du globe qui agit le plus ſur toutes les autres, paroît avoir pris une aſſiette ſolide & durable. Ce ſont des ſociétés puiſſantes, éclairées, étendues, jalouſes dans un degré preſque égal. Elles ſe preſſeront les unes les autres ; & au milieu [327]de cette fluctuation continuelle, les unes s’étendront, d’autres ſeront reſſerrées, & la balance penchera alternativement d’un côté & de l’autre, ſans être jamais renverſée. Le fanatiſme de religion & l’eſprit de conquête, ces deux cauſes perturbatrices du globe, ne ſont plus1 ce qu’elles étoient. Le2 levier ſacré3, dont l’extrémité eſt ſur la terre & le point d’appui dans le ciel, eſt rompu ou très-affoibli4. Les ſouverains commencent à s’appercevoir5, non pour le bonheur de leurs peuples, qui les touche peu7, mais pour leur propre intérêt, que l’objet important8 eſt de réunir la ſûreté & les richeſſes. On entretient de nombreuſes armées, on fortifie ſes frontières, & l’on commerce.
L’Europe, cette partie du globe qui agit le plus sur toutes les autres, paraît avoir pris une assiette solide et durable. Ce sont des sociétés puissantes, éclairées, étendues, jalouses dans un degré presque égal. Elles se presseront les unes les autres ; et au milieu de cette fluctuation continuelle, les unes s’étendront, d’autres seront resserrées, et la balance penchera alternativement d’un côté et de l’autre sans être jamais renversée. Le fanatisme de religion et l’esprit de conquête, ces deux causes perturbatrices du globe, ne sont plus1 ce qu’ils étaient. Le2 levier sacré3, dont l’extrémité est sur la terre et le point d’appui dans le ciel, est rompu ou très-affaibli4. Les souverains commencent à s’apercevoir5, non pour le bonheur de leurs peuples, qui les touche peu7, mais pour leur propre intérêt, que l’objet important8 est de réunir la sûreté et les richesses. On entretient de nombreuses armées, on fortifie ses frontières, et l’on commerce.
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Il s’établit en Europe un eſprit de trocs & d’échanges, qui peut donner lieu à de vaſtes ſpeculations dans les têtes des particuliers ; mais ami de la tranquilité2 & de la paix. Une guerre, au milieu des nations commerçantes, eſt un incendie qui les ravage toutes ; c’eſt un procès qui menace la fortune d’un grand négociant, & qui fait pâlir tous ſes créanciers3. Le tems4 n’eſt pas loin, où la ſanction tacite5 des gouvernemens s’étendra aux engagemens particuliers des ſujets d’une nation6 avec les ſujets d’une7 autre, & où ces banqueroutes, dont les contre-coups ſe font ſentir à des diſtances immenſes, deviendront des conſidérations d’état. Dans ces ſociétés mercantiles8, la découverte d’une iſle9, l’importation d’une nouvelle denrée, l’invention d’une machine, l’établiſſement d’un comptoir, l’invaſion d’une branche de commerce, la conſtruction d’un port, deviendront les tranſactions les plus importantes ; & les annales des peuples demanderont à être écrites par des commerçans philoſophes, comme elles l’étoient autrefois par des hiſtoriens orateurs.
Il s’établit en Europe un eſprit de trocs & d’échanges, qui peut donner lieu à de vaſtes ſpéculations dans les têtes des particuliers : mais cet eſprit eſt1 ami de la tranquillité2 & de la paix. Une guerre, au milieu des nations commerçantes, eſt un incendie qui les ravage toutes. Le tems4 n’eſt pas loin, où la ſanction des gouvernemens s’étendra aux engagemens particuliers des ſujets d’un peuple6 avec les ſujets d’un7 autre, & où ces banqueroutes [328], dont les contre-coups ſe font ſentir à des diſtances immenſes, deviendront des conſidérations d’état. Dans ces ſociétés mercantilles8, la découverte d’une iſle9, l’importation d’une nouvelle denrée, l’invention d’une machine, l’établiſſement d’un comptoir, l’invaſion d’une branche de commerce, la conſtruction d’un port, deviendront les tranſactions les plus importantes ; & les annales des peuples demanderont à être écrites par des commerçans philoſophes, comme elles l’étoient autrefois par des hiſtoriens orateurs.
Il s’établit en Europe un esprit de trocs et d’échanges qui peut donner lieu à de vastes spéculations dans les têtes des particuliers ; mais cet esprit est1 ami de la tranquillité2 et de la paix. Une guerre au milieu des nations commerçantes est un incendie qui les ravage toutes. Le temps4 n’est pas loin où la sanction des gouvernemens s’étendra aux engagemens particuliers des sujets d’un peuple6 avec les sujets d’un7 autre, et où ces banqueroutes, dont les contre-coups se font sentir. [210]à des distances immenses, deviendront des considérations d’état. Dans ces sociétés mercantiles8, la découverte d’une île9, l’importation d’une nouvelle denrée, l’invention d’une machine, l’établissement d’un comptoir, l’invasion d’une branche de commerce, la construction d’un port, deviendront les transactions les plus importantes ; et les annales des peuples demanderont à être écrites par des commerçans philosophes, comme elles l’étaient autrefois par des historiens orateurs.
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La découverte d’un nouveau monde pouvoit ſeule fournir ces1 alimens à notre curioſité. Une vaſte terre en friche, l’humanité réduite à la condition animale, des campagnes ſans récoltes, des tréſors ſans poſſesſeurs, des ſociétés ſans police, des hommes ſans mœurs ; combien un pareil ſpectacle n’eût-il pas été plein d’intérêt & d’inſtruction pour un Locke, un Buffon, un Monteſquieu ! Quelle lecture eût été auſſi ſurprenante, auſſi délicieuſe2, auſſi pathétique que le récit de leur voyage ! Mais l’image de la nature brute & ſauvage, eſt déjà défigurée. Il faut ſe hâter d’en raſſembler les traits à demi effacés3, après avoir fait connoître4 les avides & féroces chrétiens, qu’un malheureux hazard5 conduiſit d’abord dans cet autre hémiſphere.
La découverte d’un nouveau monde pouvoit ſeule fournir des1 alimens à notre curioſité. Une vaſte terre en friche, l’humanité réduite à la condition animale, des campagnes ſans récoltes, des tréſors ſans poſſeſſeurs, des ſociétés ſans police, des hommes ſans mœurs : combien un pareil ſpectacle n’eût-il pas été plein d’intérêt & d’inſtruction pour un Locke, un Buffon, un Monteſquieu ! Quelle lecture eût été auſſi ſurprenante, auſſi pathétique que le récit de leur voyage ! Mais l’image de la nature brute & ſauvage, eſt déja défigurée. Il faut ſe hâter d’en raſſembler [329] les traits à demi-effacés3, après avoir peint & livré l’exécration4 les avides & féroces chrétiens, qu’un malheureux haſard5 conduiſit d’abord dans cet autre hémiſphère.
La découverte d’un nouveau monde pouvait seule fournir des1 alimens à notre curiosité. Une vaste terre en friche, l’humanité réduite à la condition animale, des campagnes sans récoltes, des trésors sans possesseurs, des sociétés sans police, des hommes sans mœurs, combien un pareil spectacle n’eût-il pas été plein d’intérêt et d’instruction pour un Locke, un Buffon, un Montesquieu ! Quelle lecture eût été aussi surprenante, aussi pathétique que le récit de leur voyage ! Mais l’image de la nature brute et sauvage est déjà défigurée. Il faut se hâter d’en rassembler les traits à demi-effacés3, après avoir peint et livré à l’exécration4 les avides et féroces chrétiens qu’un malheureux hasard5 conduisit d’abord dans cet autre hémisphère.
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L’Eſpagne, connue dans les premiers âges ſous le nom d’Heſperie1 & d’Iberie, étoit habitée par des peuples qui, défendus d’un côté par la mer, & gardés de l’autre par les Pyrénées, jouiſſoient tranquillement d’un climat agréable, d’un pays abondant, & ſe gouvernoient par leurs uſages. La partie de la nation qui occupoit le Midi, étoit un peu ſortie de la barbarie, par quelque forte liaiſon qu’elle avoit avec les étrangers ; mais les habitans des côtes de l’Océan reſſembloient à tous les peuples, qui2 ne connoiſſent3 d’autre [5] exercice que celui de la chaſſe. Ce genre de vie avoit pour eux tant de charmes, qu’ils laiſſoient à leurs femmes tous les travaux de l’agriculture. On étoit parvenu à leur en faire ſupporter les fatigues, en formant tous les ans une aſſemblée générale, où celles qui s’etoient le plus diſtinguées dans cet exercice, recevoient des éloges publics.
L’Eſpagne, connue dans les premiers âges ſous le nom d’Heſpérie1 & d’Ibérie, étoit habitée par des peuples, qui, défendus d’un côté par la mer, & gardés de l’autre par les Pyrénées, jouiſſoient tranquillement d’un climat agréable, d’un pays abondant, & ſe gouvernoient par leurs uſages. La partie de la nation qui occupoit le Midi, étoit un peu ſortie de la barbarie, par quelque foible liaiſon qu’elle avoit avec les étrangers : mais les habitans des côtes de l’océan reſſembloient tous les peuples qui2 ne connoiſſent3 d’autre exercice que celui de la chaſſe. Ce genre de vie avoit pour eux tant de charmes, qu’ils laiſſoient à leurs femmes tous les travaux de l’agriculture. On étoit parvenu à leur en faire ſupporter les fatigues, en formant tous les ans une aſſemblée générale, où celles qui s’étoient le plus diſtinguées dans cet exercice, recevoient des éloges publics.
L’Espagne, connue dans les premiers âges sous le nom dHespérie1 et d’Ibérie, était habitée par des peuples qui, défendus d’un côté par la mer, [211]et gardés de l’autre par les Pyrénées, jouissaient tranquillement d’un climat agréable, d’un pays abondant, et se gouvernaient par leurs usages. Ils2 ne connaissaient3 d’autre exercice que celui de la chasse. Ce genre de vie avait pour eux tant de charmes, qu’ils laissaient à leurs femmes tous les travaux de l’agriculture. On était parvenu à leur en faire supporter les fatigues, en formant tous les ans une assemblée générale, où celles qui s’étaient le plus distinguées dans cet exercice recevaient des éloges publics.
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Voilà donc le ſexe le plus foible livré aux [330]travaux les plus durs de la vie, ſoit ſauvage , ſoit civiliſée ; la jeune fille tenant dans ſes mains délicates les inſtrumens du labour ; ſa mère, peut-être enceinte d’un ſecond, d’un troiſième enfant, le corps penché ſur la charrue, & enfonçant le ſoc ou la bêche dans le ſein de la terre pendant des chaleurs brûlantes. Ou je me trompe fort, ou ce phénomène eſt pour celui qui réfléchit un des plus ſurprenans qui ſe préſentent dans les annales bizarres de notre eſpèce. Il ſeroit difficile de trouver un exemple plus frappant de ce que l’hommage national peut obtenir : car il y a moins d’héroïſme à expoſer ſa vie qu’à la conſacrer à de longues fatigues. Mais ſi tel eſt le pouvoir des hommes raſſemblés ſur l’eſprit de la femme, quel ne ſeroit point celui des femmes raſſemblées ſur le cœur de l’homme ?

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Telle étoit la ſituation de1 l’Eſpagne, lorſque les Carthaginois tournerent leurs regards avides vers une région remplie de richeſſes inconnues à ſes habitans. Ces négocians2 qui couvroient3 la Méditerranée de4 leurs vaiſſeaux, ſe préſenterent comme5 des amis, qui, en échange6 de métaux inutiles, offroient des commodités ſans nombre. L’appât d’un commerce7, en apparence ſi avantageux, ſéduiſit à tel point8 les Eſpagnols, qu’ils permirent à ces républicains9 de bâtir ſur les côtes10, des maiſons pour ſe loger, des magaſins pour la ſûreté de11 leurs marchandiſes, des temples pour l’exercice de leur religion. Ces établiſſemens devinrent inſenſiblement des fortereſſes, dont une puiſſance plus ruſée que guerriere profita, pour aſſervir12 des peuples crédules, toujours diviſés entr’eux, toujours irréconciliables13. En achetant les uns, en intimidant les autres, Carthage vint à bout de ſubjuguer l’Eſpagne, avec les ſoldats & les tréſors de l’Eſpagne même.
Telle étoit la ſituation de1 l’Eſpagne, lorſque les Carthaginois tournèrent leurs regards avides vers une région remplie de richeſſes inconnues à ſes habitans. Ces négocians2 qui couvroient3 la Méditerranée de4 leurs vaiſſeaux, ſe préſentèrent comme5 des amis, qui, en échange6 de métaux inutiles offroient des commodités sans nombre. L’appât d’un [331]commerce7 en apparence ſi avantageux, ſéduiſit à tel point8 les Eſpagnols, qu’ils permirent à ces républicains9 de bâtir ſur les côtes10, des maiſons pour ſe loger, des magaſins pour la ſûreté de11 leurs marchandiſes, des temples pour l’exercice de leur religion. Ces établiſſemens devinrent inſenſiblement des fortereſſes, dont une puiſſance plus ruſée que guerrière profita, pour aſſervir12 des peuples crédules, toujours diviſés entr’eux, toujours irréconciliables13. En achetant les uns, en intimidant les autres, Carthage vint à bout de ſubjuguer l’Eſpagne, avec les ſoldats & les tréſors de l’Eſpagne même.
Telle était l’Espagne lorsque les Phéniciens y firent voir leur pavillon. Ce fut Cadix qu’ils abordèrent ; on les accueillit, et les échanges commencèrent. L’importance qu’acquit assez rapidement cette liaison détermina les Phocéens2, qui venaient de fonder Marseille, donner3 la même direction 4 leurs voiles, et ils établirent5 des comptoirs sur les côtes6 de la Catalogne, de l’Aragon, de Valence, comme ceux dont ils suivaient les traces7 en avaient placé sur les rivages de l’Andalousie. Il restait entre8 les deux nations rivales un espace que les Carthaginois ne tardèrent pas occuper9. De l’aveu des naturels, ils y bâtirent10 des maisons pour se loger, des magasins pour recevoir11 leurs marchandises, des temples pour l’exercice de leur religion. Ces établissemens devinrent insensiblement des forteresses qui mirent leurs heureux possesseurs en état d’éloigner les navigateurs qui les avaient précédés, et [212]d’asservir12 des peuples crédules, toujours divisés entre eux13. En achetant les uns, en intimidant les autres, Carthage vint à bout de subjuguer l’Espagne avec les soldats et les trésors de l’Espagne même.
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Les Carthaginois devenus les maîtres de la plus grande & de la plus précieuſe partie de cette belle contrée, parurent ignorer ou mépriſer les moyens d’y affermir leur domination. Au lieu de continuer à s’approprier pour des effets de peu de valeur, l’or & l’argent que fourniſſoient aux vaincus des mines abondantes, ils voulurent tout emporter de force. Cet eſprit de tyrannie paffa1 de la république au général, à l’officier, au ſoldat, au négociant même. Une conduite ſi violente jetta2 les provinces ſoumiſes dans le déſeſpoir, & inſpira à celles qui étoient encore libres, une horreur extrême pour un joug ſi dur. Ces diſpoſitions déterminerent les unes & les autres à accepter des ſecours auſſi funeſtes que leurs maux étoient cruels. L’Eſpagne devint un théâtre de jalouſie, d’ambition & de haine entre Rome & Carthage.
Les Carthaginois devenus les maîtres de la plus grande & de la plus précieuſe partie de cette belle contrée, parurent ignorer ou mépriſer les moyens d’y affermir leur domination. Au lieu de continuer à s’approprier pour des effets de peu de valeur, l’or & l’argent que fourniſſoient aux vaincus des mines abondantes, ils voulurent tout emporter de force. Cet eſprit de tyrannie paſſa1 de la république au général, à l’officier, au ſoldat, au négociant même. Une conduite ſi violente jetta2 les provinces ſoumiſes dans le [332]déſeſpoir, & inſpira à celles qui étoient encore libres, une horreur extrême pour un joug ſi dur. Ces diſpoſitions déterminèrent les unes & les autres à accepter des ſecours auſſi funeſtes que leurs maux étoient cruels. L’Eſpagne devint un théâtre de jalouſie, d’ambition & de haîne entre Rome & Carthage.
Les Carthaginois, devenus les maîtres de la plus grande et de la plus précieuse partie de cette belle contrée, parurent ignorer ou mépriser les moyens d’y affermir leur domination. Au lieu de continuer à s’approprier, pour des effets de peu de valeur, l’or et l’argent que fournissaient aux vaincus des mines abondantes, ils voulurent tout emporter de force. Cet esprit de tyrannie passa1 de la république au général, à l’officier, au soldat, au négociant même. Une conduite si violente jeta2 les provinces soumises dans le désespoir, et inspira à celles qui étaient encore libres une horreur extrême pour un joug si dur. Ces dispositions déterminèrent les unes et les autres à accepter des secours aussi funestes que leurs maux étaient cruels. L’Espagne devint un théâtre de jalousie, d’ambition et de haine entre Rome et Carthage.
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Les deux républiques combattirent avec beaucoup d’acharnement, pour ſavoir à qui l’empire de cette belle portion de l’Europe appartiendroit. Peut-être ne ſeroit-il reſté ni à l’une ni à l’autre, ſi les Eſpagnols, ſpectateurs tranquilles des événemens, euſſent laiſſé le tems1 aux nations rivales de ſe conſumer. Mais pour avoir voulu être acteurs dans ces ſcènes ſanglantes, ils ſe trouverent eſclaves des Romains, & continuerent à l’être juſqu’au cinquiéme ſiécle.
Les deux républiques combattirent avec beaucoup d’acharnement, pour ſavoir à qui l’empire de cette belle portion de l’Europe appartiendroit. Peut-être ne ſeroit-il reſté ni à l’une, ni à l’autre, ſi les Eſpagnols, ſpectateurs tranquilles des événemens, euſſent laiſſé le tems1 aux nations rivales de ſe conſumer. Mais pour avoir voulu être acteurs dans ces ſcènes ſanglantes, ils ſe trouvèrent eſclaves des Romains, & continuèrent à l’être juſqu’au cinquième ſiècle.
Les deux républiques combattirent avec beaucoup d’acharnement pour savoir à qui l’empire de cette belle portion de l’Europe appartiendrait. Peut-être ne serait-il resté ni à l’une ni à l’autre, si les Espagnols, spectateurs tranquilles des événemens, eussent laissé le temps1 aux nations rivales de se consumer. Mais, pour avoir voulu être acteurs [213] dans ces scènes sanglantes, ils se trouvèrent esclaves des Romains, et continuèrent à l’être jusqu’au cinquième siècle.
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Bientôt1 la corruption des maîtres du mondeinſpira aux peuples ſauvages du Nord, l’audace d’envahir des provinces mal gouvernées& mal défendues. Les Sueves, les Alains, les Vandales, les Goths, paſſerent2 les Pyrénées3.
Bientôt1 la corruption des maîtres du monde inſpira aux peuples ſauvages du Nord, l’audaced’envahir des provinces mal gouvernées & mal défendues. Les Sueves, les Alains, les Vandales, les Goths, paſſèrent2 les Pyrénées3.
Alors1 la corruption des maîtres du monde inspira aux peuples sauvages du nord l’audace d’envahir des provinces mal gouvernées et mal défendues. Les Vandales se jetèrent sur l’Espagne en 409, la ravagèrent d’un bout l’autre, y causèrent par leurs brigandages une peste, une famine horrible, s’en rendirent maîtres en deux ans, et en partagèrent au sort2 les différentes parties3.
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Accoutumés au métier1 des brigands, ces barbares ne purent devenir citoyens2; & ils3 ſe firent4 une guerre vive5. Les Goths plus habiles ou plus heureux, ſoumirent leurs ennemis, & compoſerent de toutes les Eſpagnes un état6, qui, malgré le vice de ſes inſtitutions, malgré les rapines des Juifs7 qui en étoient les ſeuls commerçans, ſe ſoutint8juſqu’au commencement du huitiéme ſiécle.
Accoutumés au métier1 des brigands, ces barbares ne purent devenir citoyens2 ; & ils3 ſe firent4 une guerre vivre5. Les Goths plus [333]habiles ou plus heureux, ſoumirent leurs ennemis, & compoſèrent de toutes les Eſpagnesun état6, qui, malgré le vice de ſes inſtitutions, malgré les rapines des Juifs7 qui en étoient les ſeuls commerçans, ſe ſoutint8 juſqu’au commencement du huitième ſiècle.
Ces barbares n’avaient pas encore établi solidement leur domination lorsqu’ils se virent attaqués par1 des hommes aussi féroces qu’eux, qui avaient une origine peu près semblable2, et qui voulaient aussi3 se faire4 une patrie5. Les deux nations se battirent avec l’acharnement que méritait la riche proie qu’on se disputait. L’avantage resta aux Goths6, qui, plus habiles ou plus heureux que leurs concurrens, fondèrent un empire7 qui, malgré le vice de ses institutions féodales, subsista8 jusqu’au commencement du huitième siècle.
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A cette époque, les Maures qui1 avoient ſubjugué2 l’Afrique avec3 cette impétuoſité qui diſtinguoit toutes leurs entrepriſes, paſſelarent mer. Ils trouvent un roi ſans mœurs & ſans talens ; beaucoup de courtiſans4 & point de miniſtres5 ; des ſoldats ſans valeur & des généraux ſans expérience ; des peuples amollis, pleins de mépris pour lé gouvernement, & diſpoſés à changer de maître ; des rébelles qui ſe joignent à eux, pour tout ravager, tout brûler, tout maſſacrer. En moins7 de trois ans, l’empire des chrétiens eſt détruit, celui des infideles établi ſur des fondemens ſolides8.
A cette époque, les Maures qui1 avoient ſubjugué2 l’Afrique avec3 cette impétuoſité qui diſtinguoit toutes leurs entrepriſes, paſſent la mer. Ils trouvent un roi ſans mœurs & ſans talens ; beaucoup de courtiſans4 & point de miniſtres5 ; des ſoldats ſans valeur & des généraux ſans expérience ; des peuples amollis, pleins de mépris pour le gouvernement, & diſpoſés à changer de maître ; des rebelles qui ſe joignent eux, pour tout ravager, tout brûler, tout maſſacrer. En moins7 de trois ans, l’empire des chrétiens eſt détruit, & celui des infidèles établi ſur des fondemens ſolides8.
A cette époque les Arabes1 avaient soumis leur religion et leurs lois une grande partie du globe, et fait de Damas en Syrie le centre de leur puissance. Les lieutenans du calife ne tardèrent pas lui assujettir2 l’Afrique, et de3 cette région ils passèrent en Espagne, appelés, comme on le croit communément, par des traîtres, ou, plus vraisemblablement [214], entraînés par leur ambition seule. La fortune, qui n’avait jamais ou presque jamais abandonné leurs drapeaux, voulut qu’ils n’eussent combattre qu’un roi sans vertu4 et sans talens, que5 des soldats sans valeur et des généraux sans expérience, que6 des peuples amollis, pleins de mépris pour le gouvernement, et disposés à changer de maître. Une victoire, qu’en 714 ils remportèrent dans les fertiles plaines7 de Xérès, donna de nouveaux souverains la péninsule entière8.
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L’Eſpagne dut à ſes vainqueurs des ſemences [8] de goût, d’humanité, de politeſſe, de philoſophie, pluſieurs arts, & un aſſez grand commerce. Ces jours brillans ne durerent pas long-tems ; ils furent éclipſés par les innombrables ſectes qui ſe formerent parmi les conquérans, & par la faute qu’ils firent de ſe donner des ſouverains particuliers dans toutes les villes conſidérables de leur domination.
L’Eſpagne dut à ſes vainqueurs des ſemences de goût, d’humanité, de politeſſe, de philoſophie, pluſieurs arts, & un aſſez grand commerce. Ces jours brillans ne durèrent pas long-tems. Ils furent éclipſés par les innombrables ſectes qui ſe formèrent parmi [334]les conquérans, & par la faute qu’ils firent de ſe donner des ſouverains particuliers dans toutes les villes conſidérables de leur domination.

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Pendant ce tems-là, les Goths qui, pour ſe dérober au joug des Mahométans, avoient été chercher un aſyle au fond des Aſturies, ſuccomboient ſous le joug de l’anarchie, croupiſſoient dans une ignorance barbare, étoient opprimés par des prêtres fanatiques, languiſſoient dans une pauvreté inexprimable, ne ſortoient d’une guerre civile que pour entrer dans une autre. Trop heureux dans le cours de ces calamités, d’être oubliés ou ignorés, ils étoient bien éloignés de ſonger à profiter des diviſions de leurs ennemis. Mais auſſi-tôt que la couronne, d’abord élective, fut devenue héréditaire au dixiéme ſiécle ; que la nobleſſe & les évêques eurent perdu la faculté de troubler l’état ; que le peuple ſorti d’eſclavage eut été appellé au gouvernement, on vit ſe ranimer l’eſprit national. Les Arabes preſſés de tous les côtés, furent dépouillés ſucceſſivement. A la fin du quinziéme ſiécle, il ne leur reſtoit qu’un petit royaume.
Pendant ce tems-là, les Goths qui, pour ſe dérober au joug des Mahométans, avoient été chercher un aſyle au fond des Aſturies, ſuccomboient ſous le joug de l’anarchie, croupiſſoient dans une ignorance barbare, étoient opprimés par des prêtres fanatiques, languiſſoient dans une pauvreté inexprimable, ne ſortoient d’une guerre civile que pour entrer dans une autre. Trop heureux dans le cours de ces calamités, d’être oubliés ou ignorés, ils étoient bien éloignés de ſonger à profiter des diviſions de leurs ennemis. Mais auſſi-tôt que la couronne, d’abord élective, fut devenue héréditaire au dixième ſiècle ; que la nobleſſe & les évêques eurent perdu la faculté de troubler l’état ; que le peuple ſorti d’eſclavage eût été appellé au gouvernement, on vit ſe ranimer l’eſprit national. Les Arabes, preſſés de tous les côtés, furent dépouillés ſucceſſivement. A la fin du quinzième ſiècle, il ne leur reſtoit qu’un petit royaume.

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Elle dut à ses vaiqueurs des semences de goût, de politesse, d’humanité, de philosophie, quelques arts, et un assez grand commerce. Ces jours brillans pouvaient durer, et leur éclat devait avec le temps augmenter encore. S’il en fut autrement, ce fut la faute des conquérans eux-mêmes. Enorgueillis par leurs succès, ils se jetèrent inconsidérément sur les meilleures provinces de la France, et ne repassèrent les Pyrénées qu’après avoir vu exterminer la moitié de leur innombrable armée. Le vide que ce grand revers laissait dans leurs cohortes aurait été rempli par les troupes aguerries et triomphantes que l’Afrique, que la Syrie étaient en état de leur fournir ; l’ambition prématurée qui les avait poussés à se soustraire à l’autorité du califat les priva de cette ressource. Au défaut de secours étrangers, une union inaltérable pouvait perpétuer leurs prospérités : en formant autant de souverainetés [215] particulières et indépendantes qu’il y avait de provinces dans les Espagnes, ils réduisirent à presque rien leurs premières forces. Le peu qui leur restait de leur antique vigueur s’énerva insensiblement sous le beau ciel, dans le doux climat, au sein du pays abondant de Cordoue, devenue la capitale du nouvel empire. Les fêtes, les spectacles, les tournois, la galanterie, mille genres de voluptés que l’Europe n’avait jamais connues, ou que les irruptions sans cesse renaissantes des barbares avaient fait oublier, ces objets, également séduisans et magnifiques, avaient remplacé les exercices d’une discipline austère, les marches rapides, les combats sanglans. Du centre de la puissance, ce mauvais esprit était arrivé à ses extrémités les plus éloignées.
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Il était impossible qu’une révolution si marquée dans la politique et dans les mœurs restât long-temps cachée. Elle fut aperçue par le petit nombre de Goths qui, sous la conduite de Pélage, parent de Rodrigue, leur dernier monarque, s’étaient réfugiés dans les rochers de l’Asturie. Cette connaissance leur donna la hardiesse de sortir de leurs cavernes pour se procurer des subsistances, pour élargir les limites trop resserrées de leur asile. Le succès de leurs premières excursions leur donna des compagnons. Avec ce secours ils repoussèrent les détachemens envoyés contre eux, et eurent une contenance si assurée, qu’on s’engagea à ne pas troubler leur tranquillité [216]pour un léger tribut auquel ils s’obligèrent. Cette humiliation n’eut même que peu de durée. Un des descendans de Pélage s’en déchargea l’an 796, et à cette époque il eut la jouissance paisible et indépendante de Léon et des Asturies. La Navarre, l’Aragon, quelques parties de la Catalogne et de la Castille, d’autres contrées plus ou moins considérables, recouvrèrent aussi leur liberté, mais sans se réunir au prince généreux qui leur avait servi de guide et de modèle.
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Alors éclata singulièrement la haine qui animait les chrétiens et les musulmans. Leurs préjugés eussent-ils été moins vifs, des possessions qui se touchaient par tant de points les auraient brouillés nécessairement. Quelquefois les hostilités étaient opiniâtres ; quelquefois l’impuissance de les continuer les faisait finir le même jour. Tantôt les souverains des deux partis se réunissaient, tantôt ils combattaient séparément. Le pays était rempli d’aventuriers qui offraient indifféremment leurs épées et leurs soldats à qui voulait ou pouvait les payer. Des braves de l’une et l’autre religions faisaient revivre l’esprit de l’ancienne chevalerie, sans que leur probité, sans que leur héroïsme pussent suspendre ou étouffer les perfidies, les assassinats, les empoisonnemens, tous ces crimes si ordinaires aux temps barbares, si familiers dans les démêlés des petits états. Il y avait cinq ou six ans que l’Espagnol, alternativement vainqueur et vaincu, mais plus [217]souvent heureux que malheureux, poussait les Arabes de poste en poste, lorsqu’enfin il réussit, au quinzième siècle, à les concentrer dans la province de Grenade.
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Leur1 décadence auroit été plus rapide, s’ils avoient eu affaire à une puiſſance qui pût réunir vers un centre commun, toutes les conquêtes qu’on faiſoit ſur eux. Les choſes ne ſe paſſerent pas ainſi. Les Mahométans furent attaqués par différens chefs, dont chacun forma un état indépendant. L’Eſpagne fut diviſée en autant de ſouverainetés qu’elle contenoit de provinces. Combien il fallut de tems3, de ſucceſſions, de guerres, de révolutions, que ces foibles5 états ſe trouvaſſent fondus dans ceux de Caſtille & d’Arragon6 ! Enfin le mariage d’Iſabelle & de Ferdinand ayant heureuſement réuni dans une même famille toutes les couronnes d’Eſpagne, on ſe trouva des forces ſuffiſantes pour attaquer le royaume de Grenade.
Leur1 décadence auroit été plus rapide, s’ils avoient eu affaire à une puiſſance qui pût réunir vers un centre commun, toutes les conquêtes qu’on faiſoit ſur eux. Les choſes ne ſe paſſèrent pas ainſi. Les Mahométans furent attaqués par différens chefs, dont chacun forma un état indépendant. L’Eſpagne fut diviſée en autant de ſouverainetés qu’elle contenoit de provinces. Combien il fallut de tems3, de ſucceſſions, de guerres, de révolutions, pour4 que ces foibles5 états ſe trouvâſſent fondus dans ceux de Caſtille & d’Aragon6 ! Enfin le mariage d’Iſabelle & de Ferdinand ayant heureuſement réuni dans une même famille toutes les couronnes d’Eſpagne, on ſe trouva des forces ſuffiſantes pour attaquer le royaume de Grenade.
La1 décadence de ces fiers Asiatiques2 aurait été plus rapide, s’ils avaient eu affaire à une puissance qui pût réunir vers un centre commun toutes les conquêtes qu’on faisait sur eux. Les choses ne se passèrent pas ainsi. Les Mahométans furent attaqués par différens chefs, dont chacun forma un état indépendant. L’Espagne fut divisée en autant de souverainetés qu’elle contenait de provinces. Combien il fallut de temps3, de successions, de guerres, de révolutions pour4 que ces faibles5 états se trouvassent fondus dans ceux de Castille et d’Aragon6 ! Enfin le mariage d’Isabelle et de Ferdinand ayant heureusement réuni dans une même famille toutes les couronnes d’Espagne, on se trouva des forces suffisantes pour attaquer le royaume de Grenade.
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Cet état, qui faiſoit à peine la huitiéme partie de la peninſule, avoit été toujours floriſſant, depuis l’invaſion des Sarrazins1 : mais il avoit vu croître ſes proſpérités, à meſure que les conquêtes de2 chrétiens avoient déterminé un plus3 grand nombre d’infideles à s’y réfugier. Il comptoit trois millions d’habitans4. Le reſte de l’Europe n’offroit pas des terres auſſi-bien5 cultivées ; des manufactures auſſi nombreuſes & auſſi parfaites ; une navigation auſſi ſuivie, auſſi étendue. Le revenu public montoit à ſept millions de livres, richeſſe prodigieuſe dans [10]un tems où l’or & l’argent étoient très-rares6.
Cet état, qui faiſoit à peine la huitième partie de la péninſule, avoit été toujours floriſſant, depuis l’invaſion des Sarrazins1 ; mais il avoit vu croître ſes proſpérités, à meſure que les conquêtes des2 chrétiens avoient déterminé un grand nombre d’infidèles à s’y réfugier. Le reſte de l’Europe n’offroit pas des terres auſſi-bien5 cultivées, des manufactures auſſi nombreuſes & auſſi [336]parfaites ; une navigation auſſi ſuivie, auſſi étendue. Le revenu public montoit, dit-on, à 7,000,000 livres, richeſſe prodigieuſe dans un tems où l’or & l’argent étoient très-rares6.
Cet état, qui faisait à peine la huitième partie de la péninsule, avait été toujours florissant depuis l’invasion des Sarrasins1 ; mais il avait vu croître ses prospérités à mesure que les conquêtes des2 chrétiens avaient déterminé un grand nombre d’infidèles à s’y réfugier. Le reste de l’Europe n’offrait pas des terres aussi bien5 cultivées, des manufactures aussi nombreuses et aussi parfaites, une navigation aussi suivie, aussi étendue. Les édifices, les amusemens, le revenu public [218], tout répondait cette activité, cette industrie, cette opulence6.
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Tant d’avantages, loin de détourner les ſouverains de la Caſtille & de l’Arragon1, d’attaquer Grenade, furent les2 motifs qui les pouſſerent le plus vivement à cette entrepriſe. Il leur fallut dix ans d’une guerre ſanglante & opiniâtre, pour ſubjuguer cette floriſſante province. La conquête en fut achevée par la priſe de la capitale, vers les premiers jours de l’an 1492.
Tant d’avantages, loin de détourner les ſouverains de la Caſtille & de l’Aragon1 d’attaquer Grenade, furent les2 motifs qui les pouſſèrent le plus vivement à cette entrepriſe. Il leur fallut dix ans d’une guerre ſanglante & opiniâtre, pour ſubjuguer cette floriſſante province. La conquête en fut achevée par la priſe de la capitale, vers les premiers jours de l’an 1492.
Tant d’avantages, loin de détourner les souverains de la Castille et de l’Aragon1 d’attaquer Grenade, furent des2 motifs qui les poussèrent le plus vivement à cette entreprise. Il leur fallut dix ans d’une guerre sanglante et opiniâtre pour subjuguer cette florissante province. La conquête en fut achevée par la prise de la capitale, vers les premiers jours de l’an 1492.
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Un1 homme obſcur, plus avancé que ſon ſiecle dans la connoiſſance de l’aſtronomie & de la navigation, ſembloit veiller3l’agrandiſſement de l’Eſpagne4. Chriſtophe Colomb ſentoit comme par inſtinct, qu’il devoit y avoir5 un autre continent, & que c’étoit à lui de6 le découvrir7. Les Antipodes, que la raiſon même traitoit de chimere, &8 la ſuperſtition d’erreur &10 d’impiété étoit aux yeux11 de cet homme12 de génie13, une vérité inconteſtable14. Plein de cette idée, la15 plus fiere16 qui ſoit entré17 dans l’eſprit humain, il propoſa à Gênes, ſa patrie, de mettre ſous ſes loix18 un autre hémiſphere mépriſé19 par cette petite république, par le Portugal où il vivoit, & par l’Angleterre même, qu’il devoit trouver ouverte20 à toutes ces entrepriſes maritimes ; il porta ſes vues & ſes projets à Iſabelle.
Ce fut dans ces circonſtances glorieuſes, qu’un1 homme obſcur, plus avancé que ſon ſiécle dans la connoiſſance de l’aſtronomie & de la navigation, propoſa3l’Eſpagne heureuſe au-dedans de s’aggrandir au-dehors4. Chriſtophe Colomb ſentoit comme par inſtinct, qu’il devoit y avoir5 un autre continent, & que c’étoit à lui de6 le découvrir7. Les Antipodes, que la raiſon même traitoit de chimere, &8 la ſuperſtition d’erreur &10 d’impiété, étoient aux yeux11 de cet homme12 de génie13, une vérité inconteſtable14. Plein de cette idée, l’une des15 plus grandes16 qui ſoient entrées17 dans l’eſprit humain, il propoſa à Gènes ſa patrie, de mettre ſous ſes loix18 un autre hémiſphere. Mépriſé19 par cette petite république, par le Portugal, où il vivoit, & par l’Angleterre même, qu’il devoit trouver diſpoſée20 à toutes les entrepriſes [11] maritimes, il porta ſes vues & ſes projets à Iſabelle.
Ce fut dans ces circonſtances glorieuſes, qu’un1 homme obſcur, plus avancé que ſon ſiècle dans la connoiſſance de l’aſtronomie & de la navigation, propoſa3l’Eſpagne heureuſe au-dedans de s’agrandir au-dehors4. Chriſtophe Colomb ſentoit comme par inſtinct qu’il devoit y avoir5 un autre continent, & que c’étoit à lui de6 le découvrir7. Les Antipodes, que la raiſon même traitoit de chimère, &8 la ſuperſtition d’erreur &10 d’impiété, étoient aux yeux11 de cet homme12 de génie13, une vérité inconteſtable14. Plein de cette idée, l’une des15 plus grandes16 qui ſoient entrées17 dans [337]l’eſprit humain, il propoſa à Gênes ſa patrie, de mettre ſous ſes loix18 un autre hémiſphère. Mépriſé19 par cette petite république, par le Portugal où il vivoit, & par l’Angleterre même, qu’il devoit trouver diſpoſée20 à toutes les entrepriſes maritimes, il porta ſes vues & ſes projets à Iſabelle.
Ce fut dans ces circonstances glorieuses qu’un1 homme, jusqu’alors assez2 obscur, proposa l’Espagne, heureuse au-dedans, de s’agrandir au-dehors d’un continent entier. C’était une conception sublime. Des voies déjà frayées3ce terme inconnu, il n’y avait qu’un pas, mais c’était un pas de géant4. Christophe Colomb devait le faire. Son regard perçant avait démêlé5 un nouvel ordre de choses au-delà de quelques découvertes où6 le vulgaire, où7 les savans n’avaient vu que les découvertes mêmes. Les antipodes, que8 la superstition avait si long-temps traités9 d’erreur ou10 d’impiété, et dont on commençait seulement soupçonner l’existence, étaient, selon ses lumières, une vérité incontestable qu’il offrait11 de démontrer. Ce projet12 de tirer des ténèbres13 une partie du globe n’était pas en lui l’ouvrage d’une imagination exaltée, d’une illusion ambitieuse ; il était fondé sur une connaissance profonde du ciel, de la terre, des mers ; sur une combinaison [219]raisonnée de tous les moyens acquis pour dévoiler la moitié d’un monde l’autre14. Plein de cette idée, l’une des15 plus grandes16 qui soient entrées17 dans l’esprit humain, il proposa à Gênes, sa patrie, de mettre sous ses lois18 un autre hémisphère. Méprisé19 par cette petite république, par le Portugal où il vivait, et par l’Angleterre même, qu’il devait trouver disposée20 à toutes les entreprises maritimes, il porta ses vues et ses projets à Isabelle.
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Les miniſtres de cette princeſſe prirent d’abord pour un viſionnaire un homme qui vouloit découvrir un monde. Ils le traiterent long-tems1 avec cette hauteur inſultante que les hommes communs, quand ils ſont en place, ont pour les hommes de2 génie. Colomb ne fut pas rebuté par les difficultés. Il avoit comme tous ceux qui forment des projets extraordinaires, cet enthouſiaſme qui les roidit contre les jugemens de l’ignorance, les dédains de l’orgueil, les petiteſſes de l’avarice, les délais de la pareſſe. Son ame ferme, élevée, courageuſe, ſa prudence & ſon adreſſe le firent enfin triompher de tous ces obſtacles. On lui accorda trois petits vaiſſeaux3, & quatre-vingt-dix hommes. Il partit5 le 3 Août 1492, avec le titre d’Amiral & de Vice-Roi des iſles6, des terres qu’il découvriroit.
Les miniſtres de cette princeſſe prirent d’abord pour un viſionnaire, un homme qui vouloit découvrir un monde. Ils le traiterent long-tems1 avec cette hauteur inſultante que les hommes en place affectent ſi ſouvent avec ceux qui n’ont que du2 génie. Colomb ne fut pas rebuté par les difficultés. Il avoit, comme tous ceux qui forment des projets extraordinaires, cet enthouſiaſme qui les roidit contre les jugemens de l’ignorance, les dédains de l’orgueil, les petiteſſes de l’avarice, les délais de la pareſſe. Son ame ferme, élevée, courageuſe, ſa prudence & ſon adreſſe, le firent enfin triompher de tous les obſtacles. On lui accorda trois petits vaiſſeaux3 & quatrevingt-dix hommes. Il partit5 le 3 Août 1492, avec le titre d’amiral & de vice-roi des iſles &6 des terres qu’il découvriroit.
Les miniſtres de cette princeſſe prirent d’abord pour un viſionnaire un homme qui vouloit découvrir un monde. Ils le traitèrent long-tems1 avec cette hauteur inſultante que les hommes en place affectent ſi ſouvent avec ceux qui n’ont que du2 génie. Colomb ne fut pas rebuté par les difficultés. Il avoit, comme tous ceux qui forment des projets extraordinaires, cet enthouſiaſme qui les roidit contre les jugemens de l’ignorance, les dédains de l’orgueil, les petiteſſes de l’avarice, les délais de la pareſſe. Son ame ferme, élevée, courageuſe, ſa prudence & ſon adreſſe, le firent enfin triompher de tous les obſtacles. On lui accorda trois petits navires3 & quatre-vingt-dix hommes. Sur cette foible eſcadre, dont l’armement ne coûtoit pas cent mille francs4, il mit la voile5 le 3 Août 1492, avec le titre d’amiral & de vice-roi des iſles [338]&6 des terres qu’il découvriroit, & arriva aux Canaries où il s’étoit propoſé de relâcher7.
Les ministres de cette princesse prirent d’abord pour un visionnaire un homme qui voulait découvrir un monde. Ils le traitèrent long-temps1 avec cette hauteur insultante que les hommes en place affectent si souvent avec ceux qui n’ont que du2 génie. Colomb ne fut pas rebuté par les difficultés. Il avait, comme tous ceux qui forment des projets extraordinaires, cet enthousiasme qui les roidit contre les jugemens de l’ignorance, les dédains de l’orgueil, les petitesses de l’avarice, les délais de la paresse. Son âme ferme, élevée, courageuse, sa prudence et son adresse, le firent enfin triompher de tous les obstacles. On lui accorda trois petits navires3 et quatre-vingt-dix hommes. Sur cette faible escadre, dont l’armement ne coûtait pas cent mille francs4, il mit à la voile5 le 3 août 1492, avec le titre d’amiral et de vice-roi des îles et6 des terres qu’il découvrirait, et arriva aux Canaries, où il s’était proposé de relâcher7.
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Ces iſles1, ſituées à cinq cens2 milles des côtes d’Eſpagne & à cent milles du continent d’Afrique, ſont au nombre de ſept. L’antiquité les connut ſous le nom d’iſles4 Fortunées. Ce fut à la partie la plus occidentale de ce petit archipel que le célèbre Ptolomée, qui vivoit dans le ſecond ſiècle de l’ère chrétienne, établit un premier méridien, d’où il compta les longitudes de tous les lieux, dont il détermina la poſition géographique. Il auroit pu, ſelon la remarque judicieuſe des trois aſtronomes François qui ont publié en 1778 la relation ſi curieuſe & ſi inſtructive d’un voyage fait en 1771 & en 17725, il auroit pu choiſir Alexandrie : mais il craignit, ſans doute, que cette prédilection pour ſon pays ne fût imitée par d’autres, & qu’ il6 ne réſultât quelque embarras de ces variations. Le parti auquel s’arrêta ce philoſophe, de prendre pour premier méridien celui qui paroiſſoit7 laiſſer à ſon orient toute la partie alors connue de la terre, fut généralement approuvé, généralement ſuivi pendant plusieurs ſiècles. Ce n’eſt que dans les tems8 [339]modernes que pluſieurs nations lui ont mal-à-propos9 ſubſtitué la capitale de leur empire.
Ces îles1, situées à cinq cents2 milles des côtes [220]d’Espagne, et à cent cinquante3 milles du continent d’Afrique, sont au nombre de sept. L’antiquité les connut sous le nom d’îles4 fortunées. Ce fut à la partie la plus occidentale de ce petit archipel que le célèbre Ptolomée, qui vivait dans le second siècle de l’ère chrétienne, établit un premier méridien, d’où il compta les longitudes de tous les lieux, dont il détermina la position géographique. Il aurait pu choisir Alexandrie ; mais il craignit sans doute que cette prédilection pour son pays ne fût imitée par d’autres, et qu’il6 ne résultât quelque embarras de ces variations. Le parti auquel s’arrêta ce philosophe, de prendre pour premier méridien celui qui paraissait7 laisser à son orient toute la partie alors connue de la terre, fut généralement approuvé, généralement suivi pendant plusieurs siècles. Ce n’est que dans les temps8 modernes que plusieurs nations lui ont mal propos9 substitué la capitale de leur empire.
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L’habitude qu’on avoit contractée d’employer le nom des iſles1 Fortunées n’empêchoit pas qu’on ne les eût perdues entiérement de vue. Quelque navigateur avoit ſans doute reconnu de nouveau ces terres infidelles2, puiſqu’en 1344, la cour de Rome en donna la propriété à Louis de la Cerda, un des Infans de Caſtille. Obſtinément traverſé par le chef de ſa famille, ce prince n’avoit encore pu rien tenter pour mettre à profit cette étrange libéralité, lorſque Béthencourt partit de la Rochelle le 6 Mai 1402, &3 s’empara deux mois après de Lancerote. Dans l’impoſſibilité de rien opérer de plus avec les moyens qui lui reſtoient, cet aventurier ſe détermina à rendre hommage au roi de Caſtille de toutes les conquêtes qu’il pourroit faire. Avec les ſecours que lui donna ce ſouverain, il envahit Fortaventure en 1404, Gomère en 1405, l’iſle4 de Fer en 1406. Canarie, Palme & Teneriff5 ne ſubirent le joug qu’en 1483, en 1492 & en 1496. Cet archipel, ſous le nom d’iſles6 Canaries, a fait toujours depuis partie de la domination Eſpagnole [340] & a été conduit par les loix7 de Caſtille.
L’habitude qu’on avait contractée d’employer le nom des îles1 fortunées n’empêchait pas qu’on ne les eût perdues entièrement de vue. Quelque navigateur avait sans doute reconnu de nouveau cet archipel2, puisqu’en 1344 la cour de Rome en donna la propriété à Louis de la Cerda, un des infans de Castille. Obstinément traversé par le chef de sa famille, ce prince n’avait encore pu rien tenter pour mettre à profit cette étrange libéralité, lorsque Béthencourt partit de la Rochelle le 6 mai 1402, s’empara deux mois après de Lancerote [221]. Dans l’impossibité de rien opérer de plus avec les moyens qui lui restaient, cet aventurier se détermina à rendre hommage au roi de Castille de toutes les conquêtes qu’il pourrait faire. Avec les secours que lui donna ce souverain, il envahit Fortaventure en 1404, Gomère en 1405, l’île4 de Fer en 1406. Canarie, Palme et Tenériffe5 ne subirent le joug qu’en 1483, en 1492 et en 1496. Cet archipel, sous le nom dîles6 Canaries, a fait toujours depuis partie de la domination espagnole, et a été conduit par les lois7 de Castille.
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Les Canaries jouiſſent d’un ciel communément ſerein. Les chaleurs ſont vives ſur les côtes : mais l’air eſt agréablement tempéré ſur les lieux un peu élevés, & trop froid ſur quelques montagnes couvertes de neige la plus grande partie de l’année.
Les Canaries jouissent d’un ciel communément serein. Les chaleurs sont vives sur les côtes, mais l’air est agréablement tempéré sur les lieux un peu élevés, et trop froid sur quelques montagnes, couvertes de neige la plus grande partie de l’année.
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Les fruits & les animaux de l’ancien, du Nouveau-Monde1, proſpèrent tous ou preſque tous ſur le ſol varié de ces iſles2. On y récolte des huiles, quelque ſoie, beaucoup d’orſeille & une aſſez grande quantité de ſucre inférieur à celui que donne l’Amérique. Les grains qu’il fournit ſuffiſent le plus ſouvent à la conſommation du pays ; & ſans compter les boiſſons de moindre qualité, ſes exportations en vin s’élèvent annuellement à dix ou douze mille pipes de Malvoiſie.
Les fruits et les animaux de l’ancien, du nouveau monde1, prospèrent tous ou presque tous sur le sol varié de ces îles2. On y récolte des huiles, quelque soie, beaucoup d’orseille, et une assez grande quantité de sucre, inférieur à celui que donne l’Amérique. Les grains qu’il fournit suffisent le plus souvent à la consommation du pays ; et sans compter les boissons de moindre qualité, ses exportations en vin s’élèvent annuellement à dix ou douze mille pipes de Malvoisie.
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En 1768, les Canaries comptoient cent cinquante-cinq mille cent ſoixante-ſix habitans, indépendamment de cinq cens1 huit eccléſiaſtiques, de neuf cens2 vingt-deux moines, & de ſept cens3 quarante-ſix religieuſes. Vingt-neuf mille huit cens4 de ces citoyens étoient enrégimentés. Ces milices [341]n’étoient rien alors : mais depuis on les a un peu exercées, comme toutes celles des autres colonies Eſpagnoles.
En 1768, les Canaries comptaient cent cinquante-cinq mille cent soixante-six habitans, indépendamment [222] de cinq cent1 huit ecclésiastiques, de neuf cent2 vingt-deux moines, et de sept cent3 quarante-six religieuses. Vingt-neuf mille huit cent4 de ces citoyens étaient enrégimentés. Ces milices n’étaient rien alors : mais depuis on les a un peu exercées, comme toutes celles des autres colonies espagnoles.
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Quoique l’audience ou le tribunal ſupérieur de juſtice ſoit dans l’iſle1 ſpécialement appellée2 Canarie, on regarde comme la capitale de l’Archipel celle de Teneriff3, connue par ſes volcans & par une montagne qui, ſelon les dernières & les meilleures obſervations, s’élève mille neuf cens4 quatre toiſes au-deſſus de la mer. C’eſt la plus étendue, la plus riche & la plus peuplée. Elle eſt le ſéjour du commandant général8 & le ſiège de l’adminiſtration. Les navigateurs, preſque tous Anglois9 ou Américains, font leurs ventes dans ſon port de Sainte-Croix & y prennent leur chargement.
Quoique l’audience ou le tribunal supérieur de justice soit dans l’île1 spécialement appelée2 Canarie, on regarde comme la capitale de l’Archipel celle de Ténériffe3, connue par ses volcans et par une montagne qui, selon les dernières et les meilleures observations, s’élève mille neuf cent4 quatre toises au-dessus de la mer. Les flancs de cet énorme rocher sont remplis d’excavations qui de temps immémorial servirent de tombeau un peuple nommé Guanche, qui n’existe plus. L’entrée de ces singuliers sépulcres fut toujours un secret que les vieillards les plus distingués par leur discrétion se transmirent de siècle en siècle avec une fidélité qui ne s’est pas démentie jusqu’à notre âge. Les morts y sont conservés en momies, avec le succès qu’eut une région autrefois célèbre. La seule différence un peu prononcée qu’on peut remarquer entre les usages des deux nations5, c’est que les Égyptiens enveloppaient leurs momies de bandelettes chargées de caractères vraisemblablement destinés transmettre l’histoire ou le caractère des morts, au lieu que les Guanches ont simplement cousu les leurs dans des peaux, peut-être [223]parce que l’écriture leur était inconnue. Ténériffe est d’ailleurs l’île6 la plus étendue, la plus riche et la plus peuplée de son archipel7. Elle est le séjour du commandant-général8 et le siége de l’administration. Les navigateurs, presque tous Anglais9 ou Américains, font leurs ventes dans son port de Sainte-Croix, et y prennent leur chargement.
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L’argent que ces négocians y verſent, circule rarement dans les iſles1. Ce ne ſont pas les impôts qui l’en font ſortir, puiſqu’ils ſe réduiſent au monopole du tabac, & à une taxe de ſix pour cent ſur ce qui ſort, ſur ce qui entre : foibles2 reſſources que doivent abſorber les dépenſes de ſouveraineté. Si les Canaries envoient annuellement quinze3 ou ſeize cens mille4 francs à la métropole, [342]c’eſt pour la ſuperſtition de la croiſade : c’eſt pour la moitié de leurs appointemens que doivent la première année à la couronne ceux des citoyens qui en ont obtenu quelque place : c’eſt pour le droit des lances ſubſtitué ſur toute l’étendue de l’empire à l’obligation anciennement impoſée à tous les gens titrés de ſuivre le roi à la guerre : c’eſt pour le tiers du revenu des évêchés qui, dans quelque partie du monde que ce puiſſe être, appartient au gouvernement : c’eſt pour le produit des terres acquiſes ou conſervées par quelques familles fixées en Eſpagne : c’eſt enfin pour payer les dépenſes de ceux que l’inquiétude, l’ambition ou le deſir d’acquérir quelques connoiſſances5 font ſortir de leur archipel.
L’argent que ces négocians y versent circule rarement dans les îles1. Ce ne sont pas les impôts qui l’en font sortir, puisqu’ils se réduisent au monopole du tabac, et à une taxe de six pour cent sur ce qui sort, sur ce qui entre ; faibles2 ressources que doivent absorber les dépenses de souveraineté. Si les Canaries envoient annuellement 153 ou 1600,0004 francs à la métropole, c’est pour la superstition de la croisade ; c’est pour la moitié de leurs appointemens que doivent la première année à la couronne ceux des citoyens qui en ont obtenu quelque place ; c’est pour le droit des lances substitué sur toute l’étendue de l’empire à l’obligation anciennement imposée à tous les gens titrés de suivre le roi à la guerre ; c’est pour le tiers du revenu des évêchés qui, dans quelque partie du monde que ce puisse être, appartient au gouvernement ; c’est pour le produit des terres acquises ou conservées par quelques familles fixées en Espagne ; c’est enfin pour payer les dépenses de ceux que l’inquiétude, l’ambition ou le désir d’acquérir quelques connaissances5 font sortir de leur archipel.
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[absent]
Une exportation ſi conſidérable de métaux à tenu les Canaries dans un épuiſement continuel. Elles en ſeroient ſorties, ſi on les eût laiſſé1 paiſiblement jouir de la liberté qui, en 1657, leur fut accordée d’expédier tous les ans pour l’autre hémiſphère cinq bâtimens chargés de mille tonneaux de denrées ou de marchandiſes. Malheureuſement, les entraves que mit Cadix à ce commerce, le réduiſit [343]peu-à-peu2 à l’envoi d’un très-petit navire à Caraque. Cette tyrannie expire ; & nous parlerons de ſa chûte, après que nous aurons ſuivi Colomb ſur le grand théâtre où ſon génie & ſon courage vont ſe développer.
Une exportation si considérable de métaux a tenu les Canaries dans un épuisement continuel. Elles en seraient sorties, si on les eût laissées1 paisiblement jouir de la liberté qui, en 1657, leur fut accordée d’expédier tous les ans pour l’autre hémisphère cinq bâtimens chargés de mille tonneaux de denrées ou de marchandises. Malheureusement les entraves que mit Cadix à ce commerce le réduisirent peu peu2 à l’envoi d’un très-petit navire à Caraque. Cette tyrannie expire, et nous parlerons de sa chute après que nous aurons suivi Colomb sur le grand théâtre où son génie et son courage vont se développer.
35

[absent]

[absent]
Ce fut le 6 ſeptembre qu’il quitta Gomère où ſes trop frêles bâtimens avoient été radoubés & ſes vivres renouvellés1 ; qu’il abandonna les routes ſuivies par les navigateurs qui l’avoient précédé ; qu’il fit voile à l’Oueſt pour ſe jetter2 dans un océan inconnu.
Ce fut le 6 septembre qu’il quitta Gomère, où ses trop frêles bâtimens avaient été radoubés et ses vivres renouvelés1 ; qu’il abandonna les routes suivies par les navigateurs qui l’avaient précédé ; qu’il fit voile à l’ouest pour se jeter2 dans un océan inconnu.
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Après une longue navigation1, ſes équipages [3]épouvantés de l’immenſe étendue des mers qu’ils avoient mis entr’eux &2 leur patrie, commencerent à déſeſpérer de trouver ce qu’ils cherchoient. Ils murmuroient, &3 pluſieurs fois il fut propoſé4 de jetter Colomb5 dans les flots, & de retourner en Eſpagne. L’amiral diſſimula le plus qu’il lui fût poſſible ; mais quand il vit le mécontentement prêt à éclater, il déclara lui-même, que ſi6 dans trois jours on ne découvroit pas la terre, il reprendroit la route d’Europe7. Depuis quelque tems8 il trouvoit le fonds9 avec la ſonde, & des indices qui trompent rarement lui faiſoient juger qu’il n’étoit pas éloigné des terres10.
Après une longue navigation1, ſes équipages épouvantés de l’immenſe étendue des mers qu’ils avoient miſe entr’eux &2 leur patrie, commencerent à déſeſpérer de trouver ce qu’ils cherchoient. Ils murmuroient, &3 pluſieurs fois on propoſa4 de jetter Colomb5 dans les flots, & de retourner en Eſpagne. L’amiral diſſimula le plus qu’il lui fut poſſible ; mais quand il vit le mécontentement [12] prêt à éclater, il déclara lui-même, que ſi6 dans trois jours on ne découvroit pas la terre, il reprendroit la route de l’Europe7. Depuis quelque tems8 il trouvoit le fond9 avec la ſonde ; & des indices qui trompent rarement, lui faiſoient juger qu’il n’étoit pas éloigné des terres10.
Bientôt1, ſes équipages épouvantés de l’immenſe étendue des mers qui les ſéparoient de2 leur patrie, commencèrent à s’effrayer. Ils murmuroient, & les plus intraitables des mutins propoſèrent 3 pluſieurs repriſes de jetter l’auteur4 de leurs dangers5 dans les flots. Ses plus zélés partiſans même étoient ſans eſpoir ; & il ne pouvoit plus rien ſe promettre, ni de la ſévérité, ni de la douceur. Si la terre ne paroît6 dans trois jours, je me livre votre vengeance, dit alors l’amiral. Le diſcours étoit hardi, ſans être téméraire7. Depuis quelque tems8, il trouvoit le fond9 avec la ſonde ; & des indices qui trompent rarement, lui faiſoient juger qu’il n’étoit pas éloigné du but qu’il s’étoit propoſé10.
Bientôt1 ses équipages, épouvantés de l’immense étendue des mers qui les séparaient de2 leur patrie, commencèrent à s’effrayer. Ils murmuraient, et les plus intraitables des mutins proposèrent à3 plusieurs reprises de jeter l’auteur4 de leurs dangers5 dans les flots. Ses plus zélés partisans même étaient sans espoir ; et il ne pouvait plus rien se promettre ni de la sévérité, ni de la douceur. Si la terre ne paraît6 dans trois jours, je me livre votre vengeance, dit alors l’amiral. Le discours était hardi, sans être téméraire7. Depuis quelque [225]temps8 il trouvait le fond9 avec la sonde, et des indices qui trompent rarement lui faisaient juger qu’il n’était pas éloigné du but qu’il s’était proposé10.
37
Ce fut au mois d’octobre que fut découvert le nouveau monde1. Colomb aborda à une des Iſles2 Lucayes, qu’il nomma San-Salvador, & dont il prit poſſeſſion au nom d’Iſabelle3. Perſonne en Eſpagne ne ſe doutoit alors4 qu’il pût y avoir quelque injuſtice 5 s’emparer d’un pays qui n’étoit pas habité par des chrétiens.
Ce fut au mois d’Octobre que fut découvert le nouveau monde1. Colomb aborda à une des iſles2 Lucayes, qu’il nomma San-Salvador, & dont il prit poſſeſſion au nom d’Iſabelle3. Perſonne en Eſpagne n’étoit capable de penſer4, qu’il pût y avoir quelque injuſtice de5 s’emparer d’un pays qui n’étoit pas habité par des chrétiens.
Ce fut au mois d’octobre que fut découvert le Nouveau-Monde1. Colomb aborda à une des iſles2 Lucayes, qu’il nomma San-Salvador, & dont il prit poſſeſſion au nom d’lſabelle3. Perſonne en Europe n’étoit capable de penſer4, qu’il pût y avoir quelque injuſtice de5 s’emparer d’un pays qui n’étoit pas habité par des chrétiens.
Ce fut au mois d’octobre que fut découvert le Nouveau-Monde1. Colomb aborda à une des îles2 Lucayes, qu’il nomma San-Salvador, et dont il prit possession au nom d’Isabelle3. Personne en Europe n’était capable de penser4 qu’il pût y avoir quelque injustice de5 s’emparer d’un pays qui n’était pas habité par des chrétiens.
38
Les inſulaires à la vue des vaiſſeaux & de ces hommes ſi différens d’eux, furent d’abord effrayés, & prirent la fuite. Les Eſpagnols en arrêterent quelqu’uns1, qu’ils renvoyerent après les avoir comblés de careſſes & de préſent. Il2 n’en fallut pas davantage pour raſſurer toute la nation.
Les inſulaires, à la vue des vaiſſeaux & de ces hommes ſi différens d’eux, furent d’abord effrayés, & prirent la fuite. Les Eſpagnols en arrêterent quelques-uns1, qu’ils renvoyerent, après les avoir comblés de careſſes & de préſens. II2 n’en fallut pas davantage pour raſſurer toute la nation.
Les inſulaires, à la vue des vaiſſeaux & de ces hommes ſi différens d’eux, furent d’abord effrayés, & prirent la fuite. Les Eſpagnols en arrêtèrent quelques-uns1, qu’ils renvoyèrent, après les avoir comblés de careſſes & de préſens. Il2 n’en fallut pas davantage pour raſſurer toute la nation.
Les insulaires, à la vue des vaisseaux et de ces hommes si différens d’eux, furent d’abord effrayés, et prirent la fuite. Les Espagnols en arrêtèrent quelques-uns1, qu’ils renvoyèrent après les avoir comblés de caresses et de présens. Il2 n’en fallut pas davantage pour rassurer toute la nation.
39
Ces peuples vinrent ſans armes ſur le rivage. Pluſieurs entrerent dans les vaiſſeaux ; ils examinoienttout avec admiration. On remarquoit en eux de la confiance & de la gaieté1. Ils apportoientdes fruits. Ils mettoient les Eſpagnols ſur leurs épaules pour les aider à deſcendre à terre. Les habitans des Iſles2 voiſines montrerent la même douceur & les mêmes mœurs. Les matelotsque Colomb envoyoit à la découverte [4]étoient fêtés dans toutes les habitations. Les hommes, les femmes, les enfans leur alloient chercher des vivres. On rempliſſoit du coton le plus fin, les lits ſuſpendu dans leſquels ils couchoient.
Ces peuples vinrent ſans armes ſur le rivage. Pluſieurs entrerent dans les vaiſſeaux; ils examinoient tout avec admiration. On remarquoit en eux de la confiance& de la gaieté1. Ils apportoient des fruits. Ils mettoient les Eſpagnols ſur leurs épaules, pour les aider à deſcendre à terre. Les habitans des iſles2 voiſines montrerent la même [13] douceur & les mêmes mœurs. Les matelotsque Colomb envoyoit à la découverte, étoient fêtés dans toutes les habitations. Les hommes, les femmes, les enfans, leur alloient chercher des vivres. On rempliſſoitdu coton le plus fin, les lits ſuſpendus dans leſquels ils couchoient.
Ces peuples vinrent ſans armes ſur le rivage. Pluſieurs entrèrent dans les vaiſſeaux ; ils examinoient tout avec admiration. On remarquoit en eux de la confiance & de la gaieté1. Ils apportoient des fruits. Ils mettoient les Eſpagnols ſur leurs épaules, pour les aider à deſcendre à terre. Les habitans des iſles2 voiſines montrèrent la même douceur & les mêmes mœurs. Les matelots que Colomb envoyoit à la découverte, étoient fêtés dans toutes les habitations. Les hommes, les femmes [345], les enfans, leur alloient chercher des vivres. On rempliſſoit du coton le plus fin, les lits ſuſpendus dans leſquels ils couchoient.
Ces peuples vinrent sans armes sur le rivage. Plusieurs entrèrent dans les vaisseaux ; ils examinaient tout avec admiration. On remarquait en eux de la confiance et de la gaîté1. Ils apportaient des fruits. Ils mettaient les Espagnols sur leurs épaules pour les aider à descendre à terre. Les habitans des îles2 voisines montrèrent la même douceur et les mêmes mœurs. Les matelots que Colomb envoyait à la découverte étaient fêtés dans toutes les habitations. Les hommes, les femmes, les enfans leur allaient chercher des vivres. On remplissait du coton le plus fin les lits suspendus dans lesquels ils couchaient.
40

[absent]

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Lecteur, dites-moi, ſont-ce des peuples civiliſés qui ſont deſcendus chez des ſauvages, ou des ſauvages chez des peuples civiliſés ? Et qu’importe qu’ils ſoient nus ; qu’ils habitent le fond des forêts, qu’ils vivent ſous des hutes1 ; qu’il n’y ait parmi eux ni code de loix2, ni juſtice civile, ni juſtice criminelle, s’ils ſont doux, humains, bienfaiſans, s’ils ont les vertus qui caractériſent l’homme. Hélas ! par-tout on auroit obtenu le même accueil avec les mêmes procédés. Oublions, s’il ſe peut, ou plutôt rappellons-nous ce moment de la découverte, cette première entrevue des deux mondes pour bien déteſter le nôtre3.
Lecteur, dites-moi, sont-ce des peuples civilisés qui sont descendus chez des sauvages, ou des sauvages chez des peuples civilisés ? Et qu’importe qu’ils soient nus, qu’ils habitent le fond des forêts, qu’ils vivent sous des huttes1, qu’il n’y ait parmi eux ni code de lois2, ni justice civile, ni justice criminelle, s’ils sont doux, humains, bienfaisans, s’ils ont les vertus qui caractérisent l’homme. Hélas ! partout on aurait obtenu le même accueil avec les mêmes procédés.
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C’étoit de l’or que cherchoient les Eſpagnols : ils en virent. Pluſieurs ſauvages portoientdes ornemens de ce riche métal ; ils en donnerent à leurs nouveaux hôtes. Ceux-ci furent plus révolté de la nudité, de la ſimplicitéde ces peuples, que touchés de leur bonté. Ils ne ſurent point reconnoître en eux l’empreintede la nature. Etonnés de trouver des hommes couleur de cuivre, ſans barbe & ſans poil ſur le corps, ils les regarderent comme des animaux imparfaits qu’on auroit dès lors1 traités ſans humanité2, ſans l’intérêts qu’on avoit de ſavoir d’eux des détails importans ſur les contrées voiſines, & dans quel pays étoient les mines d’or.
C’étoit de l’or que cherchoient les Eſpagnols : ils en virent. Pluſieurs ſauvages portoient des ornemensde ce riche métal ; ils en donnerentà leurs nouveaux hôtes. Ceux-ci furentplus révoltés de la nudité, de la ſimplicitéde ces peuples, que touchés de leur bonté. Ils ne ſurent point reconnoître en eux l’empreinte de la nature. Etonnés de trouver des hommes couleur de cuivre, ſans barbe & ſans poil ſur le corps, ils les regarderentcomme des animaux imparfaits, qu’on auroit dès-lors1 traités inhumainement2, ſans l’intérêt qu’on avoit de ſavoir d’eux des détails importans ſur les contrées voiſines, & dans quel pays étoient les mines d’or.
C’étoit de l’or que cherchoient les Eſpagnols : ils en virent. Pluſieurs ſauvages portoient des ornemens de ce riche métal ; ils en donnèrent à leurs nouveaux hôtes. Ceux-ci furent plus révoltés de la nudité, de la ſimplicite de ces peuples, que touchés de leur bonté. Ils ne ſurent point reconnoître en eux l’empreinte de la nature. Étonnés de [346]trouver des hommes couleur de cuivre, ſans barbe & ſans poil ſur le corps, ils les regardèrent comme des animaux imparfaits, qu’on auroit dès-lors1 traités inhumainement2, ſans l’intérêt qu’on avoit de ſavoir d’eux des détails importans ſur les contrées voiſines, & dans quel pays étoient les mines d’or.
C’était de l’or que cherchaient les Espagnols : ils en virent. Plusieurs sauvages portaient des ornemens de ce riche métal ; ils en donnèrent à leurs nouveaux hôtes. Ceux-ci furent plus révoltés de la nudité, de la simplicité de ces peuples, que touchés de leur bonté. Ils ne surent point reconnaître en eux l’empreinte de la nature. Étonnés de trouver des hommes couleur de cuivre, sans barbe et sans poil sur le corps, ils les regardèrent comme des animaux imparfaits qu’on aurait dès-lors1 traités inhumainement2, sans l’intérêt qu’on avait de savoir d’eux des détails importans sur les contrées voisines et dans quel pays étaient les mines d’or.
42
Après avoir reconnu quelques iſles2 d’une médiocre étendue ; Colomb aborda au Nord, d’une grande iſle4 que les inſulaires appelloient Hayti5, & qu’il nomma l’Eſpagnole ; elle porte aujourd’hui le nom de Saint-Domingue. Il y fut conduit par quelques ſauvages des autres iſles6 qui l’avoient ſuivi ſans défiance, & qui lui avoient fait entendre que la grande iſle7 étoit le pays qui leur fourniſſoit ce métal dont les Eſpagnols étoient ſi avides.
Après avoir reconnu quelques iſles2 d’une médiocre étendue, Colomb aborda au Nord d’une grande iſle4, que les inſulaires appelloient Hayti5, & qu’il nomma l’Eſpagnole : elle porte aujourd’hui le nom de Saint-Domingue. Il y fut conduit par quelques ſauvages des autres iſles6, qui l’avoient ſuivi [14] ſans défiance, & qui lui avoient fait entendre que la grande iſle7 étoit le pays qui leur fourniſſoit ce métal, dont les Eſpagnols étoient ſi avides.
Après avoir reconnu quelques iſles2 d’une médiocre étendue, Colomb aborda au Nord d’une grande iſle4, que les inſulaires appelloient Hayti5, & qu’il nomma l’Eſpagnole : elle porte aujourd’hui le nom de Saint-Domingue. Il y fut conduit par quelques ſauvages des autres iſles6, qui l’avoient ſuivi ſans défiance, & qui lui avoient fait entendre que la grande iſle7 étoit le pays qui leur fourniſſoit ce métal, dont les Eſpagnols étoient ſi avides.
Après avoir reconnu Cuba et1 quelques autres îles2 d’une médiocre étendue, Colomb aborda le 6 décembre3 au nord d’une grande île4 que les insulaires appelaient Haïti5, et qu’il nomma l’Espagnole : elle porte aujourd’hui le nom de SaintDomingue. Il y fut conduit par quelques sauvages [227]des autres îles6, qui l’avaient suivi sans défiance, et qui lui avaient fait entendre que la grande île7 était le pays qui leur fournissait ce métal dont les Espagnols étaient si avides.
43
L’iſle1 de Hayti2, qui a deux cens3 lieues de long, ſur ſoixante, & quelquefois quatre-vingt4 de large, eſt coupée par le milieu5 dans toute ſa largeur de l’eſt à l’oueſt, par une chaîne de montagnes, la plupart eſcarpées qui en occupent le milieu. On la trouva partagée entre cinq nations fort nombreuſes qui vivoient en paix. [5]Elles avoient des rois nommés Caciques, abſolus, &7 fort aimés. Ces peuples étoient plus blancs que ceux des autres iſles8. Ils ſe peignoient le corps. Les hommes étoient abſolument nuds9. Les femmes portoient une ſorte de jupe de coton qui ne paſſoit pas le genouil10. Les filles étoient nues comme les hommes. Ils vivoient de mays11 de racines, de fruits & de coquillages. Sobres, légers, agiles, peu robuſtes, ils avoient de l’éloignement pour le travail : leurs beſoins ne leur en demandoient pas : &12 ils ne s’étoient pas fait des beſoins. Ils vivoient13 ſans inquiétudes14, & dans une douce indolence. Leur tems15 s’employoit à danſer, à jouer, à dormir. Ils montroient peu d’eſprit, à ce que diſent les Eſpagnols ; & en effet, des inſulaires ſéparés des autres peuples ne devoient avoir que peu de lumieres. Les ſociétés iſolées s’éclairent lentement, &16 difficilement : elles ne s’enrichiſſent d’aucune des découvertes que le tems17 & l’expérience font faire aux18 autres peuples. Le nombre des hazards19 qui menent à l’inſtruction eſt plus borné pour elles.
L’iſle1 de Hayti2, qui a deux cens3 lieues de long, ſur ſoixante, & quelquefois quatrevingts4 de large, eſt coupée dans toute ſa largeur de l’Eſt à l’Oueſt, par une chaîne de montagnes, la plupart eſcarpées, qui en occupent le milieu. On la trouve partagée entre cinq nations fort nombreuſes, qui vivoient en paix. Elles avoient des rois nommés caciques, d’autant plus6 abſolus, qu’ils étoient7 fort aimés. Ces peuples étoient plus blancs que ceux des autres iſles8. Ils ſe peignoient le corps. Les hommes étoient entierement nuds9. Les femmes portoient une ſorte de jupe de coton qui ne paſſoit pas le genou10. Les filles étoient nues comme les hommes. Ils vivoient de mays11, de racines, de fruits & de coquillages. Sobres, légers, agiles, peu robuſtes, ils avoient de l’éloignement pour le travail. Ils couloient leurs jours13 ſans inquiétude14 & dans une douce indolence. Leur tems15 s’employoit à danſer, à jouer, à dormir. Ils montroient peu d’eſprit, à ce que diſent les Eſpagnols ; & en effet, des inſulaires ſéparés des autres peuples, ne dévoient avoir que peu de lumières. Les ſociétés iſolées s’éclairent lentement [15] &16 difficilement ; elles ne s’enrichiſſent d’aucune des découvertes que le tems17 & l’expérience font naître chez les18 autres peuples. Le nombre des hazards19 qui menent à l’inſtruction eſt plus borné pour elles.
L’iſle1 de Hayti2, qui a deux cens3 lieues de long, ſur ſoixante, & quelquefois quatre-vingts4 de large, eſt coupée dans toute ſa largeur de l’Eſt à l’Oueſt, par une chaîne de montagnes, la plupart eſcarpées, qui en occupent le milieu. On la trouva partagée entre cinq nations fort nombreuſes qui vivoient en paix. Elles avoient des rois nommés [347]caciques, d’autant plus6 abſolus, qu’ils étoient7 fort aimés. Ces peuples étoient plus blancs que ceux des autres iſles8. Ils ſe peignoient le corps. Les hommes étoient entiérement nus9. Les femmes portoient une ſorte de jupe de coton qui ne paſſoit pas le genou10. Les filles étoient nues comme les hommes. Ils vivoient de maïs11, de racines, de fruits & de coquillages. Sobres, légers, agiles, peu robuſtes, ils avoient de l’éloignement pour le travail. Ils couloient leurs jours13 ſans inquiétude14 & dans une douce indolence. Leur tems15 s’employoit à danſer, à jouer, à dormir. Ils montroient peu d’eſprit, à ce que diſent les Eſpagnols ; & en effet, des inſulaires ſéparés des autres peuples, ne devoient avoir que peu de lumières. Les ſociétés iſolées s’éclairent lentement, difficilement ; elles ne s’enrichiſſent d’aucune des découvertes que le tems17 & l’expérience font naître chez les18 autres peuples. Le nombre des haſards19 qui mènent à l’inſtruction eſt plus borné pour elles.
L’île1 de Haïti2, qui a deux cents3 lieues de long sur soixante, et quelquefois quatre-vingts4 de large, est coupée dans toute sa largeur, de l’est à l’ouest, par une chaîne de montagnes, la plupart escarpées, qui en occupent le milieu. On la trouva partagée entre cinq nations fort nombreuses qui vivaient en paix. Elles avaient des rois nommés caciques, d’autant plus6 absolus qu’ils étaient7 fort aimés. Ces peuples étaient plus blancs que ceux des autres îles8. Ils se peignaient le corps. Les hommes étaient entièrement nus9. Les femmes portaient une sorte de jupe de coton qui ne passait pas le genou10. Les filles étaient nues comme les hommes. Ils vivaient de maïs11, de racines, de fruits et de coquillages. Sobres, légers, agiles, peu robustes, ils avaient de l’éloignement pour le travail. Ils coulaient leurs jours13 sans inquiétude14 et dans une douce indolence. Leur temps15 s’employait à danser, à jouer, à dormir. Ils montraient peu d’esprit, à ce que disent les Espagnols ; et en effet, des insulaires séparés des autres peuples ne devaient avoir que peu de lumières. Les sociétés isolées s’éclairent lentement, difficilement ; elles ne s’enrichissent d’aucune des découvertes que le temps17 et l’expérience font naître chez les18 autres peuples. Le nombre des hasards19 [228]qui mènent à l’instruction est plus borné pour elles.
44
Ce ſont les Eſpagnols eux-mêmes, qui nous atteſtent que ces peuples étoient humains, ſans malignité, ſans eſprit1 de vengeance, preſque ſans paſſions2.
Ce ſont les Eſpagnols eux-mêmes, qui nous atteſtent que ces peuples étoient humains, ſans malignité, ſans efprit1 de vengeance, preſque ſans paſſions2.
Ce ſont les Eſpagnols eux-mêmes, qui nous atteſtent que ces peuples étoient humains, ſans malignité, ſans eſprit1 de vengeance, preſque ſans paſſion2.
Ce sont les Espagnols eux-mêmes qui nous attestent que ces peuples étaient humains, sans malignité, sans esprit1 de vengeance, presque sans passions2.
45
Ils ne ſavoient rien, mais ils n’avoient aucun deſir d’apprendre. Cette indifférence & la confiance avec laquelle ils ſe livroient à des étrangers, prouvoient qu’ils étoient heureux.
Ils ne ſavoient rien, mais ils n’avoient aucun deſir d’apprendre. Cette indifférence & la confiance avec laquelle ils ſe livroient à des étrangers, prouvent qu’ils étoient heureux.
Ils ne ſavoient rien, mais ils n’avoient aucun deſir d’apprendre. Cette indifférence & la confiance avec laquelle ils ſe livroient à des étrangers, prouvent qu’ils étoient heureux.
Ils ne savaient rien, mais ils n’avaient aucun désir d’apprendre. Cette indifférence et la confiance avec laquelle ils se livraient à des étrangers prouvent qu’ils étaient heureux.
46
Leur hiſtoire, leur morale étoient renfermées dans un recueil de chanſons qu’on leur apprenoit dès l’enfance.
Leur hiſtoire, leur morale, étoient renfermées dans un recueil de chanſons qu’on leur apprenoit dès l’enfance.
Leur hiſtoire, leur morale, étoient renfermées dans un recueil de chanſons qu’on leur apprenoit dès l’enfance.
Leur histoire, leur morale, étaient renfermées dans un recueil de chansons qu’on leur apprenait dès l’enfance.
47
Ils avoient comme tous les peuples quelques fables ſur l’origine du genre humain1.
Ils avoient, comme tous les peuples, quelques fables ſur l’origine du genre-humain1.
Ils avoient, comme tous les peuples, quelques fables ſur l’origine du genre-humain1.
Ils avaient, comme tous les peuples, quelques fables sur l’origine du genre humain1.
48
On ſait peu de choſe ſur1 leur religion à laquelle ils n’étoient pas fort attachés ; & il y a apparence que ſur cet article comme ſur beaucoup d’autres, leurs deſtructeurs les ont calomniés. Ils prétendoient2 que ces inſulaires ſi doux adoroient une multitude d’êtres3 malfaiſans. On ne le ſauroit croire. Les adorateurs d’un dieu malfaiſant4, n’ont jamais été bons.
On ſait peu de choſe ſur1 leur religion, à laquelle ils n’étoient pas fort attachés ; & il y a apparence que ſur cet article comme ſur beaucoup d’autres, leurs deſtructeurs les ont calomniés. Ils ont prétendu2 que ces inſulaires ſi doux adoroient une multitude d’êtres3 malfaiſans. On ne le ſauroit croire. Les adorateurs d’un Dieu malfaiſant4 n’ont jamais été bons.
On ſait peu de choſe de1 leur religion, à laquelle ils n’étoient pas fort attachés ; & il y a apparence que ſur cet article comme ſur beaucoup d’autres, leurs deſtructeurs les ont calomniés. Ils ont prétendu2 que ces inſulaires ſi doux adoroient une multitude d’être3 malfaiſans. On ne le ſauroit croire. Les adorateurs d’un dieu cruel4 n’ont jamais été bons. Et qu’importoient leurs dieux & leur culte ? Firent-ils aux nouveaux venus quelque queſtion ſur leur religion ? Leur croyance fut-elle un motif de curioſité, de haîne ou de mépris pour eux ? C’eſt l’Européen qui ſe conduiſit comme s’il eût été conſeillé par les démons de l’inſulaire ; c’eſt l’inſulaire qui ſe conduiſit comme s’il eût obéi la divinité de l’Européen5.
On sait peu de chose de1 leur religion, à laquelle ils n’étaient pas fort attachés ; et il y a apparence que, sur cet article comme sur beaucoup d’autres, leurs destructeurs les ont calomniés. Ils ont prétendu2 que ces insulaires si doux adoraient une multitude d’êtres3 malfaisans. On ne le saurait croire. Les adorateurs d’un dieu cruel4 n’ont jamais été bons. Et qu’importaient leurs dieux et leur culte ? Firent-ils aux nouveaux venus quelque question sur leur religion ? Leur croyance fut-elle un motif de curiosité, de haine ou de mépris pour eux ? C’est l’Européen qui se conduisit comme s’il eût été conseillé par les démons de l’insulaire ; c’est l’insulaire qui se conduisit comme s’il eût obéi à la divinité de l’Européen5.
49
Aucune loi ne régloit chez eux le nombre des femmes. Ordinairement, une d’entr’elles1 avoit quelques privileges, quelques diſtinctions ; mais ſans autorité ſur les autres. C’étoit celle que le mari aimoit le plus, & dont il ſe croyoit le plus aimé. Quelquefois à la mort de cet époux, elle ſe faiſoit enterrer avec lui. Ce n’étoit point chez ce peuple un uſage, un devoir, un point d’honneur : c’étoit dans la femme une impoſſibilité de ſurvivre à ce que ſon cœur avoit de plus cher. Les Eſpagnols appelloient2 débauche, licence, crime cette liberté dans le mariage & dans l’amour, autoriſée par les loix3 & par les mœurs ; & ils attribuoient aux prétendus excès des inſulaires, un mal qu’un médecin philoſophe a démontré depuis peu dans un traité ſur l’origine de la maladie vénérienne4, avoir été connue5 en Europe avant la découverte de l’Amérique.
Aucune loi ne régloit chez eux le nombre [16] des femmes. Ordinairement, une d’entr’elles1 avoit quelques priviléges, quelques diſtinctions ; mais ſans autorité ſur les autres. C’étoit celle que le mari aimoit le plus, & dont il ſe croyoit le plus aimé. Quelquefois à la mort de cet époux, elle ſe faiſoit enterrer avec lui. Ce n’étoit point chez ce peuple un uſage, un devoir, un point d’honneur ; c’étoit dans la femme une impoſſibilité de ſurvivre à ce que ſon cœur avoit de plus cher. Les Eſpagnols appelloient2 débauche, licence, crime, cette liberté dans le mariage & dans l’amour, autoriſée par les loix3 & par les mœurs ; & ils attribuoient aux prétendus excès des inſulaires, un mal qu’un médecin philoſophe prouve ſur l’origine de la maladie vénérienne4, avoir été connu5 en Europe avant la découverte de l’Amérique.
Aucune loi ne régloit chez eux le nombre des femmes. Ordinairement, une d’entre elles1 avoit quelques privilèges, quelques diſtinctions ; mais ſans autorité ſur les autres. C’étoit celle que le mari aimoit le plus, & dont il ſe croyoit le plus aimé. Quelquefois à la mort de cet époux, elle ſe faiſoit enterrer avec lui. Ce n’étoit point chez ce peuple un uſage, un devoir, un point d’honneur ; c’étoit dans la femme une impoſſibilité de ſurvivre à ce que ſon cœur avoit de plus cher. Les Eſpagnols appelloient2 débauche, licence, crime, cette liberté dans le mariage & dans l’amour, autoriſée par les loix3 & par les mœurs ; & ils attribuoient aux prétendus excès des inſulaires, l’origine d’un mal honteux & deſtructeur qu’on croit communément4 avoir été inconnu5 en Europe avant la découverte de l’Amérique.
Aucune loi ne réglait chez eux le nombre des femmes. Ordinairement une d’entre elles1 avait quelques priviléges, quelques distinctions, mais sans autorité sur les autres. C’était celle que le mari aimait le plus, et dont il se croyait le plus aimé. Quelquefois à la mort de cet époux elle se faisait enterrer avec lui. Ce n’était point chez ce peuple un usage, un devoir, un point d’honneur ; c’était dans la femme une impossibilité de survivre à ce que son cœur avait de plus cher. Les Espagnols appelaient2 débauche, licence, crime, cette liberté dans le mariage et dans l’amour autorisée par les lois3 et par les mœurs ; et ils attribuaient aux prétendus excès des insulaires l’origine d’un mal honteux et destructeur qu’on croit communément4 avoir été inconnu5 en Europe avant la découverte de l’Amérique.
50
Ces inſulaires n’avoient pour armes, que l’arc &1 des fleches d’un bois dont la pointe durcie au feu, étoit quelquefois garnie de pierres tranchantes, ou d’arête2 de poiſſon. Les ſimples habits des Eſpagnols, étoit3 des cuiraſſes impénétrables contre ces fleches lancées avec peu d’adreſſe. Ces armes jointes à des petites maſſues, ou plutôt à de gros bâtons dont le coup devoit être rarement mortel, ne rendoient pas ce peuple bien redoutable.
Ces inſulaires n’avoient pour armes, que l’arc avec1 des fléches d’un bois, dont la pointe durcie au feu, étoit quelquefois garnie de pierres tranchantes, ou d’arêtes2 de poiſſon. Les ſimples habits des Eſpagnols étoient3 des cuiraſſes impénétrables contre ces fléches lancées avec peu d’adreſſe. Ces armes jointes à de petites maſſues, ou plutôt à de gros bâtons, dont le coup devoit être rarement mortel, ne rendoient pas ce peuple bien redoutable.
Ces inſulaires n’avoient pour armes, que l’arc avec1 des flèches d’un bois, dont la pointe durcie au feu, étoit quelquefois garnie de pierres tranchantes, ou d’arrêtes2 de poiſſon. Les ſimples habits des Eſpagnols, étoient3 des cuiraſſes impénétrables contre ces flèches lancées avec peu d’adreſſe. Ces armes jointes [350]à de petites maſſues, ou plutôt à de gros bâtons, dont le coup devoit être rarement mortel, ne rendoient pas ce peuple bien redoutable.
Ces insulaires n’avaient pour armes que l’arc avec1 des flèches d’un bois dont la pointe, durcie au feu, était quelquefois garnie de pierres tranchantes ou d’arêtes2 de poisson. Les simples habits des Espagnols étaient3 des cuirasses impénétrables contre ces flèches lancées avec peu d’adresse. Ces armes, jointes à de petites massues, ou plutôt à de gros bâtons dont le coup devait être rarement mortel, ne rendaient pas ce peuple bien redoutable.
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Il étoit compoſé de différentes claſſes, dont une s’arrogeoit une eſpece de nobleſſe ; mais on ſait peu quelles étoient les charges1 de cette diſtinction, & ce qui pouvoit y conduire. Ce peuple ignorant & ſauvage, avoit auſſi des ſorciers enfans, ou peres de la ſuperſtition.
Il étoit compoſé de différentes claſſes, dont une s’arrogeoit une eſpece de nobleſſe ; mais on ſait peu qu’elles étoient les prérogatives1 de cette diſtinction, & ce qui pouvoit y conduire. Ce peuple ignorant & ſauvage, avoit auſſi des ſorciers, enfans ou peres de la ſuperſtition.
Il étoit compoſé de différentes claſſes, dont une s’arrogeoit une eſpèce de nobleſſe ; mais on ſait peu quelles étoient les prérogatives1 de cette diſtinction, & ce qui pouvoit y conduire. Ce peuple ignorant & ſauvage, avoit auſſi des ſorciers, enfans ou pères de la ſuperſtition.
Il était composé de différentes classes, dont une s’arrogeait une espèce de noblesse ; mais on sait peu quelles étaient les prérogatives1 de cette distinction [230], et ce qui pouvait y conduire. Ce peuple ignorant et sauvage avait aussi des sorciers, enfans ou pères de la superstition.
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Colomb ne négligea aucun des moyens qui pouvoient lui concilier ces inſulaires. Mais il leur fit ſentir auſſi, que ſans avoir la volonté de leur nuire, il en avoit le pouvoir. Les effets ſurprenants1 de ſon artillerie, dont il fit des épreuves en leur préſence, les convainquirent de ce qu’il leur diſoit. Les Eſpagnols leur parurent des hommes deſcendu2 du ciel ; & les préſents3 qu’ils en recevoient, n’étoient pas pour eux de ſimples curioſités, mais des choſes ſacrées. Cette erreur étoit avantageuſe. Elle ne fut détruite par aucun acte de foibleſſe4 ou de cruauté. On donnoit à ces ſauvages des bonnets rouges, des grains de verre, des épingles, des couteaux, des ſonnettes, & ils donnoient de l’or & des vivres.
Colomb ne négligea aucun des moyens qui pouvoient lui concilier ces inſulaires. Mais il leur fit ſentir auſſi, que ſans avoir la volonté de leur nuire, il en avoit le pouvoir. Les effets ſurprenans1 de ſon artillerie, dont il fit des épreuves en leur préſence, les convainquirent de ce qu’il leur diſoit. Les Eſpagnols leur parurent des hommes descendus2 du ciel ; & les préſens3 qu’ils en recevoient, n’étoient pas pour eux de ſimples curioſités, mais des choſes ſacrées. Cette erreur étoit avantageuſe. Elle ne fut détruite par aucun acte de foibleſſe4 ou de cruauté. On donnoit à ces ſauvages des bonnets rouges, des grains de verre, des épingles, des couteaux, des ſonnettes, & ils donnoient de l’or & des vivres.
Colomb ne négligea aucun des moyens qui pouvoient lui concilier ces inſulaires. Mais il leur fit ſentir auſſi, que ſans avoir la volonté de leur nuire, il en avoit le pouvoir. Les effets ſurprenans1 de ſon artillerie, dont il fit des épreuves en leur préſence, les convainquirent de ce qu’il leur diſoit. Les Eſpagnols leur parurent des hommes deſcendus2 du ciel ; & les préſens3 qu’ils en recevoient, n’étoient pas pour eux de ſimples curioſités, mais des choſes ſacrées. Cette erreur étoit avantageuſe. Elle ne fut détruite par aucun acte de foibleſſe4 ou de cruauté. On donnoit à ces ſauvages des bonnets rouges, des grains de verre, des épingles, des couteaux, des [351]ſonnettes, & ils donnoient de l’or & des vivres.
Colomb ne négligea aucun des moyens qui pouvaient lui concilier ces insulaires. Mais il leur fit sentir aussi que, sans avoir la volonté de leur nuire, il en avait le pouvoir. Les effets surprenans1 de son artillerie, dont il fit des épreuves en leur présence, les convainquirent de ce qu’il leur disait. Les Espagnols leur parurent des hommes descendus2 du ciel ; et les présens3 qu’ils en recevaient n’étaient pas pour eux de simples curiosités, mais des choses sacrées. Cette erreur était avantageuse. Elle ne fut détruite par aucun acte de faiblesse4 ou de cruauté. On donnait à ces sauvages des bonnets rouges, des grains de verre, des épingles, des couteaux, des sonnettes, et ils donnaient de l’or et des vivres.
53
Dans les premiers moments1 de cette union, Colomb marqua la place d’un établiſſement qu’il deſtinoit à être le centre de tous les projets qu’il ſe propoſoit d’exécuter. Il conſtruiſit un petit3 fort avec le ſecours des Inſulaires qui travaillent gaiement5 à forger leurs fers. Il y laiſſa trente-neuf Caſtillans ; & après avoir reconnu la plus grande partie de l’iſle6, il fit voile pour l’Eſpagne.
Dans les premiers momens1 de cette union, Colomb marqua la place d’un établiſſement qu’il deſtinoit à être le centre de tous les projets qu’il ſe propoſoit d’exécuter. Il conſtruiſit un petit3 fort avec le ſecours des inſulaires, qui travailloient gaiement5 à forger [18]leurs fers. Il y laiſſa trente-neuf Caſtillans ; & après avoir reconnu la plus grande partie de l’iſle6, il fit voile pour l’Eſpagne.
Dans les premiers momens1 de cette union, Colomb marqua la place d’un établiſſement qu’il deſtinoit à être le centre de tous les projets qu’il ſe propoſoit d’exécuter. Il conſtruiſit le3 fort de la Nativité4 avec le ſecours des inſulaires, qui travailloient gaiement5 à forger leurs fers. Il y laiſſa trente-neuf Caſtillans ; & après avoir reconnu la plus grande partie de l’iſle6 il fit voile pour l’Eſpagne.
Dans les premiers momens1 de cette union, Colomb marqua la place d’un établissement qu’il destinait à être le centre de tous les projets qu’il se proposait d’exécuter. De l’aveu du souverain de la contrée2, il construisit le3 fort de la Nativité4 avec le secours des insulaires, qui travaillaient gaîment5 à forger leurs fers. Il y laissa trente-neuf Castillans ; et après avoir reconnu la plus grande partie de l’île6, il fit voile pour l’Espagne le 16 janvier 14937.
54

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Sa navigation fut heureuse, très-heureuse durant près d’un mois. Sans le moindre accident il [231]avait fait cinq cents lieues, lorsque le 14 février il fut assailli par une des plus violentes tempêtes qui eussent jamais bouleversé l’Océan. Sur les rivages mêmes d’Haïti, la Vierge-Marie, la meilleure de ses corvettes, avait été brisée. L’ouragan l’avait séparée de la Pinta, dont la perte paraissait certaine. Il ne lui restait aucun espoir de sauver la Nigna, qui faisait eau de tous les côtés. L’équipage en avait abandonné la manœuvre, et se bornait à pousser des vœux impuissans vers le ciel. Dans cette situation accablante, l’unique chagrin de l’amiral était de ne point laisser de nom, ou de ne laisser que celui d’un imprudent aventurier. Pour préserver sa mémoire de l’oubli ou de l’opprobre, il traça par écrit l’importante découverte qu’il avait faite, le chemin qu’il avait tenu, l’établissement qu’il avait formé, et enferma sa relation dans un tonneau qu’il confia aux vagues. C’était pour lui une grande consolation de penser que ce précieux dépôt pourrait être poussé vers quelques plages habitées, et que ce qu’il avait opéré de grand ne serait pas peut-être perdu pour le genre humain.
55
Il arriva1 à Palos, port de l’Andalouſie, d’où2 ſept mois auparavant il étoit parti. Il3 ſe rendit par terre, à Barcelone4, où étoit la Cour. Ce voyage fut un triomphe. La nobleſſe & le peuple allerent au devant5 de lui, & le ſuivirent en [8]foule juſqu’aux pieds de Ferdinand & d’Iſabelle. Il leur préſenta des inſulaires qui l’avoient ſuivi volontairement. Il fit apporter des monceaux d’or, des oiſeaux, du coton, beaucoup de raretés que la nouveauté rendoient6 précieuſes. Cette multitude d’objets étrangers expoſée aux yeux d’une nation dont la vanité & l’imagination exagerent tout, lui7 fit voir une ſource inépuiſable de richeſſes qui devoit couler éternellement dans ſon ſein. L’enthouſiaſme gagna juſqu’aux ſouverains. Dans l’audience publique qu’ils donnerent à Colomb, ils le firent couvrir, & s’aſſeoir comme un grand d’Eſpagne. Il leur raconta ſon voyage. Ils le comblerent de careſſes, de louanges, d’honneurs ; & bientôt après il repartit avec dix-ſept vaiſſeaux pour faire de nouvelles découvertes, & fonder des colonies.
Il arriva1 à Palos port de l’Andalouſie, d’où2 ſept mois auparavant il étoit parti. Il3 ſe rendit par terre à Barcelone4, où étoit la cour. Ce voyage fut un triomphe. La nobleſſe & le peuple allerent au-devant5 de lui, & le ſuivirent en foule juſqu’aux pieds de Ferdinand & d’Iſabelle. Il leur préſenta des inſulaires, qui l’avoient ſuivi volontairement. Il fit apporter des monceaux d’or, des oiſeaux, du coton, beaucoup de raretés que la nouveauté rendoit6 précieuſes. Cette multitude d’objets étrangers expoſée aux yeux d’une nation, dont la vanité & l’imagination exagerent tout, lui7 fit voir au loin, dans le tems & l’eſpace8, une ſource inépuiſable de richeſſes qui devoit couler éternellement dans ſon ſein. L’enthouſiaſme gagna juſqu’aux ſouverains. Dans l’audience publique qu’ils donnerent à Colomb, ils le firent couvrir & s’aſſeoir, comme un grand d’Eſpagne. Il leur raconta ſon voyage. Ils le comblerent de careſſes, de louanges, d’honneurs ; & bientôt après, il repartit avec dix-ſept vaiſſeaux pour faire de nouvelles découvertes, & fonder des colonies.
Il arriva1 à Palos, port de l’Andalouſie, d’où2 ſept mois auparavant il étoit parti. Il3 ſe rendit par terre à Barcelone4, où étoit la cour. Ce voyage fut un triomphe. La nobleſſe & le peuple allèrent au-devant5 de lui, & le ſuivirent en foule juſqu’aux pieds de Ferdinand & d’Iſabelle. Il leur préſenta des inſulaires, qui l’avoient ſuivi volontairement. Il fit apporter des monceaux d’or, des oiſeaux, du coton, beaucoup de raretés que la nouveauté rendoit6 précieuſes. Cette multitude d’objets étrangers expoſée aux yeux d’une nation, dont la vanité & l’imagination exagèrent tout, leur7 fit voir au loin, dans le tems & l’eſpace8, une ſource inépuiſable [352] de richeſſes qui devoit couler éternellement dans ſon ſein. L’enthouſiaſme gagna juſqu’aux ſouverains. Dans l’audience publique qu’ils donnèrent à Colomb, ils le firent couvrir & s’aſſeoir, comme un grand d’Eſpagne. Il leur raconta ſon voyage. Ils le comblèrent de careſſes, de louanges, d’honneurs ; & bientôt après, il repartit avec dix-ſept vaiſſeaux pour faire de nouvelles découvertes, & fonder des colonies.
Par bonheur, au moment d’un naufrage inévitable, les flots s’apaisèrent. Des vents favorables poussèrent d’abord les infortunés navigateurs aux Açores, ensuite en Portugal, et enfin1 à Palos, port de l’Andalousie, où ils débarquèrent2 sept mois et onze jours après en être partis. Sans perdre un instant, Colomb3 se rendit par terre à Barcelonne4, [232]où était la cour. Ce voyage fut un triomphe. La noblesse et le peuple allèrent au-devant5 de lui et le suivirent en foule jusqu’aux pieds de Ferdinand et d’Isabelle. Il leur présenta des insulaires qui l’avaient suivi volontairement. Il fit apporter des monceaux d’or, des oiseaux, du coton, beaucoup de raretés que la nouveauté rendait6 précieuses. Cette multitude d’objets étrangers, exposée aux yeux d’une nation dont la vanité et l’imagination exagèrent tout, leur7 fit voir au loin, dans le temps et l’espace8, une source inépuisable de richesses qui devait couler éternellement dans son sein. L’enthousiasme gagna jusqu’aux souverains. Dans l’audience publique qu’ils donnèrent à Colomb, ils le firent couvrir et s’asseoir comme un grand d’Espagne. Il leur raconta son voyage. Ils le comblèrent de caresses, de louanges, d’honneurs ; et bientôt après il repartit avec dix-sept vaisseaux pour faire de nouvelles découvertes et fonder des colonies.
56
A ſon arrivée à Saint-Domingue, avec quinze cent1 ſoldats, trois cent ouvriers2, des miſſionnaires3, les grains4, les fruits5, les animaux domeſtiques d’Europe, qui manquoient à ce6 nouveau monde7 ; Colomb trouva qu’on avoit ruiné ſa fortereſſe, & maſacré tous les9 Eſpagnols. Ils s’étoient attiré cette infortune10 par leur orgueil, leur licence, & leur tyrannie. Colomb12 n’en douta pas après les eclairciſſemens qu’il ſe fit donner, & il eut le bonheur de13 perſuader à ceux qui avoient moins de modération que lui, qu’il étoit de la bonne politique de renvoyer la vengeance à un autre tems. On s’occupa uniquement à reconnoître les mines qui devoient coûter tant14 de ſang, à15 les exploiter, à conſtruire des forts16 dans leur voiſinage, à y établir des garniſons ſuffiſantes pour aſſurer17 les travaux18.
A ſon arrivée à Saint-Domingue, avec quinze cens1 ſoldats, trois cens ouvriers2, [19]des miſſionnaires3, les grains4, les fruits5, les animaux domeſtiques d’Europe, qui manquoient à ce6 nouveau monde7, Colomb trouva qu’on avoit ruiné ſa fortereſſe, & masſacré tous les9 Eſpagnols. Ils s’étoient attiré ce traitement10 par leur orgueil, leur licence & leur tyrannie. Colomb12 n’en douta pas, après les éclairciſſemens qu’il ſe fit donner ; & il eut le bonheur de13 perſuader à ceux qui avoient moins de modération que lui, qu’il étoit de la bonne politique de renvoyer la vengeance à un autre tems. On s’occupa uniquement à reconnoître les mines qui devoient coûter un jour tant14 de ſang, à15 les exploiter, à conſtruire des forts16 dans leur voiſinage, à y établir des garniſons ſuffiſantes pour aſſurer17 les travaux18.
A ſon arrivée à Saint-Domingue, avec quinze cens hommes1, ſoldats, ouvriers, miſſionnaires ; avec2 des vivres pour leur ſubſiſtance ; avec3 les ſemences de toutes4 les plantes qu’on croyoit pouvoir réuſſir ſous ce climat humide & chaud ; avec5 les animaux domeſtiques de l’ancien hémiſphère dont le6 nouveau n’avoit pas un ſeul7, Colomb ne8 trouva que des ruines & des cadavres, où il avoit laiſſé des fortifications & des9 Eſpagnols. Ces brigands avoient provoqué leur ruine10 par leur orgueil, par11 leur licence & leur tyrannie. L’amiral12 n’en douta pas après les éclairciſſemens qu’il ſe fit donner ; & il ſut13 perſuader à ceux qui avoient moins de modération que lui, qu’il étoit de la bonne [353]politique de renvoyer la vengeance à un autre tems. Un fort, honoré du nom d’Iſabelle, fut conſtruit aux bords de l’Océan, & celui14 de Saint-Thomas ſur15 les montagnes de Cibao, où les inſulaires ramaſſoient16, dans des torrens, la plus grande partie de l’or qu’ils faiſoient ſervir leur parure, & où17 les conquérans ſe propoſoient d’ouvrir des mines18.
A son arrivée à Saint-Domingue avec quinze cents hommes1, soldats, ouvriers, missionnaires ; avec2 des vivres pour leur subsistance ; avec3 les semences de toutes4 les plantes qu’on croyait pouvoir réussir sous ce climat humide et chaud ; avec5 les animaux domestiques de l’ancien hémisphère dont le6 nouveau n’avait pas un seul7, Colomb ne8 trouva que des ruines et des cadavres, où il avait laissé des fortifications et des9 Espagnols. Ces brigands avaient provoqué leur ruine10 par leur orgueil, [233]par11 leur licence et leur tyrannie. L’amiral12 n’en douta pas après les éclaircissemens qu’il se fit donner ; et il sut13 persuader à ceux qui avaient moins de moderation que lui qu’il était de la bonne politique de renvoyer la vengeance à un autre temps. Un fort, honoré du nom d’Isabelle, fut construit aux bords de l’Océan, et celui14 de Saint-Thomas sur15 les montagnes de Cibao, où les insulaires ramassaient16 dans des torrens la plus grande partie de l’or qu’ils faisaient servir à leur parure, et où17 les conquérans se proposaient d’ouvrir des mines18.
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Pendant ce tems là1, les vivres apportés d’Europeavoient été corrompus par la chaleur humide [9] du climat, & le petit nombre des cultivateursenvoyés2 pour les renouveller dans des régions où la végétation eſt ſi prompte, étoient morts la plupart, ou tombé malades. Les gens3 de guerre invités à les remplacer ſe refuſerent à une occupation qui devoit aſſurer leur ſubſiſtance4.
Pendant ce tems1, les vivres apportés d’Europe avoient été corrompus par la chaleurhumide du climat ; & le petit nombre de cultivateurs envoyés2 pour les renouvellerdans des régions où la végétation eſt ſi prompte, étoient morts la plupart, ou tombésmalades. Les gens3 de guerre invités à les remplacer, ſe refuſerent une occupationqui devoit aſſurer leur ſubſiſtance4.
Pendant qu’on étoit occupé de ces travaux1, les vivres apportés d’Europe avoient été conſommésou s’étoient corrompus. La colonie n’en avoit pas aſſez reçu de nouveaux2 pour remplir le vuide ; & des ſoldats, des matelotsn’avoient eu ni le tems, ni le talent, ni la volonté3 de créer des ſubſiſtances4.
Pendant qu’on était occupé de ces travaux1, les vivres apportés d’Europe avaient été consommés ou s’étaient corrompus. La colonie n’en avait pas assez reçu de nouveaux2 pour remplir le vide ; et ses habitans nobles, roturiers ou prêtres, également mécontens d’avoir été réduits, comme leur chef, prêter leurs bras la construction de leurs maisons et des édifices publics, avaient tous fièrement repoussé les invitations qui leur étaient faites3 de créer des subsistances4.
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La pareſſe commençoit à être en honneur en Eſpagne1. Ne rien faire, étoit vivre en gentilhomme ; & le dernier ſoldat dans un pays où il ſe trouvoit le maître, vouloit vivre noblement. Les inſulairesleur offroient tout, & ils exigeoient davantage. Ils leur demandoient ſans ceſſe des alimens& de l’or. Ces malheureux ſe laſſerent enfin2 de cultiver, de chaſſer, de pêcher, de fouiller3 les mines pour les inſatiables Eſpagnols ; & à cette époque, on ne vit plus en eux que des traites, & des eſclaves rebelles dont on ſe permit de verſer le ſang4.
La pareſſe commençoit à être en honneur en Eſpagne1. Ne rien faire, c’étoit vivre en gentilhomme ; & le dernier ſoldat dans un pays où il ſe trouvoit le maître, vouloit vivre [20] noblement. Les inſulaires leur offroient tout, & ils exigeoient davantage. Ils leur demandoient ſans ceſſe des alimens & de l’or. Ces malheureux ſe laſſerent enfin2 de cultiver, de chaſſer, de pêcher, de fouiller3les mines pour les inſatiables Eſpagnols. Dès ce moment, on ne vit plus en eux que des traîtres & des eſclaves rébelles, dont on ſe permit de verſer le ſang4.
Il fallut recourir aux naturels du pays qui1 ne cultivant que peu étoient hors d’état de nourrir des étrangers qui, quoique les plus ſobres de l’ancien hémiſphère, conſommoient chacun ce qui auroit ſuffi aux beſoins de pluſieursIndiens. Ces malheureux livroient tout ce qu’ils avoient, & l’on exigeoit davantage. Ces exactions continuelles les firent ſortir2 de leur caractère naturellement timide ; & tous3 les caciques, l’exception de Guacanahari, [354]qui le premier avoit reçu les Eſpagnols dans ſes états, réſolurent d’unir leurs forces pour briſer un joug qui devenoit chaque jour plus intolérable4.
Il fallut recourir aux naturels du pays, qui1, ne cultivant que peu, étaient hors d’état de nourrir des étrangers qui, quoique les plus sobres de l’ancien hémisphère, consommaient chacun ce qui aurait suffi aux besoins de plusieurs Indiens. Ces malheureux livraient tout ce qu’ils avaient, et l’on exigeait davantage. Ces exactions continuelles les firent sortir2 de leur caractère, naturellement [234] timide ; et tous3 les caciques, à l’exception de Guacanaghari, qui le premier avait reçu les Espagnols dans ses états, résolurent d’unir leurs forces pour briser un joug qui devenait chaque jour plus intolérable4.
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Colomb qui continuoit1 ſes découvertes, averti que les Indiens aigris par ces traitemens barbares, méditoient un ſoulevement ; revint ſur ſes pas. Son projet étoit de rapprocher2 les eſprits ; mais il fut entraîné par les clameurs ſéditieuſes3 de ſes féroces & avides ſoldats, dans des hoſtilités qui n’étoient ni ſelon ſon cœur, ni dans ſes principes ; avec4 deux cent fantaſin5 & vingt cavaliers, il6 ne craignit pas d’attaquer une armée de8 cent mille hommes dans le lieu où9 fut bâtie depuis la ville de Sant-Ygao10.
Colomb qui continuoit1 ſes découvertes, averti que les Indiens, aigris par ces traitemens barbares, méditoient un ſoulevement revint ſur ſes pas. Son projet étoit de rapprocher2 les eſprits ; mais il fut entraîné par les clameurs ſéditieuſes3 de ſes féroces & avides ſoldats, dans des hoſtilités qui n’étoient ni ſelon ſon cœur, ni dans ſes principes. Avec4 deux cens fantaſſins5 & vingt cavaliers, il6 ne craignit pas d’attaquer une armée qu’on prétend avoir été de8 cent mille hommes, dans le lieu où9 fut bâtie depuis la ville de Sant-Yago10.
Colomb interrompit le cours de1 ſes découvertes pour prévenir ou pour diſſiper ce danger inattendu. Quoique la miſère, le climat & la débauche euſſent précipité au tombeau2 les deux tiers de ſes compagnons ; quoique la maladie empêchât pluſieurs3 de ceux qui avoient échappé ces fléaux terribles, de ſe joindre lui ; quoiqu’il ne pût mener l’ennemi que4 deux cens fantaſſins5 & vingt cavaliers, cet homme extraordinaire6 ne craignit pas d’attaquer, en 1495, dans les plaines de Vega-Real7, une armée que les hiſtoriens ont généralement portée 8 cent mille combattans. La principale précaution qu’on prit9 fut de fondre ſur elle durant la nuit10.
Colomb interrompit le cours de1 ses découvertes pour prévenir ou pour dissiper ce danger inattendu. Quoique la misère, le climat et la débauche eussent précipité au tombeau2 les deux tiers de ses compagnons ; quoique la maladie empêchât plusieurs3 de ceux qui avaient échappé à ces fléaux terribles de se joindre à lui ; quoiqu’il ne pût mener à l’ennemi que4 deux cents fantassins5 et vingt cavaliers, cet homme extraordinaire6 ne craignit pas d’attaquer en 1495, dans les plaines de Véga-Réal7, une armée que les historiens ont généralement portée à8 cent mille combattans. La principale précaution qu’on prit9 fut de fondre sur elle durant la nuit10.
60
Les malheureux Indiens1 étoient vaincus avant de combattre2. Ils regardoient les Eſpagnols comme des êtres d’une nature ſupérieure. Les armes d’Europe3 avoient augmenté leur admiration, leur reſpect & leur crainte. La vue des chevaux les avoient4, ſur-tout, étonné5. Pluſieurs étoient aſſez ſimples pour croire que l’homme & le cheval [10]n’étoit6 qu’un même animal, ou un dieu8. Quand cette9 impreſſion de terreur n’auroit pas trahi leur courage, ils n’auroient pu faire encore qu’une foible10 réſiſtance. Le feu du canon, les piques, une diſcipline inconnue les auroient aiſement diſperſés. Ils prirent la fuite de tous côtés. Ils demanderent la paix, & l’obtinrent à condition qu’ils cultiveroient la terre pour les Eſpagnols, & qu’ils leur fourniroient chaque mois une cerquantitécertaine d’or11.
Les malheureux Indiens1 étoient vaincus avant de combattre2. Ils regardoient les Eſpagnols comme des êtres d’une nature ſupérieure. Les armes de l’Europe3 avoient augmenté leur admiration, leur reſpect & leur crainte. La vue des chevaux les avoit4 ſur-tout frappés d’étonnement5. Pluſieurs étoient aſſez ſimples, pour croire que l’homme & le [21]cheval n’étoient6 qu’un ſeul &7 même animal, ou une eſpece de divinité8. Quand cette9 impreſſion de terreur n’auroit pas trahi leur courage, ils n’auroient pu faire encore qu’une foible10 reſiſtance. Le feu du canon, les piques, une diſcipline inconnue, les auroient aiſément diſperſés. Ils prirent la fuite de tous côtés. Ils demanderent la paix, & l’obtinrent, à condition qu’ils cultiveroient la terre pour les Eſpagnols, & qu’ils leur fourniroient chaque mois une certaine quantité d’or11.
Les inſulaires1 étoient vaincus avant que l’action s’engageât2. Ils regardoient les Eſpagnols comme des êtres d’une nature ſupérieure. Les armes de l’Europe3 avoient augmenté leur admiration, leur reſpect & leur crainte. La vue des chevaux les avoient4 ſur-tout frappés d’admiration5. Pluſieurs étoient [355]aſſez ſimples pour croire que l’homme & le cheval n’étoient6 qu’un ſeul &7 même animal, ou une eſpèce de divinité8. Quand une9 impreſſion de terreur n’auroit pas trahi leur courage, ils n’auroient pu faire encore qu’une foible10 réſiſtance. Le feu du canon, les piques, une diſcipline inconnue les auroient aiſément diſperſés. Ils prirent la fuite de tous côtés. Pour les punir de ce qu’on appelloit leur rébellion, chaque Indien au-deſſus de quatorze ans fut aſſervi un tribut en or ou en coton, ſelon la contrée qu’il habitoit11.
Les insulaires1 étaient vaincus avant que l’action s’engageât2. Ils regardaient les Espagnols comme des êtres d’une nature supérieure. Les armes de l’Europe3 avaient augmenté leur admiration, leur respect et leur crainte. La vue des chevaux les avait4 surtout frappés d’admiration5. Plusieurs étaient assez simples pour croire que l’homme et le cheval n’étaient6 qu’un seul et7 même animal, ou une espèce de divinité8. Quand une9 impression de terreur n’aurait pas trahi leur courage, ils n’auraient pu faire encore qu’une faible10 [235]résistance. Le feu du canon, les piques, une discipline inconnue les auraient aisément dispersés. Ils prirent la fuite de tous côtés. Pour les punir de ce qu’on appelait leur rébellion, chaque Indien au-dessus de quatorze ans fut asservi à un tribut en or ou en coton, selon la contrée qu’il habitait11.
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Cette dure obligation, des cruautés qui la rendoient plus dure encore, parurent bientôt inſupportables à ces inſulaires. Pour s’y ſouſtraire, ils ſe refugierent dans les montagnes où1 ils eſpéroient que la chaſſe, & des fruits ſauvages leur donneroient le peu de ſubſiſtance dont ils avoient beſoin, tandis que leurs ennnemis, dont chacun conſommoit la nourriture de dix Indiens, ſe voyant privés de vivres, ſeroient obligés de répaſſer les mers. Ils ſe tromperent. Les Caſtillans ſe ſoutinrent par les rafraîchiſſemens qu’ils recevoient d’Europe, & n’en furent que plus acharnés à la pourſuite de leur2 affreux projets. Leur rage les conduiſit dans des3 lieux qu’on croiroit4 inacceſſibles. Ils formerent leur5 chiens à découvrir, à dévorer les malheureux Indiens. On en vit6 qui firent vœu d’en7 maſſacrer douze8 tous les jours en l’honneur des douze Apôtres. Ils firent périr le tiers de ces nations. On prétend qu’à leur arrivée, l’iſle avoit un million d’habitans. Tous les monumens atteſtent que ce nombre n’eſt pas exagéré, & il eſt conſtant que la population étoit conſidérable.
Cette dure obligation, des cruautés qui la rendoient plus dure encore, parurent bientôt inſupportables à ces inſulaires. Pour s’y ſouſtraire, ils eſpéroient que la chaſſe & des fruits ſauvages leur donneroient le peu de ſubſiſtance dont ils avoient beſoin ; tandis que leurs ennemis, dont chacun conſommoit la nourriture de dix Indiens, ſe voyant privés de vivres, ſeroient obligés de repasſer les mers. Ils ſe tromperent. Les Caſtillans ſe ſoutinrent par les rafraîchiſſemens qu’ils recevoient d’Europe, & n’en furent que plus acharnés à la pourſuite de leurs2 affreux projets. Leur rage les conduiſit dans les3 lieux qu’on croyoit4 inacceſſibles. Ils formerent leurs5 chiens à découvrir, à dévorer des hommes. On vit des Eſpagnols6 qui firent vœu de7 maſſacrer tous les jours douze [22]Indiens9, en l’honneur des douze Apôtres. Ils firent périr le tiers de ces nations. On prétend qu’à leur arrivée, l’iſle avoit un million d’habitans. Tous les monumens atteſtent que ce nombre n’eſt pas exagéré, & il eſt conſtant que la population étoit conſidérable.

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Ce qui avoit échappé à la miſere, à la fatigue, à la frayeur, & au glaive, fut obligé de ſe livrer à la diſcrétion du vainqueur qui uſa de ſes [11]avantages avec d’autant plus de rigueur qu’il n’étoit pas contenu par la préſence de Colomb. Ce grand homme étoit repaſſé en Eſpagne pour inſtruire la Cour de ces barbaries que le caractere de ſes inférieurs le mettoit hors d’état de prévenir, & que ſes navigations continuelles ne lui permettoient pas d’empêcher. Durant ſon abſence, la meſintelligence, l’eſprit de haine & de rebellion diviſerent la colonie qu’il avoit laiſſée ſous les ordres de ſon frere. On n’obéiſſoit que lorſqu’il y avoit quelque Cacique à détrôner, quelque bourgade à piller ou à détruire, des nations à exterminer. A peines1 ces farouches guerriers s’étoient-ils emparés des tréſors de quelques malheureux qu’ils avoient égorgés, que la confuſion renaiſſoit. Le deſir de l’indépendance, l’inégalité dans le partage du butin diviſoit2 les hommes3 avides. L’autorité n’étoit plus écoutée. Et les ſubalternes n’étoient pas plus ſoumis aux chefs, que les chefs aux loix. On en vint à ſe faire ouvertement la guerre.
Ce qui avoit échappé à la miſere, à la fatigue, à la frayenr & au glaive, fut obligé de ſe livrer à la diſcrétion du vainqueur, qui uſa de ſes avantages avec d’autant plus de rigueur, qu’il n’étoit pas contenu par la préſence de Colomb. Ce grand homme étoit repaſſé en Eſpagne, pour inſtruire la cour de ces barbaries que le caractere de ſes inférieurs le mettoit hors d’état de prévenir, & que ſes navigations continuelles ne lui permettoient pas d’empêcher. Durant ſon abſence, la méſintelligence, l’eſprit de haîne & de rébellion, diviſerent la colonie qu’il avoit laiſſée ſous les ordres de ſon frere. On n’obéiſſoit que lorſqu’il y avoit quelque cacique à détrôner, quelque bourgade à piller ou à détruire, des nations à exterminer. A peine1 ces farouches guerriers s’étoient-ils emparés des tréſors de quelques malheureux qu’ils avoient égorgés, que la confuſion renaiſſoit. Le deſir de l’indépendance, l’inégalité dans le partage du butin, diviſoient2 ces avides vainqueurs4. L’autorité [23]n’étoit plus écoutée ; & les ſubalternes n’étoient pas plus ſoumis aux chefs, que les chefs aux loix. On en vint à ſe faire ouvertement la guerre.

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Les Indiens quelquefois acteurs, & toujours témoins de ces ſcenes ſanglantes & odieuſes, reprirent un peu de courage. Leur ſimplicité ne les empêcha pas d’entrevoir qu’il ſeroit poſſible de ſe défaire d’un petit nombre de tyrans qui paroiſſent1 avoir oublié leurs projets, & qui n’écoutoient que la haine implacable qu’ils avoient les uns pour les autres. Cet eſpoir les échauffoit. Une confédération conduite avec plus d’art qu’on ne l’auroit ſoupçonné, prenoit de la conſiſtance. Peut-être les Eſpagnols qu’un ſi grand péril n’empêchoit pas de continuer à s’exterminer2, auroient-ils ſuccombé, ſi dans ces circonſtances critiques Colomb ne fut revenu d’Europe.
Les Indiens quelquefois acteurs, & toujours temoins de ces ſcènes ſanglantes & odieuſes, reprirent un peu de courage. Leur ſimplicité ne les empêcha pas d’entrevoir qu’il ſeroit poſſible de ſe défaire d’un petit nombre de tyrans qui paroiſſoient1 avoir oublié leurs projets, & qui n’écoutoient que la haîne implacable qu’ils avoient les uns pour les autres. Cet eſpoir les échauffoit. Une confédération conduite avec plus d’art qu’on ne l’auroit ſoupçonné prenoit de la conſiſtance. Peut-être les Eſpagnols, qu’un ſi grand péril n’empêchoit pas de continuer à ſe détruire2, auroient-ils ſuccombé, ſi dans ces circonſtances critiques Colomb ne fût revenu d’Europe.

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Cet ordre de choſes, qui exigeoit un travail aſſidu, parut le plus grand des maux à un peuple qui n’avoit pas l’habitude de l’occupation. Le deſir de ſe débarraſſer de ſes oppreſſeurs devint ſa paſſion unique. Comme l’eſpoir de les renvoyer au-delà des mers par la force ne lui étoit plus permis, il imagina, en 1496, de les y contraindre par la famine. Dans cette vue, il ne ſema plus de maïs, il arracha les racines de1 manioc qui étoient plantées, & il ſe réfugia dans les montagnes les plus arides, les plus eſcarpées.
Cet ordre de choses, qui exigeait un travail assidu, parut le plus grand des maux à un peuple qui n’avait pas l’habitude de l’occupation. Le désir de se débarrasser de ses oppresseurs devint sa passion unique. Comme l’espoir de les renvoyer au-delà des mers par la force ne lui était plus permis, il imagina, en 1496, de les y contraindre par la famine. Dans cette vue, il ne sema plus de maïs, il arracha les racines du1 manioc qui étaient plantées, et il se réfugia dans les montagnes les plus arides, les plus escarpées.
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Rarement les réſolutions déſeſpérées ſont-elles heureuſes. Celle que venoient de prendre [356] les Indiens leur fut infiniment funeſte. Les dons d’une nature brute & ingrate ne purent les nourrir, comme ils l’avoient inconsidérement eſpéré ; & leur aſyle1, quelque difficile qu’en fût l’accès, ne put les ſouſtraire aux pourſuites d’un tyran irrité qui, dans cette privation abſolue de toutes les reſſources locales, reçut, par haſard, quelques ſubſiſtances de ſa métropole. La rage fut portée au point de former des chiens à découvrir, à dévorer ces malheureux. On a même prétendu que quelques Caſtillans avoient fait vœu d’en maſſacrer douze, chaque jour, en l’honneur des douze apôtres. Il eſt reçu qu’avant cet événement, l’iſle2 comptoit un million d’habitans. Le tiers d’une ſi grande population périt en cette occaſion, par la fatigue, par la faim & par le glaive.
Rarement les résolutions désespérées sont-elles heureuses. Celle que venaient de prendre les Indiens leur fut infiniment funeste. Les dons d’une nature brute et ingrate ne purent les nourrir, comme ils l’avaient inconsidérément espéré ; et leur asile1, quelque difficile qu’en fût l’accès, ne put les soustraire aux poursuites d’un tyran irrité, qui, dans cette privation absolue de toutes les ressources locales, reçut par hasard quelques subsistances de sa métropole. La rage fut portée au point de former des chiens à découvrir, à dévorer ces malheureux. On a même prétendu que quelques Castillans avaient fait vœu d’en massacrer [236]douze chaque jour, en l’honneur des douze apôtres. Il est reçu qu’avant cet événement l’île2 comptait un million d’habitans. Le tiers d’une si grande population périt, en cette occasion, par la fatigue, par la faim et par le glaive.
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A peine ceux de ces infortunés qui avoient échappé à tant de déſaſtres étoient rentrés dans leurs foyers, où des calamités d’un autre genre leur étoient préparées, que leurs perſécuteurs ſe diviſèrent1. La tranſlation du chef-lieu2 de la colonie, du Nord au Sud, d’Iſabelle3San-Domingo, put bien ſervir4 de prétexte à quelques plaintes : mais5 les diſcordes [357] tiroient principalement leur ſource des paſſions miſes en fermentation par un ciel ardent, & trop peu réprimées par une autorité mal affermie. On obéiſſoit6 au frère, au repréſentant de Colomb, lorſqu’il y avoit quelque cacique à détrôner, un canton à piller, des bourgades à exterminer. Après7 le partage du butin, l’eſprit d’indépendance redevenoit l’eſprit dominant : les haînes & les jalouſies étoient ſeules écoutées. Les factions finirent par tourner leurs armes8 les unes9 contre les autres : elles ſe firent ouvertement la guerre10.
A peine ceux de ces infortunés qui avaient échappé à tant de désastres étaient rentrés dans leurs foyers, où des calamités d’un autre genre leur étaient préparées, qu’on vit arriver dans1 la colonie Aguado, valet2 de chambre du roi Ferdinand. Il était chargé d’examiner3quel point pouvaient être fondées les plaintes qui ne cessaient4 de se renouveler contre Colomb. Cet intrigant subalterne, auquel5 les ennemis d’un étranger trop justement célèbre avaient procuré une commission au-dessus de ses espérances, entra parfaitement dans les vues de ses protecteurs. Son approche fut annoncée6 au son des trompettes ; des honneurs exagérés lui furent rendus ; l’autorité qu’il exerça excédait de beaucoup ses pouvoirs. La plus douce de ses jouissances était d’avilir7 le génie hardi auquel les nations devaient la connaissance d’un nouveau monde. Aux outrages journaliers qu’il lui faisait, il se permit plus d’une fois de joindre8 les menaces. Toute accusation9 contre lui était accueillie, et ce qui pouvait servir le justifier repoussé sans ménagement. Jamais juge ne s’était montré sous un plus odieux aspect ; toutes ses actions furent d’un homme vain, partial et borné10.
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Durant le cours de ces divisions, l’amiral étoit en Eſpagne. Il y avoit paſſé pour diſſiper les accuſations qu’on ne ceſſoit de renouveller contre lui. Le récit de ce qu’il avoit fait de grand, l’expoſé de ce qu’il ſe propoſoit d’exécuter d’utile, lui regagnèrent aſſez aiſément la confiance d’Iſabelle. Ferdinand lui-même ſe réconcilia un peu avec les navigations lointaines. L’on traça le plan d’un gouvernement régulier qui ſeroit d’abord eſſayé à Saint-Domingue, & enſuite ſuivi, avec les changemens dont l’expérience auroit démontré la néceſſité, dans les divers établiſſemens [358] que la ſucceſſion des tems devoit élever ſur l’autre hémiſphère. Des hommes habiles dans l’exploitation des mines furent choifis avec beaucoup de ſoin ; & le fiſc ſe chargea de leur ſolde, de leur entretien pour pluſieurs années.

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Cet abus énorme d’une confiance inconsidérément accordée devait naturellement ramener à l’amiral la plupart de ceux que des préjugés de nation en avaient éloignés. Les choses ne se passèrent pas ainsi. Au lieu de diminuer, l’aigreur qu’on avait contre lui s’était accrue ; et, dans sa position, un voyage en Europe lui parut indispensable. Il avait de grands trésors à y porter, et il se flatta que ces moyens, trop ordinairement employés pour racheter des crimes, lui feraient enfin obtenir justice. Son espérance ne fut pas trompée. L’or, les perles, d’autres richesses qu’il offrit aux deux souverains comme un produit des possessions nouvellement ajoutées à leur empire, firent oublier ou même approuver tout le passé. La bonne Isabelle rendit à Colomb toute son estime, et l’avare Ferdinand lui-même se réconcilia un peu avec les navigations lointaines.
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L’accueil diſtingué qu’il y avoit reçu, n’avoit [12]fait ſur les peuples qu’une impreſſion paſſagere1. Le tems2 qui amene la réflexion à la ſuite de l’enthouſiaſme, avoit fait diſparoître tout l’empreſſement qu’on avoit d’abord marqué pour ſe rendre3 dans le nouveau monde. On ne rechauffoit pas les eſprits, parce qu’on publioit de ſes richeſſes, par la vue même de l’or qui en arrivoit4. La couleur livide de tous ceux qui en étoient revenus ; les maladies cruelles & honteuſes de la plupart ; ce qu’on diſoit de la malignité du climat, de la multitude de ceux5 qui y avoient péri, de la diſette qu’on y éprouvoit6, la répugnance d’obéir7 à un étranger dont on blâmoit la ſévérité8 ; peut-être la crainte de contribuer à ſa gloire : toutes ces cauſes avoient donné un éloignement invincible pour Saint-Domingue9 aux ſujets de la couronne de Caſtille, les ſeuls des Eſpagnols auxquels il fut alors10 permis d’y paſſer.
L’accueil diſtingué qu’il y avoit reçu, n’avoit fait ſur les peuples qu’une impreſſion paſſagere1. Le tems2 qui amene la réflexion à la ſuite de l’enthouſiaſme, avoit fait disparoître tout l’empreſſement qu’on avoit d’abord marqué pour ſe rendre3 dans le nouveau monde, On ne réchauffoit pas les eſprits, par tout ce qu’on publioit de ſes richeſſes, par la vue même de l’or qui en arrivoit4. La couleur livide de tous ceux qui [24]en étoient revenus ; les maladies cruelles & honteuſes de la plupart ; ce qu’on diſoit de la malignité du climat, de la multitude de ceux5 qui y avoient péri, de la diſette qu’on y éprouvoit6 ; la répugnance obéir7 à un étranger dont on blâmoit la ſévérité8 ; peut-être la crainte de contribuer à ſa gloire ; toutes ces cauſes avoient donné un éloignement invincible pour Saint-Domingue9 aux ſujets de la couronne de Caſtille, les ſeuls des Eſpagnols auxquels il fût alors10 permis d’y paſſer.
La nation penſa autrement que ſes ſouverains1. Le tems2, qui amène la réflexion à la ſuite de l’enthouſiaſme, avoit fait tomber le deſir, originairement ſi vif, d’aller3 dans le Nouveau-Monde. Son or ne tentoit plus perſonne4. La couleur livide de tous ceux qui en étoient revenus ; les maladies cruelles & honteuſes de la plupart ; ce qu’on diſoit de la malignité du climat, de la multitude de ceux5 qui y avoient péri, des diſettes qui s’y faiſoient ſentir6 ; la répugnance d’obéir7 à un étranger dont la ſévérité étoit généralement blâmée8 ; peut-être la crainte de contribuer à ſa gloire : toutes ces cauſes avoient donné un éloignement invincible pour Saint-Domingue9 aux ſujets de la couronne de Caſtille, les ſeuls des Eſpagnols auxquels il fut permis d’y paſſer jufqu en 159311.
Les peuples ne pensèrent pas comme leurs maîtres1. Le temps2, qui amène la réflexion à la suite de l’enthousiasme, avait fait tomber le désir, originairement si vif, d’aller3 dans le Nouveau-Monde4. La couleur livide de tous ceux qui en étaient revenus ; les maladies cruelles et honteuses de la plupart ; ce qu’on disait de la malignité du climat, de la multitude d’émigrés5 qui y avaient péri, des disettes qui s’y faisaient sentir6 ; la répugnance d’obéir7 à un étranger dont les rigueurs étaient généralement blâmées8, peut-être la crainte de contribuer à sa gloire, toutes ces causes avaient [238]donné un éloignement invincible pour l’île espagnole9 aux sujets de la couronne de Castille, les seuls des Espagnols auxquels il fût alors10 permis d’y passer.
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Il falloit pourtant des Colons. L’amiral propoſa de les prendre dans les priſons, parmi les malfaiteurs1, de dérober les plus grands ſcélérats2la mort3, à l’infamie4, pour les faire ſervir à étendre la puiſſance de leur5 patrie dont ils étoient le rebut & le fléau. Ce projet auroit eu moins d’inconvéniens pour des colonies ſolidement établies, où la vigueur des loix, & la pureté des mœurs euſſent pu contenir ou reprimer la licence de quelques ſujets effrénés6, ou corrompus. Il faut aux nouveaux états d’autres fondateurs7 que des brigands. L’Amérique ne ſe purgera jamais du levain & de l’écume8 qui entrerent dans la maſſe9 des premieres populations que l’Europe y jetta. Colomb fit bientôt la triſte expérience du mauvais avis qu’il avoit ouvert10.
Il falloit pourtant des colons. L’amiral propoſa de les prendre dans les priſons, parmi les malfaiteurs1 ; de dérober les plus grands ſcélérats2la mort3, à l’infamie4, pour les faire ſervir étendre la puiſſance de leur5 patrie, dont ils étoient le rebut & le fléau. Ce projet auroit eu moins d’inconvéniens pour des colonies ſolidement établies, où la vigueur des loix & la pureté des mœurs, euſſent pu contenir ou réprimer la licence de quelques ſujets effrénés6 ou corrompus. Il faut aux nouveaux états d’autres fondateurs7 que des brigands. L’Amérique ne ſe purgera jamais du levain & de l’écume8 qui entrerent dans la maſſe9 des premieres populations que l’Europe y jetta. Colomb fit bientôt la triſte expérience du mauvais avis qu’il avoit ouvert10.
Il falloit pourtant des colons. L’amiral propoſa de les prendre dans les priſons ; de dérober [359] des criminels2la mort3, à l’infamie4 pour l’agrandiſſement d’une5 patrie dont ils étoient le rebut & le fléau. Ce projet eut eu moins d’inconvéniens pour des colonies ſolidement établies, où la vigueur des loix auroit contenu ou réprimé des ſujets effrénés6 ou corrompus. Il faut aux nouveaux états d’autres fondateurs7 que des ſcélérats. L’Amérique ne ſe purgera peut-être jamais du levain, de l’écume8 qui entrèrent dans la maſſe9 des premières populations que l’Europe y jetta ; & Colomb lui-même ne tarda pas ſe convaincre qu’il avoit ouvert un mauvais avis10.
Il fallait pourtant des colons. L’amiral proposa de les prendre dans les prisons, de dérober des criminels2l’infamie ou3la mort4 pour l’agrandissement d’une5 patrie dont ils étaient le rebut et le fléau. Un désir immodéré de réaliser sans délai les grandes promesses qu’il avait faites lui avait inspiré ce funeste projet, et une passion impatiente de jouir le fit accepter sans réflexion par une cour6 où les principes d’une société bien ordonnée étaient ignorés. Quelques sages prévirent7 que les scélérats qu’on allait faire passer dans le Nouveau-Monde, joints aux scélérats8 qui s’y trouvaient déjà, y formeraient une population9 des plus corrompues qu’on eût jamais vues sur le globe ; mais ou ils craignirent de manifester leur opinion, ou on ne fit aucun cas de leurs lumières10.
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Pendant les deux années que la lenteur ordinaire aux conseils de la puissance qu’il servait, que les artifices de la jalousie et de la haine retinrent forcément Colomb en Europe, l’île espagnole fut le le théâtre de divers événemens. On abandonna au nord la ville d’Isabelle, privée de tous les avantages qu’exige un établissement principal, et les habitans furent transférés au sud, sous un beau ciel, dans un pays ouvert, au milieu d’une plaine féconde, sur les bords rians de l’Ozama, près [239]d’un port excellent, et non loin des riches mines de Saint-Christophe, découvertes après celles de Cibao. La nouvelle cité fut appelée San-Domingo, nom qui ne tarda pas à devenir celui de l’île entière.
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C’était un grand pas de fait ; les Indiens voisins de la moderne capitale, que leur éloignement avait jusqu’alors préservés du joug, s’y soumettaient assez facilement, lorsque Roldan, chef de la justice, mécontent de n’être que la troisième personne de la colonie, déclama hautement contre Colomb, contre Barthelemi et contre Diego, ses frères, principaux dépositaires de l’autorité. Il les accusa de cruauté ; il les accusa d’avarice ; il les accusa d’ambition. A l’en croire, les trois Génois n’avaient fait périr tant d’Espagnols que pour s’emparer des trésors du Nouveau-Monde et y former un empire indépendant. Quelque peu de vraisemblance qu’eussent ces imputations, elles lui donnèrent assez de complices pour l’enhardir à la rébellion. L’unique précaution qu’il prit fut de s’éloigner des lieux où étaient les troupes restées fidèles à leurs drapeaux, et de se retrancher dans des défilés où elles ne pouvaient l’attaquer sans courir de très-grands dangers.
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Tel était l’état des choses au retour de l’amiral dans la colonie. Les forces qui le suivaient, jointes à celles qu’il trouvait rassemblées, étaient assurément très-suffisantes pour obliger les dissidens à rentrer dans l’ordre, ou pour les écraser s’ils [240]se refusaient à la soumission. C’était même le seul parti convenable à prendre, au gré des esprits ardens. Son opinion ne fut pas celle de ces hommes exagérés. Outre qu’il lui répugnait de verser du sang, il devait craindre que ses soldats ne se portassent mollement à cette guerre ; qu’un grand nombre même d’entre eux, dont les mauvaises dispositions lui étaient connues, ne se rangeassent du côté des mécontens. Ces réflexions le décidèrent à tenter la voie des négociations. Ses démarches furent long-temps infructueuses. Les députés avec lesquels il était obligé de traiter s’obstinaient à regarder ses offres ou comme faites de mauvaise foi, ou comme dictées par la faiblesse. A la fin il fut convenu qu’il y aurait une amnistie générale ; que le chef de la sédition reprendrait sa place ; qu’on embarquerait pour l’Espagne ceux qui voudraient y retourner, et que, dans l’île même, il serait accordé aux autres un vaste terrain qui serait cultivé à leur profit par les Indiens qu’on s’engageait à y attacher. Telle fut l’origine de ces désastreuses commanderies qui s’établirent depuis si généralement dans toutes les contrées de l’Amérique que le fer asservit successivement à la Castille.
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Tandis que l’amiral se félicitait dans le Nouveau-Monde d’avoir rétabli le calme sans tirer l’épée, les clameurs contre lui se multipliaient dans l’ancien, et le ministre des Indes lui-même appuyait de son crédit tous les ressentimens. Ferdinand [241] entra en quelque sorte dans cette espèce de conjuration contre un homme qu’il n’aimait pas, et Isabelle fut de nouveau entraînée dans une démarche que son cœur désavouait. On envoya à St.- Domingue François de Bovadilla, autorisé à rechercher la conduite de Colomb ; et, si elle était trouvée repréhensible, à prendre lui-même les rênes du gouvernement. C’était évidemment vouloir perdre l’accusé que de lui donner le même homme pour juge et pour successeur. Aussi cette imprudente commission n’eut-elle pas été plus tôt rendue publique, que les délations devinrent innombrables. Quoique contradictoires et invraisemblables, elles parurent suffisantes à un tribunal composé de magistrats sans honneur et sans probité. La peine de mort fut prononcée d’une voix unanime contre les trois frères, et on les envoya en Europe avec la conviction que la sentence qui venait d’être rendue y aurait une pleine exécution.
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Comme c’eût été une sorte de consolation pour les malheureux d’être réunis, et qu’on ne voulait leur épargner aucun genre de supplice, ils furent embarqués sur trois navires différens. Alonzo de Valejo, commandant de celui qui portait l’amiral, et qui ne partageait pas les torts de sa nation, n’eut pas plus tôt quitté la rade où il avait mis à la voile, qu’il voulut ôter à son prisonnier les chaînes dont il était chargé. Non, non, répondit avec dignité ce grand homme, mes fers ne tomberont que par ordre de mes souverains ; [242]partout ils me suivront ; jamais je ne les perdrai de vue, et ils descendront avec moi dans la tombe. Ce sera une preuve ajoutée à cent mille autres de la récompense ordinairement réservée aux services les plus éminens.
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Après une très-courte traversée, la faible escadremouilla à Cadix le 25 novembre 1500. Le spectacle qu’elle offrait causa plus de surprise que d’indignation. Tout intérêt fut refusé au navigateurqui avait ouvert à l’Espagne la route d’un autre hémisphère. Les préventions que la malveillance n’avait cessé de semer contre lui étouffèrent la compassion assez généralement accordée au malheur. Quoique les sentimens de la cour ne différassentvraisemblablement que peu de ceux de la multitude, elle se crut obligée à quelques démonstrationsde plus. On rendit la liberté à l’amiral; on le reçut avec distinction ; on loua son zèle ; on désavoua son exécrable oppresseur ; mais sans lui faire espérer qu’il pût être un jour rétabli dans ses dignités.
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Si ce hardi navigateur eut ſeulement amené [13]avec lui des hommes ordinaires, il leur auroit inſpiré dans la traverſée, ſinon1 des principes élevés, du moins des ſentimens honnêtes. Formant à leur arrivée le plus grand nombre, ils auroient donné des exemples3 de modération4 & d’obéiſſance qu’on eut été forcé, qu’on eut peut-être aimé à ſuivre5. Cette harmonie auroit produit les meilleurs effets, & donné de la conſiſtance à la colonie6. Les Indiens auroient7 été mieux traités, les mines mieux exploitées, les tributs mieux payés. La métropole8 encouragée par ces9 ſuccès à de plus grands efforts, on eut10 formé de nouveaux établiſſements11 qui auroient12 étendu la gloire, les richeſſes, &13 la puiſſance de l’Eſpagne. Peu d’années14 devoient amener ces grands15 événemens. Une mauvaiſe idée gâta16 tout.
Si ce hardi navigateur eût ſeulement amené avec lui des hommes ordinaires, il leur auroit inſpiré dans la traverſée, ſinon1 des principes élevés, du moins des ſentimens honnêtes. Formant à leur arrivée le plus grand nombre, ils auroient donné des exemples3 de modération4 & d’obéiſſance, qu’on eût été forcé d’imiter, qu’on eût peut-être aimé à ſuivre5. Cette harmonie auroit produit les meilleurs effets, & donné de la conſiſtance la colonie6. Les Indiens auroient7 été mieux traités, les mines mieux exploitées, les tributs mieux payés. La métropole étant8 encouragée par ces9 ſuccés à de plus grands efforts, on eût10 formé de nouveaux établiſſemens11 qui auroient12 étendu la gloire, les richeſſes &13 la puiſſance de l’Eſpagne. Peu d’années14 devoient amener ces grands15 événemens ; une mauvaiſe idée gâte16 tout.
Si ce hardi navigateur eût ſeulement amené avec lui des hommes ordinaires, il leur auroit inſpiré, dans la traverſée, des principes peut-être2 élevés, du moins des ſentimens honnêtes. Formant, à leur arrivée, le plus grand nombre, ils auroient donné l’exemple3 de la ſoumiſſion4, & auroient néceſſairement fait rentrer dans l’ordre ceux qui s’en étoient écartés5. Cette harmonie auroit produit les meilleurs effets. Les Indiens euſſent7 été mieux traités, les mines mieux exploitées, les tributs mieux payés. Encouragée, par le9 ſuccès, à de nouveaux efforts, la métropole [360]auroit10 formé d’autres établiſſemens11 qui euſſent12 étendu la gloire, les richeſſes, la puiſſance de l’Eſpagne. Quelques années14 devoient amener ces événemens. Une idée peu réfléchie gâta16 tout.

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Les malfaiteurs qui ſuivoient Colomb, joints aux brigands qui étoient à1 Saint-Domingue, formerentle peuple le2 plus corrompu qu’on3 eut jamaisvu. Il ne connut ni ſubordination, ni bienſéances, ni4 humanité. Sa rage s’exerçoit ſur-tout contre5 l’amiral, qui connut trop tard l’erreur où il étoit tombé, où ſes ennemis7 l’avoient peut-être entraîné8.
Les malfaiteurs qui ſuivoient Colomb, joints aux brigands qui étoient 1 Saint-Domingue, formerent le peuple le2 plus corrompuqu’on3 eût jamais vu. Il ne connut ni ſubordination, ni bienſéances, ni4 humanité. Sa rage s’exerçoit ſur-tout contre5 l’amiral, qui connut trop tard l’erreur où il étoit tombé, où ſes ennemis7 l’avoient peut-être entraîné8.
Les malfaiteurs qui ſuivoient Colomb, joints aux brigands qui infeſtoient1 Saint-Domingue, formèrent un des peuples les2 plus dénaturés que le globe3 eût jamais portés. Leur aſſociation les mit en état de braver audacieuſement l’autorité ; & l’impoſſibilité de les réduire fit recourir aux moyens de les gagner. Pluſieurs furent inutilement tentés. Enfin on imagina, en 1499, d’attacher aux terres que recevoit chaque Eſpagnol, un nombre plus ou moins conſidérable d’inſulaires qui devroient tout leur tems, toutes leurs ſueurs des maîtres ſans4 humanité & ſans prévoyance. Cet acte de foibleſſe rendit une tranquillité apparente la colonie, mais ſans concilier 5 l’amiral l’affection de ceux6 qui en profitoient. Les plaintes formées contre lui furent même plus ſuivies, plus ardentes, plus appuyées, & plus accueillies qu’elles ne7 l’avoient encore été8.

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Cet homme extraordinaire achetoit bien cher la célébrité que ſon génie & ſes travaux lui avoient acquiſe. Sa vie fut un contraſte perpétuel de ce qui éleve, de ce qui flétrit l’ame des conquérans1. Toujours en bute aux complots, aux calomnies, à l’ingratitude des particuliers, il eut encore à ſoutenir les caprices d’une Cour orgueilleuſe2 & édéfiante3, qui tour-à-tour le récompenſoit & le puniſſoit, lui rendoit ſa confiance & le diſgracioit5.
Cet homme extraordinaire achetoit bien cher la célébrité que ſon génie & ſes travaux lui avoient acquiſe. Sa vie fut un [26]contraſte perpétuel de ce qui éleve & de ce qui fletrit l’ame des conquérans1. Toujoursen bute aux complots, aux calomnies, à l’ingratitude des particuliers, il eut encore à ſoutenir les caprices d’une cour orgueilleuſe2& défiante3, qui tour-à-tour le récompenſoit& le puniſſoit, lui rendoit ſa confiance & le diſgracioit5.
Cet homme extraordinaire achetoit bien [361]cher la célébrité que ſon génie & ſes travaux lui avoient acquiſe. Sa vie fut un contraſte perpétuel d’élévation & d’abaiſſement1. Toujours en bute aux complots, aux calomnies, à l’ingratitude des particuliers, il eut encore à ſoutenir les caprices d’une cour fière2 & orageuſe3, qui, tour-à-tour, le récompenſoit & le puniſſoit, le réduiſoit d’humiliantes juſtifications, &4 lui rendoit ſa confiance.

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La prévention du miniſtere d’Eſpagne, contre l’auteur de la plus grande découverte qu’on1 eut jamais faite, alla ſi loin, qu’on envoya dans [14]le nouveau monde3 un arbitre pour juger entre Colomb & ſes ſoldats. Bovadilla, le plus embitieux, le plus intéreſſé4, le plus injuſte, le plus emporté5 de ceux qui étoient paſſés en Amérique, arrive à Saint-Domingue, jette8 l’amiral dans les fers, & le fait conduire9 en Eſpagne comme le plus vil des criminels10. La Cour honteuſe11d’un traitement12 ſi ignominieux, lui rend la liberté13 ; mais ſans le venger de14 ſon oppreſſeur, ſans le rétablir dans ſes charges15.
La prévention du miniſtère d’Eſpagne contrel’auteur de la plus grande découverte qu’on1 eût jamais faite, alla ſi loin, qu’on envoyadans le nouveau monde3 un arbitre pour juger entre Colomb & ſes ſoldats. Bovadilla, le plus ambitieux, le plus intéreſſé4, le plus injuſte, le plus emporté5 de ceux qui étoient paſſés en Amérique, arrive à Saint-Domingue, jette8 l’amiral dans les fers, & le fait conduire9 en Eſpagne comme le plus vil des criminels10. La cour honteuſe11 d’un traitement12ſi ignominieux, lui rend la liberté13 ; mais ſans le venger de14 ſon oppreſſeur, ſans le rétablir dans ſes charges15.
La prévention du miniſtère d’Eſpagne, contre l’auteur de la plus grande découverte qui1 eût jamais été2 faite, alla ſi loin, qu’on envoya dans le Nouveau-Monde3 un arbitre pour juger entre Colomb & ſes ſoldats. Bovadilla, le plus avide4, le plus injuſte, le plus féroce5 de tous6 ceux qui étoient paſſés en Amérique, arrive, en 15007, à Saint-Domingue; dépouille8 l’amiral de ſes biens, de ſes honneurs, de ſon autorité, & l’envoie9 en Europe chargé de fers. L’indignation publiqueavertit les ſouverains que l’univers attend, ſans délai10, la punition d’un forfait ſi audacieux, la réparation11 d’un ſi grand outrage. Pour concilier les bienſéances avec leurs préjugés, Iſabelle & Ferdinand rappellent [362], avec une indignation vraie ou ſimulée, l’agent qui avoit12 ſi cruellement abuſé du pouvoir qu’ils lui avoient commis13 : mais ils ne renvoient pas 14 ſon poſte la déplorable victime de ſon incompréhenſible ſcélérateſſe15.

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Plutôt que de languir dans l’oiſiveté, plutôt que de vivre dans l’humiliation, Colomb1 ſe détermine2 à faire, comme aventurier, un quatrième voyage dans des régions qu’on pouvoit preſque3 dire de ſa création. Après ce nouvel effort, que la malice des hommes, que le caprice des élémens ne réuſſirent pas à rendre inutile, il termina, en 1506, à Valladolid une carrière brillante4, que la mort récente d’Iſabelle lui avoit ôté toute eſpérancede voir jamais heureuſe. Quoiqu’il n’eût que cinquante-neuf ans, ſes forces phyſiques étoient très-affoiblies : mais5 ſes facultés moralesn’avoient rien perdu de leur énergie.
Plutôt que de languir dans l’oisiveté, plutôt que de vivre dans l’humiliation, il1 se détermina2 à faire comme aventurier un quatrième voyage dans des régions qu’on pouvaitdire de sa création. Après ce nouvel effort, que la malice des hommes, que le caprice des élémens ne réussirent pas à rendre inutile, il termina en 1506, à Valladolid, une carrière agitée4, que la mort récente d’Isabelle lui avait ôté toute espérance de voir jamais heureuse. Quoiqu’il [243] n’eût que cinquante-neuf ans, ses forces physiques étaient très-affaiblies, tandis que5 ses facultés morales n’avaient rien perdu de leur énergie.
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Telle fut la fin de cet homme ſingulier, qui avoit ajouté aux yeux de l’Europe étonnée1, une quatrieme partie à la terre, ou plutôt une moitié du monde à ce globe ſi long-tems dévaſté & ſi peu connu. La reconnoiſſance publique auroit dû donner à cet hémiſphere étranger, le nom du hardi2 navigateur, qui le premier3 y avoit pénétré. C’étoit le moindre hommage qu’on dut a ſa mémoire ; mais ſoit envie, ſoit inattention, ſoit jeu de la fortune qui diſpoſe auſſi de la renommée, il n’en fut pas ainſi : cet honneur étoit réſervé au FlorentinAmeric Veſpuce, quoiqu’il ne fit que ſuivreles traces d’un homme dont le nom doit être placé au-deſſus4 des plus grands noms. Ainſi le premier inſtant où l’Amérique fut connue du reſte de la terre, fut marqué par une injuſtice, préſagefatal de toutes celles dont ce malheureux pays devoit être le théâtre.
Telle fut la fin de cet homme ſingulier, qui avoit étonné l’Europe, en ajoutant1 une quatriéme partie à la terre, ou plutôt une moitié du monde à ce globe ſi long-tems dévaſté & ſi peu connu. La reconnoiſſance publique auroit dû donner à cet hémiſphere étranger, le nom du hardi2 navigateur qui le premier3 y avoit pénétre. C’étoit le moindre hommage qu’on [27]dût à ſa mémoire ; mais ſoit envie, ſoit inattention, ſoit jeu de la fortune, qui diſpoſe auſſi de la renommée, il n’en fut pas ainſi. Cet honneur étoit réſervé au Florentin AmericVeſpuce, quoiqu’il ne fît que ſuivre les traces d’un homme dont le nom doit être placé côté4 des plus grands noms. Ainſi le premier inſtant où l’Amérique fut connue du reſte de la terre, fut marqué par une injuſtice, préſage fatal de toutes celles dont ce malheureux pays devoit être le théâtre.
Telle fut la fin de cet homme ſingulier qui avoit étonné l’Europe, en ajoutant1 une quatrième partie à la terre, ou plutôt une moitié du monde à ce globe ſi long-tems dévaſté & ſi peu connu. La reconnoiſſance publique auroit dû donner, à cet hémiſphère étranger, le nom du premier2 navigateur [363] qui y avoit pénétré. C’étoit le moindre hommage qu’on dût à ſa mémoire : mais, ſoit envie, ſoit inattention, ſoit jeu de la fortune qui diſpoſe auſſi de la renommée, il n’en fut pas ainſi. Cet honneur étoit réſervé au Florentin Améric Veſpuce, quoiqu’il ne fît que ſuivre les traces d’un homme dont le nom doit être placé à côté4 des plus grands noms. Ainſi le premier inſtant où l’Amérique fut connue du reſte de la terre, fut marqué par une injuſtice, préſage fatal de toutes celles dont ce malheureux pays devoit être le théâtre.

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Ses malheurs avoient commencé avec la découverte. Malgré ſon humanité & ſes lumières, Colomb les multiplia lui-même, en attachant des Américains aux champs qu’il diſtribuoit à ſes ſoldats. Ce qu’il s’étoit permis pour ſortir des embarras où le jettoit une inſubordination rarement interrompue, Bovadilla le continua & l’étendit dans la vue de ſe rendre agréable. Ovando, qui le remplaça, rompit tous ces liens, ſelon l’ordre qu’il en avoit reçu. Le repos fut la première jouiſſance des êtres foibles que la violence avoit condamnés à des travaux que leur nourriture [364], leur conſtitution & leurs habitudes ne comportoient pas. Ils erroient au haſard, ou reſtoient accroupis ſans rien faire. La ſuite de cette inaction fut une famine qui leur fut funeſte, & qui le fut à leurs oppreſſeurs. Avec de la douceur, des réglemens ſages & beaucoup de patience, il étoit poſſible d’opérer d’heureux changemens. Ces voies lentes & tempérées ne convenoient pas à des conquérans preſſés d’acquérir, preſſés de jouir. Ils demandèrent, avec la chaleur inſéparable d’un grand intérêt, que tous les Indiens leur fuſſent répartis pour être employés à l’exploitation des mines, à la culture des grains, aux différentes occupations dont on les jugeroit capables. La religion & la politique furent les deux voiles dont ſe couvrit cet affreux ſyſtême. Tout le tems, diſoit-on, que ces ſauvages auront le libre exercice de leurs ſuperſtitions, ils n’embraſſeront pas le chriſtianiſme ; & ils nourriront toujours un eſprit de révolte, à moins que leur diſperſion ne les mette hors d’état de rien entreprendre. La cour, après bien des diſcuſſions, ſe décida pour un ordre de choſes, ſi contraire à tous les bons principes. L’iſle entière [365]fut diviſée en un grand nombre de diſtricts que les Eſpagnols obtinrent plus ou moins étendus, ſelon leur grade, leur crédit ou leur naiſſance. Les Indiens, attachés à ces poſſeſſions précaires, furent des eſclaves que la loi voulut toujours protéger, & qu’elle ne protégea jamais efficacement, ni à Saint-Domingue, ni dans les autres parties du Nouveau-Monde, où cette horrible diſpoſition s’établit depuis généralement.

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Avant que Colomb eût mis à la voile pour sa dernière expédition, son tyran, ses juges ; ses ennemis les plus acharnés avaient reçu l’ordre de repasser en Europe. Quoique le but apparent de cette rigueur parût être de lui donner une sorte de satisfaction, on est autorisé à penser que le gouvernement se détermina plus spécialement à cette démarche pour purger la colonie des monstres qui la dévoraient, et pour s’enrichir de leurs dépouilles. Si c’était réellement son espoir, il ne fut pas entièrement rempli. Les brigands et leurs trésors devinrent généralement, à la vue même de l’île, la proie de l’Océan irrité.
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Cette terrible leçon fut perdue pour Ovando, qui succédait à Bovadilla. Trompant l’opinion qu’on avait de ses lumières, il voulut obtenir par une infatigable activité des succès que le temps seul pouvait amener. Cette ambition lui fit ordonner la construction de neuf à dix villes ou bourgades, que devaient peupler les anciens colons et les deux mille cinq cents hommes qui l’avaient suivi. Peu content d’assurer les subsistances qu’exigeait la consommation locale, il voulut créer des denrées pour l’exportation. Ayant fait réduire de la moitié au tiers, et du tiers au cinquième, les droits que percevait le fisc sur l’or que [244]charriaient les rivières ou qu’on arrachait aux entrailles de la terre, il poussa l’exploitation des mines au-delà de ce qu’on avait cru possible. Ces travaux étaient exécutés par les seuls Indiens, qui étaient encore obligés au service domestique.
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L’oppression enfanta le désespoir ; mais que peut le désespoir sans un corps robuste, sans l’énergie de l’âme, sans armes et sans discipline ? Aussi les attroupemens qu’il avait formés furent-ils dissipés, quoique plus lentement, plus difficilement qu’on ne l’avait espéré. Les chefs, tous les chefs sans exception, périrent dans des tourmens inexprimables ; et la nation entière, dont une partie avait jusqu’alors échappé au joug, se vit condamnée à une éternelle servitude.
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Cette tyrannie convenait à Ovando, dont les volontés arbitraires ne devaient plus trouver d’opposition. Elle convenait aux Espagnols fixés dans la colonie, dont on multipliait les esclaves. Elle convenait aux courtisans, qui, sans passer les mers, obtenaient des terres et des bras qui, en leur assurant un grand revenu, n’exigeaient de leur part ni soins ni avances. Elle convenait au gouvernement, qui voyait croître chaque jour les trésors arrivés du nouveau monde. Mais la source de ces criminelles prospérités allait tarir, parce que la fatigue, la misère, le chagrin et le glaive avaient moissonné la plupart des malheureux auxquels on les devait. Une avidité insatiable imagina d’aller voler sur le continent et dans les îles [245]voisines d’autres sauvages pour remplacer ceux qui avaient péri.
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Elles ſe multiplierent après la chûte de Colomb & la mort d’Iſabelle. Juſqu’alors les Inſulaires, quoique condamnés à des corvées deſtructives, à des tributs exceſſifs, avoient continué à vivre dans leurs bourgades ſelon leurs uſages, & ſous le gouvernement de leurs caciques. En 15061, Ferdinand fut ſollicité de les répartir entre les conquérans pour être employés aux travaux des [15]mines, ou à tous les uſages que des tyrans pourroient en faire. La religion & la politique furent les deux voiles dont on couvrit ce ſyſtême extravagant d’inhumanité. Tout le tems, diſoit-on, qu’on laiſſera à ces barbares le libre exercice de leurs ſuperſtitions, ils n’embraſſeront jamais le chriſtianiſme ; & ils nourriront toujours un eſprit de révolte, à moins que leur diſperſion ne les mette hors d’état de rien entreprendre. Le monarque ſur la foi des théologiens que leurs dogmes excluſifs portent toujours aux partis violents2, accorda ce qu’on demandoit. L’iſle entiere fut partagée en un grand nombre de diſtricts. Chaque Eſpagnol ſans diſtinction de Caſtillan & d’Arragonois, en3 obtint un plus ou moins étendu4 ſelon ſon grade, ſa faveur5 ou ſa naiſſance. Les Indiens qu’on y attacha furent dès ce moment des eſclaves qui devoient leur ſang, leurs ſueurs7 à leurs maîtres. Cette horrible diſpoſition fut ſuivie depuis dans tous les établiſſemens du nouveau monde.
Elles ſe multiplierent après la chûte de Colomb & la mort d’Iſabelle. Juſqu’alors les inſulaires, quoique condamnés à des corvées deſtructives, à des tributs exceſſifs, avoient continué à vivre dans leurs bourgades ſelon leurs uſages, & ſous le gouvernement de leurs caciques. En 15601, Ferdinand fut ſollicité de les répartir entre les conquérans, pour être employés aux travaux des mines, ou à tous les uſages que des tyrans pourroient en faire. La religion & la politique furent les deux voiles dont on couvrit ce ſyſtême extravagant d’inhumanité. Tout le tems, diſoit-on, qu’on laiſſera à ces barbares le libre exercice de leurs ſuperſtitions, ils n’embraſſeront jamais le chriſtianiſme, & ils nourriront toujours un eſprit de révolte, à moins que leur diſperſion ne les mette hors d’état de rien entreprendre. Le monarque, [28]ſur la foi des théologiens, que leurs dogmes excluſifs portent toujours aux partis violens2, accorda ce qu’on demandoit. L’iſle entiere fut partagée en un grand nombre de diſtricts. Chaque Eſpagnol, ſans diſtinction de Caſtillan & d’Arragonois, obtint un diſtrict4 ſelon ſon grade, ſon crédit5 ou ſa naiſſance. Les Indiens qu’on y attacha, furent dès ce moment des eſclaves qui devoient leurs ſueurs &6 leur ſang à leurs maîtres. Cette horrible diſpoſition fut ſuivie depuis, dans tous les établiſſemens du nouveau monde.

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Les mines donnerent alors2 un produit plus fixe. La couronne en avoit d’abord la moitié. Elle ſe réduiſit dans la ſuite au tiers, & fut enfin obligée de ſe borner à la3 cinquieme partie4.
Les mines donnerent alors2 un produit plus fixe. La couronne en avoit d’abord la moitié. Elle ſe réduiſit dans la ſuite au tiers, & fut enfin obligée de ſe borner la3 cinquiéme partie4.
Quelques commotions ſuivirent cet arrangement : mais elles furent arrêtées par des perfidies ou étouffées dans le ſang. Lorſque la ſervitude fut imperturbablement établie1, les mines donnèrent un produit plus fixe. La couronne en avoit d’abord la moitié ; elle ſe réduiſit dans la ſuite au tiers, & fut enfin obligée de ſe borner au3 cinquième.

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Les tréſors qui venoient de Saint-Domingue, enflammerent la cupidité de ceux-là même qui ne vouloient point paſſer les mers. Les grands & les gens en place obtinrent2 de ces conceſſions3 qui procuroient des richeſſes ſans travail4. Ils les faiſoient régir par des agens qui avoient leur fortune à faire, & à augmenter celles5 de leurs commettans. On vit alors ce qui ne paroiſſoit pas poſſible, un accroiſſement6 de férocité. Cinq7 ans après cet arrangement barbare, les naturels du pays8 ſe trouverent réduits9 à quatorze mille. Il [16]fallut aller chercher ſur le continent, & dans les iſles voiſines des10 ſauvages pour les remplacer.
Les tréſors qui venoient de Saint-Domingue, enflammerent la cupidité de ceux-là même qui ne vouloient point paſſer les mers. Les grands & les gens en place obtinrent2 de ces poſſeſſions3, qui procuroient des richeſſes ſans travail4. Ils les faiſoient régir par des agens qui avoient faire leur fortune, en augmentant celle5 de leurs commettans. On vit alors ce qui ne paroiſſoit pas poſſible, un accroiſſement6 de férocité. Cinq7 ans aprés cet arrangement barbare, les naturels du pays8 ſe trouverent réduits9 à quatorze mille. Il fallut aller chercher ſur le continent, & dans [29]les iſles voiſines, d’autres10 ſauvages pour les remplacer.
Les tréſors qui venoient de Saint-Domingue enflammèrent la cupidité de ceux-là même qui ne vouloient point paſſer les mers. Les grands, les favoris1 & les gens en place ſe firent donner2 de ces propriétés3 qui procuroient des richeſſes, ſans ſoins, ſans avances & ſans inquiétude4. Ils les faiſoient régir par des agens, qui avoient leur fortune faire, [366]en augmentant celle5 de leurs commettans. En moins6 de ſix7 ans ſoixante mille familles Américaines8 ſe trouvèrent réduites9 à quatorze mille. Il fallut aller chercher ſur le continent & dans les iſles voiſines d’autres10 ſauvages pour les remplacer.

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Les uns &1 les autres2 étoient accouplés comme des bêtes. On faiſoit relever à grands coups5 ceux qui ſuccomboient6 ſous leurs fardeaux. Il n’y avoit de communication entre les deux ſexe qu’à la dérobée. Les hommes périſſoient dans les mines, & les femmes dans les champs que cultivoient leurs foibles7 mains. Une nourriture mal ſaine8, inſuffiſante achevoit d’épuiſer des corps excédés de travaux9. Le lait tariſſoit10 dans le ſein des meres. Elles expiroient de faim, de laſſitude, preſſant contre leurs mamelles deſſéchées, leurs enfans morts ou mourans. Les peres s’empoiſonnoient. Quelques-uns ſe pendirent aux mêmes12 arbres où ils venoient d’arracher, & de recevoir les derniers ſoupirs de13 leurs femmes14 & de15 leurs enfans16. Leur race n’eſt plus.
Les uns &1 les autres2 étoient accouplés au travail4 comme des bêtes. On faiſoit relever à force de coups5, ceux qui ſuccomboient6 ſous leurs fardeaux. Il n’y avoit de communication entre les deux ſexes, qu’à la dérobée. Les hommes périſſoient dans les mines, & les femmes dans les champs que cultivoient leurs foibles7 mains. Une nourriture mal-ſaine8, inſuffiſante, achevoit d’épuiſer des corps excédés de fatigues9. Le lait tariſſoit10 dans le ſein des meres. Elles expiroient de faim, de laſſitude, preſſant contre leurs mamelles deſſéchées, leurs enfans morts ou mourans. Les peres s’empoiſonnoient. Quelques-uns ſe pendirent aux arbres, après y avoir pendu13 leurs femmes14 & leurs enfans16. Leur race n’eſt plus.
Les uns &1 les autres2 étoient accouplés au travail4 comme des bêtes. On faiſoit relever, à force de coups5, ceux qui plioient6 ſous leurs fardeaux. Il n’y avoit de communication entre les deux ſexes, qu’à la dérobée. Les hommes périſſoient dans les mines, & les femmes dans les champs que cultivoient leurs foibles7 mains. Une nourriture mal-ſaine8, inſuffiſante, achevoit d’épuiſer des corps excédés de fatigues9. Le lait tarriſſoit10 dans le ſein des mères. Elles expiroient de faim, de laſſitude, preſſant contre leurs mamelles deſſéchées leurs enfans morts ou mourans. Les pères s’empoiſonnoient. Quelques-uns ſe pendirent aux arbres, après y avoir pendu13 leurs fils14 & leurs épouſes16. Leur race n’eſt plus. Il faut que je m’arrête ici un moment. Mes yeux ſe rempliſſent de larmes, & je ne vois17 plus ce que j’écris18.
Le peu qui restait des anciens1, les nouveaux, en plus grand nombre, qu’on devait un trop horrible brigandage, tous2 étaient également3 accouplés au travail4 comme des bêtes. Des verges faisaient relever5 ceux qui pliaient6 sous leurs fardeaux. Il n’y avait de communication entre les deux sexes qu’à la dérobée. Les hommes périssaient dans les mines, et les femmes dans les champs que cultivaient leurs faibles7 mains. Une nourriture malsaine8, insuffisante, achevait d’épuiser des corps excédés de fatigue9. Le lait tarissait10 dans le sein des mères. Elles expiraient de faim et11 de lassitude, pressant contre leurs mamelles desséchées leurs enfans morts ou mourans. Les pères s’empoisonnaient. Quelques-uns se pendirent aux arbres, après y avoir pendu13 leurs fils14 et leurs épouses16. Leur race n’est plus. Il faut que je m’arrête ici un moment. Mes yeux se remplissent de larmes, et je ne vois17 plus ce que j’écris18.
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Avant1 que ces ſcenes d’horreur euſſent entierement dévaſté les premiers établiſſements des2 Eſpagnols dans le nouveau monde, ils en avoient formé d’autres moins conſidérables à la Jamaïque, à Porto-Rico, à Cuba. Velaſquez, fondadedateur ce dernier, voulut que ſa colonie partageat avec celle de Saint-Domingue ; l’avantage de faire des découvertes dans3 le continent, & il choiſit François Hernandez, de Cordue, pour cette deſtination glorieuſe. Il lui donna trois vaiſſeaux, cent dix hommes, & la liberté de bâtir des forts, d’enlever des eſclaves, ou de faire la traite de l’or ſelon4 les circonſtances. Ce voyage qui eſt5 de 1517, ne produiſit pas d’autre événement que6 la connoiſſance de Lyucatan7.
Avant1 que ces ſcènes d’horreur euſſent entierement dévaſté les premiers établiſſemens des2 Eſpagnols dans le nouveau monde, ils en avoient formé d’autres moins conſidérables à la Jamaïque, à Porto-Rico, à Cuba. Velaſquez, fondateur de ce dernier, voulut que ſa colonie partageât avec celle de Saint-Domingue, l’avantage de faire des découvertes dans3 le continent, & il choiſit François Hermandez de Cordoue pour cette deſtination glorieuſe. Il lui donna trois [30]vaiſſeaux, cent dix hommes, & la liberté de bâtir des forts, d’enlever des eſclaves, ou de faire la traite de l’or ſelon4 les circonſtances. Ce voyage qui eſt5 de 1517, ne produiſit pas d’autre événement que6 la connoiſſance de Lyucatan7.
Avant1 que ces ſcènes d’horreur euſſent [367]conſommé la ruine des premières plages reconnues par les2 Eſpagnols dans le Nouveau-Monde, quelques aventuriers de cette nation avoient formé des établiſſemens moins conſidérables la Jamaïque, Porto-Rico, Cuba. Velaſquès, fondateur de ce dernier, deſiroit que ſa colonie partageât, avec celle de Saint-Domingue, l’avantage de faire des découvertes dans3 le continent ; & il trouva très-diſpoſés ſeconder ſes vues, la plupart de ceux qu’une avidité active & inſatiable avoit conduits dans ſon iſle. Cent dix s’embarquèrent, le 8 février 1517, ſur trois petits bâtimens Saint-Iago ; cinglèrent l’Oueſt ; débarquèrent ſucceſſivement Yucatan, Campèche ; furent reçus en ennemis ſur4 les deux côtes ; périrent en grand nombre des coups qu’on leur porta, & regagnèrent dans le plus grand déſordre le port d’où, quelques mois auparavant, ils étoient partis avec5 de ſi flatteuſes eſpèrances. Leur retour fut marqué par6 la fin du chef de l’expédition Cordova, qui mourut de ſes bleſſures7.
Pendant1 que ces scènes d’horreur consommaient la ruine des premières plages envahies par les2 Espagnols dans le Nouveau-Monde, des aventuriers de leur nation dévastaient les grandes et petites Antilles3, le continent depuis l’Orénoque jusqu’au Darien, quelques rivages de la mer du Sud. Les moins féroces d’entre eux avaient même jeté4 les fondemens d’un petit nombre de colonies, dont celle5 de Cuba était6 la plus florissante7.
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Jean de Grijalva1, expédié l’année ſuivante pour prendre des idées approfondies de cette contrée, remplit ſa commiſſion avec intelligence. [17]Il fit plus : il parcourut la côte de Campelhe, pouſſa ſa navigation encore plus au Nord, & débarqua dans tous les lieux où la deſcente ſe trouva facile. Quoiqu’il n’eût pas été toujours accueilli favorablement, ſon expédition eut un grand ſuccès. Elle lui valut beaucoup d’or, & procura des lumieres ſuffiſantes ſur l’étendue, les richeſſes & les forces du Mexique.
Jean de Gryalva1, expédié l’année ſuivante pour prendre des idées approfondies de cette contrée, remplit ſa commiſſion avec intelligence. Il fit plus ; il parcourut la côte de Campêche, pouſſa ſa navigation encore plus au Nord, & débarqua dans tous les lieux où la deſcente ſe trouva facile. Quoiqu’il n’eût pas été toujours accueilli favorablement, ſon expédition eut un grand ſuccès. Elle lui valut beaucoup d’or, & procura des lumieres ſuffiſantes ſur l’étendue, les richeſſes & les forces du Mexique.

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La Conquête de ce grand empire parut au deſſus1 de l’ame de Grijalva2. La voix publique nommoit pour l’exécution de ce projet, Fernand Cortez, plus connu alors par les eſpérances qu’il donnoit, que par des3 grandes choſes qu’il eût déja faites. Ses partiſans prétendoient qu’il avoit une force de corps propre à ſupporter les plus grands travaux ; le talent de la parole au ſouverain dégré ; une ſagacité qui lui faiſoit tout prévoir ; une préſence d’eſprit que les événemens les plus extraordinaires ne déconcertoient jamais ; une grande abondance de moyens ; l’art de ſubjuguer les eſprits qui ſe refuſoient à la conciliation ; une conſtance qui l’empêchoit de revenir jamais ſur ſes pas ; cet enthouſiaſme de gloire qu’on a toujours regardé comme la premiere vertu des héros. La multitude qui n’a, qui ne peut avoir que le ſuccès pour regle de ſes jugemens, a long-tems adopté cette opinion avantageuſe. Depuis que la philoſophie a commencé à jetter du jour ſur l’hiſtoire, il eſt devenu douteux ſi les défauts de Cortez ne l’emportoient pas ſur ſes qualités.
La conquête de ce grand empire parut au-deſſus1 de l’ame de Gryalva2. La voix publique nommoit pour l’exécution de ce projet Fernand Cortez, plus connu alors par les eſpérances qu’il donnoit, que par de3 grandes choſes qu’il eût déjà faites. Ses partiſans prétendoient qu’il avoit une force de corps propre à ſupporter les plus grands travaux ; le talent de la parole au ſouverain dégré, une ſagacité qui lui faiſoit tout prévoir ; une préſence d’eſprit que les événemens les plus extraordinaires ne déconcertoient jamais ; une [31]grande abondance de moyens ; l’art de ſubjuguer les eſprits qui ſe refuſoient à la conciliation ; une conſtance qui l’empêchoit de revenir jamais ſur ſes pas ; cet enthouſiaſme de gloire qu’on a toujours regardé comme la premiere vertu des héros. La multitude qui n’a, qui ne peut avoir que le ſuccès pour regle de ſes jugemens, a long-tems adopté cette opinion avantageuſe. Depuis que la philoſophie a commencé à jetter du jour ſur l’hiſtoire, il eſt devenu douteux ſi les défauts de Cortez ne l’emportoient pas ſur les qualités.

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Quoiqu’il1 en ſoit, cet homme devenu depuis ſi célébre, n’eut pas été plutôt choiſi par Velaſquez pour l’entrepriſe la plus importante qui eut été encore formée dans le nouveau monde, qu’il ſe vît entouré de tout ce qui ſe ſentoit un [18]puiſſant attrait pour la renommée & pour la fortune. Après avoir ſurmonté les obſtacles que la jalouſie & la haine lui ſuſciterent, il mit à la voile le dix2 Février de l’an3 1519. Cinq cent huit4 ſoldats, cent neuf5 matelots, les officiers néceſſaires pour les commander, quelques chevaux, un peu d’artillerie compoſoient ſes forces. Ces moyens tout6 foibles qu’ils étoient, n’étoient pas même fournis par le gouvernement, qui ne mettoit que ſon nom dans les tentatives qu’on faiſoit pour découvrir de nouveaux pays, pour former de nouveaux établiſſemens. Tout s’exécutoit aux dépens des particuliers. Ils ſe ruinoient, s’ils étoient malheureux ; leur ſuccès étendoient toujours l’empire de la métropole. Depuis les premieres expéditions, jamais elle ne forma de plan, jamais elle n’ouvrit ſes tréſors8, jamais elle ne leva des troupes. La ſoif de l’or & l’eſprit de chevalerie qui regnoit encore, excitoient ſeuls l’induſtrie & l’activité. Ces aiguillons étoient ſi puiſſans, qu’ils faiſoient voler9 non-ſeulement le peuple, mais beaucoup de perſonnes d’un rang diſtingué parmi des11 ſauvages, ſous Lazonne12 Torride, dans13 un climat14 le plus ſouvent mal-ſain. Peut-être n’y avoit-il alors ſur la terre que l’Eſpagnol aſſez frugal, aſſez endurci à la fatigue, aſſez accoutumé aux intempéries d’un climat chaud pour ſupporter tant d’incommodités.
Quoi qu’il1 en ſoit, cet homme devenu depuis ſi célebre, n’eût pas été plutôt choiſi par Velaſquez pour l’entrepriſe la plus importante qui eût été encore formée dans le nouveau monde, qu’il ſe vit entouré de tout ce qui ſe ſentoit un puiſſant attrait pour la renommée & pour la fortune. Après avoir ſurmonté les obſtacles que la jalouſie & la haîne lui ſuſciterent, il mit à la voile le 102 Février 1519. Cinq cens-huit4 ſoldats, cent-neuf5 matelots, les officiers néceſſaires pour les commander, quelques chevaux, un peu d’artillerie, compoſoient ſes forces. Ces moyens, tous6 foibles qu’ils étoient, n’étoient pas même fournis par le gouvernement, qui ne mettoit que ſon nom dans les tentatives qu’on faiſoit pour découvrir de nouveaux pays, pour former de nouveaux établiſſemens. Tout s’exécutoit aux [32]dépens des particuliers. Ils ſe ruinoient s’ils étoient malheureux ; mais7 leurs ſuccès étendoient toujours l’empire de la métropole. Depuis les premieres expéditions, jamais elle ne leva des troupes. La ſoif de l’or, & l’eſprit de chevalerie qui régnoit encore, excitoient ſeuls l’induſtrie & l’activité. Ces aiguillons étoient ſi puiſſans, que9 non-ſeulement le peuple, mais beaucoup de perſonnes d’un rang diſtingué, voloient10 parmi les11 ſauvages la zone12 torride, ſous13 un ciel14 le plus ſouvent mal-ſain. Peut-être n’y avoit-il alors ſur la terre que l’Eſpagnol aſſez frugal, aſſez endurci à la fatigue, aſſez accoutumé aux intempéries d’un climat chaud, pour ſupporter tant d’incommodités.

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Diégo de Vélasquez, qui l’avait établie, et qui la gouvernait, conçut l’ambition de faire arborer les drapeaux espagnols dans des contrées qui ne se fussent pas encore courbées devant eux. Ses regards s’arrêtèrent sur l’Yucatan, que quelques navigateurs de sa nation avaient aperçu, mais sans y descendre. François Hernandès de Cordoue se chargea de l’expédition. Il mit à la voile le 8 février 1517 avec cent dix hommes embarqués sur trois navires, et aborda le premier mars au cap Catoche, la pointe la plus méridionale de cette grande péninsule. Dans deux combats que les Indiens lui livrèrent, il perdit le tiers de ses compagnons, et ce malheur le réduisit à regagner Cuba, où il ne tarda pas à mourir des blessures qu’il avait reçues.
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Juſqu’à cette époque, l’autre hémiſphère n’avoit offert aux Eſpagnols que des ſauvages nus, errans, ſans induſtrie, ſans gouvernement [368]. Pour la première fois, on venoit de voir des peuples1 logés, vêtus, formés en corps de nation, aſſez avancés dans les arts pour convertir en vaſes des2 métaux précieux.
Jusqu’à cette époque, l’autre hémisphère n’avait offert aux Espagnols que des sauvages nus, errans, sans industrie, sans gouvernement. Pour la première fois on venait de voir des hommes1 logés, vêtus, formés en corps de nation, assez avancés dans les arts pour convertir en vases les2 métaux précieux.
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Cette découverte pouvoit faire craindre des dangers nouveaux : mais elle préſentoit1 auſſi l’appât d’un butin plus riche ; & deux cens2 quarante Eſpagnols ſe précipitèrent dans3 quatre navires4 qu’armoit, à ſes dépens, le chef de la colonie. Ils commencèrent par vérifier ce qu’avoient publié les aventuriers qui les avoient précédés, pouſſèrent enſuite5 leur navigation juſqu’à la rivière de Panuco6, & crurent appercevoir7 par-tout des traces encore plus déciſives de civiliſation. Souvent ils débarquèrent. Quelquefois on les attaqua très-vivement, & quelquefois on les reçut avec un reſpect qui tenoit de l’adoration. Dans une ou deux occaſions, ils purent échanger contre l’or du nouvel hémiſphère quelques bagatelles de l’ancien. Les plus entreprenans d’entre eux, opinoient à former un établiſſement ſur ces belles plages ; leur commandant, Grijalva, qui, quoique actif, quoique intrépide, n’avoit pas l’ame d’un héros, ne trouva pas ſes forces ſuffiſantes [369]pour une entrepriſe de cette importance8. Il reprit la route de Cuba, où il rendit un9 compte, plus ou moins exagéré, de tout ce10 qu’il avoit vu, de tout ce qu’il avoit pu apprendre de l’empire du Mexique11.
Cette découverte pouvait faire craindre des dangers nouveaux ; mais elle offrait1 aussi l’appât d’un butin plus riche, et deux cent2 quarante Espagnols se précipitèrent le 8 d’avril 1518 sur3 quatre vaisseaux4 qu’armait à ses dépens le chef de la colonie. Ils commencèrent par vérifier ce qu’avaient publié les aventuriers qui les avaient précédés, [247]poussèrent leur navigation plus loin vers l’ouest6, et crurent apercevoir7 partout des traces encore plus décisives de civilisation. Souvent ils débarquèrent. Quelquefois on les attaqua très-vivement, et quelquefois on les reçut avec un respect qui tenait de l’adoration. Dans une ou deux occasions ils purent échanger contre l’or du nouvel hémisphère quelques bagatelles de l’ancien. Les plus entreprenans d’entre eux opinaient à former un établissement sur ces belles plages. Leur commandant Grijalva, trop servilement soumis peut-être la défense qui lui en avait été faite, se refusa leurs instances8. Il préféra d’aller rendre9 compte des connaissances10 qu’il avait acquises sur l’empire du Mexique, dont il avait parcouru toutes les côtes11.
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Aussitôt la conquête de cette vaste et opulente région est arrêtée par Vélasquez. Le choix de l’instrument qu’il y emploiera l’occupe plus long-temps. Il craint également de la confier à un homme qui manquera des qualités nécessaires pour la faire réussir, ou qui aura trop d’élévation pour lui en rendre hommage. On le décide enfin pour Fernand Cortez, celui des colons que ses talens appellent le plus impérieusement à une entreprise difficile, mais le moins disposé par caractère à céder la gloire de ses succès et à rester dans une éternelle dépendance.
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C’était un homme de condition, né en 1485 à Médellin, dans l’Estramadoure. Sa famille le destinait [248] à l’étude des lois ; mais son inclination le poussa aux armes. Il devait partir pour aller apprendre la guerre en Italie sous Gonsalve de Cordoue, lorsqu’une maladie grave l’empêcha d’entrer dans la carrière qui lui était ouverte. En 1504 ses espérances se tournèrent vers Saint-Domingue, où sa parenté avec Ovando lui promettait de l’avancement. Peut-être se serait-il contenté de la fortune qu’il y avait faite, de la réputation qu’il y avait acquise, si Cuba ne lui eût offert un théâtre où son intelligence et sa valeur devaient se développer avec plus d’éclat. Ses actions parurent en effet si brillantes et si bien combinées, que les mécontens de la nouvelle colonie le chargèrent du dangereux honneur de porter à l’audience royale leurs griefs contre un trop fier et trop injuste chef. Le secret de sa mission fut pénétré, et on le condamna à porter sa tête sur un échafaud. Des sollicitations puissantes ayant obtenu que la peine de mort serait commuée en une prison perpétuelle, il fut embarqué pour aller subir son sort. Pour éviter cette destinée, il se précipita dans la mer, et regagna à travers mille périls le rivage qui l’avait vu partir. Ce courage, ou si l’on veut cette témérité, lui valut son pardon ; et Vélasquez crut s’en être assez assuré par cette indulgence pour pouvoir lui confier sûrement une expédition au succès de laquelle il attachait sa gloire et son bonheur.
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La conquête de cette vaſte & opulente région eſt auſſi-tôt arrêtée par Velaſquès. Le choix de l’inſtrument qu’il y emploiera l’occupe plus long-tems. Il craint également de la confier un homme qui manquera des qualités indiſpenſables1 pour la2 faire réuſſir, ou qui aura trop d’ambition pour lui en rendre hommage. Ses confidens le décident enfin pour Fernand Cortès, celui de ſes lieutenans que ſes talens appellent le plus impérieuſement l’exécution du projet, mais le moins propre remplir ſes vues perſonnelles. L’activité, l’élévation, l’audace que montre le nouveau chef dans les préparatifs d’une expédition3 dont il prévoit & veut écarter les difficultés, réveillent toutes les inquiétudes d’un gouverneur naturellement trop ſoupçonneux4. On le voit occupé, d’abord en ſecret & publiquement enſuite, du projet de retirer une commiſſion importante qu’il ſe reproche d’avoir inconſidérément donnée. Repentir tardif [370]. Avant que ſoient achevés les arrangemens imaginés pour retenir la flotte compoſée de onze petits5 bâtimens, elle a mis à la voile, le 10 février 1519, avec cent neuf matelots, cinq cens6 huit ſoldats, ſeize chevaux, treize mouſquets, trente-deux arbalètes, un grand nombre d’épées & de piques, quatre fauconneaux & dix pièces de campagne.
Les mesures hardies, fermes, sages, ardentes [249]que prend Cortez1 pour faire réussir une entreprise3 dont il prévoit et veut écarter les difficultés, réveillent toutes les inquiétudes d’un gouverneur naturellement trop ombrageux4. On le voit occupé, d’abord en secret, et publiquement ensuite, du projet de retirer une commission importante, qu’il se reproche d’avoir inconsidérément donnée. Repentir tardif. Avant que soient achevés les arrangemens imaginés pour retenir la flotte composée de onze très-petits5 bâtimens, elle a mis à la voile, le 10 février 1519, avec cent neuf matelots, cinq cent6 huit soldats, seize chevaux, treize mousquets, trente-deux arbalètes, un grand nombre d’épées et de piques, quatre fauconneaux, et dix pièces de campagne.
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Ces moyens d’invaſion, tout inſuffiſans qu’ils pourront paroître, n’avoient1 pas même été2 fournis par la couronne qui ne contribuoit alors que de ſon nom aux découvertes, aux établiſſemens. C’étoient les particuliers qui formoient des5 plans d’agrandiſſement, qui les dirigeoient par des combinaiſons bien ou mal réfléchies, qui les exécutoient à leurs dépens. La ſoif de l’or & l’eſprit de chevalerie qui régnoit6 encore, excitoient principalement la fermentation. Ces deux aiguillons faiſoient la fois courir dans le7 Nouveau-Monde, des hommes de la première & de la dernière claſſe de la ſociété ; des brigands qui ne reſpiroient que le pillage, & des eſprits exaltés qui croyoient aller8 à la gloire. C’eſt pourquoi la trace de ces premiers conquérans fut marquée par tant de forfaits & par tant d’actions [371]extraordinaires ; c’eſt pourquoi leur cupidité fut ſi atroce & leur bravoure9 ſi giganteſque.
Ces moyens d’invasion, tout insuffisans qu’ils pourront paraître, n’étaient1 pas même fournis par la couronne, qui ne contribuait alors que de son nom aux découvertes qu’on tentait3, aux établissemens qui s’y formaient4. C’étaient les particuliers qui concevaient les5 plans d’agrandissement, qui les dirigeaient par des combinaisons bien ou mal réfléchies, qui les exécutaient à leurs dépens. La soif de l’or et l’esprit de chevalerie, qui n’était pas éteint6 encore, excitaient principalement la fermentation. Ces deux aiguillons faisaient également accourir au7 Nouveau-Monde des hommes de la première et de la dernière classe de la société, des brigands qui ne respiraient que le pillage, et des esprits exaltés qui [250]croyaient voler8 à la gloire. C’est pourquoi la trace de ces premiers conquérans fut marquée par tant de forfaits et par tant d’actions extraordinaires ; c’est pourquoi leur cupidité fut si atroce et leur vaillance9 si gigantesque.
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Cortez relâcha d’abord à l’île de Cozumel, où un heureux hasard lui amena l’Espagnol d’Aguilar, qui, jeté par la tempête sur une côte éloignée, avait erré huit ans dans ces régions. Il continua sa navigation vers la grande rivière à laquelle Grisjalva s était permis de donner son nom. Loin d’y trouver l’accueil que son prédécesseur y avait reçu, les habitans en parurent déterminés à l’empêcher de prendre terre. Inutilement il envoya d’Aguilar, qui entendait leur langue, pour assurer que ses intentions n’avaient rien d’hostile, d’innombrables flèches lancées des canots et du rivage sur la flotte l’avertirent que les dispositions des peuples étaient entièrement changées. Son artillerie dissipa deux fois ces faibles Indiens, et lui ouvrit Tabasco, leur bourgade principale. Ses canons lui servirent encore à mettre en déroute une nombreuse armée qui s’était très-rapidement formée. Trois défaites consécutives persuadèrent au cacique du pays qu’il était temps de procurer la paix à ses sujets. Il l’obtint en reconnaissant les rois de Castille pour ses souverains, en livrant aux instrumens de leurs victoires de l’or, des vivres, des vêtemens, une vingtaine de femmes destinées à les servir et à leur préparer le maïs le [251]seul grain alors connu dans le Nouveau-Monde.
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Ce succès ne toucha que peu Cortez, qui se sentait appelé à de plus hautes destinées. Son impatience ne tarda pas à être satisfaite. Quelques jours d’une navigation facile le portèrent au mois d’avril sur les côtes du Mexique. A peine avait-il jeté l’ancre entre l’île Saint-Jean d’Ulua et le continent, que deux pirogues abordèrent la flotte. Ceux qui les montaient se dirent envoyés par le gouverneur et par le général de la province pour s’informer du motif qui avait amené tant de vaisseaux sur ces rivages, et pour leur offrir les secours dont ils pourraient avoir besoin pour s’en éloigner. Leur discours ne fut pas compris, et l’on allait les renvoyer sans réponse lorsque Marina, l’une des femmes obtenues à Tabasco, s’offrit pour interprète. Elle rendit en yucatan ce qu’ils avaient dit, et d’Aguilar, qui entendait cet idiome, le traduisit en castillan. Cortez se vit alors en état de s’expliquer, et assura les députés que bientôt leurs maîtres seraient instruits de ses intentions. Le débarquement eut lieu le lendemain ; et un camp fortifié à la hâte reçut le même jour les troupes, les chevaux et l’artillerie.
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Pilpatoé et Teutilé, les deux personnages importans au nom desquels les premières paroles avaient été portées, ne se firent pas attendre. Cortez les reçut à la tête de son armée, et leur signifia qu’il était chargé par le plus grand monarque [252] de l’Orient de communiquer au puissant monarque du Mexique des secrets très-intéressans pour les deux empires ; qu’il lui serait impossible de remplir sa mission ailleurs qu’à la cour, et qu’il s’attendait à y trouver les égards dus au représentant d’un prince qui n’avait pas son égal au monde. La connaissance de son arrivée, de ses prétentions et de ses forces, parvint très-rapidement à la capitale, quoique éloignée de soixante-dix à quatre-vingts lieues. Dans cette vaste domination, des courriers placés de distance en distance instruisaient en moins de rien le ministère de ce qui se passait dans les provinces les plus reculées. Leurs dépêches consistaient en des toiles de coton où étaient représentées les différentes circonstances des affaires qui méritaient l’attention du gouvernement. Les figures étaient entremêlées de caractères hyéroglyphiques qui suppléaient à ce que l’art du peintre n’avait pu exprimer.
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Cortez qui avoit éminemment ces qualités, attaque1 en paſſant2 les Indiens de Tabaſco, les3 bat pluſieurs fois, leur accorde4 la paix, & fait alliance avec eux. On lui donne vingt femmes pour faire du pain5 de mays à ſes troupes. La plus jolie, baptiſée ſous6 le nom de Marina, devint ſa maîtreſſe. Elle lui ſervit depuis d’interprete, & lui fut très-utile7.
Cortez qui avoit éminemment ces qualités, attaque1 en paſſant2 les Indiens de Tabaſco, les3 bat pluſieurs fois, leur accorde4 la paix, fait alliance avec eux, & emmene pluſieurs5 de leurs femmes, qui6 le ſuivent avec joie. Cet empreſſement avoit une cauſe trop légitime7.
La double paſſion des richeſſes & de la renommée paroît animer Cortès1. En ſe rendant ſa deſtination, il attaque2 les Indiens de Tabaſco, bat pluſieurs fois leurs troupes, les réduit demander4 la paix, reçoit leur hommage, & ſe fait donner des vivres, quelques toiles5 de coton, & vingt femmes qui6 le ſuivent avec joie. Cet empreſſement avoit une cauſe trop légitime7.

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A peine il parut ſur les côtes du Mexique, que Montezuma qui y regnoit avec le pouvoir le plus abſolu, fut ſaiſi d’une frayeur ſi marquée qu’elle n’échappa pas aux courtiſans les moins pénétrans. Cette frayeur inſpirée à un ſi puiſſant monarque, par une poignée d’aventuriers, ſeroit hors de toute vraiſemblance ſi l’on ne remontoit aux principes éloignés qui en étoient la ſource.

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En Amérique, les hommes ſe livroient généralement à cette débauche honteuſe qui choque la nature & pervertit l’inſtinct animal. On a voulu attribuer cette dépravation à la foibleſſe phyſique, qui cependant devroit plutôt en éloigner qu’y entraîner. Il faut en chercher la cauſe dans la chaleur du climat ; [33]dans le mépris pour un ſexe foible ; dans l’inſipidité du plaiſir entre les bras d’une femme haraſſée de fatigues ; dans l’inconſtance du goût ; dans la bizarrerie qui pouſſe en tout à des jouiſſances moins communes ; dans une recherche de volupté, plus facile à concevoir qu’honnête à expliquer. D’ailleurs, ces chaſſes qui ſéparoient quelquefois, pendant des mois entiers, l’homme de la femme, ne tendoient-elles pas à rapprocher l’homme de l’homme ? Le reſte n’eſt plus que la ſuite d’une paſſion générale & violente, qui foule aux pieds, même dans les contrées policées, l’honneur, la vertu, la décence, la probité, les loix du ſang, le ſentiment patriotique : ſans compter qu’il eſt des actions auxquelles les peuples policés ont attaché avec raiſon des idées de moralité tout-à-fait étrangeres à des ſauvages.
En Amérique, les hommes ſe livroient généralement à cette débauche honteuſe qui choque la nature & pervertit l’inſtinct animal. On a voulu attribuer cette dépravation à la foibleſſe phyſique, qui cependant devroit plutôt en éloigner qu’y entraîner. Il faut en chercher la cauſe dans la chaleur du climat ; dans le mépris pour un ſexe foible ; dans l’inſipidité du plaiſir entre les bras d’une femme haraſſée de fatigues ; dans l’inconſtance du goût ; dans la bizarrerie qui pouſſe en tout à des jouiſſances moins communes ; dans une recherche de volupté, plus facile à concevoir qu’honnête à expliquer. D’ailleurs, ces chaſſes qui ſéparoient quelquefois pendant [372]des mois entiers l’homme de la femme, ne tendoient-elles pas à rapprocher l’homme de l’homme ? Le reſte n’eſt plus que la ſuite d’une paſſion générale & violente, qui foule aux pieds, même dans les contrées policées, l’honneur, la vertu, la décence, la probité, les loix du ſang, le ſentiment patriotique : ſans compter qu’il eſt des actions auxquelles les peuples policés ont attaché avec raiſon des idées de moralité tout-à-fait étrangères à des ſauvages.

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Quoi qu’il en ſoit, l’arrivée des Européens fit luire un nouveau jour aux yeux des femmes Américaines. On les vit ſe précipiter ſans ménagement1 dans les bras de ces lubriques étrangers, qui s’étoient fait des cœurs de tigre, & dont les mains avares dégoûtoient2 de ſang. Tandis que les reſtes infortunés de ces nations ſauvages cherchoient à mettre entr’eux3 & le glaive qui les pourſuivoit, des déſerts immenſes, des femmes juſqu’alors trop négligées, foulant audacieuſement les cadavres [34] de leurs enfans & de leurs époux maſſacrés, alloient chercher leurs exterminateurs juſques dans leur propre camp, pour leur faire partager les tranſports de l’ardeur qui les dévoroit. Parmi les cauſes qui contribuerent à la conquête du nouveau monde4, on doit compter cette fureur des femmes Américaines pour les Eſpagnols. Ce furent elles qui leur ſervirent communément de guides, qui leur procurerent ſouvent des vivres, & qui quelquefois leur découvrirent des conſpirations.
Quoi qu’il en ſoit, l’arrivée des Européens fit luire un nouveau jour aux yeux des femmes Américaines. On les vit ſe précipiter ſans répugnance1 dans les bras de ces lubriques étrangers, qui s’étoient fait des cœurs de tigre, & dont les mains avares dégouttoient2 de ſang. Tandis que les reſtes infortunés de ces nations ſauvages cherchoient à mettre entre eux3 & le glaive qui les pourſuivoit, des déſerts immenſes, des femmes juſqu’alors trop négligées, foulant audacieuſement les cadavres de leurs enfans & de leurs époux maſſacrés, alloient chercher leurs exterminateurs juſques dans leur propre camp, pour leur faire partager les tranſports de l’ardeur [373]qui les dévoroit. Parmi les cauſes qui contribuèrent à la conquête du Nouveau-Monde4, on doit compter cette fureur des femmes Américaines pour les Eſpagnols. Ce furent elles qui leur ſervirent communément de guides, qui leur procurèrent ſouvent des vivres, & qui quelquefois leur découvrirent des conſpirations.

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La plus célebre de ces femmes fut appellée Marina. Quoique fille d’un cacique aſſez puiſſant, elle fut par des événemens ſinguliers, eſclave chez les Mexicains dès ſa premiere enfance. De nouveaux hazards1 l’avoient conduite à Tabaſco avant l’arrivée des Eſpagnols. Frappés de ſa figure & de ſes graces, ils la diſtinguerent. Leur général lui donna ſon cœur, & lui inſpira une paſſion très-vive. Dans de tendres embraſſemens, elle apprit bientôt le Caſtillan. Cortez2 de ſon côté, connut l’étendue de l’eſprit, la fermeté du caractere de ſon amante ; & il n’en fit pas ſeulement ſon interprête, mais encore ſon conſeil. De l’aveu de tous les hiſtoriens, elle eut une influence principale dans tout ce qu’on entreprit contre le Mexique.
La plus célèbre de ces femmes fut appellée Marina. Quoique fille d’un cacique aſſez puiſſant, elle fut par des événemens ſinguliers, eſclave chez les Mexicains dès ſa première enfance. De nouveaux haſards1 l’avoient conduite à Tabaſco avant l’arrivée des Eſpagnols. Frappés de ſa figure & de ſes graces, ils la distinguèrent. Leur général lui donna ſon cœur, & lui inſpira une paſſion très-vive. Dans de tendres embraſſemens, elle apprit bientôt le Caſtillan. Cortès2, de ſon côté, connut l’étendue de l’eſprit, la fermeté du caractère de ſon amante ; & il n’en fit pas ſeulement ſon interprète, mais encore ſon conſeil. De l’aveu de tous les hiſtoriens, elle eut une influence principale dans tout ce qu’on entreprit contre le Mexique.

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Cet empire1 n’étoit fondé, dit-on2, que depuis3 [35] un peu4 plus d’un ſiécle. Pour ajouter foi5 à une choſe7 ſi peu croyable8, il faudroit d’autres témoignages que ceux des Eſpagnols9, qui n’avoient ni le talent, ni la volonté, de rien examiner ; il faudroit une autre autorité10 que celle de leurs11 fanatiques prêtres12, qui vouloient établir leur propre ſuperſtition13, ſur les ruines du culte de ces peuples14. Que ſauroit-on de la Chine, ſi les Portugais avoient pu l’incendier, la bouleverſer, ou la détruire comme le Bréſil ? Parleroit-on aujourd’hui de l’antiquité de ſes livres, de ſes loix & de ſes mœurs ? Quand on aura laiſſé pénétrer au Mexique quelques philoſophes, pour y déterrer & défricher15 les ruines de ſon hiſtoire ; que ces ſavans ne ſeront pas16 des moines ni des Eſpagnols ; mais des Anglois, des François qui auront toute la liberté, tous les moyens de découvrir la vérité : peut-être alors la ſaura-ton, ſi la barbarie n’a pas détruit les anciens17 monumens qui pouvoient en marquer la trace.
On ignore juſqu’à l’époque de la fondation de l’empire. A la vérité, les hiſtoriens Caſtillans nous diſent qu’avant le dixième ſiècle ce vaſte eſpace1 n’étoit habité que par des hordes errantes & tout-à-fait ſauvages. Ils nous diſent2 que vers cette époque, des tribus venues du Nord & du Nord-Oueſt, occupèrent quelques parties du territoire & y portèrent des mœurs plus douces. Ils nous diſent que trois cens ans après3, un peuple encore4 plus avancé dans la civiliſation & ſorti du voiſinage de la Californie s’établit ſur les bords des lacs & y bâtit Mexico. Ils nous diſent que cette dernière nation, ſi [419]ſupérieure aux autres, n’eut durant un aſſez long période, que des chefs plus ou moins habiles, qu’elle élevoit, qu’elle deſtituoit ſelon qu’elle le jugeoit convenable5ſes intérêts. Ils nous diſent que l’autorité, juſqu’alors partagée & révocable, fut concentrée dans6 une ſeule main & devint inamovible, cent trente ou cent quatre-vingt dix-ſept ans, avant l’arrivée des Eſpagnols. Ils nous diſent que les neuf monarques qui portèrent ſucceſſivement la couronne, donnèrent au domaine de l’état une extenſion qu’il n’avoit pas eue ſous l’ancien gouvernement. Mais quelle foi peut-on raiſonnablement accorder des annales confuſes, contradictoires & remplies des plus abſurdes fables qu’on ait jamais expoſées la crédulité humaine ? Pour croire qu’une ſociété dont la domination étoit7 ſi étendue, dont les inſtitutions étoient ſi multipliées, dont le rit étoit ſi régulier, avoit une origine auſſi moderne qu’on l’a publié8, il faudroit d’autres témoignages que ceux des féroces ſoldats9 qui n’avoient ni le talent ni la volonté de rien examiner ; il faudroit d’autres garans10 que des prêtres11 fanatiques qui ne ſongeoient qu’à élever leur [420]culte13 ſur la ruine des ſuperſtitions qu’ils trouvoient établies14. Que ſauroit-on de la Chine, ſi les Portugais avoient pu l’incendier, la bouleverſer ou la détruire comme le Bréſil ? Parleroit-on aujourd’hui de l’antiquité de ſes livres, de ſes loix & de ſes mœurs ? Quand on aura laiſſé pénétrer au Mexique quelques philoſophes pour y déterrer, pour y déchiffrer15 les ruines de ſon hiſtoire, que ces ſavans ne feront, ni16 des moines, ni des Eſpagnols, mais des Anglois, des François qui auront toute la liberté, tous les moyens de découvrir la vérité : peut-être alors la ſaurat-on, ſi la barbarie n’a pas détruit tous les17 monumens qui pouvoient en marquer la trace.

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On n’a pas des lumieres plus certaines ſur les fondateurs de l’empire, que ſur l’époque de ſa fondation. C’eſt encore une de ces connoiſſances que l’ignorance des Eſpagnols a dérobées à notre curioſité. Leurs crédules hiſtoriens ont écrit d’une maniere incertaine & vague, que des barbares ſortis du Nord de ce continent, mais qui formoient un corps de nation, avoient réuſſi a ſubjuguer ſucceſſivement [36] des ſauvages, nés ſous un ciel plus doux, & qui ne vivoient pas en ſociété, ou qui ne compoſoient que des ſociétés peu nombreuſes.

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Tout ce qu’il eſt permis d’aſſurer, c’eſt que le Mexique1 obéiſſoit à Montezuma, lorſque les Eſpagnols aborderent aux côtes de l’empire3. Le ſouverain ne tarda pas à être averti de l’arrivée de ces étrangers. Dans cette vaſte domination, des couriers placés de diſtance en diſtance, inſtruiſoient rapidement la cour de tout4 ce qui arrivoit dans les provinces les plus reculées. Leurs dépêches conſiſtoient en des toiles de coton, où étoient répréſentées des5 différentes circonſtances des affaires qui méritoient l’attention du gouvernement. Les figures étoient entremêlées de caractères hyérogliphiques, qui ſuppléoient à ce que l’art du peintre n’avoit pu exprimer.
Cet empire1 obéiſſoit à Montezuma, lorſque [374] les Eſpagnols y2 abordèrent. Le ſouverain ne tarda pas à être averti de l’arrivée de ces étrangers. Dans cette vaſte domination, des couriers placés de diſtance en diſtance, inſtruiſoient rapidement la cour de toute4 ce qui arrivoit dans les provinces les plus reculées. Leurs dépêches conſiſtoient en des toiles de coton, où étoient repréſentées les5 différentes circonſtances des affaires qui méritoient l’attention du gouvernement. Les figures étoient entremêlées de caractères hyérogliphiques, qui ſuppléoient à ce que l’art du peintre n’avoit pu exprimer.

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On devoit s’attendre qu’un prince1 que ſa valeur avoit élevé au trône, dont les conquêtes avoient étendu l’empire2, qui avoit des armées nombreuſes3 & aguerries4, feroit attaquer, ou attaqueroit lui-même une poignée d’aventuriers, qui oſoient infeſter ſon domaine6 de leurs brigandages. Il n’en fut pas ainſi ; 8les Eſpagnols, toujours invinciblement pouſſés vers le merveilleux, chercherent, dans un miracle, l’explication d’une conduite ſi viſiblement oppoſée au caractère du monarque9, ſi peu aſſortie aux circonſtances où il ſe trouvoit. Les [37]écrivains de cette ſuperſtitieuſe nation n’ont pas craint10 de publier à la face de l’Univers, qu’un peu avant la découverte du nouveau-monde on avoit annoncé aux Mexicains, que bientôt il arriveroit du côté de l’Orient un peuple invincible, qui vengeroit, d’une maniere à jamais terrible, les Dieux irrités par les plus horribles crimes, par celui en particulier que la nature repouſſe le plus vivement12 ; & que cette prédiction fatale avoit ſeule enchaîné les talens de Montezuma13. Ils ont cru14 trouver dans cette impoſture le double avantage de juſtifier leurs uſurpations, & d’aſſocier le ciel à leurs cruautés. Une fable ſi groſſiere a long tems trouvé15 des partiſans dans les deux hémiſphères ; & cet aveuglement n’eſt pas auſſi ſurprenant qu’on le pourroit croire. Quelques réflexions pourront en développer les cauſes.
On devoit s’attendre qu’un prince1 que ſa valeur avoit élevé au trône, dont les conquêtes avoient étendu l’empire2, qui avoit des armées nombreuſes3 & aguerries4, feroit attaquer, ou attaqueroit lui-même une poignée d’aventuriers, qui oſoient infeſter ſon domaine6 de leurs brigandages. Il n’en fut pas ainſi ; &8 les Eſpagnols, toujours invinciblement pouſſés vers le merveilleux, cherchèrent, dans un miracle, l’explication d’une conduite ſi viſiblement oppoſée au caractère du monarque9, ſi peu aſſortie aux circonſtances où il ſe trouvoit. Les écrivains de [375]cette ſuperſtitieuſe nation ne craignirent pas10 de publier à la face de l’univers, qu’un peu avant la découverte du Nouveau-Monde, on avoit annoncé aux Mexicains, que bientôt il arriveroit du côté de l’Orient un peuple invincible, qui vengeroit, d’une manière à jamais terrible, les dieux irrités par les plus horribles crimes, par celui en particulier que la nature repouſſe avec11 le plus de dégoût12 ; & que cette prédiction fatale avoit ſeule enchaîné les talens de Montezuma13. Ils crurent14 trouver dans cette impoſture le double avantage de juſtifier leurs uſurpations, & d’aſſocier le ciel à leurs cruautés. Une fable ſi groſſière trouva long-tems15 des partiſans dans les deux hémiſphères ; & cet aveuglement n’eſt pas auſſi ſurprenant qu’on le pourroit croire. Quelques réflexions pourront en développer les cauſes.
On devait s’attendre qu’un souverain1 que sa valeur avait élevé au trône, dont l’ambition avait asservi d’immenses contrées2, qui avait une milice nombreuse3 et aguerrie4, ferait attaquer sans perdre un moment5, ou attaquerait lui-même une poignée d’aventuriers qui osaient infester ses états6 de leurs brigandages, et ne craignaient pas même de montrer découvert le projet qu’ils avaient de lui dicter la loi7. Il n’en fut pas ainsi, et8 les Espagnols, toujours invinciblement poussés vers le [253]merveilleux, cherchèrent dans un miracle l’explication d’une conduite si visïblement opposée au caractère de Montézuma9, si peu assortie aux circonstances où il se trouvait. Les écrivains de cette superstitieuse nation ne craignirent pas10 de publier, à la face de l’univers, qu’un peu avant la découverte du Nouveau-Monde on avait annoncé aux Mexicains que bientôt il arriverait du côté de l’Orient un peuple invincible qui vengerait d’une manière à jamais terrible les dieux irrités par les plus horribles crimes, par celui en particulier que la nature repousse avec11 le plus de dégoût12, et que cette prédiction fatale avait seule enchaîné les talens du monarque13. Ils crurent14 trouver dans cette imposture le double avantage de justifier leurs usurpations et d’associer le ciel à leurs cruautés. Une fable si grossière trouva long-temps15 des partisans dans les deux hémisphères, et cet aveuglement n’est pas aussi surprenant qu’on le pourrait croire. Quelques réflexions pourront en développer les causes.
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La terre a éprouvé d’anciennes révolutions. Le globe outre ſon mouvement journalier & ſon mouvement annuel, qui vont l’un & l’autre d’occident en orient, peut en avoir un inſenſible, auſſi lent que les ſiecles, qui le fait tourner du nord1 au midi par une révolution que l’homme commence à peine de nos jours à imaginer, ſans que ſes calculs en oſent encore chercher les commencemens ni ſuivre la durée.
La terre a éprouvé d’anciennes révolutions. Le globe, outre ſon mouvement journalier & ſon mouvement annuel, qui vont l’un & l’autre d’Occident en Orient, peut en avoir un inſenſible, auſſi lent que les ſiècles, qui le fait tourner au Midi par une révolution que l’homme commence à peine de nos jours à imaginer, ſans que ſes calculs en oſent encore chercher les commencemens, ni ſuivre la durée.

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Par1 cette pente ; ſoit apparente2, ſi ce ſont les cieux qui par un mouvement dont la lenteur eſt proportionnée à l’immenſité de leurs orbes, pan- chent3 & entraînent avec eux le ſoleil vers le pole ; ſoit4 réelle, ſi notre globe par ſa conſtitution phyſique tombe pour ainſi dire inſenſiblement vers un point oppoſé à la direction de ce mouvement caché des cieux : par une ſuite naturelle de cette pente, l’axe de la terre déclinant toujours, il pourroit arriver que ce que nous appellons la ſphere oblique devint droite, & que6 la ſphere droite fut oblique à ſon tour, que les lieux ſitués aujourd’hui ſous léquateur, euſſent été ſous les poles, & les zones glaciales de nos jours devinſſent8 la zone torride.
Cette pente n’eſt qu’apparente2, ſi ce ſont les cieux qui, par un mouvement dont la lenteur [38] eſt proportionnée à l’immenſité de leurs orbes, penchent3 & entraînent avec eux le ſoleil vers le pole ; elle eſt4 réelle, ſi notre globe, par ſa conſtitution phyſique, tombe pour ainſi dire inſenſiblement vers un point oppoſé à la direction de ce mouvement caché des cieux : mais quoi qu’il en ſoit5, par une ſuite naturelle de cette pente, l’axe de la terre déclinant toujours, il pourroit arriver que ce que nous appellons la ſphere droite fût oblique à ſon tour ; que les lieux ſitués aujourd’hui ſous l’équateur euſſent été ſous les poles, & que7 les zones glaciales de nos jours euſſent été8 la zone torride.

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D’anciennes révolutions, dont l’époque eſt inconnue, ont bouleverſé la terre ; & l’aſtronomie nous montre la poſſibilité de ces cataſtrophes, dont l’hiſtoire phyſique & morale du monde offre une infinité de preuves inconteſtables. Un grand nombre de comètes ſe meuvent dans tous les ſens autour du ſoleil [376]. Loin que les mouvemens de leurs orbites ſoient invariables, ils ſont ſenſiblement altérés par l’action des planètes. Pluſieurs de ces grands corps ont paſſé près de la terre, & peuvent l’avoir rencontrée. Cet événement eſt peu vraiſemblable dans le cours d’une année ou même d’un ſiècle : mais ſa probabilité augmente tellement par le nombre des révolutions de la terre, qu’on peut preſque aſſurer que cette planète n’a pas toujours échappé au choc des différentes comètes qui traverſoient ſon orbite.
D’anciennes révolutions dont l’époque est inconnue ont bouleversé la terre, et l’astronomie nous montre la possibilité de ces catastrophes, dont l’histoire physique et morale du monde offre une infinité de preuves incontestables. Un grand nombre de comètes se meuvent dans tous les sens autour du soleil. Loin que les mouvemens de leurs orbites soient invariables, ils sont sensiblement altérés par l’action des planètes. Plusieurs [254]de ces grands corps ont passé près de la terre, et peuvent l’avoir rencontrée. Cet événement est peu vraisemblable dans le cours d’une année ou même d’un siècle ; mais sa probabilité augmente tellement par le nombre des révolutions de la terre, qu’on peut presque assurer que cette planète n’a pas toujours échappé au choc des différentes comètes qui traversaient son orbite.
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Cette rencontre a dû occaſionner, ſur la ſurface du globe, des ravages inexprimables. L’axe de rotation changé ; les mers abandonnant leur ancienne poſition pour ſe précipiter vers le nouvel équateur ; la plus grande partie des animaux noyée par le déluge, ou détruite par la violente ſecouſſe imprimée à la terre par la comète ; des eſpèces entières anéanties : tels1 ſont les déſaſtres qu’une comète a dû produire.
Cette rencontre a dû occasionner sur la surface du globe des ravages inexprimables. L’axe de rotation changé, les mers abandonnant leur ancienne position pour se précipiter vers le nouvel équateur, la plus grande partie des animaux noyée par le déluge ou détruite par la violente secousse imprimée à la terre par la comète, des espèces entières anéanties, telles1 sont les désastres qu’une comète a dû produire.
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On comprend dès lors que cette grande révolution1 de toute la maſſe du globe, en doit continuellement entraîner une foule de particulieres ſur2 ſa ſurface ; que la mer, comme l’inſtrument3 [20]de toutes ces petites révolutions, en ſuivant4 la pente5 de cette inclinaiſon6 de l’axe quitte7 un pays pour couvrir l’autre, & cauſe8 ainſi ces inondations où9 ces déluges ſucceſſifs qui ont parcouru la face de la terre ; noyé ſes divers habitans, &10 laiſſé par-tout des mouvemens11 viſibles de ruine &12 de dévaſtation, & des traces profondes de ſes13 ravages dans le ſouvenir des hommes.
On comprend dès-lors que cette grande révolution1 de toute la maſſe du globe, en doit continuellement produire une foule de particulieres ſur2 ſa ſurface ; que la mer, comme l’inſtrument3 de toutes ces petites révolutions, en ſuivant4 la pente5 de cette inclinaiſon6 de l’axe, quitte7 un pays pour couvrir l’autre, & cauſe8 ainſi ces inondations ou9 ces déluges ſucceſſifs qui ont parcouru la ſurface de la terre, noyé ſes divers habitans, &10 laiſſé par-tout des monumens11 viſibles de ruine &12 de dévaſtation, & des traces profondes de ſes13 ravages dans le ſouvenir des hommes.
Indépendamment de cette cauſe générale de dévaſtation, les tremblemens1 de terre, les volcans, mille autres cauſes inconnues, qui agiſſent dans l’intérieur du globe & 2 ſa ſurface [377], doivent changer la poſition reſpective3 de ſes parties, & par une ſuite néceſſaire4 la ſituation5 de ſes poles6 de rotation. Les eaux de la mer, déplacées par ces changemens, doivent quitter7 un pays pour couvrir l’autre, & cauſer8 ainſi ces inondations, ces déluges ſucceſſifs qui ont laiſſé par-tout des monumens11 viſibles de ruine, de dévaſtation, & des traces profondes de leurs13 ravages dans le ſouvenir des hommes.
Indépendamment de cette cause générale de dévastation, les tremblemens1 de terre, les volcans, mille autres causes inconnues qui agissent dans l’intérieur du globe et à2 sa surface, doivent changer la position respective3 de ses parties, et, par une suite nécessaire4, la situation5 de ses poles6 de rotation. Les eaux de la mer, déplacées par ces changemens, doivent quitter7 un pays pour couvrir l’autre, et causer8 ainsi ces inondations, ces déluges successifs qui ont laissé partout des monumens11 visibles de ruine, de dévastation, et des traces profondes de leurs13 ravages dans le souvenir des hommes.
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Cette lutte continuelle d’un élément avec1 l’autre, de la terre qui engloutit une partie de l’océan dans ſes cavités intérieures, de la mer qui ronge, & emporte de grandes portions de la terre dans ſes abîmes ; ce combat éternel des deux élémens incompatibles, ce ſemble, & pourtant inſéparables, tient les habitans du globe dans un péril ſenſible, & dans des alarmes2 vives ſur leur deſtinée. La mémoire ineffaçable des changemens arrivés, inſpire naturellement la crainte des changemens à venir. Delà3, ces traditions univerſelles de déluges paſſés, & cette attente de l’embraſſement4 du monde. Les tremblemens de terre occaſionnés par les inondations & les volcans que ces ſecouſſes reproduiſent à leur tour, ces criſes violentes dont aucune partie du globe ne doit être exempte, engendrent & perpétuent la terreur5 parmi les hommes. On trouve cette frayeur6 répandue & conſacrée dans toutes les ſuperſtition dont7 elle eſt l’origine. Cette crainte8 eſt plus vive dans les pays où les marques de ces révolutions du globe ſont plus ſenſibles & plus recentes.
Cette lutte continuelle d’un élément contre1 l’autre, de la terre qui engloutit une partie de l’Océan dans ſes cavités intérieures, de la [39]mer qui ronge & emporte de grandes portions de la terre dans ſes abîmes ; ce combat éternel des deux élémens incompatibles, ce ſemble, & pourtant inſéparables, tient les habitans du globe dans un péril ſenſible, & dans des allarmes2 vives ſur leur deſtinée. La mémoire ineffaçable des changemens arrivés, inſpire naturellement la craînte des changemens à venir. De-là3 ces traditions univerſelles de déluges paſſés, & cette attente de l’embrâſement4 du monde. Les tremblemens de terre occaſionnés par les inondations & les volcans, que ces ſecouſſes reproduiſent à leur tour, ces criſes violentes dont aucune partie du globe ne doit être exempte, engendrent & perpétuent la terreur5 parmi les hommes. On trouve cette frayeur6 répandue & conſacrée dans toutes les ſuperſtitions dont7 elle eſt l’origine. Cette crainte8 eſt plus vive dans les pays où, comme l’Amérique9, les marques de ces révolutions du globe ſont plus ſenſibles & plus récentes.
Cette lutte continuelle d’un élément contre1 l’autre, de la terre qui engloutit une partie de l’océan dans ſes cavités intérieures, de la mer qui ronge & emporte de grandes portions de la terre dans ſes abîmes ; ce combat éternel des deux élémens incompatibles, ce ſemble, & pourtant inſéparables, tient les habitans du globe dans un péril ſenſible, & dans des alarmes2 vives ſur leur deſtinée. La mémoire ineffaçable des changemens arrivés, inſpire naturellement la crainte des changemens à venir. De-là3 ces traditions univerſelles de déluges paſſés, & cette attente de l’embrâſement4 du monde. Les tremblemens de terre occaſionnés par les inondations & les volcans, que ces ſecouſſes reproduiſent [378]à leur tour, ces criſes violentes dont aucune partie du globe ne doit être exempte, engendrent & perpétuent la frayeur5 parmi les hommes. On la trouve6 répandue & conſacrée dans toutes les ſuperſtitions. Elle eſt plus vive dans les pays où, comme l’Amérique9, les marques de ces révolutions du globe ſont plus ſenſibles & plus récentes.
Cette lutte continuelle d’un élément contre1 l’autre, de la terre qui engloutit une partie de l’Océan dans ses cavités intérieures, de la mer qui ronge et emporte de grandes portions de la terre dans ses abîmes, ce combat éternel des deux élémens incompatibles, ce semble, et pourtant inséparables, tient les habitans du globe dans un péril sensible et dans des alarmes2 vives sur leur destinée. La mémoire ineffaçable des changemens arrivés inspire naturellement la crainte des changemens à venir. De là3 ces traditions universelles de déluges passés, et cette attente de l’embrasement4 du monde. Les tremblemens de terre occasionnés par les inondations et les volcans que ces secousses reproduisent à leur tour, ces crises violentes dont aucune partie du globe ne doit être exempte, engendrent et perpétuent la frayeur5 parmi les hommes. On la trouve6 répandue et consacrée dans toutes les superstitions. Elle est plus vive dans les pays où, comme l’Amérique9, les marques de ces révolutions du globe sont plus sensibles et plus récentes.
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On voit ſur la ſurface de l’Amérique une empreinte plus profonde des ravages que les eaux & le feu ne ceſſent de faire par-tout de vaſtes golfes, des lacs immenſes, des iſles ſans nombre, les plus grands fleuves, les plus hautes montagnes [21], des terres rarement habitées, encore moins peuplées : tout y atteſte les fléaux & les calamités dont la nature affligea ce monde : tout y imprime cette frayeur de la déſolation, dont l’impoſture a de tout tems abuſé pour regner ſur la terre. La crainte qui ne s’arrête point dans ſes progrès1, voit dans un ſeul mal le germe de mille autres. Elle2 en attend de la terre & des cieux ; elle3 croit voir la mort ſur ſa tête & ſous ſes pieds. Des événemens que le haſard a fait ſe rencontrer enſemble4 lui paroiſſent5 liés dans la nature même, & dans l’ordre des choſes. Comme il n’arrive jamais rien ſur la terre ſans laquelle ſe trouve ſous l’aſpect de quelque conſtellation, on s’en prend aux étoiles de tous les malheurs dont on ignore la cauſe, & de ſimples rapports de ſituation entre des planettes, ſont6 pour l’eſprit humain qui a toujours cherché dans les ténebres l’origine du mal, une influence immédiate & néceſſaire ſur toutes les révolutions qui les ſuivent ou les accompagnent.
L’homme épouvanté1 voit dans un ſeul mal le germe de mille autres. Il2 en attend de la terre & des cieux ; il3 croit voir la mort ſur ſa tête & ſous ſes pieds. Des événemens que le haſard a rapprochés4 lui paroiſſent5 liés dans la nature même & dans l’ordre des choſes. Comme il n’arrive jamais rien ſur la terre, ſans qu’elle ſe trouve ſous l’aſpect de quelque conſtellation, on s’en prend aux étoiles de [40]tous les malheurs dont on ignore la cauſe ; & de ſimples rapports de ſituation entre des planettes, ont6 pour l’eſprit humain, qui a toujourscherché dans les ténébres l’origine du mal, une influence immédiate & néceſſaire ſur toutes les révolutions qui les ſuivent ou les accompagnent.
L’homme épouvanté1 voit dans un ſeul mal le germe de mille autres. Il2 en attend de la terre & des cieux ; il3 croit voir la mort ſur ſa tête & ſous ſes pieds. Des événemens que le haſard a rapprochés4 lui paroiſſent5 liés dans la nature même & dans l’ordre des choſes. Comme il n’arrive jamais rien ſur la terre, ſans qu’elle ſe trouve ſous l’aſpect de quelque conſtellation, on s’en prend aux étoiles de tous les malheurs dont on ignore la cauſe ; & de ſimples rapports de ſituation entre des planètes, ont6 pour l’eſprit humain, qui a toujours cherché dans les ténèbres l’origine du mal, une influence immédiate & néceſſaire ſur toutes les révolutions qui les ſuivent ou les accompagnent.
L’homme épouvanté1 voit dans un seul mal le germe de mille autres. Il2 en attend de la terre et des cieux ; il3 croit voir la mort sur sa tête et sous ses pieds. Des événemens, que le hasard a rapprochés4, lui paraissent5 liés dans la nature même et dans l’ordre des choses. Comme il n’arrive jamais rien sur la terre sans qu’elle se trouve sous l’aspect de quelque constellation, on s’en prend aux étoiles [256]de tous les malheurs dont on ignore la cause ; et de simples rapports de situation entre des planètes ont6 pour l’esprit humain, qui a toujours cherché dans les ténèbres l’origine du mal, une influence immédiate et nécessaire sur toutes les révolutions qui les suivent ou les accompagnent.
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Mais, ſur tous1 les événemens politiques commeles plus intéreſſans pour l’homme, ont toujourseu à ſes yeux une dépendance très-prochainedu mouvement des aſtres. Delà2, les fauſſes prédictions & les craintes réelles qui dans tous le tems3 ont dominé ſur4 la terre. Elles augmententen s’enracinant à proportion de l’ignorance5.
Mais les événemens politiques, comme les plus intéreſſans pour l’homme, ont toujours eu à ſes yeux une dépendancetrés-prochaiue du mouvement des astres. De-là2 les fauſſes prédictions & les terreursqu’elles ont inſpirées ; terreurs qui3 ont toujours troublé4 la terre, & dont l’ignorance eſt tout à-la-fois le principe & la meſure5.
Mais les événemens politiques, comme les plus intéreſſans pour l’homme, ont toujours [379]eu à ſes yeux une dépendance très-prochaine du mouvement des aſtres. De-là2 les fauſſes prédictions & les terreurs qu’elles ont inſpirées : terreurs qui3 ont toujours troublé4 la terre, & dont l’ignorance eſt tout-à-la-fois le principe & la meſure5.
Mais les événemens politiques, comme les plus intéressans pour l’homme, ont toujours eu à ses yeux une dépendance très-prochaine du mouvement des astres. De là2 les fausses prédictions et les terreurs qu’elles ont inspirées ; terreurs qui3 ont toujours troublé4 la terre, et dont l’ignorance est tout la fois le principe et la mesure5.
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On trouva ces maladies de l’eſprit humain, établiesdans le nouveau monde, où les Eſpagnols les auroient portées ſi elles n’y avoient été. On ne ſait quelle tradition, qui pourroit cependant avoir été imaginée après l’événement, avoit fait preſſentir à Saint-Domingue, au Pérou, & dans quelques parties de l’Amérique Septentrionale qu’il y viendroit des étrangers qui boulleverſeroient [22]ce malheureux pays. Ces exterminateurs devoient arriver du côté de l’Orient. Ce n’eſt pas que les Amériquains euſſent aucune connoiſſance de nos contrées ; mais accoutumés comme tous les peuplesde la terre à tourner leurs premiers regards vers les lieux où le ſoleil ſe leve, ils avoient imaginé que les révolutions dont ils étoient ménacéspartiroient de ce front du globe.

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Quoique1 Montezuma eût pû, comme tant d’autres, être2 atteint de cette maladie de l’eſprit humain, rien ne porte à penſer qu’il ait eu une foibleſſe, alors ſi commune. Mais ſa conduite politique n’en fut pas meilleure. Depuis que ce prince étoit ſur le trône, il3 ne montroit4 aucun des talens qui l’y5 avoient fait monter. Du ſein de la molleſſe, il mépriſoit ſes ſujets, il opprimoit ſes tributaires. L’arrivée6 des Eſpagnols ne rendit pas du reſſort à cette ame avilie & corrompue. Il perdit en négociations, le tems qu’il falloit employer en combats7, & voulut renvoyer avec des préſens des ennemis qu’il falloit détruire. Cortez, à qui cet engourdiſſement convenoit beaucoup, n’oublioit rien pour l’entretenir8.
Quoique1 Montezuma eût pu, comme tant d’autres, être2 atteint de cete maladie de l’eſprithumain, rien ne porte à penſer qu’il ait eu une foibleſſe, alors ſi commune. Mais ſa conduite politique n’en fut pas meilleure. Depuis que ce prince étoit ſur le trône, il3 ne montroit4 aucun des talens qui l’y5 avoient fait monter. Du ſein de la molleſſe, il mépriſoitſes ſujets, il opprimoit ſes tributaires. L’arrivée6 des Eſpagnols ne rendit pas du reſſort à cette ame avilie & corrompue. Il perdit en négociations, le tems qu’il falloit employer en combats7, & voulut renvoyer avec des préſens des ennemis qu’il falloit détruire. Cortès, à qui cet engourdiſſement convenoitbeaucoup, n’oublioit rien pour le perpétuer8.
Que1 Montézuma fût ou ne fût pas2 atteint de cette maladie de l’esprit humain généralement répandue dans sa nation, la plus superstitieuse du Nouveau-Monde, il paraît prouvé que l’arrivée et les prétentions des Espagnols lui causèrent de vives inquiétudes. Il espéra sortir d’embarras en leur envoyant des présens d’un très-haut prix, et en leur faisant dire que les circonstances3 ne lui permettaient pas de les admettre en sa présence. Ses dons furent reçus avec respect ; mais ce respect n’apporta4 aucun changement aux volontés que ces formidables étrangers5 avaient d’abord manifestées. Inutilement les plus grands trésors leur furent prodigués plusieurs reprises pour les faire changer de résolution, ils continuèrent toujours soutenir que6 des ambassadeurs n’avaient jamais été renvoyés sans avoir obtenu audience. [257]On se flatta que la faim pourrait surmonter une obstination que l’or n’avait pu vaincre7, et l’on cessa de fournir leur subsistance. Ce nouvel expédient parut d’abord avoir quelque succès, et il en faut dire la raison8.
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Parmi les soldats espagnols il s’en trouvait qui regardaient comme extravagant l’espoir de renverser avec le peu de forces qu’on avait un trône aussi solidement fondé que l’était celui du Mexique. La diminution des vivres, dont même la source pouvait bientôt entièrement tarir, les confirma de plus en plus dans l’opinion où ils étaient qu’ils seraient tous un peu plus tôt un peu plus tard la victime d’une entreprise téméraire. Dans leur découragement, ils députèrent un d’entre eux au général pour lui annoncer la résolution où ils étaient de retourner sans délai à Cuba. Sur-le-champ Cortez fit publier que l’armée se disposât à s’embarquer le lendemain. Cette précipitation apparente devait avoir des suites favorables, et il le savait bien.
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A peine l’ordre du départ fut-il devenu public, qu’accoururent à la tente du général ceux qui n’étaient pas entrés dans un complot que la lâcheté et la malveillance avaient seules pu, disait-on, former. Leur indignation était extrême. Une retraite exécutée avant d’avoir tiré l’épée leur paraissait devoir imprimer sur leur nation un opprobre ineffaçable, et c’était le comble de l’injustice de les priver du prix de leurs fatigues au [258]moment même où ils en allaient recueillir le fruit. Ils paraissaient déterminés à choisir un nouveau chef, si celui qui leur avait été donné refusait de les conduire à la gloire et à la fortune.
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Ce langage parut étonner Cortez, quoique lui-même l’eût fait dicter par ses confidens. Il protesta que c’était avec la plus grande répugnance qu’il avait pris la résolution qui excitait tant de murmures ; qu’il n’avait abandonné ses projets que parce qu’on l’avait assuré que le vœu général des troupes exigeait ce sacrifice ; que leur noble indignation le détrompait d’une funeste erreur où il s était laissé entraîner trop aisément ; qu’il allait hâter les préparatifs qu’exigeait une entreprise dont leur valeur assurait le succès, et qu’il ne laisserait pas languir leur impatience. Des expressions qui rendaient si bien les sentimens dont la plupart des cœurs étaient pénétrés furent entendues, recueillies, et répétées avec un enthousiasme qui ressemblait à de l’ivresse. Ceux même qui ne partageaient pas le commun délire affectèrent plus de joie que les autres, parce qu’ils avaient des torts à cacher ou à faire oublier.
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Cette circonstance parut favorable à Cortez pour se procurer une autorité plus étendue et mieux affermie que celle dont jusqu’alors il avait joui. Dans cette vue, il proposa d’établir dans la colonie de la Véra-Cruz, qu’on venait de fonder, une juridiction municipale semblable à celles qui se voyaient dans toutes les villes de la métropole. [259]Les magistrats qui devaient la conduire n’eurent pas été plus tôt choisis, qu’il parut à leur tribunal. « La commission que vous m’avez vu remplir, « leur dit-il, je la tenais de Vélasquez, et encore « fut-elle presque aussitôt révoquée qu’accordée. « C’est à vous, et à vous seuls, dépositaires du « pouvoir souverain, qu’il appartient de conférer « des dignités. Je mets à vos pieds celle dont j’ai « bien ou mal rempli les fonctions, et vous as- « sure que je serai content, dans quelque rang que « vous jugiez à propos de me placer. Comme sol- « dat, je combattrai avec autant de zèle que je « l’ai fait comme général. Si, dans le métier des « armes, c’est en obéissant qu’on apprend à com- « mander, il se trouve aussi des occasions sans « nombre où il faut avoir commandé pour sentir « la nécessité de l’obéissance ». La délibération du conseil ne dura que peu. D’une voix unanime il conféra la disposition absolue du civil et du militaire à un homme dont la conduite venait de beaucoup ajouter à l’idée qu’on avait de lui. Cet heureux et sage choix trouva pourtant des contradicteurs. Les plus emportés d’entre eux furent punis, mais avec tant de modération, et ensuite pardonnés de si bonne grâce, qu’ils ne tardèrent pas à devenir les amis les plus fidèles de celui dont ils avaient blâmé l’élévation.
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Tout paraissait soumis lorsque Cortez fut averti que quelques-uns de ceux qui lui étaient contraires méditaient d’aller avertir Vélasquez de ce [260]qui s’était passé contre ses intérêts, et de l’instruire que toutes les richesses acquises jusqu’alors dans le Mexique avaient été envoyées en Europe dans la vue de faire détacher de sa juridiction une si opulente partie du Nouveau-Monde. Cette connaissance le confirma dans le projet qu’il avait formé de détruire la flotte pour qu’il ne restât aux troupes à ses ordres d’espoir que dans la victoire. Ses confidens adoptèrent sans balancer un plan si magnanime. Ils publièrent que tous les navires étaient pourris, et ne devaient pas tarder à couler bas. Soit conviction, soit séduction, les gens de mer confirmèrent cette opinion par leur témoignage ; et bientôt on débarqua les voiles, les cordages, les ferremens, tout ce qui quelque jour pouvait être utile. Il ne restait plus qu’à faire échouer les bâtimens ; et ce dernier acte d’un héroïsme admiré depuis trois siècles ne se fit pas attendre.
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La plupart des obstacles qui depuis trois ou quatre mois retenaient dans une inaction apparente l’armée entière sur les côtes se trouvaient levés. Par le ministère de Marina, qu’un heureux hasard avait donné aux Espagnols pour les guider dans leurs conquêtes pour les consoler dans leurs anxiétés, pour les encourager dans leurs malheurs, Cortez avait acquis quelque connaissance de la région qu’il voulait asservir. Son premier établissement était assez bien fortifié pour braver les attaques des aborigènes, et quelques bourgades [261] voisines qui s’étaient volontairement données, ne devaient pas laisser manquer d’alimens ce poste important. Deux cantons moins bornés, qui s’étaient mis sous sa protection, lui offraient toutes leurs forces. Dans cet état de choses, il laissa à la Véra-Cruz deux chevaux et cinquante soldats, ou faibles ou malades, aux ordres d’Escalante, dont la valeur, la prudence, la fidélité étaient généralement connues. Deux cents hommes très-vigoureux destinés à traîner son artillerie et à porter ses bagages, quatre cents guerriers les plus distingués par leur origine et leur expérience, ce fut tout ce qu’il voulut accepter du cacique de Zampoala, le plus puissant et le plus dévoué de ses alliés. Avec ce petit nombre d’auxiliaires, avec cinq cents Castillans, avec quinze chevaux, avec six pièces de campagne, le général ne craignit pas de diriger le 18 août sa marche vers la capitale d’un empire immense, qui avait cent fois plus de moyens qu’il n’en fallait pour l’arrêter ou pour le détruire.
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Cette ſuperſtition qui faiſoit partie des dogmes du Mexique fortifié par quelques événemens recens, aſſez ſinguliers, agiſſoit vivement ſur l’ame naturellement inquiete de Montezuma ; lorſque les Caſtillans débarquerent dans ſes états. Ce qu’il craignoit en général ; ce qu’il avoit oui dire en particulier de ces étrangers, ſe confondant dans ſon eſprit troublé ; ce prince ſe crut au moment critique anoncé par les aſtres aux prophetes de ſa nation. Il fit partir des députés pour offrir à Cortez les ſecours dont il pouvoit avoir beſoin, & pour le prier de s’éloigner de ſes poſſeſſions. Le chef des Eſpagnols répondit toujours qu’il falloit qu’il allât parler à l’empereur de la part du ſouverain de l’Orient. Cette obſtination ayant réduit les envoyés à recourir à leur dernier moyen. Les menacés, ils ventérent beaucoup les tréſors & la puiſſance de leur maître : voilà, dit Cortez en ſe tournant vers ſes ſoldats, voilà ce que nous cherchons de grands périls & de grandes richeſſes. Il brûle tout de ſuite ſes Vaiſſeaux pour vaincre ou pour périr, prend la route de Mexico, & pourſuit ſa marche ſans trouver beaucoup d’oppoſition.

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Ses diſcours étoient d’un ami. Sa miſſion ſe bornoit, diſoit-il, à entretenir de la part du plus grand monarque de l’Orient, le puisſant maître du Mexique. A toutes les inſtances qu’on faiſoit pour preſſer ſon rembarquement, il repondoit toujours qu’on n’avoit jamais renvoyé un ambaſſadeur ſans lui donner audience. Cette obſtination ayant réduit les envoyés de Montezuma à recourir, ſelon leurs inſtructions, aux menaces, & à vanter les tréſors & les forces de leur patrie : voilà, dit le général Eſpagnol, en ſe tournant vers ſes ſoldats, voilà ce que nous cherchons, de grands périls & de grandes richeſſes. Il avoit alors fini ſes préparatifs, & acquis toutes les connoiſſances qui lui étoient néceſſaires. Réſolu à vaincre ou à périr, il brûla ſes vaiſſeaux, & marcha vers la capitale de l’empire.
Ses diſcours étoient d’un ami. Sa miſſionſe bornoit, diſoit-il, à entretenir de la part du plus grand monarque de l’Orient, le puiſſant maître du Mexique. A toutes les [380]inſtances qu’on faiſoit pour preſſer ſon rembarquement, il répondoit toujours qu’on n’avoit jamais renvoyé un ambaſſadeur ſans lui donner audience. Cette obſtination ayant réduit les envoyés de Montezuma à recourir, ſelon leurs inſtructions, aux menaces, & à vanter les tréſors & les forces de leur patrie : voilà, dit le général Eſpagnol, en ſe tournant vers ſes ſoldats, voilà ce que nous cherchons, de grands périls & de grandes richeſſes. Il avoit alors fini ſes préparatifs, & acquis toutes les connoiſſances qui lui étoient néceſſaires. Réſolu à vaincre ou à périr, il brûla ſes vaiſſeaux, & marcha vers la capitale de l’empire.

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Arrivé1 ſur la frontiere de2 la république de Haſ- cala il3 fit demander paſſage, & propoſer une alliance. On refuſa l’un4 & l’autre. Les merveilles qu’on racontoit des5 Eſpagnols étonnoient les [23]Haſcalteques, mais ne les effrayoient pas. Ils livrerent quatre6 ou cinq combats. Une fois7 les Eſpagnols furent rompus, & ils étoient en danger d’être défaits, ſi la diviſion ne s’étoit pas miſe dans l’armée de leurs ennemis. Cortez ſe crut obligé8 de ſe retrancher9, & les Haſcalteques ſe firent tuer ſur les parapets. Que leur manquoit-il11 pour vaincre12 ? Des armes13.
Sur ſa route ſe trouvoit2 la république de Tlaſcala, de tout tems ennemie des Mexicains, qui vouloient la ſoumettre leur domination. Cortez ne doutant pas qu’elle ne dût favoriſer ſes projets, lui3 fit demander paſſage, & propoſer une alliance. On refuſa l’un4 & l’autre pour des raiſons qui ne ſont pas venues juſqu’à nous. Les merveilles qu’on racontoit des5 Eſpagnols étonnoient les Tlaſcalteques, mais ne les effrayoient pas. Ils livrerent quatre6 ou cinq combats. Une fois7 les Eſpagnols furent rompus, & ils étoient en danger d’être vaincus [42], ſi la diviſion ne s’étoit pas mise dans l’armée de leurs ennemis. Cortez ſe crut obligé8 de ſe retrancher9, & les Tlaſcalteques ſe firent tuer ſur les parapets. Que leur manquoit-il11 pour vaincre12 ? Des armes13.
Sur ſa route ſe trouvoit2 la république de Tlaſcala, de tout tems ennemie des Mexicains, qui vouloient la ſoumettre à leur domination. Cortès ne doutant pas qu’elle ne dût favoriſer ſes projets, lui3 fit demander paſſage, & propoſer une alliance. Des peuples qui s’étoient interdit preſque toute communication avec leurs voiſins4 & que ce principe inſociable avoit accoutumés une défiance univerſelle, ne devoient pas être favorablement diſpoſés pour des étrangers dont le ton étoit impérieux & qui avoient ſignalé [381]leur arrivée par des inſultes faites aux dieux du pays. Auſſi repouſſèrent-ils, ſans ménagement, les deux ouvertures. Les merveilles qu’on racontoit des5 Eſpagnols étonnoient les Tlaſcaltèques, mais ne les effrayoient pas. Ils livrèrent quatre6 ou cinq combats. Une fois7 les Eſpagnols furent rompus. Cortès ſe crut obligé8 de ſe retrancher9, & les Indiens ſe firent tuer ſur les parapets. Que leur manquoit-il11 pour vaincre12 ? Des armes13.
Sur sa route se trouvait2 la république de Tlascala, de tout temps ennemie des Mexicains, qui voulaient la soumettre à leur domination. Cortez, ne doutant pas qu’elle ne dût favoriser ses projets, lui3 fit demander passage, et proposer une alliance. Des peuples qui s’étaient interdit presque toute communication avec leurs voisins4, et que ce principe insociable avait accoutumés à une défiance universelle, ne devaient pas être favorablement [262] disposés pour des étrangers dont le ton était impérieux, et qui avaient signalé leur arrivée par des insultes faites aux dieux du pays. Aussi repoussèrent-ils sans ménagement les deux ouvertures ; aussi ne virent-ils pas plus tôt les5 Espagnols sur leur territoire, qu’ils fondirent sur eux en gens déterminés vaincre6 ou mourir. La valeur qu’ils montrèrent dans cette première action fit comprendre Cortez que ce ne serait pas trop de toute sa science militaire pour repousser7 les attaques de ces hardis républicains. La circonspection la plus marquée prit aussitôt la place8 de l’audace qui lui était ordinaire. Il avança lentement ; il choisit de bons postes ; il fortifia ses camps. Ces sages mesures le firent sortir victorieux d’un grand nombre de combats9 et de deux batailles qu’il lui fallut livrer ou soutenir dans le court espace de treize quatorze jours. Heureusement pour la cause qu’il défendait10, les Indiens, foudroyés par son artillerie, écrasés par ses chevaux, n’avaient11 pour ressource que12 des flèches armées d’arêtes de poisson, que des piques de bois durcies au feu, qui, trop faibles pour percer les boucliers de ses soldats, ne lui en tuèrent aucun, n’en blessèrent même légèrement qu’un très-petit nombre13.
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Un point d’honneur établi cher toutes les nations &1 qui tient à l’humanité, qu’on trouva3 chez les Grecs au Siege de Troyes, &4 chez quelques peuples des gaules, contribua beaucoup à leur arracher la victoire7. C’étoit la crainte & la honte de laiſſer enlever par8 l’ennemi, leurs bleſſés & leurs morts. A chaque moment le ſoin de les ſauver9 rompoit l’armée10, & rallentiſſoit11 les attaques.
Un point d’honueur qui tient à l’humanité ; un point d’honneur2 qu’on trouva3 chez les Grecs au ſiége de Troie, qui ſe fit remarquer4 chez quelques peuples des Gaules, & qui paroît établi chez pluſieurs nations5, contribua beaucoup à la défaite des Tlaſcalteques7. C’étoit la crainte & la honte de laiſſer enlever par8 l’ennemi, leurs bleſſés & leurs morts. A chaque moment le ſoin de les enlever9 rompoit l’armée10, & rallentiſſoit11 les attaques.
Un point d’honneur qui tient à l’humanité. Un point d’honneur2 qu’on trouva3 chez les Grecs au ſiège de Troye, qui ſe fit remarquer4 chez quelques peuples des Gaules & qui paroît établi chez pluſieurs nations5, contribua beaucoup à la défaite des Tlaſcaltèques7. C’étoit la crainte & la honte d’abandonner 8 l’ennemi leurs bleſſés & leurs morts. A chaque moment, le ſoin de les enlever9 rompoit les rangs10 & ralentiſſoit11 les attaques.
Un point d’honneur qui tient à l’humanité ; un point d’honneur2 qu’on trouva3 chez les Grecs au siége de Troie, qui se fit remarquer4 chez quelques peuples des Gaules, et qui paraît établi chez [263]plusieurs nations5, contribua beaucoup encore6la défaite des Tlascalans7. C’était la crainte et la honte d’abandonner à8 l’ennemi leurs blessés et leurs morts. A chaque moment, le soin de les enlever9 rompait les rangs10 et ralentissait11 les attaques.
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La nation, peu accoutumée à tant d’humiliations, à tant d’infortunes, voulut savoir de ses prêtres les causes de ces événemens déplorables, et quels en pourraient être les remèdes. Vos ennemis, répondirent ces oracles mensongers, sont enfans du soleil. Sa présence les rend invincibles. Qu’on les attaque durant les ténèbres, et on ne les trouvera pas plus redoutables que les autres hommes.
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Pleine de confiance dans les promesses de ces imposteurs, l’armée indienne se précipita la nuit suivante sur les retranchemens des Espagnols. Le feu vif et soutenu du canon et de la mousqueterie ne lui laissa pas ignorer que ses desseins avaient été pénétrés, et lui coûta plus de sang qu’aucune des défaites précédentes.
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Les factions, jusqu’alors partagées sur le meilleur parti à prendre, se réunirent toutes pour la cessation des hostilités. Mais comment traiter avec des êtres d’une nature inconnue, et dont les actions avaient été alternativement atroces et magnanimes. On l’ignorait ; et les harangues des ambassadeurs chargés de la négociation manifestèrent cet embarras. Si vous êtes, dirent-ils aux [264]Espagnols, des divinités cruelles, nous vous offrons des esclaves dont vous mangerez la chair, dont vous boirez le sang. Si vous êtes des dieux bienfaisans, acceptez des parfums ; si vous êtes des hommes, voilà des viandes, voilà du pain, voilà des fruits pour vous nourrir.
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Comme la paix était également désirée des deux côtés, elle fut bientôt et facilement conclue. Les Tlascalans se reconnurent tributaires de la Castille ; et Cortez s’obligea à couvrir de toutes ses forces leurs personnes et leur territoire.
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Le gouvernement de ces peuples étoit fort extraordinaire1. Le pays étoit partagé en pluſieurs cantons où regnoient de petits ſouverains qui s’appelloient2 Caciques. Ils conduiſoient leurs ſujets à la guerre, levoient des3 impôts, & rendoient la juſtice ; mais il falloit que leurs loix4, leurs édits fuſſent confirmés par le Senat de Haſcala5, qui étoit le véritable ſouverain. Il etoit compoſé de citoyens choiſis dans chaque canton6 par les aſſemblées du peuple.
Le gouvernement de ces peuples étoit fort extraordinaire, & peut-être un excellent modele ſuivre, du moins pluſieurs égards1. Le pays étoit partagé en pluſieurs cantons, où régnoient des hommes qu’on appelloit2 caciques. Ils conduiſoient leurs ſujets à la guerre, levoient les3 impôts, & rendoient la juſtice ; mais il falloit que leurs édits fuſſent confirmés par le ſénat de Tlaſcala5, qui étoit le véritable ſouverain. Il étoit compoſé de citoyens choiſis dans chaque diſtrict6 par les aſſemblées du peuple.
Une conſtitution politique, qu’on ne ſe ſeroit pas attendu trouver dans le Nouveau-Monde, s’étoit formée dans cette contrée1. Le pays étoit partagé en pluſieurs cantons, où régnoient des hommes qu’on appelloit2 caciques. Ils conduiſoient leurs ſujets à la [382]guerre, levoient les3 impôts & rendoient la juſtice : mais il falloit que leurs édits fuſſent confirmés par le ſénat de Tlaſcala5 qui étoit le véritable ſouverain. Il étoit compoſé de citoyens choiſis dans chaque diſtrict6 par les aſſemblées du peuple.
Une constitution politique, qu’on ne se serait pas attendu à trouver dans le Nouveau-Monde, s’était formée dans cette contrée1. Le pays était partagé en plusieurs cantons, où régnaient des hommes qu’on appelait2 caciques. Ils conduisaient leurs sujets à la guerre, levaient les3 impôts et rendaient la justice ; mais il fallait que leurs édits fussent confirmés par le sénat de Tlascala5, qui était le véritable souverain. Il était composé de citoyens choisis dans chaque district6 par les assemblées du peuple.
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Les Haſcalteques1 avoient de belles loix & de belles mœurs2. Ils puniſſoient de mort le men- fonge3, le manque de reſpect d’un4 fils à ſon pere, le péché contre la nature5. Les loix6 permettoient la pluralité des femmes. Le climat & les mœurs7 y portoient8, & le gouvernement y encourageoit.
Les Tlaſcalteques1 avoient des mœurs extremement ſéveres2. Ils puniſſoient de mort le menſonge3, le manque de reſpect du4 fils à ſon [43]pere, le péché contre nature5. Les loix6 permettoient la pluralité des femmes, le climat y portoit8, & le gouvernement y encourageoit.
Les Tlaſcaltèques1 avoient des mœurs extrêmement ſévères2. Ils puniſſoient de mort le menſonge3, le manque de reſpect du4 fils à ſon père, le péché contre nature. Le larcin, l’adultère & l’ivrognerie étoient en horreur : ceux qui étoient coupables de ces crimes étoient bannis5. Les loix6 permettoient la pluralité des femmes ; le climat y portoit8, & le gouvernement y encourageoit.
Les Tlascalans1 avaient des mœurs extrêmement sévères2. Ils punissaient de mort le mensonge3, le manque de respect du4 fils à son père, le péché contre nature. Le larcin, l’adultère et l’ivrognerie étaient en horreur ; ceux qui étaient coupables de ces crimes étaient bannis. Comme le territoire ne produisait ni sel, ni cacao, ni coton, ni or, ni argent, l’usage n’en était permis [265]qu’à ceux qui devaient ces objets leur bravoure5. Les lois6 permettaient la pluralité des femmes ; le climat y portait8, et le gouvernement y encourageait.
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Le mérite militaire étoit le plus honoré, comme il l’eſt toujours1 chez les peuples ſauvages, ou [24]conquérans. Il y avoit Haſcala des ordres de chevalerie où n’étoient admis que ceux qui par des actions héroïques, ou par des conſeil ſalutaires avoient rendu ſervice l’état2.
Le mérite militaire étoit le plus honoré, comme il l’eſt toujours1 chez les peuples ſauvagesou conquérans.
Le mérite militaire étoit le plus honoré, comme il l’eſt toujours1 chez les peuples ſauvagesou conquérans.
Le mérite militaire était le plus honoré, comme il l’est toujous1 chez les peuples sauvages ou conquérans.
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Les négocians habiles obtenoient auſſi des diſtinctions qui les élevoient à la nobleſſe. Etabliſſement ſingulier chez une nation pauvre, & qui avoit des loix ſomptuaires.

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A la guerre, les Haſcalteques1 portoient dans leur2 carquois deux fleches ſur leſquelles étoient gravées les images de deux3 de leurs anciens héros. On commençoit le combat par lancer une de ces fleches, & l’honneur obligeoit à la reprendre.
A la guerre, les Tlaſcalteques1portoient dans leurs2 carquois deux fléches, ſur leſquelles étoient gravées les images de deux3 de leurs anciens héros, On commençoit le combat par lancer une de ces fléches, & l’honneur obligeoit à la reprendre.
A la guerre, les Tlaſcaltèques1portoient dans leurs2 carquois deux flèches, ſur leſquelles étoient gravées les images de leurs anciens héros. On commençoitle combat par lancer une de ces flèches, & l’honneur obligeoit à la reprendre.
A la guerre les Tlascalans1 portaient dans leurs2 carquois deux flèches, sur lesquelles étaient gravées les images de leurs anciens héros. On commençait le combat par lancer une de ces flèches, et l’honneur obligeait à la reprendre.
144
Dans la ville ils étoient vêtus, mais ils ſe dépouilloient de leur1 habits pour combattre.
Dans la ville ils étoient vêtus, mais ils ſe dépouilloient de leurs1 habits pour combattre.
Dans la ville, ils étoient vêtus : mais ils ſe dépouilloient de leurs1 habits pour combattre.
Dans la ville, ils étaient vêtus ; mais ils se dépouillaient de leurs1 habits pour combattre.
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On ventoit1 leur bonne foi2 & leur franchiſe dans les traités publics3, & entr’eux4 ils honoroient les vieillards.
On vantoit1 leur bonne-foi2 & leur franchiſe dans les traités publics3 ; & entr’eux4 ils honoroient les vieillards.
On vantoit1 leur bonne-foi2 & leur franchiſe [383] dans les traités : & entre eux4 ils honoroient les vieillards.
On vantait1 leur bonne foi2 et leur franchise dans les traités, et entre eux4 ils honoraient les vieillards.
146
Le larcin, l’adultere &1 l’ivrognerie étoient en horreur. Ceux qui étoient coupables de ces crimes étoient bannis. Il n’étoit permis de boire de2 liqueurs fortes qu’aux vieillards épuiſés dans3 des travaux militaires.
Le larcin, l’adultere, l’ivrognerie étoient en horreur. Ceux qui étoient coupables de ces crimes étoient bannis. Il n’étoit permis de boire des2 liqueurs fortes qu’aux vieillards, épuiſés par3 des travaux militaires.

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Les Haſcalteques1 avoient des jardins, des bains. Ils aimoient la danſe, la poéſie, &2 les repréſentations théatrales. Une de leurs principales divinité étoit la déeſſe de l’amour. Elle avoit un temple magnifique3, & on4 y célébroit des fêtes auxquelles accouroit toute la nation.
Les Tlascalteques1 avoient des jardins, des bains. Ils aimoient la danſe, la poëſie, les repréſentations théâtrales. Une de leurs principales divinités étoit la déeſſe de l’amour. Elle avoit un temple ; & l’on4 y célébroit des fêtes auxquelles accouroit toute la nation.

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Leur pays n’étoit ni fort1 étendu, ni des plus fertiles de ces contrées. Il2 étoit montueux, mais3 fort cultivé, fort peuplé4, & fort5 heureux.
Leur pays n’étoit ni fort1 étendu, ni des plus fertiles de ces contrées. Il2 étoit montueux ; mais3 fort peuplé, fort cultivé4, & fort5 heureux.
Leur pays, quoiqu’inégal, quoique peu1 étendu, quoique médiocrement fertile2, étoit fort peuplé, aſſez bien cultivé4, & l’on y vivoit5 heureux.
Leur pays, quoique inégal, quoique peu1 étendu, quoique médiocrement fertile2, était fort peuplé, assez bien cultivé4, et l’on y vivait5 heureux.
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Voilà des1 hommes que les Eſpagnols ne daignoient pas reconnoître pour être de leur eſpece2. Une des qualité qu’ils mépriſoient le [25]plus chez les Haſcalteques3, c’étoit l’amour de la liberté. Ils ne trouvoient pas qu’ils euſſent4 un gouvernement ; parce qu’ils n’avoient5 pas celui d’un ſeul homme6 ; ni une police, parce qu’ils n’avoient7 pas celle de Madrid ; ni des vertus, parce qu’ils n’avoient8 pas leur culte ; ni de l’eſprit, parce qu’ils n’avoient9 pas leur10 opinions.
Voilà les1 hommes que les Eſpagnols ne daignoient pas admettre dans l’eſpece humaine2. Une des qualités qu’ils mépriſoient le plus chez les Tlaſcalteques3, c’étoit l’amour de la liberté. Ils ne trouvoient pas que ce peuple eût4 un gouvernement, parce qu’il n’avoit5 pas celui d’un ſeul homme6 ; ni une police, parce qu’il n’avoit7 pas celle de Madrid ; ni des vertus, parce qu’il n’avoit8 pas leur culte ; ni de l’eſprit parce qu’il n’avoit9 pas leurs10 opinions.
Voilà les1 hommes que les Eſpagnols ne daignoient pas admettre dans l’eſpèce humaine2. Une des qualités qu’ils mépriſoient le plus chez les Tlaſcaltèques3, c’étoit l’amour de la liberté. Ils ne trouvoient pas que ce peuple eût4 un gouvernement, parce qu’il n’avoit5 pas celui d’un ſeul ; ni une police, parce qu’il n’avoit7 pas celle de Madrid ; ni des vertus, parce qu’il n’avoit8 pas leur culte ; ni de l’eſprit, parce qu’il n’avoit9 pas leurs10 opinions.
Voilà les1 hommes que les Espagnols ne daignaient pas admettre dans l’espèce humaine2. Une des qualités qu’ils méprisaient le plus chez les Tlascalans3, c’était l’amour de la liberté. Ils ne trouvaient pas que ce peuple eût4 un gouvernement, parce qu’il n’avait5 pas celui d’un seul ; ni une police, parce qu’il n’avait7 pas celle de Madrid ; ni des vertus, parce qu’il n’avait8 pas leur culte ; ni de l’esprit, parce qu’il n’avait9 pas leurs10 opinions.
150
Jamais, peut-être, aucune nation ne fut idolâtre de ſes préjugés au point où l’étoient alors, où le ſont encore aujourd’hui les Eſpagnols. Ces préjugés faiſoient le fonds2 de toutes leurs penſées, influoient ſur tous3 leurs jugemens, formoient leur caractere. Ils n’employoient le génie ardent & vigoureux que leur a donné la nature, qu’à inventer une foule de ſophiſmes pour s’affermir dans leurs erreurs. Jamais la déraiſon n’a été plus dogmatique, plus décidée, plus ferme &4 plus ſubtile. Ils étoient attachés à leurs uſages, comme à leurs préjugés. Ils ne reconnoiſſoient5 qu’eux dans l’univers de ſenſés, d’éclairés, de vertueux. Avec cet orgueil national, le plus aveugle, le plus extrême6 qui fut jamais, ils auroient eu pour Athénes le mépris qu’ils avoient pour Haſcala7. Ils auroient traité les Chinois comme des bêtes, & par-tout ils auroient outragé, opprimé, dévaſté.
Jamais peut-être aucune nation ne fut idolâtre de ſes préjugés, au point où l’étoient alors, où le ſont encore aujourd’hui les Eſpagnols. Ces préjugés faiſoient le fond2 de toutes leurs penſées, influoient ſur leurs jugemens, formoient leur caractere. Ils n’employoient le génie ardent & vigoureux que leur a donné la nature, qu’à inventer une foule de ſophiſmes, pour s’affermir dans leurs erreurs. Jamais la déraiſon n’a été plus dogmatique, plus décidée, plus ferme &4 plus ſubtile. Ils étoient attachés à leurs uſages comme à leurs préjugés. Ils ne reconnoiſſoient5 qu’eux dans l’univers de ſenſés, d’éclairés, de vertueux. Avec cet orgueil national, le plus aveugle qui fut jamais, ils auroient eu pour Athénes, le mépris qu’ils avoient pour Tlaſcala7. Ils auroient traité les Chinois comme des bêtes ; & par-tout ils auroient outragé, opprimé, dévaſté.
Jamais peut-être aucune nation ne fut idolâtre de ſes préjugés, au point où l’étoient alors, où le ſont peut-être1 encore aujourd’hui les Eſpagnols. Ces préjugés faiſoient le fond2 de toutes leurs penſées, influoient ſur leurs jugemens, formoient leur caractère. Ils n’employoient le génie ardent & vigoureux que leur a donné la nature, qu’à inventer une foule de ſophiſmes, pour s’affermir dans leurs [384]erreurs. Jamais la déraiſon n’a été plus dogmatique, plus décidée, plus ferme &4 plus ſubtile. Ils étoient attachés à leurs uſages comme à leurs préjugés. Ils ne reconnoiſſoient5 qu’eux dans l’univers de ſenſés, d’éclairés, de vertueux. Avec cet orgueil national, le plus aveugle qui fut jamais, ils auroient eu pour Athènes, le mépris qu’ils avoient pour Tlaſcala7. Ils auroient traité les Chinois comme des bêtes ; & par-tout ils auroient outragé, opprimé, dévaſté.
Jamais peut-être aucune nation ne fut idolâtre [266]de ses préjugés au point où l’étaient alors, où le sont peut-être1 encore aujourd’hui les Espagnols. Ces préjugés faisaient le fond2 de toutes leurs pensées, influaient sur leurs jugemens, formaient leur caractère. Ils n’employaient le génie ardent et vigoureux que leur a donné la nature qu’à inventer une foule de sophismes pour s’affermir dans leurs erreurs. Jamais la déraison n’a été plus dogmatique, plus décidée, plus ferme, plus subtile. Ils étaient attachés à leurs usages comme à leurs préjugés. Ils ne reconnaissaient5 qu’eux dans l’univers de sensés, d’éclairés, de vertueux. Avec cet orgueil national, le plus aveugle qui fut jamais, ils auraient eu pour Athènes le mépris qu’ils avaient pour Tlascala7. Ils auraient traité les Chinois comme des bêtes ; et partout ils auraient outragé, opprimé, dévasté.
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Malgré cette maniere de penſer ſi fiere1, & ſi dédaigneuſe, les Eſpagnols firent alliance2 avec les Haſcalteques qui leur donnerent des troupes pour3 les conduire & les appuyer. Ces peuples étoient depuis long-tems ennemis des Mexicains qui vouloient les ſoumettre a leur domination4.
Malgré cette maniere de penſer ſi hautaine1 & ſi dédaigneuſe, les Eſpagnols firent alliance2 avec les Tlaſcalteques, qui leur donnerent des troupes pour3 les conduire & les appuyer.
Malgré cette manière de penſer ſi hautaine1 & ſi dédaigneuſe, les Eſpagnols firent alliance2 avec les Tlaſcaltèques, qui leur donnèrent ſix mille ſoldats pour3 les conduire & les appuyer.
Malgré cette manière de penser si hautaine1 et si dédaigneuse, les Espagnols prirent2 avec eux six mille soldats tlascalans, qui devaient3 les conduire et les appuyer.
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Avec ce ſecours, Cortez1 s’avançoit vers la ville capitale2 à travers un pays abondant, arroſé de belles rivieres3, couvert de villes4, de bois, de champs cultivés, & de jardins. La [26]campagne étoit féconde en plantes inconnues à l’Europe. On voyoit une foule d’oiſeaux d’un plumage éclatant, des animaux d’eſpeces nouvelles. La nature étoit changée7, & n’en étoit que plus agréable & plus riche. Un air tempéré, des chaleurs continues, mais ſupportables, entretenoient la parure & la fécondité de la terre. On voyoit dans le même canton des arbres couverts de fleurs, d’autres8 de fruits délicieux9. On ſemoit dans un champ le grain qu’on moiſſonnoit dans l’autre.
Avec ce ſecours, Cortez1 s’avançoit vers Mexico2, à travers un pays abondant, arroſé de belles rivieres3, couvert de villes4, de bois, de champs cultivés, & de jardins. La campagne étoit féconde en plantes inconnues à l’Europe. On y6 voyoit une foule d’oiſeaux d’un plumage éclatant, des animaux d’eſpeces nouvelles. La nature étoit différente d’el- le-mème7, & n’en étoit que plus agréable & plus riche. Un air tempéré, des chaleurs continues, mais ſupportables, entretenoient la parure & la fecondité de la terre. On voyoit dans le même canton, des arbres couverts de fleurs, des arbres chargés8 de fruits. On ſemoit dans un champ le grain qu’on moiſſonnoit dans l’autre.
Avec ce ſecours, Cortès1 s’avançoit vers Mexico2, à travers un pays abondant, arroſé, couvert de bois, de champs cultivés, de villages5 & de jardins. La campagne étoit féconde en plantes inconnues à l’Europe. On y6 voyoit une foule d’oiſeaux d’un plumage éclatant, des animaux d’eſpèces nouvelles. La nature étoit différente d’elle-même7, & n’en étoit que plus agréable & plus riche. Un air tempéré, des chaleurs continues, mais ſupportables [385], entretenoient la parure & la fécondité de la terre. On voyoit dans le même canton, des arbres couverts de fleurs, des arbres chargés8 de fruits. On ſemoit dans un champ le grain qu’on moiſſonnoit dans l’autre.
Avec ce secours Cortez1 s’avançait vers Mexico2, à travers un pays abondant, arrosé, couvert de bois, de champs cultivés, de villages5 et de jardins. La campagne était féconde en plantes inconnues à l’Europe. On y6 voyait une foule d’oiseaux d’un plumage éclatant, des animaux d’espèces nouvelles. La nature était différente d’elle-même7, et n’en était que plus agréable et plus riche. Un air tempéré, des chaleurs continues, mais supportables [267], entretenaient la parure et la fécondité de la terre. On voyait dans le même canton des arbres couverts de fleurs, des arbres chargés8 de fruits. On semait dans un champ le grain qu’on moissonnait dans l’autre.
153
Les Eſpagnols ne parurent point ſenſibles à ce nouveau ſpectacle. Tant de beautés ne les touchoient pas. Ils voyoient l’or ſervir d’ornement1 dans les maiſons & dans les temples, embellir les armes des Mexicains, leurs2 meubles & leurs perſonnes : ils ne voyoient que ce métal, ſemblables à ce mammone3 dont parle Milton, qui dans le ciel oubliant la divinité même, avoit toujours les yeux fixés ſur le parvis qui étoit d’or.
Les Eſpagnols ne parurent point ſenſibles à ce nouveau ſpectacle. Tant de beautés ne les touchoient pas. Ils voyoient l’or ſervir d’ornement1 dans les maiſons & dans les temples, embellir les armes des Mexicains, leur2 meubles & leurs perſonnes ; ils ne voyoient que ce métal. Semblables à ce Mammona3 dont parle Milton, qui dans le ciel oubliant la divinité même, avoit toujours les yeux fixés ſur le parvis qui étoit d’or.
Les Eſpagnols ne parurent point ſenſibles à ce nouveau ſpectacle. Tant de beautés ne les touchoient pas. Ils voyoient l’or ſervir d’ornement1 dans les maiſons & dans les temples, embellir les armes des Mexicains, leurs2 meubles & leurs perſonnes ; ils ne voyoient que ce métal. Semblables à ce Mammona3 dont parle Milton, qui dans le ciel oubliant la divinité même, avoit toujours les yeux fixés ſur le parvis qui étoit d’or.
Les Espagnols ne parurent point sensibles à ce nouveau spectacle. Tant de beautés ne les touchaient pas. Ils voyaient l’or servir d’ornemens1 dans les maisons et dans les temples, embellir les armes des Mexicains, leurs2 meubles et leurs personnes ; ils ne voyaient que ce métal. Semblables à cet Mammona3 dont parle Milton, qui, dans le ciel, oubliant la Divinité même, avait toujours les yeux fixés sur le parvis qui était d’or.
154
Montezuma après avoir eſſayé1 de détourner Cortez de3 deſſein de venir dans ſa capitale, l’y introduiſit5 lui-même. Il commandoit à trente- trois, ou7 princes, dont pluſieurs pouvoient mettre ſur pied des armées nombreuſes8. Ses richeſſes étoient immenſes9, ſon pouvoir abſolu. Son peuple avoit autant de connoiſſances & de lumieres, d’induſtrie & de politeſſe qu’il y en avoit alors en Europe. Ce10 peuple étoit guerrier & rempli d’honneur.
Montezuma, que ſes incertitudes, & peut-être la crainte de commettre ſon ancienne gloire, avoient empêché d’attaquer les Eſpagnols leur arrivée ; de ſe joindre depuis aux Tlaſcalteques plus hardis que lui ; d’aſſaillir enfin des vainqueurs, fatigués1 de leurs propres triomphes. Montezuma, dont les mouvemens s’étoient réduits 2 détourner Cortez du3 deſſein de venir dans ſa capitale, prit le parti de4 l’y introduire5 lui-même. Il commandoit à trente princes, dont pluſieurs pouvoient mettre ſur pied des armées. Ses richeſſes étoient immenſes, &9 ſon pouvoir abſolu. On prétend que ſes ſujets avoient des connoiſſances, des lumieres, de la politeſſe, de l’induſtrie. Ce10 peuple étoit guerrier & rempli d’honneur.
Montezuma, que ſes incertitudes, & peut-être la crainte de commettre ſon ancienne gloire, avoient empêché d’attaquer les Eſpagnols à leur arrivée ; de ſe joindre depuis aux Tlaſcaltèques plus hardis que lui ; d’aſſaillir enfin des vainqueurs, fatigués1 de leurs propres triomphes : Montezuma, dont les mouvemens s’étoient réduits à2 détourner Cortès du3 deſſein de venir dans ſa capitale, prit le parti de4 l’y introduire5 lui-même. Il commandoit à trente princes, dont pluſieurs [386]pouvoient mettre ſur pied des armées. Ses richeſſes étoient conſidérables, &9 ſon pouvoir abſolu. Il paroît que ſes ſujets avoient quelques connoiſſances & de l’induſtrie. Ce10 peuple étoit guerrier & rempli d’honneur.
Montézuma, que ses incertitudes, et peut-être la crainte de commettre son ancienne gloire, avaient empêché d’attaquer les Espagnols à leur arrivée ; de se joindre depuis aux Tlascalans, plus hardis que lui ; d’assaillir enfin des vainqueurs fatigués1 de leurs propres triomphes ; Montézuma, dont les mouvemens s’étaient réduits à2 détourner Cortez du3 dessein de venir dans sa capitale, prit le parti de4 l’y introduire5 lui-même, mais après lui avoir tendu des piéges, dont le mieux ordonné coûta la vie six mille Cholulans, malheureusement choisis pour être les instrumens des lâches vues de leur maître6. Il commandait à trente princes, dont plusieurs pouvaient mettre sur pied des armées. Ses richesses étaient considérables, et9 son pouvoir absolu. Il paraît que ses sujets avaient [268]quelques connaissances et de l’industrie. Le10 peuple était guerrier et rempli d’honneur.
155
Si l’empereur du Mexique eut ſu faire uſage de ces1 moyens, ſon trône étoit2 inébranlable. Mais ce prince qui étoit parvenu à la couronne par3 ſa valeur4, ne montra pas le moindre courage d’eſprit5. Tandis qu’il pouvoit accabler les Eſpagnols de toute ſa puiſſance, malgré l’avantage de [27]leur diſcipline & de leurs armes ; il voulut employer contr’eux6 la perfidie.
Si l’empereur du Mexique eut ſû faire uſage de ces1 moyens, ſon trône eût été2 inébranlable. Mais ce prince oubliant ce qu’il ſe devoit, ce qu’il devoit 3 ſa couronne4, ne montra pas le moindre courage, la moindre intelligence5. Tandis qu’il pouvoit accabler les Eſpagnols de toute ſa puiſſance, malgré l’avantage de leur diſcipline & de leurs armes, il voulut employer contr’eux6 la perfidie.
Si l’empereur du Mexique eût ſu faire uſage de ces1 moyens, ſon trône eût été2 inébranlable. Mais ce prince oubliant ce qu’il ſe devoit, ce qu’il devoit à3 ſa couronne4, ne montra pas le moindre courage, la moindre intelligence5. Tandis qu’il pouvoit accabler les Eſpagnols de toute ſa puiſſance, malgré l’avantage de leur diſcipline & de leurs armes, il voulut employer contre eux6 la perfidie.
Si l’empereur du Mexique eût su faire usage de ses1 moyens, son trône eût été2 inébranlable. Mais ce prince, oubliant ce qu’il se devait, ce qu’il devait à3 sa couronne4, ne montra pas le moindre courage, la moindre intelligence5. Tandis qu’il pouvait accabler les Espagnols de toute sa puissance, malgré l’avantage de leur discipline et de leurs armes, il voulut employer contre eux6 la perfidie.
156
Il les combloit à Mexico de préſents1, d’égards, de careſſes, & il faiſoit attaquer la Veracruz, colonie que les Eſpagnols avoient fondée pour s’aſſurer une retraite, ou pour recevoir des ſecours. Il faut, dit Cortez à ſes compagnons en leur apprenant cette nouvelle2 : il faut étonner ces barbares par une action d’éclat : j’ai réſolu d’arrêter l’empereur, &3 de me rendre maître de ſa perſonne. Ce deſſein fut approuvé. Auſſi-tôt accompagné de ſes officiers, il marche4 au palais de Montezuma5, & lui déclare qu’il faut le ſuivre, ou ſe réſoudre à périr. Ce prince, par une baſſeſſe égale6 à la témérité7 de ſes ennemis, ſe met entre leurs mains. Il eſt obligé de livrer au ſupplice les généraux8 qui n’avoient agi que par ſes ordres ; & il met le comble9ſon aviliſſement en rendant hommage de ſa couronne au roi d’Eſpagne10.
Il les combloit à Mexico de préſens1, d’égards, de careſſes, & il faiſoit attaquer la Vera-Cruz, colonie que les Eſpagnols avoient fondéepour s’aſſurer une retraite, ou pour recevoirdes ſecours.Il faut, dit Cortez à ſes [47]compagnons, en leur apprenant cette nouvelle2, il faut étonner ces barbares par une action d’éclat: j’ai réſolu d’arrêter l’empereur, &3 de me rendre maître de ſa perſonne. Ce deſſein fut approuvé, Auſſi-tôt, accompagné de ſes officiers, il marche4 au palais de Montezuma5, & lui declare qu’il faut le ſuivre, ou ſe réſoudre à périr, Ce prince, par une baſſeſſe égale6 à la témérité7 de ſes ennemis, ſe met entre leurs mains. Il eſt obligé de livrer au ſupplice les généraux8 qui n’avoient agi que par ſes ordres ; & il met le comble9ſon aviliſſement, en rendanthommage de ſa couronne au roi d’Eſpagne10.
Il les combloit à Mexico de préſens1, d’égards, de careſſes, & il faiſoit attaquer la Vera-Crux, colonie que les Eſpagnols avoient fondée dans le lieu où ils avoient débarqué pour s’aſſurer une retraite, ou pour recevoir des ſecours. Il faut, dit Cortès à ſes compagnons, en leur apprenant cette nouvelle2, il faut étonner ces barbares par une action d’éclat : j’ai réſolu d’arrêter l’empereur, &3 de me rendre maître de ſa perſonne. Ce deſſein fut approuvé. Auſſi-tôt, accompagné de ſes officiers, il marche4 au palais de Montezuma5, [387]& lui déclare qu’il faut le ſuivre, ou ſe réſoudre périr. Ce prince, par une baſſeſſe égale6 à la témérité7 de ſes ennemis, ſe met entre leurs mains. Il eſt obligé de livrer au ſupplice les généraux8 qui n’avoient agi que par ſes ordres ; & il met le comble9ſon aviliſſement, en rendant hommage de ſa couronne au roi d’Eſpagne10.
Il les comblait à Mexico de présens1, d’égards, de caresses, et il faisait menacer Véra-Cruz. Sorti de la place avec une partie de sa garnison et quelques montagnards qui l’avaient joint, Escalante attaqua l’armée envoyée pour le combattre, et la mit en déroute. Sa victoire coûta cher2. Il fut mortellement blessé, ainsi que sept3 de ses plus braves compagnons. Un d’entre eux tomba même vivant4 au pouvoir des fuyards5, et on envoya sa tête6 à la capitale7 de l’empire pour détromper ceux8 qui persistaient croire9l’immortalité des Espagnols10.
157

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Cortez, instruit de ce triste événement par deux Tlascalans déguisés qui lui avaient été expédiés, en fit part à ceux de ses officiers en qui il avait placé sa confiance, et les invita à méditer profondément sur le parti qu’il convenait de prendre. Les uns pensèrent qu’il fallait demander un passe-port pour se retirer. Il parut à d’autres qu’il valait mieux s’éloigner secrètement pendant la nuit. Le plus grand nombre fut d’avis d’ignorer [269]ce qui s’était passé, et d’attendre quelque circonstance favorable pour sortir de l’embarras où l’on se trouvait.
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Aucune de ces opinions ne se trouva à la hauteur des pensées du général. « Il ne doit, dit-il « d’un ton imposant, il ne doit appartenir qu’à « un coup du plus grand éclat de décider de notre « destinée. Nous irons, oui, nous irons arrêter « l’empereur jusque sur son trône, et le condui- « rons dans le quartier que nous occupons. C’est « la résolution la plus facile, la plus sûre, la plus « utile, la plus honorable à laquelle nous puis- « sions nous arrêter. Dans la crainte d’être poi- « gnardé, Montezuma ne fera point de résistance. « Le peuple étonné ne hasardera aucun mouve- « ment en sa faveur. L’importance de l’otage fera « notre sûreté. Sous son nom, nous deviendrons « les arbitres du gouvernement. L’idée déjà éta- « blie que nous sommes des êtres supérieurs au « reste du genre humain sera de plus en plus « confirmée. « Ce discours entraîna tous les suffrages, et les mesures pour le succès furent si habilement combinées, que tout se passa comme on l’avait prévu.
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A peine le souverain de tant de vastes états avait-il été ainsi dégradé, qu’il lui fallut livrer à ses geôliers ceux de ses lieutenans qui leur avaient fait la guerre. Un tribunal espagnol condamna ces malheureux aux flammes, et ils subirent leur sentence dans la capitale même de l’empire, aux [270]yeux d’une multitude immense, saisie d’étonnement, d’effroi et d’horreur. Cortez, qui, avant cet acte d’insolence et de barbarie, avait fait charger l’empereur de chaînes, se rendit sans perdre un moment auprès de lui. Les imposteurs qui vous avaient accusé d’être le premier auteur de leur crime sont enfin punis, lui dit-il. Vous avez confondu la calomnie en vous soumettant à une mortification de quelques heures. Vos fers sont rompus, et vous rentrerez dans votre palais quand il vous plaira. L’offre ne fut pas acceptée, et celui qui la faisait avait pris des mesures sûres pour qu’on n’en profitât pas.
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Il restait à l’infortuné Montezuma une dernière humiliation à essuyer, et elle ne se fit pas attendre. L’ambition de ses oppresseurs était de le rendre vassal de la Castille. C’était une proposition délicate à faire. On lui fit insinuer par Marina que c’était le seul moyen de se debarrasser des orgueilleux étrangers qui l’abreuvaient de tant d’opprobres. Il se laissa prendre au piége. Lui-même offrit ce que vraisemblablement on n’aurait jamais osé lui demander. L’hommage de sa couronne fut fait avec une solennité qui pouvait le faire regarder comme un acte national ; et pour premier tribut, il livra tout l’or qui se trouvait dans ses trésors, tout celui que ses courtisans y purent joindre.
161
Au milieu de ces ſuccès, Cortez1 apprend que Narvaez envoyé2 avec une petite armée par3 le gouverneur4 de Cuba, vient5 pour lui ôter le commandement7 de la ſienne9. Il marche à ſon rival, il le combat, il le prend priſonnier. Il fait11 mettre bas les armes aux vaincus12, puis les leur rend en leur propoſant de le ſuivre. Il gagne leur cœur par ſa confiance & ſa magnanimité ; & l’armée de Navaez13 ſe range14 ſous ſes drapaux. Il reprend la route du17 Mexico, où il avoit laiſſé deux cens hommes18 qui gardoient l’empereur.
Au milieu de ces ſuccès, Cortez1 apprendque Narvaez, envoyé2 avec une petite armée par3 le gouverneur4 de Cuba, vient5 pour lui ôter le commandement7 de la ſienne9. Il marche à ſon rival, il le fait priſonnier, obligeles vaincus 11 mettre bas les armes, puis les leur rend, en leur propoſant de le ſuivre. Il gagne leur cœur par ſa confiance & ſa magnanimité, & l’armée de Narvaez13 ſe range14 ſous ſes drapeaux. Il reprend la route de17 Mexico, où il avoit laiſſé deux cens hommes18 qui gardoient l’empereur.
Au milieu de ces ſuccès, on1 apprend que Narvaès vient d’arriver de Cuba2 avec huit cens fantaſſins, avec quatre-vingts chevaux, avec douze pièces de canon, pour prendre3 le commandement4 de l’armée &5 pour exercer des vengeances. Ces forces étoient envoyées par Velaſquès, mécontent que des aventuriers partis ſous ſes auſpices euſſent renoncé toute liaiſon avec6 lui, qu’ils ſe fuſſent déclarés indépendans7 de ſon autorité, & qu’ils euſſent envoyés des députés en Europe, pour obtenir8 la confirmation des pouvoirs qu’ils s’étoient arrogés eux-mêmes. Quoique Cortès n’ait que deux cens cinquante hommes9 ; il marche à ſon rival ; il le combat10, le fait priſonnier, oblige les vaincus à11 mettre bas les armes, puis les leur rend en leur propoſant de le ſuivre. Il gagne leur cœur par ſa confiance [388] & ſa magnanimité. Ces ſoldats13 ſe rangent14 ſous ſes drapeaux ; & avec eux15, il reprend, ſans perdre un moment16, la route de17 Mexico où il n’avoit pu laiſſer que cent cinquante Eſpagnols18 qui, avec les Tlaſcaltèques19 gardoient étroitement20 l’empereur.
Au milieu de ces succès, on1 apprend que Narvaès vient d’arriver de Cuba2 avec huit cents fantassins [271], avec quatre-vingts chevaux, avec douze pièces de canon, pour prendre3 le commandement4 de l’armée et5 pour exercer des vengeances. Ces forces étaient envoyées par Vélasquez, mécontent que des aventuriers, partis sous ses auspices, eussent renoncé à toute liaison avec6 lui, qu’ils se fussent déclarés indépendans7 de son autorité, et qu’ils eussent envoyé des députés en Europe pour obtenir8 la confirmation des pouvoirs qu’ils s’étaient arrogés eux-mêmes. Quoique Cortez n’ait que deux cent cinquante hommes9, il marche à son rival : il le combat10, le fait prisonnier, oblige les vaincus à11 mettre bas les armes, puis les leur rend en leur proposant de le suivre. Il gagne leur cœur par sa confiance et sa magnanimité. Les soldats13 se rangent14 sous ses drapeaux, et avec eux15 il reprend, sans perdre un moment16, la route de17 Mexico, où il n’avait pu laisser que cent cinquante Espagnols18 qui, avec les Tlascalans19, gardaient étroitement20 l’empereur.
162
Il y avoit des mouvemens dans la nobleſſe Mexicaine, qui étoit indignée de la captivité de ſon prince ; & le zele indiſcret des Eſpagnols qui dans une fête publique en l’honneur des dieux du pays, renverſerent les autels, & maſles [28]ſacrent1 adorateurs & les prêtres, avoit fait prendre les armes au peuple.
Il y avoit des mouvemens dans la noblesſe Mexicaine, qui étoit indignée de la captivité de ſon prince ; & le zele indiſcret des Eſpagnols, qui dans une fête publique en l’honneur des Dieux du pays, renverſerent les autels [48] & maſſacrerent les1 adorateurs & les prêtres, avoit fait prendre les armes au peuple.
Il y avoit des mouvemens dans la nobleſſe Mexicaine, qui étoit indignée de la captivité de ſon prince ; & le zèle indiſcret des Eſpagnols, qui dans une fête publique en l’honneur des dieux du pays, renverſèrent les autels & maſſacrèrent les1 adorateurs & les prêtres, avoit fait prendre les armes au peuple.
Il y avait des mouvemens dans la noblesse mexicaine, qui était indignée de la captivité de son prince ; et le zèle indiscret des Espagnols qui, dans une fête publique en l’honneur des dieux du pays, renversèrent les autels et massacrèrent les1 adorateurs et les prêtres, avait fait prendre les armes au peuple.
163
Les Mexicains n’avoient de barbare que leur ſuperſtition ; mais1 leurs prêtres étoient des monſtres qui faiſoient l’abus le plus affreux du culte abominable qu’ils avoient impoſé à la crédulité de la nation. Elle reconnoiſſoit2, comme tous les peuples policés, un être ſuprême, une vie à venir, avec ſes peines & ſes récompenſes ; mais ces dogmes utiles3, étoient mêlés d’abſurdités qui les rendoient incroyables.
Les Mexicains n’avoient de barbare que leur ſuperſtition, mais1 leurs prêtres étoient des monſtres, qui faiſoient l’abus le plus affreux du culte abominable qu’ils avoient impoſé à la crédulité de la nation. Elle reconoiſſoit2, comme tous les peuples policés, un être ſuprême, une vie à venir, avec ſes peines & ſes récompenſes ; mais ces dogmes utiles3 étoient mêlés d’abſurdités qui les rendoient incroyables.
Les Mexicains avoient des ſuperſtitions barbares ; &1 leurs prêtres étoient des monſtres, qui faiſoient l’abus le plus affreux du culte abominable qu’ils avoient impoſé à la crédulité de la nation. Elle reconnoiſſoit2, comme tous les peuples policés, un être ſuprême, une vie à venir, avec ſes peines & ſes récompenſes : mais ces dogmes ſublimes3 étoient mêlés d’abſurdités, qui les rendoient incroyables.
Les Mexicains avaient des superstitions barbares, et1 leurs prêtres étaient des monstres qui faisaient l’abus le plus affreux du culte abominable [272] qu’ils avaient imposé à la crédulité de la nation. Elle reconnaissait2, comme tous les peuples policés, un être suprême, une vie à venir, avec ses peines et ses récompenses ; mais ces dogmes sublimes3 étaient mêlés d’absurdités qui les rendaient incroyables.
164
Dans la religion du Mexique on attendoit la fin du monde à la fin de chaque ſiecle ; & cette année étoit dans l’empire un tems1 de deuil & de déſolation.
Dans la religion du Mexique, on attendoit la fin du monde à la fin de chaque ſiécle ; & cette année étoit dans l’empire un tems1 de deuil & de déſolation.
Dans la religion du Mexique, on attendoit la fin du monde à la fin de chaque ſiècle ; [389]& cette année étoit dans l’empire un tems1 de deuil & de déſolation.
Dans la religion du Mexique, on attendait la fin du monde à la fin de chaque siècle, et cette année était dans l’empire un temps1 de deuil et de désolation.
165
Les Mexicains invoquoient des puiſſances ſubalternes comme les autres nations en ont mar- qué1 ſous le nom de génies, de camis, de ma- nitons2, d’anges, de feliches. La moindre de ces divinités avoit ſes temples, ſes images, ſes fonctions, ſon autorité particuliere ; & toutes faiſoient des miracles.
Les Mexicains invoquoient des puiſſances ſubalternes, comme les autres nations en ont invoquées1, ſous le nom de génies, de camis, de manitous2, d’anges, de fétiches. La moindre de ces divinités avoit ſes temples, ſes images, ſes fonctions, ſon autorité particuliere ; & toutes faiſoient des miracles.
Les Mexicains invoquoient des puiſſances ſubalternes, comme les autres nations en ont invoquées1, ſous le nom de génies, de camis, de manitous2, d’anges, de fétiches. La moindre de ces divinités avoit ſes temples, ſes images, ſes fonctions, ſon autorité particulière, & toutes faiſoient des miracles.
Les Mexicains invoquaient des puissances subalternes, comme les autres nations en ont invoqué1 sous le nom de génies, de camis, de manitous2,d’anges, de fétiches. La moindre de ces divinités avait ses temples, ses images, ses fonctions, son autorité particulière, et toutes faisaient des miracles.
166
Ils avoient une eau ſacrée dont on faiſoit des aſperſions. On en faiſoit boire à l’empereur. Les pélerinages, les proceſſions, les dons faits aux prêtres étoient de bonnes œuvres.
Ils avoient une eau ſacrée dont on faiſoit des aſperſions. On en faiſoit boire à l’empereur. Les pélerinages, les proceſſions, les dons faits aux prêtres, étoient de bonnes œuvres.
Ils avoient une eau ſacrée dont on faiſoit des aſperſions. On en faiſoit boire à l’empereur. Les pélerinages, les proceſſions, les dons faits aux prêtres, étoient de bonnes œuvres.
Ils avaient une eau sacrée dont on faisait des aspersions. On en faisait boire à l’empereur. Les pèlerinages, les processions, les dons faits aux prêtres étaient de bonnes œuvres.
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On connoiſſoit1 chez eux des expiations, des pénitences, des macérations, des jeûnes.
On connoiſſoit1 chez eux des expiations, des pénitences, des macérations, des jeûnes.
On connoiſſoit1 chez eux des expiations, des pénitences, des macérations, des jeûnes.
On connaissait1 chez eux des expiations, des pénitences, des macérations, des jeûnes.
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Quelques unes1 de leurs ſuperſtitions leur étoient particulieres. Tous les ans, ils choiſiſſoient un eſclave. On l’enfermoit dans le temple, on l’adoroit, on l’encenſoit, on l’invoquoit2, & on finiſſoit par l’égorger en cérémonie.
Quelques-unes1 de leurs ſuperſtitions leur [49]étoient particulieres. Tous les ans ils choiſiſſoient un eſclave. On l’enfermoit dans le temple, on l’adoroit, on l’encenſoit, on l’invoquoit2, & on finiſſoit par l’égorger en cérémonie.
Quelques-unes1 de leurs ſuperſtitions leur étoient particulières. Tous les ans ils choiſiſſoient un eſclave. On l’enfermoit dans le temple, on l’adoroit, on l’encenſoit, on l’invoquoit2, & on finiſſoit par l’égorger en cérémonie.
Quelques-unes1 de leurs superstitions leur étaient particulières. Tous les ans ils choisissaient un esclave. On l’enfermait dans le temple ; on l’adorait ; on l’encensait, et on finissait par l’égorger en cérémonie.
169
Voici encore une ſuperſtition qu’on ne trouvoit pas ailleurs. Les prêtres pêtriſſoient en certains jours une ſtatue de pâte qu’ils faiſoient [29]cuire. Ils la plaçoient ſur l’autel où elle devenoit un dieu1. Ce jour là2, une foule innombrable de peuple ſe rendoit dans le temple. Les prêtres découpoient la ſtatue, ils en donnoient un morceau à chacun des aſſiſtans qui le mangeoit, & ſe croyoit ſanctifié après avoir mangé ſon dieu.
Voici encore une ſuperſtition qu’on ne trouvoit pas ailleurs. Les prêtres pétriſſoient en certains jours une ſtatue de pâte qu’ils faiſoient cuire. Ils la plaçoient ſur l’autel, où elle devenoit un Dieu1. Ce jour-là2, une foule innombrable de peuple, ſe rendoit dans le temple. Les prêtres découpoient la ſtatue, ils en donnoient un morceau à chacun des aſſiſtans, qui le mangeoit, & ſe croyoit ſanctifié après avoir mangé ſon Dieu.
Voici encore une ſuperſtition qu’on ne trouvoit pas ailleurs. Les prêtres pétriſſoient en certains jours une ſtatue de pâte qu’ils faiſoient cuire. Ils la plaçoient ſur l’autel, où [390]elle devenoit un dieu1. Ce jour-là2, une foule innombrable de peuple, ſe rendoit dans le temple. Les prêtres découpoient la ſtatue. Ils en donnoient un morceau à chacun des aſſiſtans, qui le mangeoit, & ſe croyoit ſanctifié après avoir mangé ſon dieu.
Voici encore une superstition qu’on ne trouvait pas ailleurs. Les prêtres pétrissaient en certains [273] jours une statue de pâte qu’ils faisaient cuire. Ce jour-là2 une foule innombrable de peuple se rendait dans le temple. Les prêtres découpaient la statue ; ils en donnaient un morceau à chacun des assistans, qui le mangeait, et se croyait sanctifié après avoir mangé son dieu.
170
Il vaut mieux manger des dieux, que des hommes ; mais les Mexicains immoloient auſſi des priſonniers de guerre dans le temple du dieu des batailles. Les prêtres mangeoient enſuite ces priſonniers, & en envoyoient des morceaux à l’empereur & aux principaux ſeigneurs de l’empire.
Il vaut mieux manger des Dieux que des hommes ; mais les Mexicains immoloient auſſi des priſonniers de guerre dans le temple du Dieu des batailles. Les prêtres, dit-on1, mangeoient enſuite ces priſonniers, & en envoyoient des morceaux à l’empereur & aux principaux ſeigneurs de l’empire.
Il vaut mieux manger des dieux que des hommes : mais les Mexicains immoloient auſſi des priſonniers de guerre dans le temple du dieu des batailles. Les prêtres, dit-on1, mangeoient enſuite ces priſonniers, & en envoyoient des morceaux à l’empereur & aux principaux ſeigneurs de l’empire.
Il vaut mieux manger des dieux que des hommes ; mais les Mexicains immolaient aussi des prisonniers de guerre dans le temple du dieu des batailles. Les prêtres, dit-on1, mangeaient ensuite ces prisonniers, et en envoyaient des morceaux à l’empereur et aux principaux seigneurs de l’empire.
171
Quand la paix avoit duré quelque tems1, les prêtres faiſoient dire à l’empereur que les dieux mouroient de2 faim ; & dans la ſeule vue de faire des priſonniers on recommençoit la guerre.
Quand la paix avoit duré quelque tems1, les prêtres faiſoient dire à l’empereur que les Dieux mouroient de2 faim, & dans la ſeule vue de faire des priſonniers, on recommençoit la guerre.
Quand la paix avoit duré quelque tems1, les prêtres faiſoient dire à l’empereur que les dieux avoient2 faim ; & dans la ſeule vue de faire des priſonniers, on recommençoit la guerre.
Quand la paix avait duré quelque temps1, les prêtres faisaient dire à l’empereur que les dieux avaient2 faim ; et, dans la seule vue de faire des prisonniers, on recommençait la guerre.
172
A tous égards, cette religion étoit atroce & terrible. Toutes ſes cérémonies étoient lugubres & ſanglantes. Elle tenoit ſans ceſſe l’homme dans la crainte. Elle devoit rendre les hommes inhumains, & les prêtres tout-puiſſants1.
A tous égards, cette religion étoit atroce & terrible. Toutes ſes cérémonies étoient lugubres & ſanglantes. Elle tenoit ſans ceſſe [50]l’homme dans la crainte. Elle devoit rendre les hommes inhumains, & les prêtres toutpuiſſans1.
A tous égards, cette religion étoit atroce & terrible. Toutes ſes cérémonies étoient lugubres & ſanglantes. Elle tenoit ſans ceſſe l’homme dans la crainte. Elle devoit rendre les hommes inhumains, & les prêtres toutpuiſſans1.
A tous égards, cette religion était atroce et terrible ; toutes ses cérémonies étaient lugubres et sanglantes. Elle tenait sans cesse l’homme dans la crainte. Elle devait rendre les hommes inhumains, et les prêtres tout-puissans1.
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On ne peut faire un crime aux Eſpagnols d’avoir été révoltés de ces abſurdes barbaries, mais il ne falloit pas les détruires par de plus grandes cruautés. Il ne falloit pas ſe jetter1 ſur le peuple aſſemblé dans le premier temple de la ville, & l’égorger. Il ne falloit pas aſſaſſiner les nobles pour les dépouiller.
On ne peut faire un crime aux Eſpagnols d’avoir été révoltés de ces abſurdes barbaries ; mais il ne falloit pas les détruire par de plus grandes cruautés : il ne falloit pas ſe jetter1 ſur le peuple aſſemblé dans le premier temple de la ville, & l’égorger : il ne falloit pas aſſaſſiner les nobles pour les dépouiller.
On ne peut faire un crime aux Eſpagnols d’avoir été révoltés de ces abſurdes barbaries : [391]mais il ne falloit pas les détruire par de plus grandes cruautés ; il ne falloit pas ſe jetter1 ſur le peuple aſſemblé dans le premier temple de la ville, & l’égorger ; il ne falloit pas aſſaſſiner les nobles pour les dépouiller.
On ne peut faire un crime aux Espagnols d’avoir été révoltés de ces absurdes barbaries ; mais il ne fallait pas les détruire par de plus grandes cruautés ; il ne fallait pas se jeter1 sur le peuple assemblé dans le premier temple de la ville, et l’égorger ; il ne fallait pas assassiner les nobles pour les dépouiller.
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Ces barbaries mirent les armes à la main des [274]Mexicains, et occasionnèrent plusieurs combats plus ou moins sanglans. La nouvelle en était parvenue à Cortez ; et quand même il n’en aurait pas été instruit, ce qu’il remarqua sur sa route, ce qu’il aperçut au voisinage de la capitale lui en aurait fait naître le soupçon. Tout lui faisait craindre de trouver impraticable l’entrée de la ville, et que, pour l’empêcher d’y arriver, on n’eût rompu les digues qui y conduisaient. Si cette précaution d’une exécution facile n’eut pas lieu, ce fut vraisemblablement dans l’espoir d’exterminer à la fois tous les ennemis de la religion et de l’empire. Ainsi l’armée, victorieuse de Narvaés, put regagner sans obstacle le poste qu’elle occupait avant son départ. C’était un espace assez vaste pour contenir les Espagnols et leurs alliés, et entouré d’un mur épais avec des tours placées de distance en distance. On y avait disposé l’artillerie du mieux qu’il avait été possible ; et le service s’y était toujours fait avec autant de régularité et de vigilance que dans une place assiégée ou dans le camp le plus exposé. Jamais ni le jour ni la nuit aucun officier, aucun soldat n’avait quitté sa pesante armure ; et cette sévère discipline continua tout le temps qu’on put rester dans la ville.
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A peine les Espagnols commençaient à se réjouir de leur réunion, que leur quartier fut attaqué de tous les côtés. Les assaillans étaient en grand nombre, et tous transportés d’une rage [275]égale. Vainement l’artillerie abattait-elle des rangs entiers ; ceux qui suivaient remplissaient à l’instant le vide, et étaient eux-mêmes bientôt remplacés par ceux qui avaient moins souffert. Cet emportement se soutint du matin au soir. Un succès complet paraissait devoir le couronner. Déjà le feu avait pris à quelques ouvrages, et d’autres étaient assez endommagés pour ne pas laisser craindre une grande résistance. Heureusement pour les assiégés, l’usage où étaient les naturels du pays de ne jamais combattre durant les ténèbres les décida à se retirer à l’entrée de la nuit.
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Cortez était trop éclairé pour ne pas comprendre qu’une guerre défensive ne convenait pas à sa situation. Aussi ne tarda-t-il pas à ordonner ou à conduire lui-même des sorties vigoureuses. Elles étaient heureuses et très-heureuses partout où ses troupes pouvaient manœuvrer et faire usage de leurs arquebuses. Mais aussitôt qu’il leur fallait poursuivre dans les rues ceux des Mexicains qui avaient échappé au carnage, des flèches et des pierres lancées du haut des maisons les empêchaient de recueillir aucun fruit durable de leurs victoires. Rarement rentraient-elles dans leurs retranchemens sans avoir essuyé quelque perte. Dans une action seule elles laissèrent douze de leurs plus intrépides guerriers sur le champ de bataille, et en ramenèrent soixante de blessés.
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La résolution où paraissaient être et où étaient [276]en effet les Mexicains de répandre jusqu’à la dernière goutte de leur sang plutôt que de souffrir plus long-temps la tyrannie d’un petit nombre d’insolens étrangers, fit juger aux Espagnols qu’ils périraient infailliblement les uns après les autres, s’ils s’opiniâtraient à rester dans la capitale. La difficulté était d’en sortir sans perdre leur réputation et sans risquer leur vie. Dans la vue de sauver l’une et l’autre, ils annoncèrent à Montézuma que, l’objet pour lequel ils avaient été envoyés étant rempli, il ne leur restait que d’aller rendre compte à leur souverain du succès de leur ambassade. La valeur qu’on nous connaît, ajoutèrent-ils, serait plus que suffisante pour assurer notre retraite ; mais il ne nous convient pas de quitter le pays en ennemis. Instruisez vos peuples de nos volontés, et que l’exécution n’en soit pas troublée. L’empereur trouva l’ouverture qui lui était faite favorable à ses intérêts et dans les principes d’une justice exacte. Aussi ne balançat-il pas à se porter pour arbitre entre ses sujets et ses oppresseurs. De bons observateurs doutèrent de l’issue de sa médiation, et voici pourquoi.
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Lorsque ce prince était tombé au pouvoir des Espagnols, il avait assuré sa cour que c’était pour s’instruire des mœurs et des usages des régions orientales d’où ces hommes extraordinaires étaient arrivés, qu’il se rendait librement dans celui de ses palais qu’il leur avait assigné pour demeure. [277]Tout ce qui se passa depuis parut confirmer la vérité de ses premières paroles. Ses officiers lui rendaient leurs services ordinaires. Il travaillait avec ses ministres. Les conseils se tenaient régulièrement. Aucune place civile ou militaire ne restait vacante. La marche du gouvernement était toujours la même. Le chef de l’état visitait les temples, allait à la chasse, ne montrait aucune inquiétude. Les Castillans qui formaient sa garde recevaient ses ordres, et leur général paraissait lui-même plus respectueux et plus soumis qu’aucun des siens. Ces apparences ne trompaient pas les gens éclairés ; mais ils se taisaient. En parlant, ils auraient craint de se rendre odieux aux Européens, qui alors disposaient de tout, et d’offenser leur maître, qui n’aurait pas pardonné qu’on l’eût jugé capable d’avoir avili la dignité de sa couronne. La multitude fut long-temps abusée. Ses murmures commencèrent avec ses soupçons. On la vit se porter aux dernières violences aussitôt qu’il ne lui fut plus possible de douter de l’humiliation de son souverain. Elle allait livrer un nouvel assaut à l’instant même où Montézuma, avec toute la pompe qui, dans les grandes occasions, entourait le trône, se présenta sur les murailles pour parler.
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A sa vue on se prosterne. Un silence profond succède à des cris tumultueux. Les armes tombent de toutes les mains. A peine les plus échauffés se permettent-ils de respirer. Mais la fureur, un [278]moment suspendue, ne tarde pas à se ranimer. Des traits sans nombre sont lancés sur un ancien objet d’idolâtrie devenu celui d’un mépris universel. Atteint par deux flèches et par une pierre, l’infortuné monarque tombe privé de tout sentiment. Ce spectacle glace d’effroi les timides Mexicains. Une terreur panique les saisit. Ils s’éloignent en tumulte, comme si la fuite devait les soustraire au courroux du ciel, qu’ils s’imaginent avoir provoqué en versant le sang de leur souverain. D’autres pensées occupent les Espagnols. Comme leur sort paraît attaché à la conservation de Montézuma, ils ne négligent aucun des remèdes, aucune des consolations qui peuvent contribuer à sa guérison. Tant de soins deviennent inutiles. On a le chagrin de lui voir repousser les alimens qui lui sont offerts, de lui voir déchirer l’appareil mis sur ses blessures. Il expire enfin le troisième jour, après avoir rejeté avec horreur la religion de l’Europe, et après avoir, dit-on, fait promettre à ses geôliers qu’ils le vengeraient de ses assassins.
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Soit remords, soit crainte, les peuples étaient restés dans une inaction entière tout le temps que l’état de leur empereur les avait tenus dans l’incertitude. Sa mort les tira de cette espèce de langueur. Ils lui rendirent les honneurs funèbres, ils lui donnèrent un successeur, et recommencèrent les hostilités. Leur plus grande espérance était fondée sur la tour d’un temple qui dominait [279]le quartier de leur ennemi, et où ils avaient rassemblé ce qu’il fallait de troupes, d’armes, et de vivres pour faire une longue résistance. Cortez, qui se vit perdu, s’il ne se rendait maître d’un poste d’où l’on pouvait incendier ceux qu’il occupait, le fit attaquer sans délai par ce qu’il avait de meilleurs soldats. Les voyant repoussés jusqu’à trois fois, il se mit lui-même à leur tête, et bientôt tous les obstacles furent surmontés. Mais ce succès l’exposa à un des plus grands dangers qu’il eût jamais courus. Deux jeunes Mexicains vinrent à lui comme déserteurs. Ils mirent un genou en terre en supplians, le saisirent, et s’élancèrent, comptant le faire périr en l’entraînant avec eux. Sa force ou son adresse le débarrassèrent de leurs mains, et ils devinrent les victimes d’une entreprise généreuse et inutile.
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Les Espagnols tirèrent de leur victoire tous les avantages qu’ils avaient pu s’en promettre. La brave garnison qu’ils avaient eue à combattre avait été massacrée. Les subsistances assemblées pour soutenir un siége étaient passées dans leurs magasins. Il ne restait pas pierre sur pierre à l’édifice qui leur avait causé tant d’alarmes. Cependant leur position n’était que peu améliorée, et tout leur faisait craindre qu’elle ne devînt bientôt plus fâcheuse. Pour en sortir, ils se résolurent à une retraite pour laquelle ils avaient jusqu’alors montré une répugnance invincible ; mais cette espèce de fuite ne convenait pas au nouvel empereur. [280]Il craignit que ces étrangers, aussi adroits qu’intrépides, n’allassent soulever des provinces peu affectionnées, ne fussent joints à Tlascala par de nombreuses cohortes, ne reçussent même à travers les mers de puissans renforts de leur patrie, et que l’état ne se trouvât engagé dans une guerre plus désastreuse que celle qui le tourmentait. Ces réflexions le décidèrent à faire périr par la faim des ennemis qu’on n’avait pu vaincre ; et il ordonna que tous les passages par où les vivres pourraient leur arriver fussent ou rompus, ou sévèrement gardés.
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Instruits des mesures qu’on prenait contre eux, les Espagnols comprirent que leur ruine était assurée pour peu que leur départ souffrît de retardement. L’orgueil national aurait exigé qu’on se mît en marche en plein jour ; mais la nuit fut préférée, parce que l’expérience avait appris que les Mexicains ne se battaient jamais dans les ténèbres. L’armée avançait sans avoir trouvé d’obstacle, lorsque la digue qui lui servait de chemin se trouva coupée. Un pont-volant, préparé contre cet accident, fut aussitôt jeté. Il ne se trouva pas assez solide pour porter l’artillerie, les chevaux, le bagage, et fut enfoncé par leur poids. Dans le temps qu’on était occupé à le dégager pour s’en servir ailleurs, les naturels, qui avaient observé en silence les mouvemens de leur ennemi, s’élevant au-dessus de leurs superstitions, fondirent avec fureur sur son arrière-garde, tandis que [281]d’autres naturels, s’élançant de leurs canots sur la chaussée, attaquaient non moins vivement son corps de bataille et son avant-garde. Une obscurité profonde enveloppait tous les combattans. Chacun d’eux pouvait douter si ce n’était pas un ami que ses traits allaient percer, si ce n’était pas d’un ami qu’il recevait la mort. La terre était jonchée de cadavres, les flots étaient teints de sang, qu’on s’arrachait encore les entrailles.
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Cortez1 à ſon retour à Mexico, trouva les Eſpagnols2 aſſiégés dans le quartier où il les avoit laiſſés pour garder l’empereur. Il eut de la peine à pénétrer juſqu’à eux3 ; & quand il fut à leur tête, il lui fallut livrer4 de grands combats. Les Mexicains montrerent un courage [30]extraordinaire. Ils ſe dévouoient gaiement à une mort certaine. Ils ſe jettoient nuds & mal armés dans les rangs des Eſpagnols, pour rendre leurs armes inutiles5, ou pour les leur arracher. Pluſieurs tenterent d’entrer6 dans le palais de Cortez par les embraſures du canon. Tous vouloient mourir pour délivrer leur patrie7 de ces étrangers qui prétendoient y regner. Cortez venoit8 de s’emparer d’un temple qui étoit un poſte avantageux9. Il regardoit d’une plate-forme le combat où10 les Indiens s’acharnoient pour recouvrer ce qu’ils avoient perdu. Deux jeunes nobles Mexicains jettent leurs armes, & viennent à lui comme déſerteur. Ils mettent un genouil à terre dans la poſture11 de ſupplians ; ils le ſaiſiſſent, & s’élancent de la plate-forme12 dans l’eſpérance qu’en tombant avec eux, il ſera écraſé comme eux. Cortez s’en débarraſſe, & ſe retient à la baluſtrade. Les deux jeunes nobles périſſent ſans avoir exécuté leur généreuſe entrepriſe13.
Cortez1 à ſon retour à Mexico, trouva les Eſpagnols2 aſſiégés dans le quartier où il les avoit laiſſés pour garder l’empereur. Il eut de la peine à pénétrer juſqu’à eux3 ; & quand il fut à leur tête, il lui fallut livrer4 de grands combats. Les Mexicains montrerent un courage extraordinaire. Ils ſe dévouoient gaiement à une mort certaine. Ils ſe jettoient nuds & mal armés dans les rangs des Eſpagnols, pour rendre leurs armes inutiles5, ou pour les leur arracher. Pluſieurs tenterent d’entrer6 dans le palais de Cortez, par les embraſures du canon. Tous vouloient mourir pour délivrer leur patrie7 de ces étrangers qui prétendoient y régner. Cortez venoit8 de s’emparer d’un temple, qui étoit un poſte avantageux9. Il regardoit d’une platte-forme le combat, où10 les Indiens s’acharnoient pour recouvrer ce qu’ils avoient perdu. Deux jeunes nobles Mexicains jettent leurs armes, & [51]viennent lui comme déſerteurs. Ils mettent un genou terre dans la poſture11 de ſupplians ; ils le ſaiſiſſent, & s’élancent de la platte-forme12 dans l’eſpérance de le faire périr en l’entraînant avec eux. Cortez s’en débarraſſe, & ſe retient la baluſtrade. Les deux Mexicains meurent, victimes d’une entrepriſe généreuſe & inutile13.
Cortès1 à ſon retour à Mexico, trouva les ſiens2 aſſiégés dans le quartier où il les avoit laiſſés. C’étoit un eſpace aſſez vaſte pour contenir les Eſpagnols & leurs alliés3, & entouré d’un mur épais, avec des tours placées4 de diſtance en diſtance. On y avoit diſpoſé l’artillerie le mieux qu’il avoit été poſſible ; & le ſervice s’y étoit toujours fait avec autant de régularité & de vigilance que dans une place aſſiégée5 ou dans le camp le plus expoſé. Le général ne pénétra dans cette eſpèce7 de fortereſſe qu’après avoir ſurmonté beaucoup8 de difficultés ; & quand9 il y fut enfin parvenu10 les dangers continuoient encore. L’acharnement des naturels du pays étoit tel qu’ils haſardoient11 de pénétrer par les embrâſures du canon12, dans l’aſyle qu’ils vouloient forcer13.

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Pour ſe tirer d’une ſituation ſi déſeſpérée, les Eſpagnols ont recours à des ſorties. Elles ſont heureuſes, ſans être déciſives. Les Mexicains montrent un courage extraordinaire. Ils [392]ſe dévouent gaiement à une mort certaine. On les voit ſe précipiter nus & ſans défenſe dans les rangs de leurs ennemis pour rendre leurs armes inutiles ou pour les leur arracher. Tous veulent périr pour délivrer leur patrie de ces étrangers qui prétendoient y régner.

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Le combat le plus ſanglant ſe donne ſur une élévation dont les Américains s’étoient emparés, & d’où ils accabloient de traits plus ou moins meurtriers tout ce qui ſe préſentoit. La troupe chargée de les déloger eſt trois fois repouſſée. Cortès s’indigne de cette réſiſtance, & quoiqu’aſſez griévement bleſſé veut ſe charger lui-même de l’attaque. A peine eſt-il en poſſeſſion de ce poſte important, que deux jeunes Mexicains jettent leurs armes & viennent à lui comme déſerteurs. Ils mettent un genou à terre, dans la poſture de ſupplians, le ſaiſiſſent & s’élancent avec une extrême vivacité dans l’eſpérance de le faire périr, en l’entraînant avec eux. Sa force ou ſon adreſſe le débarraſſent de leurs mains, & ils meurent victimes d’une entrepriſe généreuſe & inutile.

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Cette action, d’autres actes1 d’une vigueur pareille, font2 deſirer aux Eſpagnols qu’on puiſſe3 trouver des voies4 de conciliation. Montezuma conſent à devenir l’inſtrument de l’eſclavage de ſon peuple, & il ſe montre ſur le rempart8 pour engager ſes ſujets à ſe retirer9. Leur indignation lui apprend que ſon regne eſt fini, & les traits qui lui lancent, le percent d’un coup mortel.
Cette action, & d’autres1 d’une vigueur pareille, faiſoient2 déſirer aux Eſpagnols qu’on pût3 trouver des voies4 de conciliation. Enfin5 Montezuma conſent à devenir l’inſtrument de l’eſclavage de ſon peuple, & il ſe montre ſur le rempart8, pour engager ſes ſujets à ſe retirer9. Leur indignation lui apprend que ſon regne eſt fini, & les traits qu’ils lui lancent le percent d’un coup mortel.
Cette action, mille autres1 d’une vigueur pareille, font2 deſirer aux Eſpagnols qu’on puiſſe3 trouver des moyens4 de conciliation. [393]Montezuma, toujours priſonnier6, conſent à devenir l’inſtrument de l’eſclavage de ſon peuple, & il ſe montre, avec tout l’appareil du trône7, ſur la muraille8 pour engager ſes ſujets à ceſſer les hoſtilités9. Leur indignation lui apprend que ſon règne eſt fini ; & les traits qu’ils lui lancent le percent d’un coup mortel.

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Gatimozin, qu’on lui donna pour ſucceſſeur, étoit fier, intrépide. Il avoit du ſens1, de l’imagination. Il pouvoit ramener2 les bons ſuccès, & réſiſter aux mauvais. Sa pénétration lui fit démêler3 que les attaques vives ne lui réuſſiroient que difficilement contre un ennemi qui avoit des armes ſi ſupérieures, &4 que la meilleure maniere5 de le combatre étoit6 de lui couper les [31]vivres. Cortez7 ne s’apperçoit pas plutôt de ce changement de ſyſtême, qu’il penſe à ſe retirer chez les Haſcalteques ; mais la retraite n’eſt pas facile8.
Le ſucceſſeur de ce vil monarque étoit fier, intrépide. Il avoit du ſens1, de l’imagination. Il pouvoit ramener2 les bons ſuccès, & réſiſter aux mauvais. Sa pénétration lui fit démêler3 que les attaques vives ne lui réuſſiroient que difficilement contre un ennemi qui avoit des armes ſi ſupérieures, &4 que la meilleure maniere5 de le combattre, étoit6 de lui couper les vivres. Cortez7 ne s’apperçoit pas plutôt de ce changement de ſyſtême, qu’il penſe à ſe retirer chez les Tlaſcalteques.
Un nouvel ordre de choſes ſuit1 de près cet événement tragique2. Les Mexicains voient la fin que leur plan de défenſe3, que leur plan d’attaque ſont également mauvais ; & ils ſe bornent couper les vivres un ennemi4 que la ſupériorité5 de ſa diſcipline &6 de ſes armes rend invincible. Cortès7 ne s’apperçoit pas plutôt de ce changement de ſyſtême, qu’il penſe à ſe retirer chez les Tlaſcaltèques.

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L’exécution de ce projet exigeoit une [52]grande célérité, un ſecret impénétrable, des meſures bien combinées. On ſe mit1 en marche vers le milieu de la nuit. L’armée défiloit en ſilence ſur une digue, lorsqu’on reconnut que ſes mouvemens avoient été obſervés avec2 une diſſimulation, dont des Mexicains n’étoient pas crus capables3. Son arriere-garde fut attaquée avec impétuoſité par un corps nombreux, & ſes flancs, par des canots diſtribués aux deux côtés de la chauſſée.
L’exécution de ce projet exigeoit une grande célérité, un ſecret impénétrable, des meſures bien combinées. On ſe met1 en marche vers le milieu de la nuit. L’armée défiloit en ſilence & en ordre ſur2 une digue, lorſque3 ſon arrière-garde fut attaquée avec impétuoſité par un corps nombreux, & ſes flancs par des canots diſtribués aux deux côtés de la chauſſée.

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Si les Mexicains1, qui avoient plus de troupes2 qu’ils n’en pouvoient faire agir, avoient3 eu la précaution d’en jetter une partie4 à l’extrêmité de cette chauſſée, ou même de la rompre, tous les Eſpagnols5 auroientinfailliblement6 péri dans cette action ſanglante7. Leur bonheur voulut que leur ennemi ne fût8 pas profiter de tous ſes avantages; & ils arriverent enfin ſur les bords du lac, après des dangers & des fatigues incroyables. Le déſordre où ils étoient, les expoſoit encore à une défaite9 entiere. Une nouvelle faute vint à leur ſecours.
Si les Mexicains1, qui avoient plus de forces2 qu’ils n’en pouvoient faire agir, euſſent3 [394]eu la précaution de jetter des troupes4 à l’extrémitédes ponts qu’ils avoient ſagement rompus, les Eſpagnols & leurs alliés5 auroient tous6 péri dans cette action ſanglante7. Leur bonheur voulut que leur ennemi ne ſût8 pas profiter de tous ſes avantages ; & ils arrivèrentenfin ſur les bords du lac, après des dangers & des fatigues incroyables. Le déſordreoù ils étoient, les expoſoit encore à une défaite9 entière. Une nouvelle faute vint à leur ſecours.
Si les Américains1, qui avaient plus de forces2 qu’ils n’en pouvaient faire agir, avaient3 eu la précaution de jeter des troupes4 à l’extrémité des ponts qu’ils avaient rompus, les Européens et leurs alliés5 auraient tous vraisemblablement6 péri dans cette journée mémorable7. Leur bonheur voulut que leur ennemi ne sût8 pas profiter de tous ses avantages, et ils arrivèrent enfin sur les bords du lac après des dangers et des fatigues incroyables. Le désordre où ils étaient les exposait encore à une entière destruction10. Une nouvelle faute vint à leur secours.
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L’aurore permit à peine aux Mexicains de découvrir le champ de bataille dont ils étoient reſtés les maîtres, qu’ils apperçurent1 parmi les morts deux2 fils de Montezuma, que les Eſpagnols emmenoient avec quelques autres4 priſonniers. Ce ſpectacle les glaça d’effroi. L’idée d’avoir maſſacré les [53]enfans après avoir immolé le pere, étoit trop forte, pour que des ames foibles5 & énervées par l’habitude d’une obéiſſance aveugle, puſſent la ſoutenir. Ils craignirent de joindre l’impiété au régicide ; & ils donnerent à de vaines cérémonies funebres, un tems qu’ils devoient au ſalut de leur patrie6.
L’aurore permit à peine aux Mexicains de découvrir le champ de bataille dont ils étoient reſtés les maîtres, qu’ils apperçurent1 parmi les morts un2 fils & deux filles3 de Montezuma, que les Eſpagnols emmenoient avec quelques autres4 priſonniers. Ce ſpectacle les glaça d’effroi. L’idée d’avoir maſſacré les enfans après avoir immolé le père, étoit trop forte, pour que des ames foibles5 & énervées par l’habitude d’une obéiſſance aveugle, puſſent la ſoutenir. Ils craignirent de joindre l’impiété au régicide ; & ils donnèrent à de vaines cérémonies funèbres, un tems qu’ils devoient au ſalut de leur patrie6.
L’aurore permit à peine aux Mexicains de découvrir le champ de bataille dont ils étaient restés les maîtres, qu’ils aperçurent1 parmi les morts un2 fils et deux filles3 de Montezuma, que les Espagnols emmenaient avec quelques prisonniers. Ce spectacle les glaça d’effroi. L’idée d’avoir massacré les enfans après avoir immolé le père était trop forte pour que des âmes faibles5 et énervées par l’habitude d’une obéissance aveugle pussent [282]la soutenir. Ils craignirent de joindre l’impiété au régicide ; et ils donnèrent à de vaines funérailles un temps qui pouvait et devait être plus utilement employé6.
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Il faut combattre à chaque pas. Deux cens Eſpagnols plus chargés d’or que le reſte de l’armée, & dont les richeſſes rallentiſſoient la marche, ſont maſſacrés. Cortez lui-même ſe voit envéloppé par une multitude innombrable dans la vallée d’Otumba. Il fait face de tous côtés, & par-tout les Mexicains le preſſent également. Son artillerie lui devient inutile1, & la mouſqueterie, le fer des lances & des épées n’empêchent3 pas les Indiens d’approcher, & de combattre les Européens corps-à-corps. Dans ce moment, Cortez voit aſſez près5 de ſa troupe l’étendart royal6 des Mexicains. Il ſe ſouvient qu’ils croyent7 la deſtinée des combats attachée à cet étendart. Il ſe lance8 avec quelques cavaliers9 pour le prendre. L’un d’eux le ſaiſit, & l’emportent dans les rangs des Eſpagnols. Les Mexicains perdent courage. Ils prenent10 la fuite en jettant11 leurs armes. Cortez12 pourſuit ſa marche, & arrive ſans obſtacle chez14 les Haſcalteques15.
Durant cet intervalle, l’armée battue qui avoit perdu deux cens Eſpagnols, mille Tlaſcalteques, la meilleure partie de ſon artillerie, & laquelle il ne reſtoit preſque pas un ſoldat qui ne fût bleſſé, ſe remettoit en marche. On ne tarda pas la pourſuivre, la harceler, l’envelopper enfin dans la vallée d’Otumba. Le feu du canon1 & de2 la mouſqueterie, le fer des lances & des épées, n’empêchoient3 pas les Indiens, tout nuds qu’ils étoient4, d’approcher, & de ſe jetter ſur leurs ennemis avec une grande animoſité. La valeur alloit céder au nombre, lorsque Cortez décida de la fortune5 de cette journée. Il avoit entendu dire que dans cette partie du nouveau monde, le ſort6 des batailles dépendoit de l’étendard royal. Ce drapeau, dont7 la forme étoit remarquable, & qu’on ne mettoit en campagne que dans les occaſions les plus importantes, étoit aſſez près de lui. Il s’élance8 avec les plus braves compagnons9, pour le prendre. L’un d’eux le ſaiſit, & l’emporte dans les rangs [54]des Eſpagnols. Les Mexicains perdent courage ; ils prennent10 la fuite en jettant11 leurs armes. Cortez12 pourſuit ſa marche, & arrive ſans obſtacle chez14 les Tlaſcalteques15.
Durant cet intervalle, l’armée battue qui [395]avoit perdu ſon artillerie, ſes munitions, ſes bagages, ſon butin, cinq ou ſix cens Eſpagnols, deux mille Tlaſcaltèques, & à laquelle il ne reſtoit preſque pas un ſoldat qui ne fût bleſſé, ſe remettoit en marche. On ne tarda pas à la pourſuivre, à la harceler, à l’envelopper enfin dans la vallée d’Otumba. Le feu du canon1 & de2 la mouſqueterie, le fer des lances, & des épées n’empêchoient3 pas les Indiens, tout nus qu’ils étoient4, d’approcher, & de ſe jetter ſur leurs ennemis avec une grande animoſité. La valeur alloit céder au nombre, lorſque Cortès décida de la fortune5 de cette journée. Il avoit entendu dire que dans cette partie du Nouveau-Monde, le ſort6 des batailles dépendoit de l’étendard royal. Ce drapeau, dont7 la forme étoit remarquable, & qu’on ne mettoit en campagne que dans les occaſions les plus importantes, étoit aſſez près de lui. Il s’élance8 avec ſes plus braves compagnons9, pour le prendre. L’un d’eux le ſaiſit & l’emporte dans les rangs des Eſpagnols. Les Mexicains perdent courage ; ils prennent10 la fuite en jettant11 leurs armes. Cortès12 pourſuit ſa marche, & arrive ſans obſtacle chez14 les Tlaſcaltèques15.
Durant cet intervalle, l’armée battue, qui avait perdu son artillerie, ses munitions, ses bagages, son butin, cinq ou six cents Espagnols, deux mille Tlascalans, et à laquelle il ne restait presque pas un soldat qui ne fût blessé, se remettait en marche. On ne tarda pas à la poursuivre, à la harceler, à l’envelopper enfin dans la vallée d’Otumba. Le feu du canon1 et de2 la mousqueterie, le fer des lances et des épées, n’empèchaient3 pas les Indiens, tout nus qu’ils étaient4, d’approcher, et de se jeter sur leurs ennemis avec une grande animosité. La valeur allait céder au nombre lorsque Cortez décida de la fortune5 de cette journée. Il avait entendu dire que dans cette partie du Nouveau - Monde le sort6 des batailles dépendait de l’étendard royal. Ce drapeau, dont7 la forme était remarquable, et qu’on ne mettait en campagne que dans les occasions les plus importantes, était assez près de lui. Il s’élance8 avec ses plus braves compagnons9 pour le prendre ; l’un d’eux le saisit et l’emporte dans les rangs des Espagnols. Les Mexicains perdent courage ; ils prennent10 la fuite en jetant11 leurs armes. Cortez12 poursuit sa marche sans obstacle13, et arrive chez les Tlascalans, où la victoire qu’il venait de remporter avait fait oublier14 les disgrâces qui l’avaient précédée15.
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Il n’avoit perdu ni le deſſein, ni l’eſpérance de ſoumettre l’empire du Mexique ; mais il avoit fait un nouveau plan. Il vouloit ſe ſervir d’une partie des peuples pour aſſujettir l’autre. La forme du gouvernement, la diſpoſition des eſprits, la ſituation de Mexico favoriſoient ſon1 projet, & ſes2 moyens de l’exécuter.
Il n’avoit perdu ni le deſſein, ni l’eſpérance de ſoumettre l’empire du Mexique ; mais il avoit fait un nouveau plan. Il vouloit ſe ſervir d’une partie des peuples, pour aſſujettir l’autre. La forme du gouvernement, la diſpoſition des eſprits, la ſituation de Mexico favoriſoient ſon1 projet, & ſes2 moyens de l’exécuter.
Il n’avoit perdu ni le deſſein, ni l’eſpérance de ſoumettre l’empire du Mexique ; mais il avoit fait un nouveau plan. Il vouloit ſe ſervir d’une partie des peuples, pour aſſujettir l’autre. La forme du gouvernement, la diſpoſition des eſprits, la ſituation de Mexico, favoriſoient ce1 projet, & les2 moyens de l’exécuter.
Il n’avait perdu ni le dessein, ni l’espérance de soumettre l’empire du Mexique ; mais il avait fait un nouveau plan. Il voulait se servir d’une partie des peuples pour assujettir l’autre. La forme du gouvernement, la disposition des esprits, la situation de Mexico, favorisaient ce1 projet et les2 moyens de l’exécuter.
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L’empire étoit électif, & quelques Rois ou Caciques étoient les électeurs. Ils choiſiſſoient d’ordinaire un d’entr’eux1. On lui faiſoit jurer que tout le tems2 qu’il ſeroit3 ſur le trône, les pluies tomberoient à propos, les rivieres ne cauſeroient [32] point de ravages, les campagnes n’éprouveroient point de ſtérilité, les hommes ne périroient point par les influences malignes d’un air contagieux. Cet uſage pouvoit tenir au gouvernement théocratique dont on trouve encore des traces dans preſque toutes les nations de l’univers. Peut-être auſſi le but de ce ſerment bizarre étoit-il de faire entendre au nouveau ſouverain, que les malheurs d’un état venant preſque toujours des déſordres de l’adminiſtration, il devoit regner avec tant de modération & de ſageſſe, qu’on ne put jamais regarder les calamités publiques comme l’effet de ſon imprudence, ou comme une juſte punition de ſes déréglémens.
L’empire étoit électif, & quelques rois ou caciques étoient les électeurs. Ils choiſiſſoient d’ordinaire un d’entr’eux1. On lui faiſoit jurer que tout le tems2 qu’il ſeroit3 ſur le trône, les pluies tomberoient à propos, les rivieres ne cauſeroient point de ravages, les campagnes n’éprouveroient point de ſtérilité, les hommes ne périroient point par les influences malignes d’un air contagieux. Cet uſage pouvoit tenir au gouvernement théocratique, dont on trouve encore des traces dans preſque toutes les nations de l’univers. Peut-être auſſi le but de ce ſerment bizarre étoit-il de faire entendre au nouveau ſouverain, que les malheurs d’un état venant preſque toujours des déſordres de l’adminiſtration, il devoit régner avec tant de modération & de ſageſſe, qu’on ne pût jamais regarder les calamités publiques comme l’effet de ſon imprudence, ou [55]comme une juſte punition de ſes déréglemens.
L’empire étoit électif, & quelques rois ou caciques étoient les électeurs. Ils choiſiſſoient d’ordinaire un d’entr’eux1. On lui faiſoit jurer que tout le tems2 qu’il ſeroit3 ſur le trône, les pluies tomberoient à propos, les rivières ne cauſeroient point de ravages, les campagnes n’éprouveroient point de ſtérilité, les hommes ne périroient point par les influences malignes d’un air contagieux. Cet uſage pouvoit tenir au gouvernement théocratique, dont on trouve encore des traces dans preſque toutes les nations de l’univers. Peut-être auſſi le but de ce ſerment bizarre étoit-il de faire entendre au nouveau ſouverain, que les malheurs d’un état venant preſque toujours des déſordres de l’adminiſtration, il devoit régner avec tant de modération & de ſageſſe, qu’on ne pût jamais regarder les [397]calamités publiques comme l’effet de ſon imprudence, ou comme une juſte punition de ſes déréglemens.
L’empire était électif, et quelques rois ou caciques étaient les électeurs. Ils choisissaient d’ordinaire un d’entre eux1. On lui faisait jurer que tout le temps2 qu’il resterait3 sur le trône les pluies tomberaient à propos, les rivières ne causeraient point de ravages, les campagnes n’éprouveraient point de stérilité, les hommes ne périraient point par les influences malignes d’un air contagieux. Cet usage pouvait tenir au gouvernement théocratique, dont on trouve encore des traces dans presque toutes les nations de l’univers. Peut-être aussi le but de ce serment bizarre était-il de faire entendre au nouveau souverain que, les malheurs d’un état venant presque toujours des désordres de l’administration, il devait régner avec tant de modération et de sagesse, qu’on ne pût jamais regarder les calamités publiques comme l’effet de son imprudence, ou comme une juste punition de ses dérèglemens.
194
Il y1 avoit les plus belles loix3 pour obliger à ne donner la couronne qu’au merite ; jamais les4 prêtres influoient beaucoup5 dans les élections.
On1 avoit fait2 les plus belles loix3 pour obliger à ne donner la couronne qu’au mérite ; mais la ſuperſtition donnoit aux4 prêtres une grande influence5 dans les élections.
On1 avoit fait2 les plus belles loix3 pour obliger à ne donner la couronne qu’au mérite : mais la ſuperſtition donnoit aux4 prêtres une grande influence5 dans les élections.
On1 avait fait2 les plus belles lois3 pour obliger à ne donner la couronne qu’au mérite ; mais la superstition donnait aux4 prêtres une grande influence5 dans les élections.
195
Dès qu’il1 étoit inſtallé, l’empereur2 étoit obligé de faire la guerre, & d’amener des priſonniers aux dieux. Ce prince quoique électif, étoit fort abſolu ; parce qu’il n’y avoit point de loix3 écrites, & qu’il pouvoit changer les uſages reçus.
Dès que l’empereur1 étoit inſtallé, il2 étoit obligé de faire la guerre, & d’amener des priſonniers aux Dieux. Ce prince, quoique électif, étoit fort abſolu, parce qu’il n’y avoit point de loix3 écrites, & qu’il pouvoit changer les uſages reçus.
Dès que l’empereur1 étoit inſtallé, il2 étoit obligé de faire la guerre, & d’amener des priſonniers aux dieux. Ce prince, quoique électif, étoit fort abſolu, parce qu’il n’y avoit point de loix3 écrites, & qu’il pouvoit changer les uſages reçus.
Dès que l’empereur1 était installé, il2 était obligé de faire la guerre et d’amener des prisonniers aux dieux. Ce prince, quoique électif, était fort absolu, parce qu’il n’y avait point de lois3 écrites, et qu’il pouvait changer les usages reçus.
196
Il y avoit des conſeils de finance, de guerre ; de commerce, de juſtice, de tribunaux répandus dans les provinces reſſortiſſoient à ces conſeils. Il y avoit auſſi des juges à peu près ſemblables à nos prévôts qui jugeoient ſur le champ les parties ; mais du jugement deſquels on appelloit aux tribunaux.

[absent]

[absent]

[absent]
197
Preſque toutes les formes de la juſtice & les étiquettes de la cour, étoient conſacrées par la religion.
Preſque toutes les formes de la juſtice & les étiquettes de la cour, étoient conſacrées par la religion.
Preſque toutes les formes de la juſtice & les étiquettes de la cour étoient conſacrées par la religion.
Presque toutes les formes de la justice et les étiquettes de la cour étaient consacrées par la religion.
198
Les loix1 puniſſoient les crimes qui ſe puniſſent par tout2 ; mais les prêtres ſuivoient ſouvent les criminels.
Les loix1 puniſſoient les crimes qui ſe puniſſent par-tout2 ; mais les prêtres ſauvoient ſouvent les criminels.
Les loix1 puniſſoient les crimes qui ſe puniſſent par-tout2 : mais les prêtres ſauvoient ſouvent les criminels.
Les lois1 punissaient les crimes qui se punissent partout2 ; mais les prêtres sauvaient souvent les criminels.
199
Il y avoit deux loix1 propres à faire périr bien des innocens, & qui devoient appeſantir ſur les Mexicains le double joug du deſpotiſme & de la ſuperſtition. Elles condamnoient à mort ceux qui auroient bleſſé la ſainteté de la religion, & ceux qui auroient bleſſé la majeſté du prince. On voit combien des loix2 ſi peu précieuſes3 facilitoient les vengeances particulieres, ou les vues intéreſſées des prêtres & des courtiſans.
Il y avoit deux loix1 propres à faire périr bien des innocens, & qui devoient appeſantir ſur les Mexicains le double joug du despotiſme & de la ſuperſtition. Elles condamnoient à mort ceux qui auroient bleſſé la ſainteté de la religion, & ceux qui auroient bleſſé la majeſté du prince. On voit combien des loix2 ſi peu préciſes3 facilitoient les vengeances particulieres, ou les vues intéreſſées des prêtres & des courtiſans.
Il y avoit deux loix1 propres à faire périr bien des innocens, & qui devoient appeſantir ſur les Mexicains le double joug du deſpotiſme & de la ſuperſtition. Elles condamnoient à mort ceux qui auroient bleſſé la ſainteté de la religion, & ceux qui auroient bleſſé la majeſté du prince. On voit combien [398]des loix2 ſi peu préciſes3 facilitoient les vengeances particulières, ou les vues intéreſſées des prêtres & des courtiſans.
Il y avait deux lois1 propres à faire périr bien des innocens, et qui devaient appesantir sur les Mexicains le double joug du despotisme et de la superstition. Elles condamnaient à mort ceux qui auraient blessé la sainteté de la religion, et ceux qui auraient blessé la majesté du prince. On voit combien des lois2 si peu précises3 facilitaient les vengeances particulières, ou les vues intéressées des prêtres et des courtisans.
200
On ne parvenoit à la nobleſſe, & les nobles ne parvenoient aux dignités que par des preuves, de courage, de piété & de patience. On faiſoit dans les temples un noviciat plus pénible que dans les armées ; & enſuite, ces nobles auxquels il en avoit tant coûté pour l’être, ſe dévouoient aux fonctions les plus viles dans le palais des empereurs.
On ne parvenoit à la nobleſſe, & les nobles ne parvenoient aux dignités que par des [56]preuves de courage, de piété & de patience On faiſoit dans les temples un noviciat plus pénible que dans les armées ; & enſuite, ces nobles auxquels il en avoit tant coûté pour l’être, ſe dévouoient aux fonctions les plus viles dans le palais des empereurs.
On ne parvenoit à la nobleſſe, & les nobles ne parvenoient aux dignités que par des preuves de courage, de piété & de patience. On faiſoit dans les temples un noviciat plus pénible que dans les armées ; & enſuite, ces nobles auxquels il en avoit tant coûté pour l’être, ſe dévouoient aux fonctions les plus viles dans le palais des empereurs.
On ne parvenait à la noblesse, et les nobles ne parvenaient aux dignités que par des preuves de courage, de piété et de patience. On faisait dans les temples un noviciat plus pénible que dans les armées ; et ensuite ces nobles, auxquels il en avait tant coûté pour l’être, se dévouaient aux fonctions les plus viles dans le palais des empereurs.
201
Cortez1 penſa que dans la multitude des vaiſſeaux2 du Mexique, il y en auroit qui ſecoueroient volontiers le joug, & s’aſſocieroient aux Eſpagnols.
Cortez1 penſa que dans la multitude des vaſſaux2 du Mexique, il y en auroit qui ſecoueroient volontiers le joug, & s’aſſocieroient aux Eſpagnols.
Cortès1 penſa que dans la multitude des vaſſaux2 du Mexique, il y en auroit qui ſecoueroient volontiers le joug, & s’aſſocieroient aux Eſpagnols.
Cortez1 pensa que dans la multitude des vassaux2 du Mexique il y en aurait qui secoueraient [285]volontiers le joug, et s’associeraient aux Espagnols.
202
Il avoit vu combien les Mexicains étoient haïs des petites nations dépendantes de leur empire, & combien les empereurs faiſoient ſentir durement leur puiſſance.
Il avoit vu combien les Mexicains étoient haïs des petites nations dépendantes de leur empire, & combien les empereurs faiſoient ſentir durement leur puiſſance.
Il avoit vu combien les Mexicains étoient haïs des petites nations dépendantes de leur empire, & combien les empereurs faiſoient ſentir durement leur puiſſance.
Il avait vu combien les Mexicains étaient haïs des petites nations dépendantes de leur empire, et combien les empereurs faisaient sentir durement leur puissance.
203
Il s’étoit apperçu1 que la plupart des provinces déteſtoient la religion de la capitale, & que dans Mexico même, les nobles &2 les hommes riches, dont la3 ſociété diminuoit la férocité des préjugés & des mœurs du peuple, n’avoient plus que de l’indifférence pour cette religion. Pluſieurs d’entre les nobles étoient révoltés d’exercer les emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
Il s’étoit apperçu1 que la plûpart des provinces déteſtoient la religion de la capitale, & que dans Mexico même, les nobles &2 les hommes riches, dans qui l’eſprit de3 ſociété diminuoit la férocité des préjugés & des mœurs du peuple, n’avoient plus que de l’indifférence pour cette réligion. Pluſieurs d’entre les nobles étoient révoltés d’exercer les emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
Il s’étoit apperçu1 que la plupart des provinces déteſtoient la religion de la capitale, & que dans Mexico même, les grands2, les hommes riches, dans qui l’eſprit de3 ſociété diminuoit la férocité des préjugés & des mœurs du peuple, n’avoient plus que de l’indifférence pour cette religion. Pluſieurs [399]d’entre les nobles étoient révoltés d’exercer les emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
Il s’était aperçu1 que la plupart des provinces détestaient la religion de la capitale, et que, dans Mexico même, les grands2, les hommes riches, dans qui l’esprit de3 société diminuait la férocité des préjugés et des mœurs du peuple, n’avaient plus que de l’indifférence pour cette religion. Plusieurs d’entre les nobles étaient révoltés d’exercer les emplois les plus humilians auprès de leurs maîtres.
204
Après avoir reçu quelques foibles ſecours des iſles Eſpagnoles1, obtenus des troupes de la république de Haſcala, & fait quelques nouveaux [34]alliés, Cortez retourna vers la capitale de l’empire.
Après avoir reçu quelques foibles ſecours des Eſpagnols1, obtenu des troupes de la république de Tlaſcala, & fait quelques nouveaux alliés, Cortez retourna vers la capitale de l’empire.

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[absent]
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Depuis ſix mois, Cortès mûriſſoit1, en ſilence, ſes grands projets, lorſqu’on le vit ſortir de ſa retraite, ſuivi2 de cinq cens quatre-vingt-dix Eſpagnols3, de dix mille Tlaſcaltèques, de quelques autres Indiens, amenant quarante chevaux & traînant huit ou neuf pièces de campagne4. Sa marche vers le centre des états Mexicains5 fut facile & rapide. Les petites nations, qui auroient pu la retarder ou l’embarraſſer, furent toutes aiſément ſubjuguées, ou ſe donnèrent librement a lui. Pluſieurs des6 peuplades qui occupoient les environs de la capitale de l’empire7, furent auſſi8 forcées de ſubir ſes loix9 ou s’y10 ſoumirent d’elles-mêmes.
Depuis six mois Cortez nourrissait1 en silence ses grands projets, lorsqu’il pensa que le temps était venu2 de sortir3 de sa retraite4. Sa marche vers le centre de l’empire du Mexique5 fut facile et rapide. Les petites nations qui auraient pu la retarder ou l’embarrasser furent toutes aisément subjuguées ou se donnèrent librement à lui. Plusieurs peuplades qui occupaient les environs de la capitale furent également8 forcées de subir ses lois9, ou se10 soumirent d’elles-mêmes.
206

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Des ſuccès propres étonner, même les plus préſomptueux1, auroient dû naturellement livrer2 tous les cœurs au chef intrépide & prévoyant dont ils étoient l’ouvrage3. Il n’en fut pas ainſi. Parmi ſes4 ſoldats Eſpagnols, il s’en trouvoit un aſſez grand nombre qui avoient trop bien conſervé le ſouvenir des dangers auxquels ils avoient ſi difficilement [400] échappé. La crainte de ceux qu’il falloit courir encore les rendit perfides5. Ils convinrent entre eux de maſſacrer leur général & de faire paſſer6 le commandement à un officier, qui, abandonnant des projets qui leur paroiſſoient extravagans, prendroit des meſures ſages pour leur conſervation7. La trahiſon alloit s’exécuter, quand8 le remords conduiſit un des conjurés aux pieds de Cortès. Auſſi tôt ce génie hardi, dont les événemens inattendus développoient de plus en plus les reſſources, fait arrêter, juger9 & punir Villafagna, moteur principal d’un ſi noir complot10 ; mais après lui avoir12 arraché une liſte exacte de tous13 ſes complices. Il s’agiſſoit de diſſiper les inquiétudes que cette découverte pouvoit14 cauſer. On y réuſſit, en publiant que le ſcélérat a15 déchiré un16 papier qui contenoit, ſans doute, le plan de la conſpiration ou17 le nom des aſſociés18, & qu’il a emporté ſon ſecret au tombeau, malgré la rigueur19 des ſupplices employés20 pour le lui arracher21.
Ces premiers succès1 auraient dû, ce semble, ouvrir2 tous les cœurs l’espérance3. Il n’en fut pas ainsi. Parmi les4 soldats espagnols il s’en trouvait un assez grand nombre qui avaient trop bien conservé le souvenir des dangers auxquels [286]ils avaient si difficilemenr échappé. La crainte de ceux qu’il fallait courir encore les précipita dans le plus noir de tous les complots5. Ils convinrent entre eux de massacrer leur général, et de déférer6 le commandement à un officier qui, abandonnant sans peine une entreprise dont un autre avait formé le plan, ne ferait aucune difficulté de les ramener au lieu où ils s’étaient embarqués7. La trahison allait s’exécuter lorsque8 le remords conduisit un des conjurés aux pieds de Cortez. Leur chef Villefagna fut aussitôt arrêté9, et livré au dernier supplice10, mais après qu’on11 lui eut12 arraché une liste exacte de ses complices. Il s’agissait de dissiper les inquiétudes que cette découverte devait infailliblement14 causer. On y réussit en publiant que le scélérat avait15 déchiré le16 papier qui contenait le nom des coupables, et emporté au tombeau17 le secret d’une association si honteuse18 et si criminelle. Par cet heureux artifice furent conservés avec bienséance19 des hommes nécessaires, et qui20, pour dissiper les défiances que leurs liaisons avaient pu faire naître, ne pouvaient manquer de redoubler de soumission et de courage21.
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Cependant, pour ne pas donner aux troupes le tems de trop réfléchir ſur ce qui vient de ſe paſſer, le général ſe hâta d’attaquer Mexico, le grand objet de ſon ambition & le [401]terme des eſpérances de l’armée. Ce projet préſentoit de grandes difficultés.

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Cet orage était à peine dissipé, qu’on vit s’en former un autre. Xicotencatl, qui d’abord avait commandé l’armée de Tlascala, levée pour repousser les Espagnols, conduisait alors les troupes que la république s’était déterminée à mettre sous leurs drapeaux. Soit ressentiment de ses anciennes [287] défaites, soit quelque mécontentement nouveau, il résolut de ne pas concourir au succès d’une entreprise dont le succès lui paraissait devoir couvrir de gloire son vainqueur. La douce voie de la persuasion fut en vain tentée pour le retenir au camp. Le fier Américain n’en fut que plus affermi dans son projet de désertion. Son audace se soutint à l’aspect même des forces envoyées pour le réduire ; et il ne cessa de combattre qu’en cessant de vivre. A sa mort, le petit nombre de soldats de sa nation qu’il avait séduits rentrèrent dans le devoir, et leur conduite fut toujours depuis sans reproche.
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L’oisiveté forcée où à cette époque languissait l’armée pouvait occasionner de nouveaux soulèvemens. Les circonstances permirent, exigèrent même qu’on la tirât de son inaction. Les observations qu’avait faites Cortez pendant son séjour à Mexico, les énormes pertes qu’il avait essuyées quand il en était sorti, tout l’avait convaincu que la prise de cette grande ville serait difficile, impossible peut-être, si l’on ne parvenait à se rendre maître des lacs qui en faisaient la force. Mais comment acquérir cet empire ? Le hasard voulut qu’il se trouvât parmi les aventuriers espagnols un homme en état de rendre un si important service. Martin Lopez se chargea de construire des bâtimens tels qu’il les fallait, sans d’autres moyens que les voiles, les câbles, les ferremens conservés à la Véra-Cruz, que les bois qu’il lui fut permis [288]d’abattre, que le secours de quatre ou cinq charpentiers mêlés dans les troupes, que les bras de quelques Indiens moins paresseux ou moins ineptes que les autres. Au temps dont nous parlons, les matériaux, préparés à Tlascala, furent portés sous bonne escorte à Tezcuco, la seconde ville de l’empire, située sur les bords des lacs, et devenue toute espagnole. De leur rassemblement sortirent treize brigantins qui permirent de commencer le siége.
210

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Tout à Mexico était préparé pour une résistance opiniâtre. Une alliance avec Tlascala avait paru à Quatlavaca, successeur immédiat de Montézuma, la plus sûre voie pour exterminer les Espagnols ; mais jamais il ne put obtenir de la république qu’elle se déclarât contre eux, ni même qu’elle se détachât de leurs intérêts. Réduit aux moyens qui lui étaient propres, il n’en negligea aucun. Les petites nations tributaires de l’empire n’éprouvèrent plus les hauteurs qui les avaient alienées. L’on adoucit ou l’on supprima les impôts, sous lesquels les sujets succombaient. La noblesse cessa d’être avilie par les plus vils offices. L’accès auprès du trône devint facile à tous les ordres de la société. Les fortifications détruites furent réparées, et de nouvelles mieux entendues s’élevèrent. Les arsenaux se remplirent d’armes et les magasins de vivres. La milice, plus nombreuse et plus régulièrement exercée, se forma aux évolutions. Des poignards arrachés [289]à l’ennemi dans des combats précédens, furent attachés à de longues piques pour repousser la cavalerie, qui portait le désordre et le carnage dans tous les rangs. La petite vérole, qui pour la première fois se montrait dans cette partie du Nouveau-Monde, emporta un prince si digne de régner ; mais il fut remplacé par Guatimosin, qui, quoique jeune encore, se livra aux soins du gouvernement avec autant d’assiduité que son prédécesseur, et même plus utilement, parce qu’il avait à un plus haut degré que lui la confiance et l’amour des peuples.
211

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Des montagnes, qui1 la plupart avoient mille pieds d’élévation, entouroient une plaine d’environ quarante lieues. La majeure partie de ce vaſte eſpace étoit occupée par des3 lacs qui communiquoient enſemble. A l’extrémité ſeptentrionale du plus grand, avoit été bâtie4, dans quelques petites iſles5, la plus conſidérable cité qui exiſtât dans le Nouveau-Monde6, avant que les Européens l’euſſent découvert. On y arrivoit par trois chauſſées plus ou moins longues, mais toutes larges & ſolidement conſtruites. Les habitans des rivages trop éloignés de ces grandes voies, s’y rendoient ſur leurs canots.
Des montagnes, dont1 la plupart avaient mille pieds d’élévation, entouraient une plaine d’environ quarante lieues, qui depuis quelques mois était le théâtre de la guerre2. La majeure partie de ce vaste espace était occupée par deux3 lacs qui communiquaient ensemble. A l’extrémité septentrionale du plus étendu s’élevait4 dans quelques petites îles5 la plus considérable cité qui existât dans le nouvel hémisphère6 avant que les Européens l’eussent découvert. On y arrivait par trois chaussées plus ou moins longues, mais toutes larges et solidement construites. Les habitans des rivages trop éloignés de ces grandes voies s’y rendaient sur leurs canots.
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La ville, entourée d’eau salée, en recevait de douce par un aquéduc qui s’étendait depuis ses murailles jusqu’aux hauteurs de Chapultepeque. Cortez jugea convenable de commencer le siége [290]par la destruction des tuyaux qui formaient la communication. Ses lieutenans exécutèrent ses ordres après avoir dissipé les troupes envoyées pour s’y opposer. Alors les assiégés furent réduits à une boisson malsaine, ou, pour s’en procurer une plus salubre, obligés d’employer des forces qui auraient servi ailleurs utilement.
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L’attaque régulière de la place suivit de près ce premier succès. Cortez comptait alors sous ses drapeaux huit cent dix-huit fantassins, et quatre-vingt-six cavaliers européens successivement arrivés de Cuba, de la Jamaïque, de Saint-Domingue, des Canaries, de la Castille, et que des motifs divers avaient attirés ou fixés auprès de lui. Il avait dix-sept pièces d’artillerie de différens calibres, avec les armes et les munitions qu’exigeaient ses grands projets. Cent mille Américains, impatiens de venger d’anciennes injures, s’étaient rendus dans son camp. Ces troupes formèrent trois divisions, chacune composée de cent cinquante Espagnols de pied, de vingt-huit ou trente chevaux, de trente mille auxiliaires, et pourvue d’une ou deux pièces de campagne. Sandoval, qui commandait la première, devait agir sur la chaussée de Tezcuco ; Alvarado, qui conduisait la seconde, sur la chaussée de Tacuba ; et Olid, à laquelle la troisième obéissait, sur la chaussée de Gayoacan. Toutes, par des marches parallèles et bien combinées, devaient, s’il était possible, arriver dans le même temps aux [291]portes de Mexico où aboutissaient les chaussées.
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Le poste du général était partout. Indépendamment des opérations militaires qu’il dirigea toujours jusque dans les moindres détails, il lui fallait, par des caresses adroitement ménagées, exciter l’indolence si naturelle aux Américains ; contenir par des règlemens sévères les peuples qu’il avait séduits ou entraînés ; rendre dociles à sa voix, aux signaux, aux évolutions, des combattans qui n’étaient pas formés à la discipline ; maintenir une harmonie imperturbable entre des hommes divisés de temps immémorial par des antipathies nationales ; pourvoir à la subsistance d’une très-nombreuse armée dans une contrée ravagée, dépouillée, épuisée. Malgré des soins si multipliés, il crut devoir s’embarquer sur la flottille, après avoir placé sur chacun des grossiers bâtimens qui la formaient vingt-cinq Espagnols, un plus grand nombre de soldats auxiliaires, douze rameurs indiens, et un canon. Quatre mille pirogues s’avancèrent pour l’attaquer. Un calme profond qui régnait alors leur laissait quelque espoir de succès. Mais bientôt une brise, enflant les voiles des brigantins, les poussa sur ces faibles canots, qui, écrasés par ces masses relativement énormes, furent la plupart engloutis ou mis en pièces, tandis que ceux qui avaient échappé à ce malheur voyaient périr leurs défenseurs par le fer ou par le feu de l’ennemi. Le reste, épouvanté, se retira en désordre dans les lieux dont on était parti.
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Voyant sa domination imperturbablement établie sur le lac, Cortez vola au secours de ceux de ses lieutenans qui étaient le plus pressés sur les chaussées, et, après avoir amélioré leur situation, attacha à chacun des corps à leurs ordres une partie de ses forces navales, dont il avait formé trois petites escadres destinées à agir séparément, ou à se réunir selon les circonstances. Ces dispositions faites, il se mit à la tête de ses meilleures troupes, et par d’heureuses combinaisons arriva aux portes de la capitale, où il franchit quelques-unes des tranchées, détruisit plusieurs des fortifications qui les couvraient. L’impossibilité de surmonter d’autres obstacles qu’on lui opposa rendit la retraite nécessaire ; mais elle était devenue plus que difficile. Julien de Aldereto, chargé de la garde d’un poste qui devait l’assurer, n’avait pas trouvé cette fonction assez honorable ou assez lucrative, et l’avait quittée pour aller cueillir des lauriers ou partager un butin qui devaient illustrer et enrichir ses compagnons. Les Mexicains remarquèrent cette faute énorme, et la mirent à profit. Beaucoup d’entre eux se rendirent par des voies détournées au lieu abandonné, et s’y formèrent avec plus d’art qu’ils n’en avaient montré jusqu’alors. Attaquée par-devant, combattue par-derrière, inquiétée sur ses flancs, l’armée, qui se retirait, put se croire sans ressource. La terreur précipita ses auxiliaires dans une ouverture qui occupait toute la largeur de la digue, et ils y [293]périrent par milliers. Les Espagnols montrèrent plus de fermeté ; mais la plupart furent plus ou moins dangereusement blessés. Plusieurs trouvèrent la mort dans cette mémorable action. Quarante même tombèrent vivans au pouvoir du vainqueur.
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Le sang des malheureux prisonniers coula sur les autels. Leurs têtes furent envoyées dans les villes les plus importantes, comme un témoignage éclatant de la victoire qu’on venait de remporter. Le dieu de la guerre déclara par l’organe de ses ministres qu’apaisé par les holocaustes qui venaient de lui être offerts, il exterminerait en moins de huit jours les ennemis de ses vrais adorateurs, et que la paix, le bonheur, allaient régner d’une extrémité de l’empire à l’autre. Cet oracle trouva une foi entière. Les provinces restées fidèles à Guatimosin lui envoyèrent de nouveaux secours. Celles qui avaient vu d’un œil passif ses infortunes sortirent de leur indifférence. Quelques-unes qui s’étaient déclarées contre lui rentrèrent dans la soumission. Les Indiens même auxiliaires des Espagnols, qui avaient des superstitions semblables à celles des Mexicains, et qui ne croyaient pas moins obstinément qu’eux à l’infaillibilité des prêtres, désertant des étendards sous lesquels ils avaient jusqu’alors combattu, abandonnèrent à leur mauvais sort des alliés dont la ruine leur paraissait si assurée et si prochaine.
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Cortez, instruit des motifs de cette défection [294]générale, députa aux fugitifs le petit nombre de leurs officiers qui, préférant l’honneur à la vie, avaient persévéré dans leurs premiers engagemens. Ils devaient inviter leurs soldats à suspendre leur marche jusqu’à l’époque fixe et peu éloignée où ils pourraient juger si c’était à de vraies ou à de fausses prédictions qu’ils avaient cédé. La demande parut raisonnable, et l’on s’arrêta où l’on était. Au terme annoncé, il se trouva que les Espagnols, quoique attaqués sans relâche, quoique privés de toute assistance étrangère, n’avaient éprouvé aucun malheur. L’illusion fut alors dissipée ; et les déserteurs, honteux de leur crédulité, rentrèrent au camp avec plus de célérité encore qu’ils n’en étaient depuis peu sortis. Ils ne tardèrent pas à être joints par des milliers d’Indiens qui n’en avaient jamais approché, et que les impostures sacerdotales y poussaient.
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Le siége fut repris, mais sur un nouveau plan. Dans le premier, les Espagnols, impatiens d’acquérir, impatiens de jouir, avaient pensé pouvoir s’écarter sans inconvénient de la méthode usitée dans l’attaque des places fortes. Leurs travaux se réduisaient à rétablir les ponts qu’ils trouvaient rompus, à combler les tranchées qu’ils trouvaient creusées, à détruire les retranchemens qu’ils trouvaient élevés sur leur route. Quelquefois ils ne surmontaient qu’une partie des obstacles qu’on leur opposait, et quelquefois ils arrivaient en douze heures aux portes de la cité, dont le plus ardent [295]de leurs désirs était de se voir en possession. Quel que fût l’événement, ils étaient réduits à regagner chaque soir leurs camps, placés à l’extrémité des trois chaussées, dans l’espoir de s’y procurer un peu de repos. Les Mexicains ne manquaient jamais de recouvrer la nuit les postes qui leur avaient été enlevés pendant le jour. Un mois s’était écoulé sans que les assaillans, affaiblis par leurs pertes, eussent obtenu aucun avantage permanent.
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Cortès ſe rendit maître de la navigation par le moyen des petits navires dont on avoit préparé les matériaux à Tlaſcala ; & il fit attaquer les digues par Sandoval, par Alvarado & par Olid, à chacun deſquels il avoit donné un nombre égal de canons, d’Eſpagnols & d’Indiens auxiliaires.

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Tout étoit diſpoſé de longue main pour une réſiſtance opiniâtre. Les moyens de défenſe avoient été préparés par Quetlavaca, [402]qui avoit remplacé Montezuma ſon frère : mais la petite vérole, portée dans ces contrées par un eſclave de Narvaès, l’avoit fait périr ; & lorſque le ſiège commença, c’étoit Guatimoſin qui tenoit les rênes de l’empire.

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Guatimozin fit des efforts extraordinaires pour ſe dégager. Ses ſujets combattirent avec autant1 de fureur que jamais. Cependant2 les Eſpagnols conſerverent leurs poſtes3, & porterent leurs attaques juſqu’au centre de4 la ville. Lorſque5 les Mexicains purent craindre qu’elle ne fut emportée, & que les vivres commencerent à manquer totalement, ils voulurent ſauver leur empereur [36]. Ce prince conſentit6tenter de s’échapper pour aller continuer la guerre dans le nord7 de ſes états. Une partie des ſiens ſe dévoua noblement à la mort pour faciliter ſa retraite en occupant les aſſiégeans ; mais8 un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné monarque. Un financier Eſpagnol imagina que Guatimozin9 avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens. Son favori expoſé à la même torture lui adreſſoit de triſtes plaintes : & moi, lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ?Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes. Un jour10 les Mexicains le rédiront11 à leurs enfans, quand le tems ſera venu de12 rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, de13 noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang. Ce peuple aura14 peut-être les actes de ces martyrs, l’hiſtoire15 de ſes perſécuteurs16. On y lira17 ſans doute, que Guatimozin18 fut tiré demi mort19 d’un gril ardent, & que trois ans après il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
Guatimozin fit des efforts extraordinaires pour ſe dégager. Ses ſujets combattirent avec [60]autant1 de fureur que jamais. Cependant2 les Eſpagnols conſerverent leurs poſtes3, & porterent leurs attaques juſqu’au centre de4 la ville. Lorſque5 les Mexicains purent craindre qu’elle ne fût emportée, quand les vivres commencerent à leur manquer, ils voulurent ſauver leur empereur. Ce prince conſentit6tenter de s’échapper, pour aller continuer la guerre dans le nord7 de ſes états. Une partie des ſiens ſe dévoua noblement à la mort pour faciliter ſa retraite, en occupant les aſſiégeans ; mais8 un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné Monarque. Un financier Eſpagnol imagina que Guatimozin9 avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens. Son favori expoſé à la même torture, lui adreſſoit de triſtes plaintes : & moi lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ? Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes. Un jour10 les Mexicains le rediront11 à leurs enfans, quand ſera venu de12 rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, de13 noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang. Ce peuple aura14 peut-être les actes de ſes martyrs, l’hiſtoire15 de ſes perſécuteurs16. On y lira17, ſans donte, que Guatimozin18 fut tiré demi mort19 d’un gril ardent, & que trois ans après il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir [61] conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
Les actions de ce jeune prince furent toutes héroïques & toutes prudentes. Le feu de ſes regards, l’élévation de ſes diſcours, l’éclat1 de ſon courage faiſoient ſur ſes peuples l’impreſſion qu’il deſiroit. Il diſputa le terrein pied pied ; & jamais il n’en abandonna un pouce qui ne fût jonché des cadavres de ſes ſoldats & teint du ſang de ſes ennemis. Cinquante mille hommes, accourus de toutes2 les parties de l’empire la défenſe de leur maître3 & de leurs dieux, avoient péri par le fer ou par le feu4 ; la famine faiſoit tous5 les jours des ravages inexprimables ; des maladies contagieuſes s’étoient jointes tant de calamités, ſans que ſon ame eût été un inſtant, un ſeul inſtant ébranlée. Les aſſaillans, après cent combats meurtriers & de grandes pertes, étoient parvenus au centre de la place, qu’il ne ſongeoit pas encore6céder. On le fit enfin conſentir s’éloigner des décombres qui ne pouvoient plus être défendus, pour aller continuer la [403]guerre dans les provinces. Dans la vue7 de faciliter cette retraite, quelques ouvertures de paix furent faites Cortès : mais cette noble ruſe n’eut pas le ſuccès qu’elle méritoit ; &8 un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné monarque. Un financier Eſpagnol imagina que Guatimoſin9 avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens. Son favori, expoſé à la même torture, lui adreſſoit de triſtes plaintes :Et moi, lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ? Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes. Les Mexicains le rediroient11 à leurs enfans, ſi quelque jour ils pouvoient12 rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang. Ce peuple auroit14 peut-être les actes de ſes martyrs, les annales15 de ſes perſécutions16. On y liroit17, ſans doute, que Guatimoſin18 fut tiré demi-mort19 d’un gril ardent, & que, trois ans après, il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
Le vice de ce système frappa Cortez. La circonspection lui parut devoir remplacer l’audace. Il prit le parti d’aller pas pas, et1 de ne se porter en avant qu’après avoir mis hors d’insulte, par les bras de ses auxiliaires, les postes dont il s’était emparé avec une plus grande ou une moindre effusion de sang. Cette manière de faire la guerre, inconnue dans le Nouveau-Monde, étonna les Mexicains sans2 les abattre. Cinquante mille des innombrables défenseurs accourus au secours de leurs dieux3 et de leur empire avaient péri par le fer ou par le feu4 ; la famine faisait tous5 les jours des ravages inexprimables ; des maladies contagieuses moissonnaient ceux qui avaient échappé au glaive et la disette ; l’ennemi était parvenu au centre de leur capitale, qu’ils ne songeaient pas encore6céder. Tous consentirent s’ensevelir sous les ruines de leurs temples et de leurs maisons, pourvu que leur magnanime maître s’éloignât pour aller couvrir les provinces. Dans la [296]vue7 de faciliter cette retraite, quelques ouvertures de paix furent faites ; mais cette noble ruse n’eut pas le succès qu’elle méritait, et8 un brigantin s’empara du canot où était le généreux et infortuné monarque. Un financier espagnol imagina que Guatimosin9 avait des trésors cachés ; et, pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre sur des charbons ardens. Son favori, exposé à la même torture, lui adressait de tristes plaintes : Et moi, lui dit l’empereur, suis-je sur des roses ? mot comparable à tous ceux que l’histoire a transmis à l’admiration des hommes. Les Mexicains le rediraient11 à leurs enfans, si quelque jour ils pouvaient12 rendre aux Espagnols supplice pour supplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le sang. Ce peuple aurait14 peut-être les actes de ses martyrs, les annales15 de ses persécutions16. On y lirait17 sans doute que Guatimosin18 fut tiré demi-mort19 d’un gril ardent, et que, trois ans après, il fut pendu publiquement, sous prétexte d’avoir conspiré contre ses tyrans et ses bourreaux.
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De tous les événemens militaires dont le Nouveau-Monde a été le théâtre, le siége de Mexico, qui ne se rendit, le 13 août 1521, qu’après quatre-vingt-treize jours d’une attaque et d’une défense opiniâtres, fut de beaucoup le plus éclatant. Il s’y fit des deux côtés des actions dignes de fixer l’attention de la postérité la plus reculée. Une exposition simple de ces faits héroïques aurait [297]trouvé une créance universelle. Le merveilleux dont les historiens espagnols ont eu la vanité de les envelopper a jeté une grande défaveur sur leurs récits. Les gens éclairés ont surtout refusé d’ajouter foi aux dénombremens qui portent à quatre cent mille le nombre des combattans de l’un ou de l’autre parti. On nous fera la justice de penser que c’est aussi notre opinion, quoique, privé de meilleurs guides, nous ayons été réduit à adopter dans notre narration les calculs de Cortez, de ses compagnons, de ses admirateurs. On ne connaît aucun écrivain qui ait tenté jusqu’ici d’expliquer comment, dans un pays où l’agriculture était dans l’enfance, et dont les habitans n’étendaient pas leur prévoyance jusqu’au lendemain, purent être rassemblées des subsistances suffisantes pour nourrir tant d’hommes trois mois et plus. Les conquérans imaginèrent de résoudre le problème en disant que les Indiens dévoraient réciproquement les prisonniers qu’ils avaient faits, les ennemis qu’ils avaient tués, et qu’ils en séchaient ou salaient le superflu pour s’en servir dans le besoin. Le lecteur portera de cette ressource le jugement qui lui conviendra. Il aura encore à prononcer sur l’idée qu’il faut se former de l’ancien Mexico.
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Mexico étoit bâtie dans une iſle au milieu d’un grand lac. Elle contenoit vingt1 mille maiſons, un peuple immenſe, &2 de beaux édifices. Le palais de l’empereur4 bâti de marbre & de jaſpe, étoit lui ſeul auſſi grand qu’une ville. On y admiroit les jardins, les fontaines, les5 bains & les ornemens. On y voyoit des6 ſtatues qui repréſentoient des animaux7. Il étoit rempli de tableaux fait avec des plumes ; l’éclat des couleurs étoit fort vif, & ils avoient9 de la vérité. Trois mille Caciques avoient leurs palais dans Mexico : ils étoient vaſtes & plein de commodités. Ces Caciques10 avoient la plupart11, ainſi que l’empereur, des ménageries où étoient raſſemblés tous les animaux du nouveau continent, &12 des appartemens où étoient étalées des curioſités naturelles13. Leurs jardins étoient peuplés de plantes de toute eſpece. Les beautés de la nature, ce qu’elle a14 de rare & de brillant, doit être15 un objet de luxe chez des peuples riches16 où la nature eſt17 belle, & où18 les arts ſont19 imparfaits. Les temples étoient en grand nombre, & la plupart magnifiques, mais teint de20 ſang, & tapiſſés des têtes des malheureux qu’on avoit ſacrifiés.
Mexico étoit ſituée dans une iſle, au milieu d’un grand lac. Si l’on en croit les Eſpagnols, cette ville contenoit vingt1 mille maiſons, un [57]peuple immenſe, de beaux édifices. Le palais de l’empereur4, bâti de marbre & de jaſpe, étoit d’une étendue prodigieuſe. On y admiroit les fontaines, les5 bains, les ornemens & les6 ſtatues qui repréſentoient des animaux7. Il étoit rempli de tableaux qui, quoique8 faits avec des plumes, avoient de la couleur, de l’éclat9, de la vérité. La plûpart des Caciques10 avoient, ainſi que l’empereur, des ménageries où étoient raſſemblés tous les animaux du nouveau continent, &12 des appartemens où étoient étalées des curioſités naturelles13. Leurs jardins étoient peuplés de plantes de toute eſpece. Tout ce que la nature a14 de rare & de brillant, étoit15 un objet de luxe chez un peuple riche16 où la nature étoit17 belle, & où18 les arts étoient19 imparfaits. Les temples étoient en grand nombre, & la plûpart magnifiques, mais teints de20 ſang & tapiſſés des têtes des malheureux qu’on avoit ſacrifiés.
Si l’on en croit les Eſpagnols, Mexico, [404]dont après deux mois & demi d’une attaque vive & régulière, ils s’étoient enfin emparés avec le ſecours de ſoixante ou de cent mille Indiens alliés, & par la ſupériorité de leur diſcipline, de leurs armes & de leurs navires : ce Mexico étoit une ville ſuperbe. Ses murs renfermoient trente1 mille maiſons, un peuple immenſe, de beaux édifices. Le palais du chef3 de l’état4, bâti de marbre & de jaſpe, avoit une étendue prodigieuſe. Des5 bains, des fontaines, des6 ſtatues le décoroient7. Il étoit rempli de tableaux, qui, quoique8 faits avec des plumes ſeulement, avoient de la couleur, de l’éclat9, de la vérité. La plupart des grands10 avoient, ainſi que l’empereur, des ménageries où étoient raſſemblés tous les animaux du nouveau continent. Des plantes de toute eſpèce couvroient13 leurs jardins. Ce que le ſol & le climat avoient14 de rare & de brillant, étoit15 un objet de luxe chez une nation riche16, où la nature étoit17 belle & les arts imparfaits. Les temples étoient en grand nombre & la plupart magnifiques : mais teints du20 ſang & tapiſſés des têtes des malheureux qu’on avoit ſacrifiés.
Cette ville, nous dit-on, était superbe. Ses murs renfermaient soixante1 mille maisons, un peuple immense, de beaux édifices. Le palais du chef3 de l’état4, bâti de marbre et de jaspe, [298]avait une étendue prodigieuse. Des5 bains, des fontaines, des6 statues le décoraient7. Il était rempli de tableaux qui, quoique8 faits avec des plumes seulement, avaient de la couleur, de l’éclat9, de la vérité. La plupart des grands10 avaient, ainsi que l’empereur, des ménageries où étaient rassemblés tous les animaux du nouveau continent. Des plantes de toute espèce couvraient13 leurs jardins. Ce que le sol et le climat avaient14 de rare et de brillant était15 un objet de luxe chez une nation riche16 où la nature était17 belle et les arts imparfaits. Les temples étaient en grand nombre, et la plupart magnifiques, mais teints du20 sang et tapissés des têtes des malh ureux qu’on avait sacrifiés.
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Une des plus grandes beautés de Mexico1, étoit une place remplie2 ordinairement de plus3 de cent mille hommes, couverte de tentes & de boutiques4, où les marchands étaloient toutes les richeſſes des campagnes, &5 l’induſtrie des Mexicains, des oiſeaux de toute couleur6, des coquillages brillans, des fleurs ſans nombre, des ouvrages d’orfévrerie7, des émaux8, donnoient à ces marchés un coup d’œil9 plus éclatant10, & plus [35]beau11 que ne peuvent en avoir12 les foires les plus riches de l’Europe.
Une des plus grandes beautés de Mexico1 étoit une place remplie2 ordinairement de plus3 de cent mille hommes, couverte de tentes, & de boutiques4, où les marchands étaloient toutes les richeſſes des campagnes, &5 l’induſtrie des Mexicains. Des oiſeaux de toutes couleurs6, des coquillages brillans, des fleurs ſans nombre, des ouvrages d’orfévrerie7, des émaux8, donnoient à ces marchés un coupd’œil9 plus éclatant10 & plus beau11 que ne peuvent [58] en avoir12 les foires les plus riches de l’Europe.
Une des plus grandes beautés de cette cité [405]impoſante1 étoit une place, ordinairement remplie3 de cent mille hommes, couverte de tentes & de magaſins4, où les marchands étaloient toutes les richeſſes des campagnes, tous les ouvrages de5 l’induſtrie des Mexicains. Des oiſeaux de toute couleur6, des coquillages brillans, des fleurs ſans nombre, des émaux7, des ouvrages d’orfévrerie8, donnoient à ces marchés un coup-d’œil9 plus beau10 & plus éclatant11 que ne peuvent l’avoir12 les foires les plus riches de l’Europe.
Une des plus grandes beautés de cette cité imposante1 était une place ordinairement remplie3 de cent mille hommes, couverte de tentes et de magasins4 où les marchands étalaient toutes les richesses des campagnes, tous les ouvrages de5 l’industrie des Mexicains. Des oiseaux de toute couleur6, des coquillages brillans, des fleurs sans nombre, des émaux7, des ouvrages d’orfévrerie8 donnaient à ces marchés un coup-d’œil9 plus beau10 et plus éclatant11 que ne peuvent l’avoir12 les foires les plus riches de l’Europe.
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Deux cens1 mille canots alloient ſans ceſſe des rivages à la ville, de la ville aux rivages. Le lac étoit bordé de plus2 de cinquante villes, & d’une multitude de bourgs & de hameaux.
Cent1 mille canots alloient ſans ceſſe des rivages à la ville, de la ville aux rivages : le lac étoit bordé de plus2 de cinquante villes, & d’une multitude de bourgs & de hameaux.
Cent1 mille canots alloient ſans ceſſe des rivages à la ville, de la ville aux rivages. Les lacs étoient bordés2 de cinquante villes, & d’une multitude de bourgs & de hameaux.
Cent1 mille canots allaient sans cesse des rivages à la ville, de la ville aux rivages. Les lacs étaient bordés2 de cinquante villes, et d’une multitude de bourgs et de hameaux.
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Il y avoit ſur ce lac trois chauſſées fort longues, & qui étoient le chef-d’œuvre de l’induſtrie Mexicaine. Il falloit que ce peuple1 ſans communication avec des peuples éclairés2, ſans fers, ſans l’écriture, ſans aucun de ces5 arts à qui nous devons d’en connoître & d’en exercer d’autres, ſitué dans7 un climat où la nature donne tout, & où la gêne8 de l’homme n’eſt point éveillé9 par les10 beſoins : il falloit que11 ce peuple qui n’étoit pas d’une antiquité bien reculée fut un des plus ingénieux de la terre12.
Il y avoit ſur ce lac trois chauſſées fort longues, & qui étoient le chef-d’œuvre de l’induſtrie mexicaine. Ce peuple, qui n’étoit pas d’une antiquité bien reculée1, ſans communication avec des peuples éclairés2, ſans l’uſage du3 fer, ſans le ſecours de4 l’écriture, ſans aucun des5 arts à qui nous devons l’avantage6 d’en connoître & d’en exercer d’autres, ſitué dans7 un climat où le génie8 de l’homme n’eſt point éveillé9 par les10 beſoins : ce peuple étoit un des plus ingénieux de la terre12.
Le reſte de l’empire, autant que le permettoient les ſites, préſentoit le même ſpectacle : mais avec la différence qu’on trouve par-tout entre la capitale & les provinces. Ce peuple, qui n’étoit pas d’une antiquité bien reculée1, ſans communication avec des nations éclairées2, ſans l’uſage du3 fer, ſans le ſecours de4 l’écriture, ſans aucun des5 arts à qui nous devons l’avantage6 d’en connoître & d’en exercer d’autres, placé ſous7 un climat où les facultés8 de l’homme ne ſont pas éveillées9 par [406]ſes10 beſoins : ce peuple, nous dit-on, s’étoit élevé cette hauteur, par ſon ſeul génie12.
Le reste de l’empire, autant que le permettaient [299]les sites, présentait le même spectacle, mais avec la différence qu’on trouve partout entre la capitale et les provinces. Ce peuple, qui n’était pas d’une antiquité bien reculée1, sans communication avec des nations éclairées2, sans l’usage du3 fer, sans le secours de4 l’écriture, sans aucun des5 arts à qui nous devons l’avantage6 d’en connaître et d’en exercer d’autres, placé sous7 un climat où les facultés8 de l’homme ne sont pas éveillées9 par ses10 besoins, ce peuple, nous dit-on, s’était élevé à cette hauteur par son seul génie12.
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La fauſſeté de cette deſcription pompeuſe, peut être miſe aiſément à la portée de tous les eſprits. Pour y parvenir, il ne ſuffiroit pas d’oppoſer l’état actuel du Mexique, à l’état où les conquérans prétendent l’avoir trouvé. Qui ne connoît les ravages2 d’une tyrannie deſtructive, &3 d’une longue oppreſſion ? Mais que l’on compare4 les diverſes relations des Eſpagnols5, & qu’on juge6 de la créance qu’elles méritent. Veulent-ils donner une grande idée8 de leur courage9 & de leurs ſuccès ? L’empire dont ils ſe rendent10 les maîtres, eſt11 un royaume redoutable, riche, policé. Ontils12 [59]juſtifier leurs férocités ? Rien n’eſt ſi vil, ſi corrompu, ſi barbare que ces peuples13.
La fauſſeté de cette deſcription pompeuſe, tracée dans des momens de vanité par un vainqueur naturellement porté l’exagération, ou trompé par la grande ſupériorité qu’avoit un état réguliérement ordonné ſur les contrées ſauvages, dévaſtées juſqu’alors dans l’autre hémiſphère : cette fauſſeté1 peut être miſe aiſément à la portée de tous les eſprits. Pour y parvenir, il ne ſuffiroit pas d’oppoſer l’état actuel du Mexique à l’état où les conquérans prétendent l’avoir trouvé. Qui ne connoit les déplorables effets2 d’une tyrannie deſtructive, d’une longue oppreſſion ? Mais qu’on ſe rappelle4 les ravages que les barbares, ſortis du Nord, exercèrent autrefois dans les Gaules5 & en Italie. Lorſque ce torrent fut écoulé, ne reſta-t-il pas ſur la terre6 de grandes maſſes qui atteſtoient, qui atteſtent encore7 la puiſſance des peuples ſubjugués. La région qui nous occupe, offre-t-elle8 de ces magnifiques ruines ? Il doit donc paſſer pour démontré que les édifices publics9 & particuliers, ſi orgueilleuſement décrits, n’étoient que des amas informes de pierres [407]entaſſées10 les unes ſur les autres ; que la célèbre Mexico n’étoit qu’une bourgade formée d’une multitude de cabanes ruſtiques répandues irréguliérement ſur11 un grand eſpace ; & que les autres lieux dont on12 a voulu exalter la grandeur ou la beauté, étoient encore inférieurs cette première des cités13.
La fausseté de cette description pompeuse, tracée dans des momens de vanité par un vainqueur naturellement porté à l’exagération, ou trompé par la grande supériorité qu’avait un état régulièrement ordonné sur les contrées sauvages, dévastées jusqu’alors dans l’autre hémisphère, cette fausseté1 peut être mise aisément à la portée de tous les esprits. Pour y parvenir, il ne suffirait pas d’opposer l’état actuel du Mexique à l’état où les conquérans prétendent l’avoir trouvé. Qui ne connaît les déplorables effets2 d’une tyrannie destructive, d’une longue oppression ? Mais qu’on se rappelle4 les ravages que les barbares sortis du nord exercèrent autrefois dans les Gaules5 et en Italie. Lorsque ce torrent fut écoulé, ne resta-til pas sur la terre6 de grandes masses qui attestaient, qui attestent encore7 la puissance des peuples subjugués ? La région qui nous occupe offre-t-elle8 de ces magnifiques ruines ? Il doit [300]donc passer pour démontré que les édifices publics9 et particuliers, si orgueilleusement décrits, n’étaient que des amas informes de pierres entassées10 les unes sur les autres ; que la célèbre Mexico n’était qu’une bourgade formée d’une multitude de cabanes rustiques répandues irrégulièrement sur11 un grand espace ; et que les autres lieux dont on12 a voulu exalter la grandeur ou la beauté étaient encore inférieurs à cette première des cités13.
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Les travaux des hommes ont toujours été proportionnés à leur force & aux inſtrumens dont ils ſe ſervoient. Sans la ſcience de la méchanique1 & l’invention de ſes machines, point de grands monumens. Sans quarts de cercle & ſans téleſcope, point de progrès merveilleux en aſtronomie, nulle préciſion dans les obſervations. Sans fer, point de marteaux, point de tenailles, point d’enclumes, point de forges, point de ſcies, point de haches, point de coignées2, aucun ouvrage en métaux qui mérite d’être regardé, nulle maçonnerie, nulle charpente, nulle menuiſerie, nulle architecture, nulle gravure, nulle ſculpture. Avec ces moyens, quel tems3 ne faut-il pas à nos ouvriers pour ſéparer de la carrière, enlever & tranſporter un bloc de pierre ? Quel tems4 pour l’équarrir ? Sans nos reſſources, comment en viendroit-on [408]à bout ? Ç’auroit été un homme d’un grand ſens que le ſauvage qui, voyant pour la première fois un de nos grands édifices, l’auroit admiré, non comme l’œuvre de notre force & de notre induſtrie, mais comme un phénomène extraordinaire de la nature qui auroit élevé d’elle-même ces colonnes, percé ces fenêtres, poſé ces entablemens & préparé une ſi merveilleuſe retraite. C’eût été la plus belle des cavernes que les montagnes lui euſſent encore offertes.
Les travaux des hommes ont toujours été proportionnés à leur force et aux instrumens dont ils se servaient. Sans la science de la mécanique1 et l’invention de ses machines, point de grands monumens. Sans quarts de cercle et sans télescope, point de progrès merveilleux en astronomie, nulle précision dans les observations. Sans fer, point de marteaux, point de tenailles, point d’enclumes, point de forges, point de scies, point de haches, point de cognées2, aucun ouvrage en métaux qui mérite d’être regardé ; nulle maçonnerie, nulle charpente, nulle menuiserie, nulle architecture, nulle gravure, nulle sculpture. Avec ces moyens, quel temps3 ne faut-il pas à nos ouvriers pour séparer de la carrière, enlever et transporter un bloc de pierre ! Quel temps4 pour l’équarrir ! Sans nos ressources, comment en viendrait-on à bout ? C’aurait été un homme d’un grand sens que le sauvage qui, voyant pour la première fois un de nos grands édifices, l’aurait [301] admiré, non comme l’œuvre de notre force et de notre industrie, mais comme un phénomène extraordinaire de la nature, qui aurait élevé d’elle-même ces colonnes, percé ces fenêtres, posé ces entablemens et préparé une si merveilleuse retraite. C’eût été la plus belle des cavernes que les montagnes lui eussent encore offertes.
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Dépouillons le Mexique de tout ce que des récits fabuleux lui ont prêté, & nous trouverons que ce pays, fort ſupérieur aux contrées ſauvages que les Eſpagnols avoient juſqu’alors parcourues dans le Nouveau-Monde, n’étoit rien en comparaiſon des peuples civiliſés de l’ancien continent.
Dépouillons le Mexique, nommé par les conquérans Nouvelle-Espagne1, de tout ce que des récits fabuleux lui ont prêté, et nous trouverons que ce pays, fort supérieur aux contrées sauvages que les Espagnols avaient jusqu’alors parcourues dans le Nouveau-Monde, n’était rien en comparaison des peuples civilisés de l’ancien continent.
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Comment des hommes qui avoient ſi peu1 de beſoins, avoient-ils jamais pu ſubir le joug2 de l’eſclavage ? Que le citoyen accoutumé aux douceurs3 & aux commodités de la vie4, les achete5 tous les jours par le ſacrifice de ſa6 liberté, ce n’eſt pas un paradoxe pour7 la raiſon8 ; mais que des peuples malheureux9 à qui la nature offre réellement10 plus de bonheur que le pacte barbare11 qui les unit, reſtent12 dans la ſervitude, & ne penſent [51] pas13 qu’il n'y a ſouvent14 qu’une riviere à traverſer pour être libres : voilà ce qu’on ne concevroit jamais16 ſi on17 ne ſavoit pas18 combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent l’eſpece humaine.
Comment des hommes qui avoient ſi peu1 de beſoins, ont-ils pu ſubir le joug2 de l’eſclavage ? Que le citoyen accoutumé aux douceurs3 & aux commodités de la vie4, les achete5 tous les jours par le ſacrifice de ſa6 liberté, ce n’eſt pas un paradoxe pour7 la raiſon8 ; mais que des peuples à qui la nature offre10 plus de bonheur que la chaîne ſociale11 qui les unit, reſtent tranquillement12 dans la ſervitude, & ne penſent pas13 qu’il n’y a ſouvent14 qu’une riviere à traverſer pour être libres ; voilà ce qu’on ne concevroit jamais16, ſi l’on17 ne ſavoit pas18 [80]combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent l’eſpece humaine.
L’empire étoit ſoumis un deſpotiſme auſſi cruel que mal combiné. La crainte, cette grande roue des gouvernemens arbitraires, y tenoit lieu1 de morale & de principes. Le chef2 de l’état étoit devenu peu-à-peu une eſpèce de divinité ſur laquelle les plus téméraires n’oſoient porter un regard3, & dont les plus imprudens ne ſe ſeroient pas permis de [409]juger4 les actions. On conçoit comment des citoyens achètent5 tous les jours, par le ſacrifice de leur6 liberté, les douceurs & les commodités de7 la vie auxquelles ils ſont accoutumés dès l’enfance8 : mais que des peuples à qui la nature brute offroit10 plus de bonheur que la chaîne ſociale11 qui les uniſſoit, reſtâſſent tranquillement12 dans la ſervitude, ſans penſer13 qu’il n’y avoit14 qu’une montagne ou une15 rivière à traverſer pour être libres : voilà ce qui ſeroit incompréhenſible16, ſi l’on17 ne ſavoit combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent par-tout19 l’eſpèce humaine.
Autant qu’on en peut jugertravers les relations confuses et contradictoires qui sont venues jusqu’à nous, le gouvernement féodal fut celui que les Mexicains établirent dans le pays qu’ils venaient d’asservir, soit qu’ils eussent porté ce régime de leur patrie originaire, soit que des compagnons de fortune répugnassent se donner un maître. Leur chef ne pouvait ni faire la guerre, ni disposer du trésor public, ni décider aucune affaire importante sans l’aveu d’un conseil, qu’il n’avait pas formé et qu’il ne pouvait pas détruire. La couronne était élective. C’était d’abord le corps entier de la noblesse qui la conférait. Avec le temps cette grande prérogative fut usurpée par [302]les six plus puissans seigneurs1 de l’empire. Rarement le trône sortit-il de la même famille ; mais ce n’était pas toujours l’héritier du roi mort qui lui succédait. Les suffrages se réunissaient communément sur celui2 de ses proches dont les talens étaient le plus généralement avoués. Ces choix réfléchis donnèrent l’état des princes habiles, qui, après en avoir rapidement reculé les frontières, finirent par se donner un pouvoir illimité. C’étaient des espèces de divinités sur lesquelles les plus téméraires n’osaient porter un regard3, et dont les plus imprudens ne se seraient pas permis de juger4 les actions. On conçoit comment des citoyens achètent5 tous les jours, par le sacrifice de leur6 liberté, les douceurs et les commodités de7 la vie auxquelles ils sont accoutumés dès l’enfance8 ; mais que des peuples à qui la nature brute offrait10 plus de bonheur que la chaîne sociale11 qui les unissait restassent tranquillement12 dans la servitude sans penser13 qu’il n’y avait14 qu’une montagne ou une15 rivière à traverser pour être libres, voilà ce qui serait incompréhensible16, si l’on17 ne savait combien l’habitude et la superstition dénaturent partout19 l’espèce humaine.
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S’il étoit poſſible d’aſſeoir un jugement ſolide ſur un peuple qui n’eſt plus, on diroit peut-être que les Mexicains furent ſoumis à un deſpotiſme auſſi cruel que mal combiné ; qu’ils ſoupçonnerent plutôt la néceſſité des tribunaux réguliers, qu’ils n’en goûterent les avantages ; que le petit nombre d’arts qu’ils exerçoient, étoient auſſï défectueux par les formes, qu’ils étoient riches par la matiere : qu’ils s’étoient plus éloignés des peuples ſauvages, qu’ils ne s’étoient rapprochés des peuples policés, & que la crainte, cette grande roue des gouvernemens arbitraires, leur tenoit lieu de morale & de principes.

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Cortez commença par s’aſſurer des Caciques qui regnoient dans les villes ſituées ſur les bords du lac. Quelques-uns joignirent leurs troupes aux Eſpagnols ; les autres leur furent ſoumis. Cortez s’empara de la tête de trois chauſſées qui conduiſoient à Mexico. Il voulut auſſi ſe rendre maître de la navigation du lac. Il fit conſtruire des brigantins qu’il arma d’une partie de ſon artillerie ; & dans cette ſituation, il attendit que la famine, lui donna l’empire du nouveau monde.
Quoi qu’il en ſoit1, Cortez commença par s’aſſurer des caciques qui regnoient dans les villes ſituées ſur les bords du lac. Quelques-uns joignirent leurs troupes aux Eſpagnols ; les autres leur furent ſoumis. Cortez s’empara de la tête des trois chauſſées qui conduiſoient à Mexico. Il voulut auſſi ſe rendre maître de la navigation du lac. Il fit conſtruire des brigantins qu’il arma d’une partie de ſon artillerie ; & dans cette ſituation, il attendit que la famine lui donnât l’empire du nouveau monde.

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Guatimozin fit des efforts extraordinaires pour ſe dégager. Ses ſujets combattirent avec autant1 de fureur que jamais. Cependant2 les Eſpagnols conſerverent leurs poſtes3, & porterent leurs attaques juſqu’au centre de4 la ville. Lorſque5 les Mexicains purent craindre qu’elle ne fut emportée, & que les vivres commencerent à manquer les vivres commencerent à manquer totalement, ils voulurent ſauver leur empereur [36]. Ce prince conſentit ils voulurent ſauver leur empereur [36]. Ce prince conſentit6tenter de s’échapper pour aller continuer la guerre dans le nord7 de ſes états. Une partie des ſiens ſe dévoua noblement à la mort pour faciliter ſa retraite en occupant les aſſiégeans ; mais8 un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné monarque. Un financier Eſpagnol imagina que Guatimozin9 avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens. Son favori expoſé à la même torture lui adreſſoit de triſtes plaintes : & moi, lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ?Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes. Un jour10 les Mexicains le rédiront11 à leurs enfans, quand le tems ſera venu devenu de12 rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, de13 noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang. Ce peuple aura14 peut-être les actes de ces martyrs, l’hiſtoire15 de ſes perſécuteurs16. On y lira17 ſans doute, que Guatimozin18 fut tiré demi mort19 d’un gril ardent, & que trois ans après il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
Guatimozin fit des efforts extraordinaires pour ſe dégager. Ses ſujets combattirent avec [60]autant1 de fureur que jamais. Cependant2 les Eſpagnols conſerverent leurs poſtes3, & porterent leurs attaques juſqu’au centre de4 la ville. Lorſque5 les Mexicains purent craindre qu’elle ne fût emportée, quand les vivres commencerent à les vivres commencerent à leur manquer, ils voulurent ſauver leur empereur. Ce prince conſentitmanquer, ils voulurent ſauver leur empereur. Ce prince conſentit6tenter de s’échapper, pour aller continuer la guerre dans le nord7 de ſes états. Une partie des ſiens ſe dévoua noblement à la mort pour faciliter ſa retraite, en occupant les aſſiégeans ; mais8 un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné Monarque. Un financier Eſpagnol imagina que Guatimozin9 avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens. Son favori expoſé à la même torture, lui adreſſoit de triſtes plaintes : & moi lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ? Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes. Un jour10 les Mexicains le rediront11 à leurs enfans, quand ſera venu devenu de12 rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, de13 noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang. Ce peuple aura14 peut-être les actes de ſes martyrs, l’hiſtoire15 de ſes perſécuteurs16. On y lira17, ſans donte, que Guatimozin18 fut tiré demi mortmort19 d’un gril ardent, & que trois ans après il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir [61] conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
Les actions de ce jeune prince furent toutes héroïques & toutes prudentes. Le feu de ſes ſes regards, l’élévation de ſes diſcours, l’éclat1 de ſon courage faiſoient ſur ſes peuples l’impreſſion qu’il deſiroit. Il diſputa le terrein pied pied ; ; & jamais jamais il n’en abandonna un pouce qui ne fût jonché des cadavres de ſes ſoldats & teint du ſang de ſes ennemis. Cinquante mille hommes, accourus de toutes2 les parties de l’empire la défenſe de leur maître3 & de leurs leurs dieux, avoient péri par le fer ou par le feu4 ; la famine faiſoit tous5 les jours des ravages inexprimables ; ; des maladies contagieuſes s’étoient jointes tant de calamités, ſans que ſon ame eût été un inſtant, un ſeul inſtant ébranlée. Les Les aſſaillans, après cent combats meurtriers & de grandes pertes, étoient parvenus au centre de la place, qu’il ne ſongeoit pas encore6céder. On le fit enfin conſentir s’éloigner des décombres qui ne pouvoient plus être défendus, pour aller continuer la [403]guerre dans pour aller continuer la [403]guerre dans les provinces. Dans la vue7 de faciliter cette retraite, quelques ouvertures de paix furent faites Cortès : : mais cette noble ruſe n’eut pas le ſuccès qu’elle méritoit ; ; &8 un brigantin s’empara du canot où étoit le généreux & infortuné monarque. Un financier Eſpagnol imagina que Guatimoſin9 avoit des tréſors cachés ; & pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre ſur des charbons ardens. Son favori, expoſé à la même torture, lui adreſſoit de triſtes plaintes :Et moi, lui dit l’empereur, ſuis-je ſur des roſes ? Mot comparable à tous ceux que l’hiſtoire a tranſmis à l’admiration des hommes. Les Mexicains le rediroient11 à leurs enfans, ſi quelque jour ils pouvoient12 rendre aux Eſpagnols ſupplice pour ſupplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le ſang. Ce peuple auroit14 peut-être les actes de ſes martyrs, les annales15 de ſes perſécutions16. On y liroit17, ſans doute, que Guatimoſin18 fut tiré demi-mort19 d’un gril ardent, & que, trois ans après, il fut pendu publiquement, ſous prétexte d’avoir conſpiré contre ſes tyrans & ſes bourreaux.
Le vice de ce de ce système frappa Cortez. La circonspection lui parut devoir remplacer l’audace. Il prit le parti d’aller pas pas, et1 de ne se porter en avant qu’après avoir mis hors d’insulte, par les bras de ses auxiliaires, les postes dont il il s’était emparé avec une plus grande ou une moindre effusion de de sang. Cette manière de faire la guerre, inconnue dans le Nouveau-Monde, étonna les Mexicains sans2 les abattre. Cinquante mille des innombrables défenseurs accourus au secours de de leurs dieux3 et de leur empire avaient péri par le fer ou par le feuavaient péri par le fer ou par le feu4 ; la famine faisait tous5 les jours des ravages inexprimables ; des maladies contagieuses moissonnaient ceux qui avaient échappé au glaive et la disette ; ; l’ennemi était parvenu au centre de au centre de leur capitale, qu’ils ne ne songeaient pas encorepas encore6céder. Tous consentirent s’ensevelir sous les ruines de leurs temples et de leurs maisons, pourvu que leur magnanime maître s’éloignât pour aller couvrir les provinces. Dans la [296]vueles provinces. Dans la [296]vue7 de faciliter cette retraite, quelques ouvertures de paix furent faites ; mais cette noble ruse n’eut pas le succès qu’elle méritait, et8 un brigantin s’empara du canot où était le généreux et infortuné monarque. Un financier espagnol imagina que Guatimosin9 avait des trésors cachés ; et, pour le forcer à les déclarer, il le fit étendre sur des charbons ardens. Son favori, exposé à la même torture, lui adressait de tristes plaintes : Et moi, lui dit l’empereur, suis-je sur des roses ? mot comparable à tous ceux que l’histoire a transmis à l’admiration des hommes. Les Mexicains le rediraient11 à leurs enfans, si quelque jour ils pouvaient12 rendre aux Espagnols supplice pour supplice, noyer cette race d’exterminateurs dans la mer ou dans le sang. Ce peuple aurait14 peut-être les actes de ses martyrs, les annales15 de ses persécutions16. On y lirait17 sans doute que Guatimosin18 fut tiré demi-mort19 d’un gril ardent, et que, trois ans après, il fut pendu publiquement, sous prétexte d’avoir conspiré contre ses tyrans et ses bourreaux.
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Dans les gouvernemens deſpotiques, la chûte1 du prince & la priſe de la capitale, entraînent ordinairement la conquête & la ſoumiſſion de tout l’état. Les peuples ne peuvent pas avoir de l’attachement pour une autorité qui les écraſe, ni pour un tyran qui croit ſe rendre plus reſpectable en ne ſe montrant jamais. Accoutumés à ne connoître d’autre droit2 que la force, ils ne manquent jamais de ſe ſoumettre au plus fort. Telle fut la révolution dans le Mexique les barbares ſortis du nord de ce continent, avoient jetté les fondemens de4 cet empire, il y avoit [37]cent trente ans. Comme ils formoient un corps5 de nation, & qu’ils tiroient leur origine d’un pays fort rude, ils avoient réuſſi ſubjuguer ſucceſſivement des ſauvages nés ſous un ciel plus doux6, & qui ne vivoient pas en ſociété, ou qui ne formoient que des ſociétés peu nombreuſes. Leur domination entiere tomba ſous le pouvoir des Eſpagnols, dont elle ne put même remplir l’ambition, quoiqu’elle7 eut cinq cent8 lieues de long, ſur environ9 deux cens de large.
Dans les gouvernemens deſpotiques, la perte1 du prince & la priſe de la capitale, entrainent ordinairement la conquête & la ſoumisſion de tout l’état. Les peuples ne peuvent pas avoir de l’attachement pour une autorité qui les écraſe, ni pour un tyran qui croit ſe rendre plus reſpectable en ne ſe montrant jamais. Accoutumés à ne connoître d’autres droits2 que ceux de3 la force, ils ne manquent jamais de ſe ſoumettre au plus fort. Telle fut la révolution du Mexique. Toutes les Provinces ſubirent ſans réſiſtance le joug du vainqueur. Il donna 4 cet empire le nom5 de Nouvelle Eſpagne6, & quoiqu’il7 eût cinq cens8 lieues de long ſur deux cens de large, ſes frontieres furent encore reculées10.

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Les conquérans y ajouterent d’abord du côté du ſud le vaſte eſpace qui s’étend depuis Guatimala, juſqu’au golphe1 de Darien. Cet agrandiſſement2 coûta peu de tems, de ſang & de dépenſe ; mais il fut de peu d’utilité. Les provinces qui les3 compoſent ſont à peine connues. On n’y voit que peu d’Eſpagnols, la plupart fort pauvres, qui par la tyrannie ont réduit les Indiens à ſe refugier dans des montagnes, dans des forêts impénétrables. De tous ces ſauvages les ſeuls qui forment encore une nation, ce ſont les Moſquites. Après avoir quelque tems combattu pour les plaines fertiles qu’ils habitoient dans le pays de Nicaragua. Ils5 ſe ſauverent au Cap de Gracias-à-Dios dans des rochers arides. Défendus du côté de la terre par des marais impraticables, & du côté de la mer par des plages difficiles, ils bravent le courroux de leur ennemi. Leurs liaiſons avec les corſaires Anglois & François qu’ils ont ſouvent ſuivis dans des expéditions très-périlleuſes, ont bien pu augmenter leur rage contre leurs oppreſſeurs, accroître leur audace naturelle, accoutumer leurs mains aux armes à feu ; mais leur population qui n’a jamais été conſidérable a toujours été en diminuant6. Elle ne paſſe pas actuellement deux mille [38]hommes. Leur foibleſſe les met hors d’état de donner la moindre inquiétude.
Les conquérans y ajouterent d’abord du côté du ſud, le vaſte eſpace qui s’étend depuis Guatimala, juſqu’au golfe1 de Darien. Cet aggrandiſſement2 coûta peu de tems, de ſang & de dépenſe ; mais il fut de peu d’utilité. Les provinces qui le3 compoſent ſont à peine connues. On n’y voit que peu d’Eſpagnols, la plûpart fort pauvres, qui par leur tyrannie, ont réduit les Indiens à ſe réfugier dans des montagnes, &4 dans des forêts impénétrables. De tous ces ſauvages, les ſeuls qui forment encore une nation, ce ſont les Moſquites. Après avoir quelque tems combattu pour les [62]plaines fertiles qu’ils habitoient dans le pays de Nicaragua, ils5 ſe ſauverent au cap de Gracias-à-Dios, dans des rochers arides. Défendus du côté de la terre par des marais impraticables, & du côté de la mer par des plages difficiles, ils bravent le courroux de leur ennemi. Leurs liaiſons avec les corſaires Anglois & François, qu’ils ont ſouvent ſuivis dans des expéditions très-périlleuſes, ont bien pu augmenter leur rage contre leurs oppreſſeurs, accroître leur audace naturelle, accoutumer leurs mains aux armes à feu ; mais leur population qui n’a jamais été conſidérable, a toujours diminué par dégrés6. Elle ne paſſe pas actuellement deux mille hommes. Leur foibleſſe les met hors d’état de donner la moindre inquiétude.

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L’accroiſſment1 que la nouvelle Eſpagne2 a pris du côté du nord eſt plus conſidérable, & doit devenir beaucoup plus importante. On n’a parlé juſqu’ici que du nouveau Mexique, découvert en 1553, conquis au commencement du dernier ſiecle, révolté vers le milieu, & remis bien-tôt après ſous le joug. Tout ce qu’on ſait3 de cette immenſe province, c’eſt qu’on a fixé quelques ſauvages, introduit un peu de culture, foiblement exploité, quelques riches mines, & formé un établiſſement, nommé Fantafé Cette conquette6 qui eſt dans l’intérieur des terres, auroit été ſuivie d’une bien plus utile ſur les bords de la mer, ſi depuis cent ans qu’elle eſt entamée on s’y étoit attaché avec l’attention qu’elle méritoit.
L’accroiſſement1 que la Nouvelle-Eſpagne2 a pris du côté du nord, eſt plus conſidérable, & doit devenir beaucoup plus importante. On n’a parlé juſqu’ici que du nouveau Mexique, découvert en 1553, conquis au commencement du dernier ſiécle, révolté vers le milieu, & remis bientôt après ſous le joug. Tout ce qu’on fait3 de cette immenſe province, c’eſt qu’on y4 a fixé quelques ſauvages errans5, introduit un peu de culture, foiblement exploité quelques riches mines, & formé un établiſſement, nommé Santafé. Cette conquête6 qui eſt dans l’intérieur des terres, auroit [63] été ſuivie d’une bien plus utile ſur les bords de la mer, ſi depuis cent ans qu’elle eſt entamée, on s’y étoit attaché avec l’attention qu’elle méritoit.

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L’ancien empire du Mexique étendoit à peu près1 ſes bornes juſqu’à l’entrée de la mer vermeille. Depuis ces limites, juſqu’à l’endroit où le continent ſe joint à la Californie eſt un golphe2qui après3 de vingt dégrés de profondeur4. Sa largeur eſt tantôt de ſoixante, tantôt de cinquantelieues, & rarement en a-t-elle moins de quarante. On trouve dans cet eſpace beaucoup de bancs de ſable, & un aſſez grand nombre d’iſles. La côte eſt habitée par pluſieurs nations ſauvages, la plupart ennemies. Les Eſpagnols y ont formé quelques peuplades éparſes, auxquelles ſuivant leur uſage ils ont donné le nom de provinces. Leurs miſſionnaires ont pouſſé plus loin les découvertes, & ils ſe flattoient de donner à leur nation plus de richeſſes qu’elle n’en avoit trouvé5 dans ſes poſſeſſions les plus renommées.
L’ancien empire du Mexique étendoit à peu-près1 ſes bornes juſqu’à l’entrée de la mer Vermeille. Depuis ces limites, juſqu’à l’endroit où le continent ſe joint à la Californie, eſt un golfe2 qui a près3 de vingt dégrés de longueur4. Sa largeur eſt tantôt de ſoixante, tantôt de cinquante lieues, & rarement en a-t-elle moins de quarante. On trouve dans cet eſpace beaucoup de bancs de ſable, & un aſſez grand nombre d’iſles. La côte eſt habitée par pluſieurs nations ſauvages, la plûpart ennemies. Les Eſpagnols y ont formé quelques peuplades éparſes, auxquelles, ſuivant leur uſage, ils ont donné le nom de Provinces. Leurs miſſionnaires ont pouſſé plus loin les découvertes ; & ils ſe flattoient de donner à leur nation plus de richeſſes qu’elle n’en avoit trouvées5 dans ſes poſſeſſions les plus renommées.

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Pluſieurs cauſes ont concouru à1 rendre leurs travaux inutiles. [39]A meſure qu’ils raſſembloient, qu’ils2 civiliſoient quelques Indiens3, on les enlevoit pour les précipiterdans des mines. Cette barbarie minoit4 les établiſſemens naiſſans, & empêchoit d’autres Indiensde venir s’y incorporer. Les Eſpagnols trop éloignés des yeux du gouvernement, pour être ſurveillés, ſe5 permettoient les crimes les plus atroces. Enfin, le vif-argent6, les étoffes, les autresbeſoins7 y étoient porté8 de la Vera-Cruz à dos de mulet, par une route dangereuſes9 & difficile10, de ſix à ſept cens lieues ; ce qu’il leur donnoit à leur terme une valeur dix ou douze fois plus grande que celle qu’ils avoient dans ce port célébre. Il arrivoit delà, que11 les mines quoique d’une abondance extrême, ne pouvoient pas payer les choſes néceſſaires, & que ceux qui les exploitoient12, les abandonnoient par l’impoſſibilitéoù ils étoient de s’y ſoutenir13.
Pluſieurs cauſes ſe ſont long-tems réunies pour1 rendre leurs travaux inutiles : à meſure qu’ils raſſembloient &2 civiliſoient quelques ſauvages3, on les enlevoit pour les précipiter dans des mines. Cette barbarie ruinoit4 les établiſſemens naiſſans, & empêchoit d’autres Indiens de venir s’y incorporer. Les Eſpagnols [64] trop éloignés des yeux du gouvernement, s’y5 permettoient les crimes les plus inouis. Le vif argent6, les étoffes, les autres marchandiſes7 y étoient apportées8 de la VeraCruz à dos de mulet, par une route difficile9 & dangereuſe10 de ſix à ſept cens lieues, ce qui leur donnoit à leur terme une valeur ſi conſidérable, que la plûpart de ceux qui exploitent les mines, étoient forcés de les abandonner, dans l’impoſſibilité de11 les ſoutenir. Enfin, quelques hordes de barbares, ou par férocité, ou dans la crainte, bien fondée, d’être un jour aſſervis, tomboient, lorſqu’on s’y attendoit le moins, ſur12 les travailleurs, aſſez opiniâtres pour lutter contre tant de difficultés13.

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Pluſieurs des provinces qu’on pouvoit regarder comme faiſant partie de cette vaſte domination ſe gouvernoient par leurs premières loix1 & ſelon leurs maximes anciennes. Tributaires ſeulement de l’empire, elles continuoient à être régies par leurs caciques. Les obligations de ces grands vaſſaux ſe réduiſoient à couvrir ou à reculer les frontières de l’état lorſqu’ils en recevoient l’ordre ; à contribuer ſans ceſſe aux charges publiques, originairement d’après un tarif réglé, & dans les derniers tems2 ſuivant les beſoins, l’avidité ou les caprices du deſpote.
Plusieurs des provinces, qu’on pouvait regarder comme faisant partie de cette vaste domination, se gouvernaient par leurs premières lois1 et selon leurs maximes anciennes. Tributaires seulement de l’empire, elles continuaient à être régies par leurs caciques. Les obligations de ces grands vassaux [303] se réduisaient à couvrir ou à reculer les frontières de l’état lorsqu’ils en recevaient l’ordre ; à contribuer sans cesse aux charges publiques, originairement d’après un tarif réglé, et, dans les derniers temps2, suivant les besoins, l’avidité ou les caprices du despote.
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L’adminiſtration des contrées plus immédiatement dépendantes du trône étoit confiée à des grands qui, dans leurs fonctions, étoient ſoulagés par des nobles d’un rang inférieur. Ces officiers eurent d’abord de la dignité & de l’importance : mais ils n’étoient plus que les inſtrumens de la tyrannie, depuis que le pouvoir arbitraire s’étoit élevé ſur les ruines d’un1 régime qu’on eût pu appeller2 féodal.
L’administration des contrées plus immédiatement dépendantes du trône était confiée à des grands qui, dans leurs fonctions, étaient soulagés par des nobles d’un rang inférieur. Ces officiers eurent d’abord de la dignité et de l’importance ; mais ils n’étaient plus que les instrumens de la tyrannie, depuis que le pouvoir arbitraire s’était elevé sur les ruines du1 régime féodal.
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A chacune de ces places étoit attachée une portion de terre, plus ou moins étendue. Ceux qui dirigeoient les conſeils, qui conduiſoient les armées, que leurs poſtes fixoient à la cour, jouiſſoient du même avantage. On changeoit de domaine en changeant d’occupation, & l’on1 le perdoit dès qu’on rentroit dans la vie privée.
A chacune de ces places était attachée une portion de terre plus ou moins étendue. Ceux qui dirigeaient les conseils, qui conduisaient les armées, que leurs postes fixaient à la cour, jouissaient du même avantage. On changeait de domaine en changeant d’occupation, et on1 le perdait dès qu’on rentrait dans la vie privée.
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Il exiſtoit des poſſeſſions plus entières, & qu’on pouvoit aliéner ou tranſmettre à ſes deſcendans. Elles étoient en petit nombre & devoient être occupées par les citoyens des claſſes les plus diſtinguées.
Il existait des possessions plus entières, et qu’on pouvait aliéner ou transmettre à ses descendans. Elles étaient en petit nombre, et devaient être occupées par les citoyens des classes les plus distinguées.
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Le peuple n’avoit que des communes. Leur étendue étoit réglée ſur le nombre des habitans. Dans quelques-unes, les travaux ſe [411]faiſoient en ſociété, & les récoltes étoient dépoſées dans des greniers publics, pour être diſtribuées ſelon les beſoins. Dans d’autres, les cultivateurs ſe partageoient les champs & les exploitoient pour leur utilité particulière. Dans aucune, il n’étoit permis de diſpoſer du territoire.
Le peuple n’avait que des communes. Leur étendue était réglée sur le nombre des habitans. Dans quelques-unes les travaux se faisaient en société, et les récoltes étaient déposées dans des [304]greniers publics, pour être distribuées selon les besoins. Dans d’autres, les cultivateurs se partageaient les champs et les exploitaient pour leur utilité particulière. Dans aucune, il n’était permis de disposer du territoire.
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Pluſieurs diſtricts, plus ou moins étendus, étoient couverts d’eſpèces de ſerfs attachés à la glèbe, paſſant d’un propriétaire à l’autre, & ne pouvant prétendre qu’à la ſubſiſtance la plus groſſière & la plus étroite.
Plusieurs districts, plus ou moins étendus, étaient couverts d’espèces de serfs attachés à la glèbe, passant d’un propriétaire à l’autre, et ne pouvant prétendre qu’à la subsistance la plus grossière et la plus étroite.
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Des hommes plus avilis encore ; c’étoient les eſclaves domeſtiques. Leur vie étoit cenſée ſi mépriſable, qu’au rapport d’Herrera, on pouvoit les en priver, ſans craindre d’être jamais recherché par la loi.
Des hommes plus avilis encore, c’étaient les esclaves domestiques. Leur vie était censée si méprisable, qu’au rapport d’Herréra, on pouvait les en priver, sans craindre d’être jamais recherché par la loi.
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Tous les ordres de l’état contribuoient au maintien du gouvernement. Dans les ſociétés un peu avancées les tributs ſe paient avec des métaux. Cette meſure commune de toutes les valeurs étoit ignorée des Mexicains, quoique l’or & l’argent fuſſent ſous leurs mains. Ils avoient, à la vérité, commencé à ſoupçonner l’utilité d’un moyen univerſel d’échange, & déja ils employoient les grains [412]de cacao dans quelques menus détails de commerce : mais leur emploi étoit très-borné & ne pouvoit s’étendre juſqu’à l’acquittement de l’impôt. Les redevances dues au fiſc étoient donc toutes ſoldées en nature.
Tous les ordres de l’état contribuaient au maintien du gouvernement. Dans les sociétés un peu avancées les tributs se paient avec des métaux. Cette mesure commune de toutes les valeurs était ignorée des Mexicains, quoique l’or et l’argent fussent sous leurs mains. Ils avaient, à la vérité, commencé à soupçonner l’utilité d’un moyen universel d’échange, et déjà ils employaient les grains de cacao dans quelques menus détails de commerce ; mais leur emploi était très-borné, et ne pouvait s’étendre jusqu’à l’acquittement de l’impôt. Les redevances dues au fisc étaient donc toutes soldées en nature.
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Comme tous les agens du ſervice public recevoient leur ſalaire en denrées, on retenoit pour leur contribution une partie de ce qui leur étoit aſſigné.
Comme tous les agens du service public recevaient leur salaire en denrées, on retenait pour [305]leur contribution une partie de ce qui leur était assigné.
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[absent]
Les terres attachées à des offices & celles qu’on poſſédoit en toute propriété, donnoient à l’état une partie de leurs productions.
Les terres attachées à des offices, et celles qu’on possédait en toute propriété, donnaient à l’état une partie de leurs productions.
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[absent]
Outre l’obligation impoſée à toutes les communautés de cultiver une certaine étendue de ſol pour la couronne, elles lui devoient encore le tiers de leurs récoltes.
Outre l’obligation imposée à toutes les communautés de cultiver une certaine étendue de sol pour la couronne, elles lui devaient encore le tiers de leurs récoltes.
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[absent]
Les chaſſeurs, les pêcheurs, les potiers, les peintres, tous les ouvriers ſans diſtinction rendoient chaque mois la même portion de leur induſtrie.
Les chasseurs, les pêcheurs, les potiers, les peintres, tous les ouvriers sans distinction rendaient chaque mois la même portion de leur industrie.
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Les mendians même étoient taxés à des contributions fixes que des travaux ou des aumônes devoient les mettre en état d’acquitter.
Les mendians même étaient taxés à des contributions fixes, que des travaux ou des aumônes devaient les mettre en état d’acquitter.
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Ce que l’état obtenait de ces divers contribuables était réuni dans ses magasins. On tirait de ces grands dépôts de quoi fournir aux besoins ou aux profusions de la cour, et ce que pouvaient exiger les travaux publics ; mais ils étaient surtout vidés durant les guerres offensives ou défensives, qui se renouvelaient sans interruption. Comme les troupes ne recevaient point de solde, il fallait toujours avoir en réserve de quoi les armer, de quoi les vêtir, de quoi les nourrir.
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Au Mexique, l’agriculture étoit très-bornée, quoique le plus grand nombre de [413]ſes habitans en fiſſent leur occupation unique. Ses ſoins ſe bornoient au maïs & au cacao, & encore récoltoit-on fort peu de ces productions. S’il en eût été autrement, les premiers Eſpagnols n’auroient pas manqué ſi ſouvent de ſubſiſtances. L’imperfection de ce premier des arts pouvoit avoir pluſieurs cauſes. Ces peuples avoient un grand penchant à l’oiſiveté. Les inſtrumens dont ils ſe ſervoient étoient défectueux. Ils n’avoient dompté aucun animal qui pût les ſoulager dans leurs travaux. Des peuples errans ou des bêtes fauves ravageoient leurs champs. Le gouvernement les opprimoit ſans relâche. Enfin leur conſtitution phyſique étoit ſinguliérement foible1, ce qui venoit en partie d’une nourriture mauvaiſe & inſuffiſante.
Au Mexique, l’agriculture était très-bornée, quoique le plus grand nombre de ses habitans en fissent leur occupation unique. Ses soins se bornaient au maïs et au cacao, et encore récoltait-on [306]fort peu de ces productions. S’il en eût été autrement, les premiers Espagnols n’auraient pas manqué si souvent de subsistances. L’imperfection de ce premier des arts pouvait avoir plusieurs causes. Ces peuples avaient un grand penchant à l’oisiveté. Les instrumens dont ils se servaient étaient défectueux. Ils n’avaient dompté aucun animal qui pût les soulager dans leurs travaux. Des peuples errans ou des bêtes fauves ravageaient leurs champs. Le gouvernement les opprimait sans relâche. Enfin leur constitution physique était singulièrement faible1, ce qui venait en partie d’une nourriture mauvaise et insuffisante.
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Le commun1 des Mexicains alloient nuds. L’empereur lui-même2, & les grands ſeigneurs ne ſe couvroient que d’une eſpece de manteau compoſé d’une piece de coton quarrée3 & nouée ſur l’épaule droite. Ils avoient4 des ſandales pour chauſſure5. Les femmes du peuple n’avoient pour tout vêtement qu’une eſpece de chemiſe à demi manches qui leur tomboit ſur6 les genouils7, & qui étoit ouverte ſur la poitrine. Il étoit défendu à la multitude d’élever ſes maiſons au-deſſus du raiz de chauſſée, & d’y avoir ni portes ni fenêtres. La plupart étoient bâties8 de terre, couvertes de planches, & n’avoient pas plus de commodités que d’élégance. Leur intérieur étoit revêtus de nattes, & éclairé par des torches de bois9 de ſapin, quoique10 la cire & l’huile fuſſent abondantes. La ſimple paille & des couvertures11 [50]de coton formoient les lits. Une groſſe pierre, ou quelque billot de bois tenoit lieu de chevet, & pour ſieges on n’avoit que de petits ſacs de feuilles de palmier ; mais l’uſage étoit de s’aſſeoir12terre, & même d’y manger. La nourriture, ou la viande entroit rarement, étoit peu variée13 & peu délicate. La plus ordinaire étoit le mays en pâte, ou préparé14 avec divers aſſaiſonnemens. On y joignoit toutes ſortes d’herbes, a l’exception de celles qui étoient15 trop dures, ou qui avoient quelque16 mauvaiſe odeur. Leur meilleur breuvage étoit une compoſition d’eau où l’on délayoit de la farine de cacao avec un peu du miel. Il y avoit d’autres17 boiſſons mais18 qui ne pouvoient enivrer : les liqueurs fortes étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en boire22 il falloit la permiſſion du gouvernement. Elle23 ne s’accordoit24 qu’aux veillards25 & aux malades. Seulement dans quelques ſolemnités26 & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge. L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices. On raſoit publiquement ceux qui s’y laiſſoient ſurprendre27, & leur maiſon étoit abattue. S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſéder des charges.
Le commun1 des Mexicains alloient nuds. L’empereur lui-même2, & les grands ſeigneurs ne ſe couvroient que d’une eſpece de manteau compoſé d’une piece de coton quarrée3 & nouée ſur l’épaule droite. Ils avoient4 des ſandales pour chauſſure5. Les femmes du peuple n’avoient pour tout vêtement qu’une eſpece de chemiſe demi manches qui leur tomboit ſur6 les genoux7, & qui étoit ouverte ſur la poitrine. Il étoit défendu aux gens du commun d’élever les maiſons au-deſſus du rez-de-chausſée, & d’y avoir ni portes ni fenêtres. La plûpart étoient bâties8 de terre, couvertes de planches, & n’avoient pas plus de commodités que d’élégance. Leur intérieur étoit revêtu de nattes, & eclairé par des torches de bois9 de ſapin, quoique10 la cire & l’huile fuſſent abondantes. La ſimple paille & des couvertures11 de coton, formoient les lits. Pour ſiéges, on n’avoit que de petits ſacs de feuilles de palmier ; mais l’uſage étoit de s’aſſeoir12terre, & même d’y manger. La nourriture, où la viande entroit rarement, étoit peu variée13 & peu délicate. La plus ordinaire étoit le mays en pâte, ou préparé14 avec divers aſſaiſonnemens. On y joignoit les herbes des champs [79]qui n’étoient pas15 trop dures, ou qui n’avoien point de16 mauvaiſe odeur, Le cacao, délayé dans de l’eau chaude, & aſſaiſonné de miel ou de piment, étoit le meilleur breuvage. Il y avoit d’autres17 boiſſons, mais18 qui ne pouvoient enivrer : les liqueurs fortes étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en boire22 il falloit la permiſſion du gouvernement. Elle23 ne s’accordoit24 qu’aux vieillards25 & aux malades. Seulement dans quelques ſolemnités26 & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge. L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices. On raſoit publiquement ceux qui s’y laiſſoient ſurprendre27, & leur maiſon étoit abattue. S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſeder des charges.
Celle1 des hommes riches, des nobles2 & des gens en place avoit pour baſe, outre le produit des chaſſes3 & des pêches5, les poules d’inde6, les canards7 & les lapins, les ſeuls animaux, avec8 de petits chiens, qu’on eût ſu apprivoiſer dans ces contrées. Mais les vivres9 de la multitude ſe réduiſoient du maïs, préparé11 de diverſes manières12 ; à du cacao délayé dans l’eau chaude13 & aſſaiſonné14 [414]avec du miel & du pimant ; aux herbes des champs qui n’étoient pas15 trop dures ou qui n’avoient pas de16 mauvaiſe odeur. Elle faiſoit uſage de quelques17 boiſſons qui ne pouvoient pas19 enivrer. Pour20 les liqueurs fortes, elles21 étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en uſer22 il falloit la permiſſion du gouvernement. On23 ne l’accordoit24 qu’aux vieillards25 & aux malades. Seulement, dans quelques ſolemnités26 & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge. L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices. On raſoit publiquement ceux qui en étoient convaincus27, & leur maiſon étoit abattue. S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſéder des charges.
Celle1 des hommes riches, des nobles2 et des gens en place avait pour base, outre le produit des chasses3 et des pêches5, les poules d’Inde6, les canards7 et les lapins, les seuls animaux, avec8 de petits chiens, qu’on eût su apprivoiser dans ces contrées. Mais les vivres9 de la multitude se réduisaient à du maïs, préparé11 de diverses manières12 ; à du cacao délayé dans l’eau chaude13 et assaisonné14 avec du miel et du piment ; aux herbes des champs qui n’étaient pas15 trop dures ou qui n’avaient pas de16 mauvaise odeur. Elle faisait usage de quelques17 boissons qui ne pouvaient pas19 enivrer. Pour20 les liqueurs fortes, elles21 étaient si rigoureusement défendues, que pour en user22 il fallait la permission du gouvernement. On23 ne l’accordait24 qu’aux vieillards25 et aux malades ; seulement, dans quelques solennités26 et dans les travaux [307] publics, chacun en avait une mesure proportionnée à l’âge : l’ivrognerie était regardée comme le plus odieux des vices ; on rasait publiquement ceux qui en étaient convaincus27, et leur maison était abattue. S’ils exerçaient quelque office public, ils en étaient dépouillés, et déclarés incapables de jamais posséder des charges.
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Les Mexicains étoient preſque généralement nus. Leur corps étoit peint. Des plumes ombrageoient leur tête. Quelques oſſemens ou de petits ouvrages d’or, ſelon les rangs, pendoient à leur nez & à leurs oreilles. Les femmes n’avoient pour tout vêtement qu’une eſpèce de chemiſe qui deſcendoit juſqu’aux genoux & qui étoit ouverte ſur la poitrine. [415]C’étoit dans l’arrangement de leurs cheveux que conſiſtoit leur parure principale. Les perſonnes d’un ordre ſupérieur, l’empereur lui-même n’étoient diſtingués du peuple que par une eſpèce de manteau, compoſé d’une pièce de coton quarrée1, nouée ſur l’épaule droite.
Les Mexicains étaient presque généralement nus. Leur corps était peint ; des plumes ombrageaient leur tête. Quelques ossemens ou de petits ouvrages d’or, selon les rangs, pendaient à leur nez et à leurs oreilles. Les femmes n’avaient pour tout vêtement qu’une espèce de chemise qui descendait jusqu’aux genoux, et qui était ouverte sur la poitrine. C’était dans l’arrangement de leurs cheveux que consistait leur parure principale. Les personnes d’un ordre supérieur, l’empereur lui-même, n’étaient distingués du peuple que par une espèce de manteau, composé d’une pièce de coton carrée1, nouée sur l’épaule droite.
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Le palais du prince & ceux des grands quoiqu’aſſez1 étendus & conſtruits de pierre, n’avoient ni commodités, ni élégance, ni même des fenêtres. La multitude occupoit des cabanes bâties avec de la terre & couvertes de branches d’arbre2. Il lui étoit défendu de les élever au-deſſus du rez-de-chauſſée. Pluſieurs familles étoient ſouvent entaſſées ſous le même toit.
Le palais du prince et ceux des grands, quoique assez1 étendus et construits de pierre, n’avaient ni commodités, ni élégance, ni même des fenêtres. La multitude occupait des cabanes bâties avec de la terre et couvertes de branches d’arbres2. Il lui était défendu de les élever au-dessus du rez-de-chaussée. Plusieurs familles étaient souvent entassées sous le même toit.
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L’ameublement étoit digne des habitations. Dans la plupart, on ne trouvoit pour tapiſſerie que des nattes, pour lit que de la paille, pour ſiège qu’un tiſſu de feuilles de palmier, pour uſtenſiles que des vaſes de terre. Des toiles & des tapis de coton, travaillés avec plus ou moins de ſoin & employés à divers uſages : c’étoit ce qui diſtinguoit principalement les maiſons riches de celles des gens du commun.
L’ameublement était digne des habitations. Dans la plupart on ne trouvait pour tapisserie [308]que des nattes, pour lit que de la paille, pour siége qu’un tissu de feuilles de palmier, pour ustensiles que des vases de terre. Des toiles et des tapis de coton, travaillés avec plus ou moins de soin et employés à divers usages, c’était ce qui distinguait principalement les maisons riches de celles des gens du commun.
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Si les arts de néceſſité première étoient ſi [416]imparfaits au1 Mexique, il en faut conclure que ceux d’agrément l’étoient encore plus. La forme & l’exécution du peu de vaſes & de bijoux d’or ou d’argent qui ſont venus juſqu’à nous : tout eſt également barbare. C’eſt la même groſſiéreté dans ces tableaux dont les premiers Eſpagnols parlèrent avec tant d’admiration, & qu’on compoſoit avec des plumes de toutes les couleurs. Ces peintures n’exiſtent plus ou ſont du moins très-rares : mais elles ont été gravées. L’artiſte eſt infiniment au-deſſous de ſon ſujet, ſoit qu’il repréſente des plantes, des animaux ou des hommes. Il n’y a ni lumière, ni ombre, ni deſſin, ni vérité dans ſon ouvrage. L’architecture n’avoit pas fait de plus grands progrès. On ne retrouve dans toute l’étendue de l’empire aucun ancien monument qui ait de la majeſté, ni même des ruines qui rappellent le ſouvenir d’une grandeur paſſée. Jamais le Mexique ne put ſe glorifier que des chauſſées qui conduiſoient à ſa capitale, que des acqueducs2 qui y amenoient de l’eau potable d’une diſtance fort conſidérable.
Si les arts de nécessité première étaient si imparfaits aux1 Mexique, il en faut conclure que ceux d’agrément l’étaient encore plus. La forme et l’exécution du peu de vases et de bijoux d’or ou d’argent qui sont venus jusqu’à nous, tout est également barbare. C’est la même grossièreté dans ces tableaux dont les premiers Espagnols parlèrent avec tant d’admiration, et qu’on composait avec des plumes de toutes les couleurs. Ces peintures n’existent plus, ou sont du moins très-rares ; mais elles ont été gravées. L’artiste est infiniment au-dessous de son sujet, soit qu’il représente des plantes, des animaux ou des hommes. Il n’y a ni lumière, ni ombre, ni dessin, ni vérité dans son ouvrage. L’architecture n’avait pas fait de plus grands progrès. On ne retrouve dans toute l’étendue de l’empire aucun ancien monument qui ait de la majesté, ni même des ruines qui rappellent le souvenir d’une grandeur passée. Jamais le Mexique ne put se glorifier que des chaussées qui conduisaient à sa capitale, que des aquéducs2 qui y amenaient de l’eau potable d’une distance fort considérable.
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On étoit encore plus reculé dans les ſciences que dans les arts ; & c’étoit une ſuite [417]naturelle de la marche ordinaire de l’eſprit humain. Il n’étoit guère poſſible qu’un peuple dont la civiliſation n’étoit pas ancienne & qui n’avoit pu recevoir aucune inſtruction de ſes voiſins, eût des connoiſſances1 un peu étendues. Tout ce qu’on pourroit conclure de ſes inſtitutions religieuſes & politiques, c’eſt qu’il avoit fait quelques pas dans l’aſtronomie. Combien même il lui auroit fallu de ſiècles pour s’éclairer, puiſqu’il étoit privé du ſecours de l’écriture, puiſqu’il étoit encore très-éloigné de ce moyen puiſſant & peut-être unique de lumière, par l’imperfection de ces2 hiéroglyphes !
On était encore plus reculé dans les sciences que dans les arts ; et c’était une suite naturelle de la marche ordinaire de l’esprit humain. Il n’était guère possible qu’un peuple dont la civilisation n’était pas ancienne, et qui n’avait pu recevoir aucune instruction de ses voisins, eût des connaissances1 un peu étendues. Tout ce qu’on pourrait conclure de ses institutions religieuses et politiques, c’est qu’il avait fait quelques pas dans l’astronomie. Combien même il lui aurait fallu de siècles pour s’éclairer, puisqu’il était privé du secours de l’écriture, puisqu’il était encore très-éloigné de ce moyen puissant et peut-être unique de lumière, par l’imperfection de ses2 hiéroglyphes !
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C’étoient des tableaux tracés ſur des écorces d’arbre1, ſur des peaux de bête fauve2, ſur des toiles de coton, & deſtinés à conſerver le ſouvenir des loix3, des dogmes, des révolutions de l’empire. Le nombre, la couleur, l’attitude des figures : tout varioit ſelon les objets qu’il s’agiſſoit d’exprimer. Quoique ces ſignes imparfaits ne duſſent pas avoir ce grand caractère qui exclut tout doute raiſonnable, on peut penſer qu’aidés par des traditions de corps & de famille ; ils donnoient quelque connoiſſance4 des événemens [418]paſſés. L’indifférence des conquérans pour tout ce qui n’avoit pas trait à une avidité inſatiable leur fit négliger la clef de ces dépôts importans. Bientôt leurs moines les regardèrent comme des monumens d’idolâtrie ; & le premier évêque de Mexico, Zummaraga, condamna aux flammes tout ce qu’on en put raſſembler. Le peu qui échappa5 de ce fanatique incendie & qui s’eſt conſervé ſous l’un & l’autre hémiſphère, n’a pas diſſipé depuis les ténèbres où la négligence des premiers Eſpagnols nous avoit plongés.
C’étaient des tableaux tracés sur des écorces d’arbres1, sur des peaux de bêtes fauves2, sur des toiles de coton, et destinés à, conserver le souvenir des lois3, des dogmes, des révolutions de l’empire. Le nombre, la couleur, l’attitude des figures, tout variait selon les objets qu’il s’agissait d’exprimer. Quoique ces signes imparfaits ne dussent pas avoir ce grand caractère qui exclut tout doute raisonnable, on peut penser qu’aidés par des traditions de corps et de famille, ils donnaient quelque connaissance4 des événemens passés. L’indifférence des conquérans pour tout ce qui n’avait pas trait à une avidité insatiable leur fit négliger la clef de ces dépôts importans. Bientôt leurs moines les regardèrent comme des monumens [310] d’idolâtrie ; et le premier évêque de Mexico, Zummaraga, condamna aux flammes tout ce qu’on en put rassembler. Le peu qui s’échappa5 de ce fanatique incendie, et qui s’est conservé sous l’un et l’autre hémisphère, n’a pas dissipé depuis les ténèbres où la négligence des premiers Espagnols nous avait plongés.
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Cet empire1 n’étoit fondé, dit-on2, que depuis3 [35] un peu4 plus d’un ſiécle. Pour ajouter foi5 à une choſe7 ſi peu croyable8, il faudroit d’autres témoignages que ceux des Eſpagnols9, qui n’avoient ni le talent, ni la volonté, de rien examiner ; il faudroit une autre autoritéautre autorité10 que celle de leurs de leurs11 fanatiques prêtres12, qui vouloient établir leur propre ſuperſtition13, ſur les ruines du culte de ces peuples14. Que ſauroit-on de la Chine, ſi les Portugais avoient pu l’incendier, la bouleverſer, ou la détruire comme le Bréſil ? Parleroit-on aujourd’hui de l’antiquité de ſes livres, de ſes loix15 & de ſes mœurs ? Quand on aura laiſſé pénétrer au Mexique quelques philoſophes, pour y déterrer & défricher16 les ruines de ſon hiſtoire ; que ces ſavans ne ſeront pas17 des moines ni des Eſpagnols ; mais des Anglois18, des François19 qui auront toute la liberté, tous les moyens de découvrir la vérité : peut-être alors la ſaura-ton, ſi la barbarie n’a pas détruit les anciens20 monumens qui pouvoient en marquer la trace.
On ignore juſqu’à l’époque de la fondation de l’empire. A la vérité, les hiſtoriens Caſtillans nous diſent qu’avant le dixième ſiècle ce vaſte eſpace1 n’étoit habité que par des hordes errantes & tout-à-fait ſauvages. Ils nous diſent2 que vers cette époque, des tribus venues du Nord & du Nord-Oueſt, occupèrent quelques parties du territoire & y portèrent des mœurs plus douces. Ils nous diſent que trois cens ans après3, un peuple encore4 plus avancé dans la civiliſation & ſorti du voiſinage de la Californie s’établit ſur les bords des lacs & y bâtit Mexico. Ils nous diſent que cette dernière nation, ſi [419][419]ſupérieure aux autres, n’eut durant un aſſez long période, que des chefs plus ou moins habiles, qu’elle élevoit, qu’elle deſtituoit ſelon qu’elle le jugeoit convenable5ſes intérêts. . Ils nous diſent que l’autorité, juſqu’alors partagée & révocable, fut concentrée dans6 une ſeule main & devint inamovible, cent trente ou cent quatre-vingt dix-ſept ans, avant l’arrivée des Eſpagnols. Ils nous diſent que les neuf monarques qui portèrent ſucceſſivement la couronne, donnèrent au domaine de l’état une extenſion qu’il n’avoit pas eue ſous l’ancien gouvernement. Mais quelle foi peut-on raiſonnablement accorder des annales confuſes, contradictoires & remplies des plus abſurdes fables qu’on ait jamais expoſées la crédulité humaine ? ? Pour croire qu’une ſociété dont la domination étoit7 ſi étendue, dont les inſtitutions étoient ſi multipliées, dont le rit étoit ſi régulier, avoit une origine auſſi moderne qu’on l’a publié8, il faudroit d’autres témoignages que ceux des féroces ſoldats9 qui n’avoient ni le talent ni la volonté de rien examiner ; il faudroit d’autres garans10 que des prêtres11 fanatiques qui ne ſongeoient qu’à élever leur [420][420]culte13 ſur la ruine des ſuperſtitions qu’ils trouvoient établies14. Que ſauroit-on de la Chine, ſi les Portugais avoient pu l’incendier, la bouleverſer ou la détruire comme le Bréſil ? Parleroit-on aujourd’hui de l’antiquité de ſes livres, de ſes loix15 & de ſes mœurs ? Quand on aura laiſſé pénétrer au Mexique quelques philoſophes pour y déterrer, pour y déchiffrer16 les ruines de ſon hiſtoire, que ces ſavans ne feront, ni17 des moines, ni des Eſpagnols, mais des Anglois18, des François19 qui auront toute la liberté, tous les moyens de découvrir la vérité : peut-être alors la ſaurat-on, ſi la barbarie n’a pas détruit tous les20 monumens qui pouvoient en marquer la trace.
On ignore jusqu’à l’époque de la fondation de l’empire. A la vérité, les historiens castillans nous disent qu’avant le dixième siècle ce vaste espace1 n’était habité que par des hordes errantes et tout-à-fait sauvages. Ils nous disent2 que vers cette époque des tribus, venues du nord et du nord-ouest, occupèrent quelques parties du territoire, et y portèrent des mœurs plus douces. Ils nous disent que, trois cents ans après3, un peuple encore4 plus avancé dans la civilisation, et sorti du voisinage de la Californie, s’établit sur les bords des lacs, et y bâtit Mexico. Ils nous disent que cette dernière nation, si supérieure aux autres, n’eut, durant un assez long période, que des chefs plus ou moins habiles, qu’elle élevait, qu’elle destituait selon qu’elle le jugeait convenable5ses intérêts. Ils nous disent que l’autorité, jusqu’alors partagée et révocable, fut concentrée dans6 une seule main, et devint inamovible cent trente ou cent quatre-vingt-dix-sept ans avant l’arrivée des Espagnols. Ils nous disent que les neuf monarques qui portèrent successivement la couronne donnèrent au domaine de [311]l’état une extension qu’il n’avait pas eue sous l’ancien gouvernement. Mais quelle foi peut-on raisonnablement accorder à des annales confuses, contradictoires, et remplies des plus absurdes fables qu’on ait jamais exposées à la crédulité humaine ? Pour croire qu’une société dont la domination était7 si étendue, dont les institutions étaient si multipliées, dont le rit était si régulier, avait une origine aussi moderne qu’on l’a publié8, il faudrait d’autres témoignages que ceux des féroces soldats9, qui n’avaient ni le talent ni la volonté de rien examiner ; il faudrait d’autres garans10 que des prêtres11 fanatiques, qui ne songeaient qu’à élever leur culte13 sur la ruine des superstitions qu’ils trouvaient établies14. Que saurait-on de la Chine, si les Portugais avaient pu l’incendier, la bouleverser ou la détruire comme le Brésil ? Parlerait-on aujourd’hui de l’antiquité de ses livres, de ses lois15 et de ses mœurs ? Quand on aura laissé pénétrer au Mexique quelques philosophes pour y déterrer, pour y déchiffrer16 les ruines de son histoire, que ces savans ne seront ni17 des moines, ni des Espagnols, mais des Anglais18, des Français19 qui auront toute la liberté, tous les moyens de découvrir la vérité, peut-être alors la saura-t-on, si la barbarie n’a pas détruit tous les20 monumens qui pouvaient en marquer la trace.
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Ces recherches ne pourroient pas cependant conduire à une connoiſſance1 exacte de l’ancienne population de l’empire. Elle étoit immenſe, diſent les conquérans. Des habitans couvroient les campagnes ; les citoyens fourmilloient dans les villes ; les armées étoient très-nombreuſes. Stupides relateurs, n’eſt-ce pas vous qui nous aſſurez que c’étoit un état naiſſant ; que des guerres opiniâtres l’agitoient ſans ceſſe ; qu’on maſſacroit ſur le champ de bataille ou qu’on ſacrifioit aux [421]dieux dans les temples tous les priſonniers ; qu’à la mort de chaque empereur, de chaque cacique, de chaque grand, un nombre de victimes proportionné à leur dignité étoit immolé2 ſur leur tombe ; qu’un goût dépravé faiſoit généralement négliger les femmes ; que les mères nourriſſoient de leur propre lait leurs enfans durant quatre ou cinq années, & ceſſoient de bonne heure d’être fécondes ; que les peuples gémiſſoient par-tout & ſans relâche ſous les vexations du fiſc ; que des eaux corrompues, que de vaſtes forêts couvroient les provinces ; que les aventuriers Eſpagnols eurent plus à ſouffrir de la diſette que de la longueur des marches, que des traits de l’ennemi.
Ces recherches ne pourraient pas cependant conduire à une connaissance1 exacte de l’ancienne [312]population de l’empire. Elle était immense, disent les conquérans. Des habitans couvraient les campagnes ; les citoyens fourmillaient dans les villes ; les armées étaient très-nombreuses. Stupides relateurs, n’est-ce pas vous qui nous assurez que c’était un état naissant ; que des guerres opiniâtres l’agitaient sans cesse ; qu’on massacrait sur le champ de bataille ou qu’on sacrifiait aux dieux dans les temples tous les prisonniers ; qu’à la mort de chaque empereur, de chaque cacique, de chaque grand, un nombre de victimes proportionné à leur dignité étaient immolées2 sur leur tombe ; qu’un goût dépravé faisait généralement négliger les femmes ; que les mères nourrissaient de leur propre lait leurs enfans durant quatre ou cinq années, et cessaient de bonne heure d’être fécondes ; que les peuples gémissaient partout et sans relâche sous les vexations du fisc ; que des eaux corrompues, que de vastes forêts couvraient les provinces ; que les aventuriers espagnols eurent plus à souffrir de la disette que de la longueur des marches, que des traits de l’ennemi ?
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Comment concilier des faits, certifiés par tant de témoins, avec cette exceſſive population ſi ſolemnellement1 atteſtée dans vos orgueilleuſes annales ? Avant que la ſaine philoſophie eût fixé un regard attentif ſur vos étranges contradictions ; lorſque la haîne qu’on vous portoit faiſoit ajouter une foi entière à vos folles exagérations, l’univers, qui ne voyoit plus qu’un déſert dans le Mexique, étoit convaincu que vous aviez précipité [422] au tombeau des générations innombrables. Sans doute, vos farouches ſoldats ſe ſouillèrent trop ſouvent d’un ſang innocent ; ſans doute, vos fanatiques miſſionnaires ne s’oppoſèrent pas à ces barbaries comme ils le devoient ; ſans doute, une tyrannie inquiète, une avarice inſatiable enlevèrent à cette infortunée partie du Nouveau-Monde beaucoup de ſes foibles2 enfans : mais vos cruautés furent moindres que les hiſtoriens de vos ravages n’ont autoriſé les nations à le penſer. Et c’eſt moi, moi que vous regardez comme le détracteur de votre caractère, qui même en vous accuſant d’ignorance & d’impoſture, deviens, autant qu’il ſe peut, votre apologiſte.
Comment concilier des faits certifiés par tant de témoins, avec cette excessive population si solennellement1 attestée dans vos orgueilleuses annales ? Avant que la saine philosophie eût fixé un regard attentif sur vos étranges contradictions, lorsque la haine qu’on vous portait faisait ajouter une foi entière à vos folles exagérations, [313]l’univers, qui ne voyait plus qu’un désert dans le Mexique, était convaincu que vous aviez précipité au tombeau des générations innombrables. Sans doute vos farouches soldats se souillèrent trop souvent d’un sang innocent ; sans doute vos fanatiques missionnaires ne s’opposèrent pas à ces barbaries comme ils le devaient ; sans doute une tyrannie inquiète, une avarice insatiable enlevèrent à cette infortunée partie du Nouveau-Monde beaucoup de ses faibles2 enfans ; mais vos cruautés furent moindres que les historiens de vos ravages n’ont autorisé les nations à le penser. Et c’est moi, moi que vous regardez comme le détracteur de votre caractère, qui, même en vous accusant d’ignorance et d’imposture, deviens, autant qu’il se peut, votre apologiste.
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Aimeriez-vous mieux qu’on ſurfît le nombre de vos aſſaſſinats, que de dévoiler votre ſtupidité & vos contradictions ? Ici, j’en atteſte le ciel, je ne me ſuis occupé qu’à vous laver du ſang dont vous paroiſſez1 glorieux d’être couverts ; & par-tout ailleurs où j’ai parlé de vous, que des moyens de rendre à votre nation ſa première ſplendeur & d’adoucir le ſort des peuples malheureux qui vous ſont ſoumis. Si vous me découvrez [423]quelque haîne ſecrete ou quelque vue d’intérêt, je m’abandonne à votre mépris. Ai-je traité les autres dévaſtateurs du Nouveau-Monde, les François2 même mes compatriotes, avec plus de ménagement ? Pourquoi donc êtes-vous les ſeuls que j’aie offenſés ? C’eſt qu’il ne vous reſte que de l’orgueil. Devenez puiſſans, vous deviendrez moins ombrageux ; & la vérité, qui vous fera rougir, ceſſera de vous irriter.
Aimeriez-vous mieux qu’on surfît le nombre de vos assassinats que de dévoiler votre stupidité et vos contradictions ? Ici, j’en atteste le ciel, je ne me suis occupé qu’à vous laver du sang dont vous paraissez1 glorieux d’être couverts, et partout ailleurs où j’ai parlé de vous, que des moyens de rendre à votre nation sa première splendeur, et d’adoucir le sort des peuples malheureux qui vous sont soumis. Si vous me découvrez quelque haine secrète ou quelque vue d’intérêt, je m’abandonne à votre mépris. Ai-je traité les autres dévastateurs du Nouveau-Monde, les Français2 même, mes compatriotes, avec plus de ménagement ? Pourquoi donc êtes-vous les seuls que [314]j’aie offensés ? C’est qu’il ne vous reste que de l’orgueil. Devenez puissans, vous deviendrez moins ombrageux ; et la vérité, qui vous fera rougir, cessera de vous irriter.
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Quelle que fût la population du Mexique, la priſe de la capitale entraîna la ſoumiſſion de l’état entier. Il n’étoit pas auſſi étendu qu’on le croit communément. Sur la mer du Sud, l’Empire ne commençoit qu’à Nicaragua & ſe terminoit à Acapulco : encore une partie des côtes qui baignent cet océan n’avoit-elle jamais été ſubjuguée. Sur la mer du Nord, rien preſque ne le coupoit depuis la rivière de Tabaſco juſqu’à celle de Panuco : mais dans l’intérieur des terres, Tlaſcala, Tepeaca, Mechoacan, Chiapa, quelques autres diſtricts moins conſidérables, avoient conſervé leur indépendance. La liberté leur fut ravie, en moins d’une année, par le conquérant auquel il ſuffiſoit d’envoyer dix, quinze, vingt chevaux [424] pour n’éprouver aucune réſiſtance ; & avant la fin de 15221, les provinces qui avoient repouſſé les loix2 des Mexicains & rendu la communication de leurs poſſeſſions difficile ou impraticable, firent toutes3 partie de la domination Eſpagnole. Avec le tems, elle reçut encore des accroiſſemens immenſes du côté du Nord. Ils auroient même été plus conſidérables, ſur-tout plus utiles, ſans les barbaries incroyables qui les accompagnoient ou qui les ſuivoient4.
Quelle que fût la population du Mexique, la prise de la capitale entraîna la soumission de l’état entier. Il n’était pas aussi étendu qu’on le croit communément. Sur la mer du Sud, l’empire ne commençait qu’à Nicaragua, et se terminait à Acapulco : encore une partie des côtes qui baignent cet océan n’avait-elle jamais été subjuguée. Sur la mer du Nord, rien presque ne le coupait depuis la rivière de Tabasco jusqu’à celle de Panuco ; mais, dans l’intérieur des terres, Tlascala, Tepeaca, Mechoacan, Chiapa, quelques autres districts moins considérables avaient conservé leur indépendance. La liberté leur fut ravie, en moins d’une année, par le conquérant auquel il suffisait d’envoyer dix, quinze, vingt chevaux pour n’éprouver aucune résistance ; et avant la fin de 15221, les provinces qui avaient repoussé les lois2 des Mexicains, et rendu la communication de leurs possessions difficile ou impraticable, firent toute3 partie de la domination espagnole.
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A peine les Caſtillans1 ſe virent-ils2 les maîtres du Mexique3, qu’ils s’en partagèrent les meilleures terres, qu’ils réduiſirent en ſervitude le peuple qui les avoit défrichées, qu’ils le condamnèrent à des travaux que ſa conſtitution phyſique, que ſes habitudes ne comportoient pas. Cette oppreſſion générale excita de grands ſoulevemens. Il n’y eut point de concert, il n’y eut point de chef il n’y eut point de plan ; & ce fut le déſeſpoir ſeul qui produiſit cette grande exploſion. Le ſort voulut qu’elle tournât contre les trop malheureux Indiens. Un conquérant4 irrité, le fer & la flamme à la main, ſe porta avec la rapidité de l’éclair d’une extrémité de l’empire [425]à l’autre, & laiſſa par-tout des traces d’une vengeance éclatante dont les détails feroient frémir les ames les plus ſanguinaires5. Il y eut une barbare émulation entre l’officier & le ſoldat à qui immoleroit le plus de victimes ; & le général lui-même ſurpaſſa6 peut-être en férocité7 ſes troupes8 & ſes lieutenans9.
Combien il eût été aisé, combien il eût été glorieux, combien il eût été utile aux nouveaux souverains de faire bénir leur domination ! Mais ces redoutables aventuriers ne1 se virent pas plus tôt2 les maîtres de la vaste région que la fortune [315]leur avait donnée3, qu’ils s’en partagèrent les meilleures terres, qu’ils réduisirent en servitude le peuple qui les avait défrichées, qu’ils le condamnèrent à des travaux que sa constitution physique, que ses habitudes ne comportaient pas. Cette oppression générale excita de grands soulèvemens. Il n’y eut point de concert, il n’y eut point de chef, il n’y eut point de plan ; et ce fut le désespoir seul qui produisit cette grande explosion. Le sort voulut qu’elle tournât contre les trop malheureux Indiens. Un tyran4 irrité, le fer et la flamme à la main, se porta avec la rapidité de l’éclair d’une extrémité de l’empire à l’autre, et laissa partout des traces d’une vengeance éclatante, dont le souvenir durera éternellement5. Il y eut une barbare émulation, entre l’officier et le soldat, à qui immolerait le plus de victimes ; et le général lui-même fut6 peut-être de tous le plus coupable. Ce fut de son aveu ou par7 ses ordres que soixante caciques, que quatre cents nobles furent brûlés vifs le même jour dans une seule province. On poussa même la barbarie jusqu’à forcer les proches8 et les enfans de ces malheureux d’assister cette épouvantable tragédie9.
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Cependant, Cortès1 ne recueillit pas de tant d’inhumanités le fruit qu’il s’en pouvoit promettre. Il commençoit à entrer dans la politique de la cour de Madrid de ne pas laiſſer à ceux de ſes ſujets qui s’étoient ſignalés par quelque importante découverte le tems2 de s’affermir dans leur domination, dans la crainte bien ou mal fondée qu’ils ne ſongeâſſent à ſe rendre indépendans de la couronne3. Si le conquérant du Mexique ne donna pas lieu à ce ſyſtême, du moins en fut-il une des premières victimes. On diminuoit chaque jour les pouvoirs illimités dont il avoit joui d’abord ; & avec le tems4 on les réduiſit à ſi peu de choſe, qu’il crut devoir préférer une condition privée aux vaines apparences d’une autorité qu’accompagnoient les plus grands d’égoûts.
Cependant Cortez1 ne recueillit pas de tant d’inhumanités le fruit qu’il s’en pouvait promettre. Il commençait à entrer dans la politique de la cour de Madrid de ne pas laisser à ceux de ses sujets qui s’étaient signalés par quelque importante découverte le temps2 de s’affermir dans [316]leur domination, dans la crainte bien ou mal fondée qu’ils ne songeassent à se rendre indépendans. Si le conquérant du Mexique ne donna pas lieu à ce système, du moins en fut-il une des premières victimes. On diminuait chaque jour les pouvoirs illimités dont il avait joui d’abord ; et avec le temps4 on les réduisit à si peu de chose, qu’il crut devoir préférer une condition privée aux vaines apparences d’une autorité qu’accompagnaient les plus grands dégoûts.
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Cet Eſpagnol fut deſpote & cruel. Ses [426]ſuccès ſont flétris par l’injuſtice de ſes projets. C’eſt un aſſaſſin couvert de ſang innocent : mais ſes vices ſont de ſon tems1 ou de ſa nation, & ſes vertus ſont à lui. Placez cet homme chez les peuples anciens. Donnez-lui une autre patrie, une autre éducation, un autre eſprit, d’autres mœurs, une autre religion. Mettez-le à la tête de la flotte qui s’avança contre Xerxès. Comptez-le parmi les Spartiates qui ſe préſentèrent au détroit des Thermopiles2, ou ſuppoſez-le parmi ces généreux Bataves qui s’affranchirent de la tyrannie de ſes compatriotes, & Cortès3 ſera un grand homme. Ses qualités ſeront héroïques, ſa mémoire ſera ſans reproche. Céſar né dans le quinzième ſiècle & général au Mexique eût été plus méchant que Cortès4. Pour excuſer les fautes qui lui ont été reprochées, il faut ſe demander à ſoi-même ce qu’on peut attendre de mieux d’un homme qui fait les premiers pas dans des régions inconnues & qui eſt preſſé de pourvoir à ſa ſûreté. Il ſeroit bien injuſte de le confondre avec le fondateur paiſible qui connoît la contrée & qui diſpoſe à ſon gré des moyens, de l’eſpace & du tems5.
Cet Espagnol fut despote et cruel. Ses succès sont flétris par l’injustice de ses projets. C’est un assassin couvert de sang innocent : mais ses vices sont de son temps1 ou de sa nation, et ses vertus sont à lui. Placez cet homme chez les peuples anciens ; donnez-lui une autre patrie, une autre éducation, un autre esprit, d’autres mœurs, une autre religion ; mettez-le à la tête de la flotte qui s’avança contre Xerxès ; comptez-le parmi les Spartiates qui se présentèrent au détroit des Thermopyles2, ou supposez-le parmi ces généreux Bataves qui s’affranchirent de la tyrannie de ses compatriotes, et Cortez3 sera un grand homme. Ses qualités seront héroïques, sa mémoire sera sans reproche. César, né dans le quinzième siècle et général au Mexique, eût été plus méchant que Cortez4. Pour excuser les fautes qui lui ont été reprochées, il faut se demander à soi-même ce qu’on peut attendre de mieux d’un homme qui fait les premiers pas dans des régions inconnues, [317]et qui est pressé de pourvoir à sa sûreté. Il serait bien injuste de le confondre avec le fondateur paisible qui connaît la contrée et qui dispose à son gré des moyens, de l’espace et du temps5.
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Depuis que le Mexique eut ſubi le joug des Caſtillans, cette vaſte contrée ne fut plus expoſée à l’invaſion. Aucun ennemi voiſin ou éloigné ne ravagea ſes provinces. La paix dont elle jouiſſoit ne fut extérieurement troublée que par des pirates. Dans la mer du Sud, les entrepriſes de ces brigands ſe bornèrent à la priſe d’un petit nombre de vaiſſeaux : mais au Nord, ils pillèrent une fois Campeche, deux fois Vera-Crux1, & ſouvent ils portèrent la déſolation ſur des côtes moins connues, moins riches & moins défendues.
Depuis que le Mexique eut subi le joug des Castillans, cette vaste contrée ne fut plus exposée à l’invasion. Aucun ennemi voisin ou éloigné ne ravagea ses provinces. La paix dont elle jouissait ne fut extérieurement troublée que par des pirates. Dans la mer du Sud, les entreprises de ces brigands se bornèrent à la prise d’un petit nombre de vaisseaux : mais au nord ils pillèrent une fois Campèche, deux fois Véra-Cruz1, et souvent ils portèrent la désolation sur des côtes moins connues, moins riches et moins défendues.
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Pendant que la navigation & les rivages de cette opulente région ſont en proie aux corſaires & aux eſcadres des nations révoltées de l’ambition de l’Eſpagne, ou ſeulement jalouſes de ſa ſupériorité, les Chichemecas troublent l’intérieur de l’empire. C’étoient, ſi l’on en croit Herrera & Torquemada1, les peuples qui occupoient les meilleures plaines de la contrée avant l’arrivée des Mexicains. Pour éviter les fers que leur préparoit le conquérant, ils ſe réfugièrent dans des cavernes & dans des montagnes où s’accrut leur férocité naturelle & où ils menoient une vie entiérement animale. La nouvelle révolution [428]qui venoit de changer l’état de leur ancienne patrie ne les diſpoſa pas à des mœurs plus douces ; & ce qu’ils virent ou qu’ils apprirent du caractère Eſpagnol leur inſpira une haîne implacable contre une nation ſi fière & ſi oppreſſive. Cette paſſion, toujours terrible dans des ſauvages, ſe manifeſta par les ravages qu’ils portèrent dans tous les établiſſemens qu’on formoit à leur voiſinage, par les cruautés qu’ils exerçoient ſur ceux qui entreprenoient d’y ouvrir des mines. Inutilement, pour les contenir ou les réprimer, il fut établi des forts & des garniſons ſur la frontière, leur rage ne diſcontinua pas juſqu’en 1592. A cette époque, le capitaine Caldena leur perſuada de mettre fin aux hoſtilités. Dans la vue de rendre durables ces ſentimens pacifiques, le gouvernement leur fit bâtir des habitations, les raſſembla dans pluſieurs bourgades, & envoya au milieu d’eux quatre cens3 familles Tlaſcaltèques4 dont l’emploi devoit être de former à quelques arts, à quelques cultures un peuple qui juſqu’alors n’avoit été couvert que de peaux n’avoit vécu que de chaſſe ou des productions ſpontanées de la nature. Ces meſures, [429]quoique ſages, ne réuſſirent que tard. Les Chichemecas ſe refuſèrent long-tems5 à l’inſtruction qu’on avoit entrepris de leur donner, repouſſèrent même toute liaiſon avec des inſtituteurs bienfaiſans & Américains. Ce ne fut qu’en 1608 que l’Eſpagne fut déchargée du ſoin de les habiller & de les nourrir.
Pendant que la navigation et les rivages de cette opulente région sont en proie aux corsaires et aux escadres des nations révoltées de l’ambition de l’Espagne, ou seulement jalouses de sa supériorité, les Chichemecas troublent l’intérieur de l’empire. C’étaient, si l’on en croit Herréra, les peuples qui occupaient les meilleures plaines de la contrée avant l’arrivée des Mexicains. Pour éviter les fers que leur préparait le conquérant, ils se réfugièrent dans des cavernes et dans des montagnes, où s’accrut leur férocité naturelle, et où ils menaient une vie entièrement animale. La nouvelle révolution qui venait de changer l’état de leur ancienne patrie ne les disposa pas à des mœurs plus douces ; et ce qu’ils virent ou qu’ils [318]apprirent du caractère espagnol leur inspira une haine implacable contre une nation si fière et si oppressive. Cette passion, toujours terrible dans des sauvages, se manifesta par les ravages qu’ils portèrent dans tous les établissemens qu’on formait à leur voisinage, par les cruautés qu’ils exerçaient sur ceux qui entreprenaient d’y ouvrir des mines. Inutilement, pour les contenir ou les réprimer, il fut établi des forts et des garnisons sur la frontière ; leur rage ne discontinua pas jusqu’en 1592. A cette époque le capitaine Caldena leur persuada de mettre fin aux hostilités. Dans la vue de rendre durables ces sentimens pacifiques, le gouvernement leur fit bâtir des habitations, les .rassembla dans plusieurs bourgades, et envoya de Tlascala2 au milieu d’eux quatre cents3 familles, dont l’emploi devait être de former à quelques arts, à quelques cultures un peuple qui jusqu’alors n’avait été couvert que de peaux, n’avait vécu que de chasse ou des productions spontanées de la nature. Ces mesures, quoique sages, ne réussirent que tard. Les Chichemecas se refusèrent long-temps5 à l’instruction qu’on avait entrepris de leur donner, repoussèrent même toute liaison avec des instituteurs bienfaisans et américains. Ce ne fut qu’en 1608 que l’Espagne fut déchargée du soin de les habiller et de les nourrir.
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Dans la première année du dix-septième siècle, plusieurs tribus de Guadalajara, qui sollicitaient [319]vainement depuis long-temps quelque adoucissement à leur sort trop infortuné, prirent enfin la résolution de massacrer tous les Espagnols répandus sur leur territoire. Le carnage allait commencer lorsque l’évêque de la capitale, Alfonse de la Mota, envoya aux mécontens des agens de confiance pour les assurer que leurs griefs seraient redressés, et, pour gage de sa parole, leur fit remettre quelques marques de sa dignité. Au nom d’un prélat généralement révéré, les Indiens s’arrêtèrent, et, après une courte délibération, lui firent dire que dans la lune suivante ils l’instruiraient de leurs intentions. C’était chez ces peuples un ancien usage de mettre dans les affaires importantes un mois d’intervalle entre la résolution et l’exécution.
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Le hasard voulut que dans ces circonstances arrivât dans ce pays un corps de troupes castillanes qui parcourait les provinces pour les contenir ou les faire rentrer dans l’ordre. Instruits ou non de ce qui s’était passé, ces soldats féroces dirigèrent leur marche sur des hommes qu’ils croyaient ou feignaient de croire révoltés. Ceux-ci, pensant qu’on les trahissait, reprirent les armes qu’ils avaient quittées, et allaient eux-mêmes commencer les hostilités, si un de leurs chefs ne leur eût adressé ces paroles : « N’avons-nous pas la mitre de notre pasteur et de celui de nos oppresseurs ? Faisons-en notre étendard. S’ils respectent autant que nous cette enseigne, le sang [320]ne sera pas versé. S’ils la dédaignent, le ciel sera pour nous, et la victoire nous est assurée. »
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Sur cette promesse, l’armée indienne se mit en mouvement, aussi éloignée de laisser paraître de la crainte que de montrer un air menaçant. Le général Espagnol n’eut pas plus tôt aperçu la mitre, qu’il descendit de cheval, se prosterna devant elle, et la baisa respectueusement. Les siens, tous les siens sans exception, suivirent son exemple. La concorde entre les deux nations fut rétablie par la médiation du pontife ; et l’audience royale elle-même donna sa sanction à tout ce qui avait été arrêté. Des fêtes religieuses trèsmultipliées et très-solennelles suivirent un accommodement regardé comme l’ouvrage de la religion.
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Dix-huit1 ans après, Mexico voit ſe heurter avec le plus grand éclat la puiſſance civile & la puiſſance eccléſiaſtique. Un homme convaincu de mille crimes cherche au pied des autels l’impunité de tous ſes forfaits. Le vice-roi Gelves l’en fait arracher. Cet acte d’une juſtice néceſſaire paſſe pour un attentat contre la divinité même. La foudre de l’excommunication eſt lancée. Le peuple ſe ſoulève. Le clergé ſéculier & régulier prend les armes. On brûle le palais du commandant ; on enfonce le poignard dans le ſein de ſes gardes, de ſes amis, de ſes partiſans. Lui-même il eſt mis aux fers & embarqué pour l’Europe avec ſoixante-dix gentilshommes qui n’ont pas craint d’embraſſer ſes intérêts. L’archevêque, auteur de tant de calamités & dont la vengeance n’eſt pas encore aſſouvie, ſuit ſa victime avec le deſir & l’eſpoir de l’immoler. [430]Après avoir quelque tems2 balancé, la cour ſe décide enfin pour le fanatiſme. Le défenſeur des droits du trône & de l’ordre eſt condamné à un oubli entier ; & ſon ſucceſſeur autoriſé à conſacrer ſolemnellement3 toutes les entrepriſes de la ſuperſtition, & plus particuliérement la ſuperſtition des aſyles4.
Seize1 ans après Mexico, voit se heurter avec le plus grand éclat la puissance civile et la puissance ecclésiastique. Un homme convaincu de mille crimes cherche au pied des autels l’impunité de tous ses forfaits. Le vice-roi Gelves l’en fait arracher. Cet acte d’une justice nécessaire passe pour un attentat contre la Divinité même. La foudre de l’excommunication est lancée. Le peuple se soulève. Le clergé séculier et régulier prend les armes. On brûle le palais du commandant ; on enfonce le poignard dans le sein de ses gardes, de ses amis, de ses partisans. Lui-même il est mis aux fers et embarqué pour l’Europe avec soixante-dix gentilshommes qui n’ont pas craint [321]d’embrasser ses intérêts. L’archevêque, auteur de tant de calamités, et dont la vengeance n’est pas encore assouvie, suit sa victime avec le désir et l’espoir de l’immoler. Après avoir quelque temps2 balancé, la cour se décide enfin pour le fanatisme. Le défenseur des droits du trône et de l’ordre est condamné à un oubli entier ; et son successeur autorisé à consacrer solennellement3 toutes les entreprises de la superstition, et plus particulièrement la superstition des asiles4.
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Le mot aſyle1, pris dans toute ſon étendue, pourroit ſignifier tout lieu, tout privilège, toute diſtinction qui garantit un coupable de l’exercice impartial de la juſtice. Car qu’eſt-ce qu’un titre qui affoiblit2 ou ſuſpend l’autorité de la loi ? un aſyle3. Qu’eſt-ce que la priſon qui dérobe le criminel à la priſon commune de tous les malfaiteurs ? un aſyle4. Qu’eſt-ce qu’une retraite où le créancier ne peut aller ſaiſir le débiteur frauduleux ? un aſyle5. Qu’eſt-ce que l’enceinte où l’on peut exercer ſans titre toutes les fonctions de la ſociété, & cela dans une contrée où le reſte des citoyens n’en obtient le droit qu’à prix d’argent ? un aſyle6. Qu’eſt-ce qu’un tribunal auquel on peut appeller7 d’une ſentence définitive prononcée par un autre tribunal cenſé le dernier de la loi ? un aſyle8. Qu’eſt-ce qu’un privilège excluſif, pour quelque motif qu’il [431]ait été ſollicité & obtenu ? un aſyle9. Dans un empire où les citoyens partageant inégalement les avantages de la ſociété n’en partagent pas les fardeaux proportionnellement à ces avantages, qu’eſt-ce que les diverſes diſtinctions qui ſoulagent les uns aux dépens des autres ? des aſyles10.
Le mot asile1, pris dans toute son étendue, pourrait signifier tout lieu, tout privilége, toute distinction qui garantit un coupable de l’exercice impartial de la justice. Car qu’est-ce qu’un titre qui affaiblit2 ou suspend l’autorité de la loi ? un asile3. Qu’est-ce que la prison qui dérobe le criminel à la prison commune de tous les malfaiteurs ? un asile4. Qu’est-ce qu’une retraite où le créancier ne peut aller saisir le débiteur frauduleux ? un asile5. Quest-ce que l’enceinte où l’on peut exercer sans titre toutes les fonctions de la société, et cela dans une contrée où le reste des citoyens n’en obtient le droit qu’à prix d’argent ? un asile6. Qu’est-ce qu’un tribunal auquel on peut appeler7 d’une sentence définitive prononcée par un autre tribunal censé le dernier de la loi ? un asile8. Qu’est-ce qu’un privilége exclusif, pour quelque motif qu’il ait été sollicité et obtenu ? un asile9. Dans un empire où les citoyens, partageant inégalement les avantages de la société, n’en partagent [322] pas les fardeaux proportionnellement à ces avantages, qu’est-ce que les diverses distinctions qui soulagent les uns aux dépens des autres ? des asiles10.
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On connoît l’aſyle1 du tyran, l’aſyle2 du prêtre, l’aſyle3 du miniſtre, l’aſyle4 du noble, l’aſyle5 du traitant, l’aſyle6 du commerçant. Je nommerois7 preſque toutes les conditions de la ſociété. Quelle eſt en effet celle qui n’a pas un abri en faveur d’un certain nombre de malverſations qu’elle peut commettre avec impunité ?
On connaît l’asile1 du tyran, l’asile2 du prêtre, l’asile3 du ministre, l’asile4 du noble, l’asile5 du traitant, l’asile6 du commerçant. Je nommerais7 presque toutes les conditions de la société. Quelle est en effet celle qui n’a pas un abri en faveur d’un certain nombre de malversations qu’elle peut commettre avec impunité ?
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Cependant les plus dangereux des aſyles1 ne ſont pas ceux où l’on ſe ſauve, mais ceux que l’on porte avec ſoi, qui ſuivent le cou2 & qui l’entourent, qui lui ſervent de bouclier & qui forment entre lui & moi une enceinte au centre de laquelle il eſt placé, & d’où il peut m’inſulter ſans que le châtiment puiſſe l’atteindre. Tels ſont l’habit & le caractère eccléſiaſtiques. L’un & l’autre étoient autrefois une ſorte d’aſyle3 où l’impunité des forfaits les plus criants4 étoit preſqu’aſſurée5 [432]. Ce privilège eſt-il bien éteint ? J’ai vu ſouvent conduire des moines & des prêtres dans les priſons : mais je n’en ai preſque jamais vu ſortir pour aller au lieu public des exécutions.
Cependant les plus dangereux des asiles1 ne sont pas ceux où l’on se sauve, mais ceux que l’on porte avec soi, qui suivent le coupable2 et qui l’entourent, qui lui servent de bouclier, et qui forment entre lui et moi une enceinte au centre de laquelle il est placé, et d’où il peut m’insulter sans que le châtiment puisse l’atteindre. Tels sont l’habit et le caractère ecclésiastiques. L’un et l’autre étaient autrefois une sorte d’asile3 où l’impunité des forfaits les plus crians4 était presque assurée5. Ce privilége est-il bien éteint ? J’ai vu souvent conduire des moines et des prêtres dans les prisons ; mais je n’en ai presque jamais vu sortir pour aller au lieu public des exécutions.
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Eh quoi ! parce qu’un homme par ſon état eſt obligé à des mœurs plus ſaintes, il obtiendra des ménagemens, une commiſération qu’on refuſera au coupable qui n’eſt pas lié par la même obligation... Mais le reſpect dû à ſes fonctions, à ſon vêtement, à ſon caractère ? ... Mais la juſtice due également & ſans diſtinction à tous les citoyens ... Si le glaive de la loi ne ſe promène pas indifféremment par-tout ; s’il vacille, s’il s’élève ou s’abaiſſe ſelon la tête qu’il rencontre ſur ſon paſſage, la ſociété eſt mal ordonnée. Alors il exiſte, ſous un autre nom, ſous une autre forme, un privilège déteſtable, un abri interdit aux uns & réſervé aux autres.
Eh quoi ! parce qu’un homme par son état est obligé à des mœurs plus saintes, il obtiendra des ménagemens, une commisération qu’on refusera au coupable qui n’est pas lié par la même obligation..... Mais le respect dû à ses fonctions, à [323]son vêtement, à son caractère ?... Mais la justice due également et sans distinction à tous les citoyens... Si le glaive de la loi ne se promène pas indifféremment partout ; s’il vacille, s’il s’élève ou s’abaisse selon la tête qu’il rencontre sur son passage, la société est mal ordonnée. Alors il existe sous un autre nom, sous une autre forme, un privilége détestable, un abri interdit aux uns et réservé aux autres.
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Mais ces aſyles1, quoique généralement contraires à la proſpérité des ſociétés, ne fixeront pas ici notre attention. Il s’agira uniquement de ceux qu’ont offert2, qu’offrent encore aujourd’hui les temples dans pluſieurs parties du globe.
Mais ces asiles1, quoique généralement contraires à la prospérité des sociétés, ne fixeront pas ici notre attention. Il s’agira uniquement de ceux qu’ont offerts2, qu’offrent encore aujourd’hui les temples dans plusieurs parties du globe.
280

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Ces refuges furent connus des anciens. Dans la Grèce encore à demi-barbare, on penſa que la tyrannie ne pouvoit être réfrénée que par la religion. Les ſtatues d’Hercule, de Theſée, de Pirithoüs parurent propres à inſpirer de la terreur aux ſcélérats, lorſqu’ils n’eurent plus à redouter leurs maſſues. Mais auſſi-tôt que l’aſyle1 inſtitué en faveur de l’innocence ne ſervit plus qu’au ſalut du coupable, aux intérêts & à la vanité des conſervateurs du privilège, ces retraites furent abolies.
Ces refuges furent connus des anciens. Dans la Grèce encore à demi-barbare, on pensa que la tyrannie ne pouvait être réfrénée que par la religion. Les statues d’Hercule, de Thésée, de Pirithoüs, parurent propres à inspirer de la terreur aux scélérats, lorsqu’ils n’eurent plus à redouter leurs massues. Mais aussitôt que l’asile1 institué en faveur de l’innocence ne servit plus qu’au salut du coupable, aux intérêts et à la vanité des conservateurs du privilége, ces retraites furent abolies.
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D’autres peuples, à l’imitation des Grecs, établirent des aſyles1. Mais le citoyen ne ſe jettoit2 dans le ſein des dieux que pour ſe ſouſtraire à la main armée qui le pourſuivoit. Là, il invoquoit la loi ; il appelloit3 le peuple à ſon ſecours. Ses concitoyens accouroient. Le magiſtrat approchoit. Il étoit interrogé. S’il avoit abuſé de l’aſyle4, il étoit doublement puni. Il recevoit le châtiment & du forfait qu’il avoit commis, & de la profanation du lieu où il s’étoit ſauvé.
D’autres peuples, à l’imitation des Grecs, établirent des asiles1. Mais le citoyen ne se jetait2 dans le sein des dieux que pour se soustraire à la main armée qui le poursuivait. Là, il invoquait la loi, il appelait3 le peuple à son secours. Ses [324]concitoyens accouraient. Le magistrat approchait ; il était interrogé. S’il avait abusé de l’asile4, il était doublement puni. Il recevait le châtiment et du forfait qu’il avait commis, et de la profanation du lieu où il s’était sauvé.
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Romulus voulut peupler ſa ville, & il en fit un aſyle1. Quelques temples devinrent des aſyles2 ſous la république. Après la mort de [434]Céſar, les Triumvirs voulurent que ſa chappelle3 fût un aſyle4. Dans les ſiècles ſuivans, la baſſeſſe des peuples érigea ſouvent les ſtatues des tyrans en aſyles5. C’eſt de-là6 que l’eſclave inſultoit ſon maître. C’eſt de-là7 que le perſécuteur du repos public ſoulevoit la canaille contre les gens de bien.
Romulus voulut peupler sa ville, et il en fit un asile1. Quelques temples devinrent des asiles2 sous la république. Après la mort de César, les triumvirs voulurent que sa chapelle3 fût un asile4. Dans les siècles suivans, la bassesse des peuples érigea souvent les statues des tyrans en asiles5. C’est de là6 que l’esclave insultait son maître. C’est de là7 que le persécuteur du repos public soulevait la canaille contre les gens de bien.
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Cette horrible inſtitution de la babarie & du paganiſme cauſoit des maux inexprimables, lorſque le chriſtianiſme, monté ſur le trône de l’empire ne rougit pas de l’adopter & même de l’étendre. Bientôt, les ſuites de cette politique eccléſiaſtique ſe firent cruellement ſentir. Les loix1 perdirent leur autorité. L’ordre ſocial étoit interverti. Alors le magiſtrat attaqua les aſyles2 avec courage ; le prêtre les défendit avec opiniâtreté. Ce fut durant pluſieurs ſiècles, une guerre vive & pleine d’animoſité. Le parti qui prévaloit ſous un règne ferme ſuccomboit ſous un prince ſuperſticieux3. Quelquefois cet aſyle4 étoit général, & quelquefois il étoit reſtreint. Anéanti dans un tems5, réintégré dans un autre.
Cette horrible institution de la barbarie et du paganisme causait des maux inexprimables, lorsque le christianisme, monté sur le trône de l’empire, ne rougit pas de l’adopter, et même de l’étendre. Bientôt les suites de cette politique ecclésiastique se firent cruellement sentir. Les lois1 perdirent leur autorité. L’ordre social était interverti. Alors le magistrat attaqua les asiles2 avec courage ; le prêtre les défendit avec opiniâtreté. Ce fut durant plusieurs siècles une guerre vive et pleine d’animosité. Le parti qui prévalait sous un règne ferme succombait sous un prince superstitieux3. Quelquefois cet asile4 était général, et quelquefois il était restreint. Anéanti dans un temps5, réintégré dans un autre.
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Ce qui doit ſurprendre dans une inſtitution ſi viſiblement contraire à l’équité naturelle, à la loi civile, à la ſainteté de la religion, [435]à l’eſprit de l’évangile, au bon ordre de la ſociété : c’eſt ſa durée ; c’eſt la diverſité des édits des empereurs, la contradiction des canons, l’entêtement de pluſieurs évêques ; c’eſt ſur-tout l’extravagance des juriſconſultes, ſur l’étendue de l’aſyle1 ſelon le titre des égliſes. Si c’eſt une grande égliſe, l’aſyle2 aura tant de pieds de franchiſe hors de ſon enceinte ; ſi c’eſt une moindre égliſe, la franchiſe de l’enceinte ſera moins étendue ; moins encore ſi c’eſt une chapelle ; la même que l’égliſe ſoit conſacrée ou ne le ſoit pas.
Ce qui doit surprendre dans une institution si [325]visiblement contraire à l’équité naturelle, à la loi civile, à la sainteté de la religion, à l’esprit de l’Évangile, au bon ordre de la société, c’est sa durée ; c’est la diversité des édits des empereurs, la contradiction des canons, l’entêtement de plusieurs évêques ; c’est surtout l’extravagance des jurisconsultes sur l’étendue de l’asile1 selon le titre des églises. Si c’est une grande église, l’asile2 aura tant de pieds de franchise hors de son enceinte ; si c’est une moindre église, la franchise de l’enceinte sera moins étendue ; moins encore si c’est une chapelle ; la même, que l’église soit consacrée ou ne le soit pas.
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Il eſt bien étrange que dans une longue ſuite de générations, pas un monarque, pas un eccléſiaſtique, pas un magiſtrat, pas un ſeul homme n’ait rappellé1 à ſes contemporains les beaux jours du chriſtianiſme. Autrefois, auroit-il pu leur dire, autrefois le pécheur étoit arrêté pendant des années à la porte du temple où il exploit2 ſa faute expoſé aux injures de l’air, en préſence de tous les fidèles, de tous les citoyens. L’entrée de l’égliſe ne lui étoit accordée que pas à pas. Il n’approchoit du ſanctuaire qu’à meſure que ſa pénitence s’avançoit. Et aujourd’hui un ſcélérat, un concuſſionnaire, un voleur, un aſſaſſin [436]couvert de ſang ne trouve pas ſeulement les portes de nos temples ouvertes ; il y trouve encore protection, impunité, aliment & ſécurité.
Il est bien étrange que, dans une longue suite de générations, pas un monarque, pas un ecclésiastique, pas un magistrat, pas un seul homme n’ait rappelé1 à ses contemporains les beaux jours du christianisme. Autrefois, aurait-il pu leur dire, autrefois le pécheur était arrêté pendant des années à la porte du temple, où il expiait2 sa faute exposé aux injures de l’air, en présence de tous les fidèles, de tous les citoyens. L’entrée de l’église ne lui était accordée que pas à pas. Il n’approchait du sanctuaire qu’à mesure que sa pénitence s’avançait. Et aujourd’hui un scélérat, un concussionnaire, un voleur, un assassin couvert de sang, ne trouve pas seulement les portes de nos temples ouvertes, il y trouve encore protection, impunité, aliment et sécurité.
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Mais ſi l’aſſaſſin avoit plongé le poignard dans le ſein d’un citoyen ſur les marches même1 de l’autel, que feriez-vous ? Le lieu de la ſcène ſanglante deviendra-t-il ſon aſyle2 ? Voilà certes un privilège bien commode pour les ſcélérats. Pourquoi tueront-ils dans les rues, dans les maiſons, ſur les grands chemins où ils peuvent être ſaiſis ? Que ne tuent-ils dans les égliſes ? Jamais il n’y eut un exemple plus révoltant du mépris des loix3 & de l’ambition eccléſiaſtique que cette immunité des temples. Il étoit reſervé à la ſuperſtition de rendre dans ce monde l’Etre ſuprême protecteur des mêmes crimes qu’il punit dans une autre vie par des peines éternelles. On doit eſpérer que l’excès du mal fera ſentir la néceſſité du remède.
Mais si l’assassin avait plongé le poignard dans [326]le sein d’un citoyen sur les marches mêmes1 de l’autel, que feriez-vous ? Le lieu de la scène sanglante deviendra-t-il son asile2 ? Voilà, certes, un privilége bien commode pour les scélérats. Pourquoi tueront-ils dans les rues, dans les maisons, sur les grands chemins, où ils peuvent être saisis ? Que ne tuent-ils dans les églises ? Jamais il n’y eut un exemple plus révoltant du mépris des lois3 et de l’ambition ecclésiastique que cette immunité des temples. Il était réservé à la superstition de rendre dans ce monde l’Être suprême protecteur des mêmes crimes qu’il punit dans une autre vie par des peines éternelles. On doit espérer que l’excès du mal fera sentir la nécessité du remède.
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Cette heureuſe révolution arrivera plus tard ailleurs qu’au Mexique, où les peuples ſont plongés dans une ignorance plus profonde encore que dans les autres régions ſoumiſes à la Caſtille. En 17321, les élémens conjurés [437] engloutirent une des plus riches flottes qui fuſſent jamais ſorties de cette opulente partie du Nouveau-Monde. Le déſeſpoir fut univerſel dans les deux hémiſphères. Chez un peuple plongé dans la ſuperſtition, tous les événemens ſont miraculeux ; & le courroux du ciel fut généralement regardé comme la cauſe unique d’un grand déſaſtre, que l’inexpérience du pilote & d’autres cauſes tout auſſi naturelles pouvoient fort bien avoir amené. Un auto da fé2 parut le plus ſûr moyen de recouvrer les bontés divines ; & trente-huit malheureux périrent dans les flammes, victimes d’un aveuglement ſi déplorable.
Cette heureuse révolution arrivera plus tard ailleurs qu’au Mexique, où les peuples sont plongés dans une ignorance plus profonde encore que dans les autres régions soumises à la Castille. En 16321, les élémens conjurés engloutirent une des plus riches flottes qui fussent jamais sorties de cette opulente partie du Nouveau-Monde. Le désespoir fut universel dans les deux hémisphères. Chez un peuple plongé dans la superstition tous les événemens sont miraculeux ; et le courroux du ciel fut généralement regardé comme la cause unique d’un grand désastre, que l’inexpérience du pilote et d’autres causes tout aussi naturelles pouvaient fort bien avoir amené. Un auto-da-fé2 parut le plus sûr moyen de recouvrer les bontés divines ; et trente-huit malheureux périrent dans [327]les flammes, victimes d’un aveuglement si déplorable.
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Il me ſemble que j’aſſiſte à cette horrible expiation. Je la vois, je m’écrie : “ Monſtres „ exécrables1, arrêtez. Quelle liaiſon y a-t-il „ entre le malheur que vous avez éprouvé „ & le crime imaginaire ou réel de ceux que „ vous détenez dans vos priſons ? S’ils ont „ des opinions qui les rendent odieux aux „ yeux de l’Eternel, c’eſt à lui à lancer la „ foudre ſur leurs têtes ? Il les a ſoufferts „ pendant un grand nombre d’années ; il les „ ſouffre, & vous les tourmentez. Quand il „ auroit à les condamner à des peines ſans fin [438]„ au jour terrible de ſa vengeance, eſt-ce à „ vous d’accélérer leurs ſupplices ? Pourquoi „ leur ravir le moment d’une réſipiſcence „ qui les attend peut-être dans la caducité, „ dans le danger, dans la maladie ? Mais, „ infâmes que vous êtes, prêtres diſſolus, „ moines impudiques, vos crimes ne ſuffi- „ ſoient-ils2 pas pour exciter le courroux3 du „ ciel ? Corrigez-vous, proſternez-vous „ aux pieds4 des autels ; couvrez-vous de „ ſacs & de cendres ; implorez la miſéricorde „ d’en haut5, au lieu de traîner ſur un bûcher „ des innocens dont la mort, loin d’effacer „ vos forfaits, en accroîtra le nombre de „ trente-huit autres qui ne vous ſeront ja- „ mais6 remis. Pour appaiſer7 Dieu, vous „ brûlez des hommes ! Etes-vous des adora- „ teurs8 de Moloch ? „ Mais ils ne m’entendent pas ; & les malheureuſes victimes de leur ſuperſtitieuſe barbarie ont été précipitées dans les flammes.
Il me semble que j’assiste à cette horrible expiation. Je la vois, je m’écrie : « Monstres exé- « crables1, arrêtez ! Quelle liaison y a-t-il entre le « malheur que vous avez éprouvé et le crime « imaginaire ou réel de ceux que vous détenez « dans vos prisons ? S’ils ont des opinions qui « les rendent odieux aux yeux de l’Éternel, c’est « à lui à lancer la foudre sur leurs têtes. Il les « a soufferts pendant un grand nombre d’années ; « il les souffre, et vous les tourmentez. Quand « il aurait à les condamner à des peines sans fin « au jour terrible de sa vengeance, est-ce à vous « d’accélérer leurs supplices ? Pourquoi leur ravir « le moment d’une résipiscence qui les attend « peut-être dans la caducité, dans le danger, « dans la maladie ? Mais, infâmes que vous êtes, « prêtres dissolus, moines impudiques, vos cri- « mes ne suffisaient-ils2 pas pour exciter le cour- « roux3 du ciel ? Corrigez-vous, prosternez-vous « au pied4 des autels, couvrez-vous de sacs et « de cendres ; implorez la miséricorde d’en-haut5 « au lieu de traîner sur un bûcher des innocens « dont la mort, loin d’effacer vos forfaits, en « accroîtra le nombre de trente-huit autres qui « ne vous seront jamais6 remis. Pour apaiser7 « Dieu, vous brûlez des hommes ! Êtes-vous des « adorateurs8 de Moloch ? » Mais ils ne m’entendent pas ; et les malheureuses victimes de leur [328]superstitieuse barbarie ont été précipitées dans les flammes.
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Une calamité d’un autre genre affligea peu après le nouveau Mexique, limitrophe & dépendant de l’ancien. Cette vaſte contrée, ſituée pour1 la plus grande partie dans2 la Zone tempérée, fut aſſez long-tems inconnue3 aux [439]dévaſtateurs de l’Amérique. Le miſſionnaire Ruys y pénétra le premier en 1580. Il fut bientôt ſuivi par le capitaine Eſpajo4, & enfin par Jean d’Onâte, qui, par une ſuite de travaux commencés en 1599 & terminés en 1611, parvint à ouvrir des mines, à multiplier5 les troupeaux & les ſubſiſtances, à établir ſolidement6 la domination Eſpagnole. Des troubles civils dérangent, en 1652, l’ordre qu’il a établi7. Dans le cours de ces animoſités, le commandant Roſas eſt8 aſſaſſiné, & ceux de ſes amis qui tentent9 de venger ſa mort, périſſent10 après lui. Les atrocités continuent11 juſqu’à l’arrivée tardive de Pagnaloſſe. Ce chef intrépide & ſévère, avoit preſque étouffé la rebellion, lorſque, dans l’accès d’une juſte indignation, il donne12 un ſoufflet à un moine turbulent qui lui parloit avec inſolence, qui oſoit même le menacer. Auſſi-tôt les cordeliers, maîtres du pays, l’arrêtent. Il eſt excommunié, livré à l’inquiſition, & condamné à des amendes conſidérables. Inutilement, il preſſe la cour de venger l’autorité royale violée en ſa perfonne13, le crédit de ſes ennemis l’emporte ſur ſes ſollicitations. Leur rage & leur influence lui font même craindre un [440]ſort plus funeſte ; & pour ſe dérober à leurs poignards, pour ſe ſouſtraire à leurs intrigues, il ſe réfugie en Angleterre, abandonnant les rênes du gouvernement à qui voudra ou pourra s’en ſaiſir. Cette retraite plonge encore la province dans de nouveaux malheurs ; & ce n’eſt qu’après dix ans d’anarchie & de carnage, que tout rentre enfin dans l’ordre & la ſoumiſſion.
Une calamité d’un autre genre affligea peu après le nouveau Mexique. C’est une région immense, bornée au sud par la Nouvelle-Espagne, au septentrionpar des déserts inconnus, l’ouest par la mer Vermeille, l’est par la Louisiane. Les géographes ne sont pas d’accord sur sa position, mais ils en placent tous1 la plus grande partie sous2 la zone tempérée. Aussi le ciel y est-il communémentserein ; aussi l’air y est-il communément pur. Ni le froid ni le chaud n’y sont excessifs. Les sécheresses y sont rares, et rarement les pluies y tombent-elles en torrens. La nature n’y a été ni prodigue, ni avare de ses dons. Sur ce sol très-inégal sont répandues un grand nombre de faibles tribus errantes ou sédentaires, qui, comme les autres petites nations du Nouveau-Monde, vivent de leur chasse et de leur pêche. On y a trouvé dans la plupart un peu de l’énergie des sauvages du nord, un peu de l’apathie de ceux du midi. Ces contrées restèrent long-temps inconnues3 aux dévastateurs de l’Amérique. Le missionnaire Ruys y pénétra le premier en 1580. Il fut bientôt suivi par le capitaine Espejo4, et enfin par Jean d’Onate, qui, par une suite de travaux commencésen 1599, et terminés en 1611, parvint à former quelques petits établissemens. On5 les voyait se multiplier, surtout se perfectionner, [329]lorsque6 la division se mit entre ceux qui les avaient entrepris7. Dans le cours de ces animosités, le commandant Rosas fut8 assassiné ; et ceux de ses amis qui tentèrent9 de venger sa mort périrent10 après lui. Les atrocités continuèrent11 jusqu’àl’arrivée tardive de Pagnalosse. Ce chef intrépide et sévère avait presque étouffé la rébellion, lorsque, dans l’accès d’une juste indignation, il donna12 un soufflet à un moine turbulentqui lui parlait avec insolence, qui osait même le menacer. Aussitôt les cordeliers, maîtres du pays, l’arrêtent. Il est excommunié, livré à l’inquisition, et condamné à des amendes considérables. Inutilement il presse la cour de venger l’autorité royale violée en sa personne13 ; le crédit de ses ennemis l’emporte sur ses sollicitations. Leur rage et leur influence lui font même craindreun sort plus funeste ; et, pour se dérober à leurs poignards, pour se soustraire à leurs intrigues, il se réfugie en Angleterre, abandonnant les rênes du gouvernement à qui voudra ou pourra s’en saisir. Cette retraite plonge encore la provincedans de nouveaux malheurs ; et ce n’est qu’après dix ans d’anarchie et de carnage que tout rentre enfin dans l’ordre et la soumission.
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Eſt-il rien de plus abſurde que cette autorité des moines en Amérique ? Ils y ſont ſans lumières & ſans mœurs ; leur indépendance y foule aux pieds leurs conſtitutions & leurs vœux ; leur conduite eſt ſcandaleuſe ; leurs maiſons ſont autant de mauvais lieux, & leurs tribunaux de pénitence autant de boutiques de commerce. C’eſt-là1 que, pour une pièce d’argent, ils tranquilliſent la conſcience du ſcélérat ; c’eſt-là2 qu’ils inſinuent la corruption au fond des ames innocentes, & qu’ils entraînent les femmes & les filles dans la débauche ; ce ſont autant de ſimoniaques qui trafiquent publiquement des choſes ſaintes. Le chriſtianiſme qu’ils enſeignent eſt ſouillé de toutes ſortes d’abſurdités. Captateurs d’héritages, ils trompent, ils volent, [441]ils ſe parjurent. Ils aviliſſent les magiſtrats ; ils les croiſent dans leurs opérations. Il n’y a point de forfaits3 qu’ils ne puiſſent commettre impunément. Ils inſpirent aux peuples l’eſprit de la révolte. Ce ſont autant de fauteurs de la ſuperſtition, la cauſe de tous les4 troubles qui ont agité ces contrées lointaines. Tant qu’ils y ſubſiſteront, ils y entretiendront l’anarchie, par la confiance auſſi aveugle qu’illimitée qu’ils ont obtenue des peuples, & par la puſillanimité qu’ils ont inſpirée aux dépoſitaires de l’autorité dont ils diſpoſent par leurs intrigues. De quelle ſi grande utilité ſont-ils donc ? Seroient-ils délateurs ? Une ſage adminiſtration n’a pas beſoin de ce moyen. Les ménageroit-on comme un contrepoids à la puiſſance des vices-rois5 ? C’eſt une terreur panique. Seroient-ils tributaires des grands ? C’eſt un vice qu’il faut faire ceſſer. Sous quelque face qu’on conſidère les choſes, les moines ſont des miſérables qui ſcandaliſent & qui fatiguent trop le Mexique6 pour les y laiſſer ſubſiſter plus long-tems7.
Est-il rien de plus absurde que cette autorité des moines en Amérique ? Ils y sont sans lumières et sans mœurs : leur indépendance y foule aux pieds leurs constitutions et leurs vœux ; leur conduite est scandaleuse ; leurs maisons sont autant [330]de mauvais lieux, et leurs tribunaux de pénitence autant de boutiques de commerce. C’est là1 que, pour une pièce d’argent, ils tranquillisent la conscience du scélérat ; c’est là2 qu’ils insinuent la corruption au fond des âmes innocentes, et qu’ils entraînent les femmes et les filles dans la débauche ; ce sont autant de simoniaques qui trafiquent publiquement des choses saintes. Le christianisme qu’ils enseignent est souillé de toutes sortes d’absurdités. Captateurs d’héritages, ils trompent, ils volent, ils se parjurent. Ils avilissent les magistrats ; ils les croisent dans leurs opérations. Il n’y a point de forfait3 qu’ils ne puissent commettre impunément ; ils inspirent aux peuples l’esprit de la révolte. Ce sont autant de fauteurs de la superstition, la cause de la plupart des4 troubles qui ont agité ces contrées lointaines. Tant qu’ils y subsisteront, ils y entretiendront l’anarchie par la confiance aussi aveugle qu’illimitée qu’ils ont obtenue des peuples, et par la pusillanimité qu’ils ont inspirée aux dépositaires de l’autorité, dont ils disposent par leurs intrigues. De quelle si grande utilité sont-ils donc ? Seraient-ils délateurs ? Une sage administration n’a pas besoin de ce moyen. Les ménagerait-on comme un contre-poids à la puissance des vice-rois5 ? C’est une terreur panique. Seraient-ils tributaires des grands ? C’est un vice qu’il faut faire cesser. Sous quelque face qu’on considère les choses, les moines sont des misérables qui scandalisent et qui fatiguent [331] trop les possessions espagnoles du Nouveau-Monde6 pour les y laisser subsister plus long-temps7.
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Le nouveau Mexique a encore plus besoin que les autres colonies d’être déchargé de ce fardeau. C’est un pays plutôt parcouru qu’occupé par les conquérans. Ce n’est que de loin en loin qu’on y trouve quelques misérables sortis successivement de la Nouvelle-Espagne. Le soin des troupeaux qu’ils ont amenés de leur première patrie empêche seul que leur vie ne soit tout-à-fait sauvage. La religion, les lois, l’agriculture, les usages de l’Europe, ne sont réellement établis qu’auprès de Santa-Fé, élevée sur les bords fertiles et rians du fleuve Norte. Les naturels, qui y sont établis en grand nombre dans une circonférence de trente à quarante lieues, nous paraissent les seuls sujets soumis et utiles que deux siècles de possession aient acquis à la cour de Madrid.
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Mais le pays sortira-t-il un jour enfin du néant où on l’a trouvé, du néant où on l’a laissé ? Il est difficile de l’espérer. Les provinces de l’intérieur, absolument privées de rivières navigables, n’attireront jamais, quoique la plupart susceptibles d’une excellente culture, une grande population, qui n’aurait aucun moyen pour exporter le superflu de ses productions ; et le sol voisin du golfe du Mexique est trop stérile pour être mis jamais en valeur. Si ces contrées reçoivent quelque amélioration [332], ce ne pourra être que par les mines. Depuis long-temps nous entendons parler de leur multiplicité, de leur abondance. Où sont-elles placées ? Avec quel succès sont-elles exploitées ? Personne ne le sait ou ne le dit. Est-ce réserve, est-ce indolence de la part des Espagnols ? Le lecteur en jugera.
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La ſoumiſſion1, l’ordre y furent de nouveau & plus généralement troublés en 16932, par une loi qui interdiſoit aux Indiens l’uſage [442]des liqueurs fortes. La défenſe ne pouvoit pas avoir pour objet celles de l’Europe, d’un prix néceſſairement trop haut, pour que des hommes conſtamment opprimés, conſtamment dépouillés, en fiſſent jamais uſage. C’étoit uniquement du pulque que le gouvernement cherchoit à les détacher.
En 16931 l’ordre fut généralement troublé dans l’ancien Mexique2 par une loi qui interdisait aux Indiens l’usage des liqueurs fortes. La défense ne pouvait pas avoir pour objet celles de l’Europe, d’un prix nécessairement trop haut pour que des hommes constamment opprimés, constamment dépouillés, en fissent jamais usage ; c’était uniquement du pulque que le gouvernement cherchait à les détacher.
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On tire cette boiſſon d’une plante connue au Mexique ſous le nom de maguey, & ſemblable à un aloës pour la forme. Ses feuilles, raſſemblées autour du collet de la racine, ſont épaiſſes, charnues, preſque droites, longues de pluſieurs pieds, creuſées en gouttières1, épineuſes ſur le dos, & terminées par une pointe très-acérée. La tige qui ſort du milieu de cette touffe s’élève deux fois plus haut, & porte à ſon ſommet ramifié des fleurs jaunâtres. Leur calice à ſix diviſions eſt chargé d’autant d’étamines. Il adhère par le bas au piſtil qui devient avec lui une capſule à trois loges remplie2 de ſemences. Le maguey croît par-tout dans le Mexique, & ſe multiplie facilement de bouture. On en fait des haies. Ses diverſes parties ont chacune leur utilité. Les racines ſont employées pour faire des cordes ; les tiges donnent du bois ; les [443]pointes des feuilles ſervent de clous ou d’aiguilles ; les feuilles elles-mêmes ſont bonnes pour couvrir les toits ; on les fait auſſi rouir, & l’on en retire un fil propre à fabriquer divers tiſſus.
On tire cette boisson d’une plante connue au Mexique sous le nom de maguey, et semblable à un aloës pour la forme. Ses feuilles, rassemblées autour du collet de la racine, sont épaisses, charnues, presque droites, longues de plusieurs pieds, creusées en gouttière1, épineuses sur le dos, et terminées par une pointe très-acérée. La tige qui sort du milieu de cette touffe s’élève deux fois plus haut, et porte à son sommet ramifié des fleurs jaunâtres. Leur calice, à six divisions, est chargé d’autant d’étamines. Il adhère par le bas au pistil, qui devient avec lui une capsule à trois loges remplies2 de semences. Le maguey croît partout dans le Mexique, et se multiplie facilement [333]de bouture : on en fait des haies. Ses diverses parties ont chacune leur utilité. Les racines sont employées pour faire des cordes ; les tiges donnent du bois ; les pointes des feuilles servent de clous ou d’aiguilles ; les feuilles elles-mêmes sont bonnes pour couvrir les toits ; on les fait aussi rouir, et l’on en retire un fil propre à fabriquer divers tissus.
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Mais le produit le plus eſtimé du maguey eſt une eau douce & tranſparente qui ſe ramaſſe dans un trou creuſé avec un inſtrument dans le milieu de la touffe, après qu’on en a arraché les bourgeons & les feuilles intérieures. Tous les jours, ce trou profond de trois ou quatre pouces ſe remplit, tous les jours on le vuide1 ; & cette abondance dure une année entière, quelquefois même dix-huit mois. Cette liqueur épaiſſie forme un véritable ſucre : mais mêlée avec de l’eau de fontaine & dépoſée dans de grands vaſes, elle acquiert au bout de quatre ou cinq jours de fermentation, le piquant & preſque le goût du cidre. Si l’on y ajoute des écorces d’orange & de citron, elle devient enivrante. Cette propriété la rend plus agréable aux Mexicains, qui, ne pouvant ſe conſoler de la perte de leur liberté, cherchent à s’étourdir ſur l’humiliation de leur ſervitude. Auſſi eſt-ce vers les maiſons où l’on diſtribue [444]le pulque que ſont continuellement tournés les regards de tous les Indiens. Ils y paſſent les jours, les ſemaines ; ils y laiſſent la ſubſiſtance de leur famille, très-ſouvent le peu qu’ils ont de vêtemens.
Mais le produit le plus estimé du maguey est une eau douce et transparente, qui se ramasse dans un trou creusé avec un instrument dans le milieu de la touffe, après qu’on en a arraché les bourgeons et les feuilles intérieures. Tous les jours ce trou, profond de trois ou quatre pouces, se remplit, tous les jours on le vide1 ; et cette abondance dure une année entière, quelquefois même dix-huit mois. Cette liqueur épaissie forme un véritable sucre ; mais, mêlée avec de l’eau de fontaine, et déposée dans de grands vases, elle acquiert au bout de quatre ou cinq jours de fermentation le piquant et presque le goût du cidre. Si l’on y ajoute des écorces d’orange et de citron, elle devient enivrante. Cette propriété la rend plus agréable aux Mexicains, qui, ne pouvant se consoler de la perte de leur liberté, cherchent à s’étourdir sur l’humiliation de leur servitude. Aussi est-ce vers les maisons où l’on distribue le pulque que sont continuellement tournés les regards de tous les Indiens. Ils y passent les jours, les semaines ; ils y laissent la subsistance de leur famille, trèssouvent le peu qu’ils ont de vêtemens.
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Le miniſtère Eſpagnol, averti de ces excès, en voulut arrêter le cours. Le remède fut mal choiſi. Au lieu de ramener les peuples aux bonnes mœurs par des ſoins paternels, par le moyen ſi efficace de l’enſeignement, on eut recours à la funeſte voie des interdictions. Les eſprits s’échauffèrent, les ſéditions ſe multiplièrent, les actes de violence ſe répétèrent d’une extrémité de l’empire à l’autre. Il fallut céder. Le gouvernement retira ſes actes prohibitifs : mais il voulut que l’argent le dédommageât du ſacrifice qu’il faiſoit de ſon autorité. Le pulque fut aſſujetti à des impoſitions qui rendent annuellement au fiſc onze ou douze cens1 mille livres.
Le ministère espagnol, averti de ces excès, en voulut arrêter le cours. Le remède fut mal choisi. Au lieu de ramener les peuples aux bonnes mœurs par des soins paternels, par le moyen si efficace de l’enseignement, on eut recours à la funeste voie des interdictions. Les esprits s’échauffèrent, les séditions se multiplièrent, les actes de violence se répétèrent d’une extrémité de l’empire à l’autre. Il fallut céder. Le gouvernement retira ses actes prohibitifs : mais il voulut que l’argent le dédommageât du sacrifice qu’il faisait de son autorité. Le pulque fut assujetti à des impositions qui rendent annuellement au fisc onze ou douze cent1 mille livres.
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Une nouvelle ſcène, d’un genre plus particulier, s’ouvrit vingt-cinq ou trente ans plus tard au Mexique. Dans cette importante poſſeſſion, la police étoit négligée au point qu’une nombreuſe bande de voleurs parvint [445]à s’emparer de toutes les routes. Sans un paſſeport d’un des chefs de ces bandits, aucun citoyen n’oſoit ſortir de ſon domicile. Soit indifférence, ſoit foibleſſe1, ſoit corruption, le magiſtrat ne prenoit aucune meſure pour faire ceſſer une ſi grande calamité. Enfin la cour de Madrid, réveillée par les cris de tout un peuple, chargea Valeſquès2 du ſalut public. Cet homme juſte, ferme, ſévère, indépendant des tribunaux & du vice-roi, réuſſit enfin à rétablir l’ordre & à lui donner des fondemens qui depuis n’ont pas été ébranlés.
Une nouvelle scène d’un genre plus particulier s’ouvrit vingt-cinq ou trente ans plus tard au Mexique. Dans cette importante possession, la police était négligée au point qu’une nombreuse bande de voleurs parvint à s’emparer de toutes les routes. Sans un passe-port d’un des chefs de ces bandits, aucun citoyen n’osait sortir de son domicile. Soit indifference, soit faiblesse1, soit corruption, le magistrat ne prenait aucune mesure pour faire cesser une si grande calamité. Enfin la cour de Madrid, réveillée par les cris de tout un peuple, chargea Vélasquez2 du salut public. Cet homme juste, ferme, sévère, indépendant des tribunaux et du vice-roi, réussit enfin à rétablir l’ordre et à lui donner des fondemens qui depuis n’ont pas été ébranlés.
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Une guerre entrepriſe contre les peuples de Cinaloa, de Sonora, de la nouvelle Navarre, a été le dernier événement remarquable qui ait agité l’empire. Ces provinces, ſituées entre l’ancien & le nouveau Mexique, ne faiſoient point partie des états de Montezuma. Ce ne fut qu’en 1540, que les dévaſtateurs du Nouveau-Monde y pénétrèrent ſous les ordres de Vaſquès Coronado. Ils y trouvèrent de petites nations qui vivoient de pêche ſur les bords de l’océan, de chaſſe dans l’intérieur des terres ; & qui, quand ces moyens de ſubſiſtance leur manquoient, n’avoient de reſſource1 que les productions [446] ſpontanées de la nature. Dans cette région, on ne connoiſſoit2 ni vêtemens, ni cabanes. Des branches d’arbre3 pour ſe garantir des ardeurs d’un ſoleil brûlant ; des roſeaux liés les uns aux autres pour ſe mettre à couvert des torrens de pluie : c’eſt tout ce que les habitans avoient imaginé contre l’inclémence des ſaiſons. Durant les froids les plus rigoureux, ils dormoient à l’air libre, autour des feux qu’ils avoient allumés.
Une guerre entreprise contre les peuples de Cinaloa, de Sonora, de la nouvelle Navarre, a été le dernier événement remarquable qui ait agité l’empire. Ces provinces, situées entre l’ancien et le nouveau Mexique, ne faisaient point partie des états de Montézuma. Ce ne fut qu’en 1540 que les dévastateurs du Nouveau-Monde y pénétrèrent sous les ordres de Vasquès Coronado. Ils y trouvèrent de petites nations qui vivaient de pêche sur les bords de l’Océan, de chasse dans l’intérieur des terres ; et qui, quand ces moyens de subsistance leur manquaient, n’avaient de ressources1 que les productions spontanées de la nature. Dans cette région, on ne connaissait2 ni vêtemens ni cabanes. Des branches d’arbres3 pour se garantir des ardeurs d’un soleil brûlant, des roseaux liés les uns aux autres pour se mettre à couvert des torrens de pluie, c’est tout ce que les habitans avaient imaginé contre l’inclémence des saisons. Durant les froids les plus rigoureux, ils dormaient à l’air libre, autour des feux qu’ils avaient allumés.
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Ce pays, ſi pauvre en apparence, renfermoit des mines. Quelques Eſpagnols entreprirent de les exploiter. Elles ſe trouvèrent abondantes, & ce pendant1 leurs avides propriétaires ne s’enrichiſſoient pas. Comme on étoit réduit à tirer de la Vera-Crux2, à dos de mulet, par une route difficile & dangereuſe de ſix à ſept cens3 lieues, le vif argent4, les étoffes, la plupart des choſes néceſſaires pour la nourriture & pour les travaux, tous ces objets avoient à leur terme une valeur ſi conſidérable, que l’entrepriſe la plus heureuſe rendoit à peine de quoi les payer.
Ce pays, si pauvre en apparence, renfermait des mines. Quelques Espagnols entreprirent de les exploiter. Elles se trouvèrent abondantes ; et cependant1 leurs avides propriétaires ne s’enrichissaient pas. Comme on était réduit à tirer de la Véra-Cruz2, à dos de mulet, par une route difficile et dangereuse de six à sept cents3 lieues, le vif-argent4, les étoffes, la plupart des choses nécessaires [336] pour la nourriture et pour les travaux, tous ces objets avaient à leur terme une valeur si considérable, que l’entreprise la plus heureuse rendait à peine de quoi les payer.
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Ce dernier inconvénient qui paroiſſoit ſans remede, faiſoit ſans doute fermer les yeux ſur des abus crians qu’il eût été poſſible de réprimer. Il eſt vraiſemblable qu’on les attaquera, maintenant qu’on a découvert des communications qui facilitent avec ces pays éloignés des liaiſons utiles1. Le Jéſuite Ferdinand Conſang a parcouru2 en 1746, par ordre du gouvernement3, le golphe entier4 de Colifornie. Cette navigation faite avec un ſoin extrême & beaucoup d’intelligence, a inſtruit l’Eſpagne6 de tout ce qu’il lui étoit important d’apprendre. Elle connoît7 les côtes de ce continent, les ports que la nature y a placés8, les lieux ſabloneux9 & arides qui ne ſont pas ſuſceptibles de culture, les rivieres qui par la fertilité qu’elles répandent ſur leurs bords, invitent à y former10 des peuplades. Rien n’empêchera qu’à l’avenir des vaiſſeaux ſortis11 d’Œcapulco, [40]n’entrent12 dans la mer vermeille, ne portent avec des frais médiocres13 dans les provinces qui la bordent14 des miſſionnaires, des ſoldats, des mineurs, des vivres, des marchandiſes ; tout ce qui eſt néceſſaire des15 colonies, & n’en reviennent16 chargés de métaux. Lorſque les établiſſemens formés ſur les côtes auront pris une conſiſtance raiſonnable, on s’enfoncera dans les terres juſqu’au nouveau Mexique, plus loin même ſi l’on veut. Les ſauvages errans dans ce grand eſpace ne ſont ni aſſez nombreux, ni aſſez unis, ni aſſez aguerris pour contrarier ce grand projet de maniere le faire échouer. On pourra même les déterminer y concourir ſi on veut renoncer aux maximes cruelles dont ils ont été juſqu’ici la victime, & s’occuper de leur bonheur. Avec de la vertu, de l’humanité & de la conſtance, les Eſpagnols parviendront former un nouvel empire qui ne la cédéra guere l’ancien Mexique, ni pour l’étendue, ni pour la richeſſe des mines ; & qui lui ſera ſupérieure pour la température & la ſalubrité du climat17.
On eſpéra qu’il ſe formeroit un nouvel ordre de choſes, lorſque1 le jéſuite Ferdinand Conſang eut parcouru2, en 1746, par ordre du gouvernement3, le golfe entier4 de la5 Californie. Cette navigation, faite avec le plus grand ſoin, & beaucoup d’intelligence, inſtruiſit l’Eſpagne6 de tout ce qu’il lui étoit important de ſçavoir. Elle connut7 les côtes de ce continent, les ports que la nature y a placés8, les lieux ſabloneux9 & arides qui ne ſont pas ſuſceptibles de culture, les rivieres, qui par la fertilité qu’elles répandent ſur leurs bords, invitent à y former10 des peuplades. Rien l’avenir ne devoit empêcher les vaisſeaux [65] ſortis11 d’Acapulco d’entrer12 dans la mer Vermeille, de porter avec des frais médiocres13, dans les provinces qui la bordent14, des miſſionnaires, des ſoldats, des mineurs, des vivres, des marchandiſes, tout ce qui eſt néceſſaire aux15 colonies, & d’en revenir16 chargés de métaux. L’imagination eſpagnole alloit plus loin. Dejà elle voyoit ſubjugué tout le continent, juſqu’au nouveau Mexique, & s’élever un nouvel empire, auſſi étendu, auſſi riche que l’ancien, & qui lui ſeroit ſupérieur par la température & la ſalubrité du climat17.
Il falloit tout abandonner, ou faire d’autres arrangemens. On s’arrêta au dernier parti1. Le jéſuite Ferdinand Conſang fut chargé2, [447]en 1746, de reconnoître3 le golfe4 de la5 Californie, qui borde ces vaſtes contrées. Après cette navigation, conduite avec intelligence, la cour6 de Madrid connut7 les côtes de ce continent, les ports que la nature y a formés8, les lieux ſablonneux9 & arides qui ne ſont pas ſuſceptibles de culture, les rivières qui, par la fertilité qu’elles répandent ſur leurs bords, invitent à y établir10 des peuplades. Rien, à l’avenir, ne devoit empêcher que les navires, partis11 d’Acapulco, n’entrâſſent12 dans la mer Vermeille, ne portâſſent facilement13 dans les provinces limitrophes14 des miſſionnaires, des ſoldats, des mineurs, des vivres, des marchandiſes, tout ce qui eſt néceſſaire aux15 colonies, & n’en revinſſent16 chargés de métaux.
Il fallait tout abandonner, ou faire d’autres arrangemens. On s’arrêta au dernier parti1. Le jésuite Ferdinand Consang fut chargé2, en 1746, de reconnaître3 le golfe4 de la5 Californie qui borne ces vastes contrées. Après cette navigation, conduite avec intelligence, la cour6 de Madrid connut7 les côtes de ce continent, les ports que la nature y a formés8, les lieux sablonneux9 et arides qui ne sont pas susceptibles de culture, les rivières qui, par la fertilité qu’elles répandent sur leurs bords, invitent à y établir10 des peuplades. Rien à l’avenir ne devait empêcher que les navires partis11 d’Acapulco n’entrassent12 dans la mer Vermeille, ne portassent facilement13 dans les provinces limitrophes14 des missionnaires, des soldats, des mineurs, des vivres, des marchandises, tout ce qui est nécessaire aux15 colonies, et n’en revinssent16 chargés de métaux.
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Cependant c’étoit un préliminaire indiſpenſable de gagner les naturels du pays par des actes d’humanité, ou de les ſubjuguer par la force des armes. Mais comment ſe concilier des hommes dont on vouloit faire des bêtes de ſomme, ou qui devoient être enterrés vivans dans les entrailles de la terre ? Auſſi le gouvernement ſe décida-t-il pour la violence. La guerre ne fut différée que par l’impoſſibilité où étoit un fiſc obéré d’en faire la [448]dépenſe. On trouva enfin, en 1768, un crédit de douze cens1 mille livres, & les hoſtilités commencèrent. Quelques hordes de ſauvages ſe ſoumirent après une légère réſiſtance. II n’en fut pas ainſi des Apaches, la plus belliqueuſe2 de ces nations, la plus paſſionnée pour l’indépendance4. On les5 pourſuivit ſans relâche pendant trois ans6, avec le projet de les exterminer7. Grand Dieu, exterminer des hommes ! Parleroit-on autrement des loups ? Les exterminer, & pourquoi ? Parce qu’ils avoient l’ame fière, parce qu’ils ſentoient le droit naturel qu’ils avoient à la liberté, parce qu’ils ne vouloient pas être eſclaves. Et nous ſommes des peuples civiliſés, & nous ſommes chrétiens ?
Cependant c’était un préliminaire indispensable de gagner les naturels du pays par des actes d’humanité, ou de les subjuguer par la force des armes. Mais comment se concilier des hommes dont on voulait faire des bêtes de somme, ou qui devaient être enterrés vivans dans les entrailles de la terre ? Aussi le gouvernement se décida-t-il pour la violence. La guerre ne fut [337]différée que par l’impossibilité où était un fisc obéré d’en faire la dépense. On trouva enfin, en 1768, un crédit de douze cent1 mille livres, et les hostilités commencèrent. Quelques hordes de sauvages se soumirent après une légère résistance. Une seule2 de ces petites3 nations se défendit vaillamment, et4 on la5 poursuivit sans relâche avec le projet de l’exterminer7. Grand Dieu ! exterminer des hommes ! Parlerait-on autrement des loups ? Les exterminer ! et pourquoi ? parce qu’ils avaient l’âme fière, parce qu’ils sentaient le droit naturel qu’ils avaient à la liberté, parce qu’ils ne voulaient pas être esclaves. Et nous sommes des peuples civilisés ! et nous sommes chrétiens !
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Le glaive, ne trouvant plus de sang à verser, s’arrêta en 1771. Alors on avait reconnu que l’or et l’argent n’étaient pas moins communs dans cette région que dans les plus renommées de celles qui avaient été anciennement asservies. Deux ou trois mille Espagnols y accoururent aussitôt pour puiser à cette nouvelle source de richesses. D’autres ne tardèrent pas à les suivre. Leur nombre augmentrea très-rapidement, si, comme tous les rapports paraissent le confirmer, la réalité répond aux apparences. Encore quelques années, et ces vastes contrées verront se former dans leur sein une population et une activité proportionnées aux trésors qu’elles renferment. Une surveillance immédiate, toujours plus énergique qu’une surveillance [338] éloignée, paraissant propre à accélérer ces prospérités, la cour de Madrid a formé un gouvernement particulier de Cinaloa, de Sonora, de la Nouvelle-Navarre, et y a ajouté la Californie, qui n’est séparée de ces trois grandes provinces que par le golfe très-étroit de la mer Vermeille. Le chef du nouveau département n’a pas été entouré de la même pompe, revêtu de prérogatives aussi honorables que le vice-roi du Mexique, qui voyait avec regret un territoire si étendu sortir de sa dépendance ; mais les lois lui accordent une autorité égale, et son éloignement de la métropole lui en assure une beaucoup plus étendue.
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Ces eſpérances n’étoient pas chimériques ; mais pour les voir ſe réaliſer, il falloit, ou gagner les naturels du pays par des actes d’humanité, ou les ſubjuguer par la force des armes. Il ne pouvoit pas tomber dans l’eſprit des deſtructeurs du nouvel hemiſphére, d’employer le premier de ces moyens, & l’on n’a été en état de faire uſage du ſecond qu’en 1768.

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Les fuccès n’ont pas été complets. Ils furent aſſez rapides dans le Mexique, & partout où la population étoit nombreuſe ou rapprochée. Les contrées peu habitées ſubirent plus lentement le joug, parce que c’étoit une néceſſité de trouver les hommes pour les asſervir, & qu’ils fuyoient dans les forêts quand l’eſpagnol ſe montroit, & ne reparoiſſoient [66]que lorſque le défaut de ſubſiſtance l’avoit forcé de ſe retirer. Auſſi n’eſt-ce qu’après trois ans de courſes, de travaux & de cruautés, qu’on eſt parvenu à ſubjuguer les Series, les Platos, les Sibupapas. Leurs voiſins, les Papagos, les Nizoras, les Zopas, déſeſpérant de défendre leur liberté, ont ſubi le joug ſans combattre. Les troupes étoient encore occupées en 1771 à pourſuivre les Apaches, la plus belliqueuſe de ces nations, la plus pasſionnée pour l’indépendance. On déſeſpere de la ſoumettre ; mais on travaille à l’exterminer, à l’éloigner du moins de la nouvelleBiſcaye, qui reſteroit expoſée à ſes incurſions.

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Les richeſſes qu’on vient de trouver dans les provinces de Senora & de Cinaloa, qui forment ce qu’on appelle aujourd’hui la nouvelle Andalouſie, paroiſſent au-deſſus de tout ce qu’on a vu ailleurs. II y a une mine d’or de quatorze lieues, qui offre, à deux pieds de profondeur, des tréſors immenſes. Entre les mines d’argent, l’une rend huit marcs par quintal de mineral, & les pierres qu’on tire de l’autre ſont preſque de l’argent vierge. Si la cour de Madrid, qui vient de publier ces découvertes, n’a pas été trompée ; ſi les mines, qui ont ſouvent beaucoup de ſuperficie & peu de profondeur, ne donnent pas elles-mêmes de fauſſes eſpérances, malheureux peuples ſauvages nouvellement aſſervis, ils ſeront [67] enſevelis tout vivans dans les entrailles de la terre.

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La nouvelle Eſpagne eſt preſque entierement ſituée dans la zone torride. L’air y eſt exceſſivement chaud, humide & mal-ſain ſur les côtes de la mer du nord. Ces vices de climat ſe font infiniment moins ſentir ſur les côtes de la mer du ſud, & preſque point dans l’intérieur du pays où il regne une chaîne de montagnes qu’on regarde comme une continuation des cordillieres1.
La nouvelle Eſpagne eſt preſque entierement ſituée dans la zone torride. L’air y eſt exceſſivement chaud, humide & mal-ſain ſur les côtes de la mer du Nord. Ces vices de climat ſe font infiniment moins ſentir ſur les côtes de la mer du Sud, & preſque point dans l’intérieur du pays, où il regne une chaîne de montagnes qu’on regarde comme une continuation des Cordelieres1.

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La qualité du ſol ſuit ces variations. La partie orientale eſt baſſe, marécageuſe, inondée dans la ſaiſon des pluies, couverte de forêts impénétrables & tout fait1 inculte. On peut croire que ſi les Eſpagnols la laiſſent dans cet état de [41]déſolation, c’eſt qu’ils ont jugé qu’une frontiere déſerte & meurtriere fourniroit une meilleure défenſe contre les flottes ennemies, que2 des fortifications & des troupes réglées qu’on n’entretiendroit pas ſans3 des frais immenſes, ou que les4 naturels du pays efféminés & mal diſpoſés pour une6 domination étrangere7. Le terrein de l’occident eſt plus élevée de meilleure qualité, couvert de champs & d’habitations. Dans la profondeur des terres on trouve des contrées que la nature a traitées libéralement ; mais comme toutes celles qui ſont ſituées ſous le tropique, elles ſont plus abondantes en fruits qu’en grains.
La qualité du ſol ſuit ces variations. La partie orientale eſt baſſe, marécageuſe, inondée dans la ſaiſon des pluies, couverte de forêts impénétrables, & tout-à-fait1 inculte. On peut croire que ſi les Eſpagnols la laiſſent dans cet état de déſolation, c’eſt qu’ils ont jugé qu’une frontiere déſerte & meurtriere fourniroit une meilleure défenſe contre les flottes ennemies, qu’on ne pourroit l’eſpérer ; ſoit2 des fortifications & des troupes, dont l’entretien coûteroit3 des frais immenſes ; ſoit des4 naturels du pays qui ſont5 effeminés & peu attachés la6 domination de leurs conquérans7. Le terrein de l’occident eſt plus élevé, de meilleure qualité, couvert de champs & d’habitations. Dans la profondeur des terres on trouve des contrées que la nature a traitées libéralement ; mais, comme toutes celles qui ſont ſituées ſous le tropique, elles [68] ſont plus abondantes en fruits qu’en grains.

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La population de ce vaſte empire n’eſt pas moins variée que ſon ſol. Ses habitans les plus diſtingués, ſont les Eſpagnols envoyés par la cour pour occuper les places du gouvernement. Ils ſont obligés comme ceux qui dans la métropole aſpirent à quelques emplois eccléſiaſtiques, civils ou militaires de prouver qu’il n’y a eu ni hérétiques, ni juifs, ni mahométans, ni démêlés avec l’inquiſition dans leur famille depuis quatre générations. Les négocians qui veulent paſſer au Mexique, ainſi que dans le reſte de l’Amérique ſans devenir Colons, ſont aſtreins1 à la même formalité. On les oblige de plus à jurer qu’ils ont trois cens palmes de marchandiſe en propre dans la flote2 où ils s’embarquent ; & qu’ils n’ameneront3 pas leurs femmes. A ces conditions abſurdes ils deviennent les agens principaux du commerce de l’Europe avec les Indiens. Quoique leur privilege ne doive durer que trois ans, & un peu plus long-tems pour des pays plus éloignés, il eſt très-précieux. A eux ſeuls, appartient le droit de vendre, comme commiſſionnaires, la majeure partie de la cargaiſon. Si [42]les5 loix étoient obſervées, les marchands fixés dans le nouveau monde6, ſeroient bornés à diſpoſer de ce qu’ils ont reçu pour leur propre compte.
La population de ce vaſte empire, n’eſt pas moins variée que ſon ſol. Ses habitans les plus diſtingués, ſont les Eſpagnols envoyés par la cour, pour occuper les places du gouvernement. Ils ſont obligés, comme ceux qui dans la métropole aſpirent à quelques emplois eccléſiaſtiques, civils ou militaires, de prouver qu’il n’y a eu ni hérétiques, ni juifs, ni mahométans, ni démêlés avec l’Inquiſition dans leur famille, depuis quatre générations. Les négocians qui veulent paſſer au Mexique, ainſi que dans le reſte de l’Amérique, ſans devenir colons, ſont aſtreints1 à la même formalité. On les oblige de plus à jurer qu’ils ont trois cens palmes de marchandiſe en propre dans la flotte2 où ils s’embarquent, & qu’ils n’emmeneront3 pas leurs femmes avec eux4. A ces conditions abſurdes, ils deviennent les agens principaux du commerce de l’Europe avec les Indes. Quoique leur privilége ne doive durer que trois ans, & un peu plus long-tems pour des pays plus éloignés, il eſt très-précieux. A eux ſeuls appartient le droit de vendre, comme commiſſionnaires, la majeure partie de la cargaiſon. Si ces5 loix étoient obſervées, les marchands fixés dans le Nouveau-Monde6, ſeroient bornés à diſpoſer de ce qu’ils ont reçu pour leur propre compte.

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La prédilection du miniſtere pour les Eſpagnols nés en Europe, a réduit les Eſpagnols créoles à un rôle ſubalterne, quoiqu’ils ſoient communément plus riches, & d’une naiſſance plus diſtinguée1. Les deſcendans des compagnons de Cortez, les deſcendans de ceux qui les ont ſuivis, conſtamment exclus de toutes les places d’honneur ou d’adminiſtration un peu importantes, ont vu s’affoiblir le puiſſant reſſort qui avoit ſoutenu leurs peres. L’habitude d’un mépris injuſte qu’ils éprouvoient, les a rendus enfin réellement mépriſables2. Ils ont achevé de perdre dans les vices qui naiſſent de l’oiſiveté, de la chaleur du climat, & de l’abondance de toutes choſes, cette conſtance & cette ſorte de fierté qui caractériſa de tout tems leur nation. Un luxe barbare, des plaiſirs honteux, des intrigues romaneſques, ont énervé tous les reſſorts de leur ame. La ſuperſtition a achevé la ruine de leurs vertus. Aveuglement livrés à des prêtres trop ignorans pour les éclairer par leurs inſtructions, trop corrompus pour les édifier par leur conduite, trop avides pour s’occuper de cette double fonction de leur miniſtere, ils n’ont aimé dans la religion que ce qui affoiblit l’eſprit, & n’y ont rien vu de ce qui pouvoit rectifier leurs mœurs.
La prédilection du miniſtère pour les Eſpagnols nés en Europe, a réduit les Eſpagnols créoles à un rôle ſubalterne. Les deſcendans des compagnons de Cortez, les deſcendans de ceux qui les ont ſuivis, conſtamment exclus de toutes les places d’honneur ou d’adminiſtration un peu importantes, ont vu s’affoiblir le puiſſant reſſort qui avoit ſoutenu leurs peres. L’habitude d’un mépris injuſte qu’ils éprouvoient, les a rendus enfin réellement mépriſable2. Ils ont achevé de perdre dans les vices qui naiſſent de l’oiſiveté, de la chaleur du climat, & de l’abondance de toutes choſes, cette conſtance & cette ſorte de fierté qui caractériſa de tout tems leur nation. Un luxe barbare, des plaiſirs honteux, des intrigues romaneſques, ont énervé tous les reſſorts de leur ame : la ſuperſtition a achevé la ruine de leurs vertus. Aveuglément livrés à des prêtres trop ignorans pour les éclairer par leurs inſtructions, trop corrompus pour les édifier par leur conduite, trop avides pour s’occuper de cette double fonction de leur miniſtère, ils n’ont aimé dans la religion que ce qui affoiblit l’eſprit, & n’y ont rien vu de ce qui pouvoit rectifier leurs mœurs.

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Les Metis qui forment le troiſieme ordre de citoyens, ſont plus avilis encore. On ſait1 que la cour de Madrid pour remplir une partie du vuide immenſe que l’avarice & la cruauté des conquérans avoit formé, pour régagner la confiance de ce qui avoit échappé à leurs fureurs, [43]encouragea le plus qu’il lui fut poſſible le mariage des Eſpagnols avec les Indiennes. Ces alliances qui devinrent aſſez communes dans toute l’Amérique, furent ſur-tout fréquentes au Mexique où les femmes avoient plus d’eſprit & d’agrement qu’ailleurs. Les Créoles rendirent à cette race mêlée les humiliations qu’ils recevoient des Européens. Son état d’abord équivoque, fut enfin fixé avec le tems, entre les blancs & les noirs.
Les métis qui forment le troiſieme ordre de citoyens, ſont plus avilis encore. On fait1 que la cour de Madrid, pour remplir une partie du vuide immenſe que l’avarice & la [70]cruauté des conquérans avoit formé, pour régagner la confiance de ce qui avoit échappé à leurs fureurs, encouragea le plus qu’il lui fut poſſible le mariage des Eſpagnols avec les Indiennes. Ces alliances qui devinrent aſſez communes dans toute l’Amérique, furent ſur-tout fréquentes au Mexique, où les femmes avoient plus d’eſprit & d’agrément qu’ailleurs. Les créoles rendirent à cette race mêlée, les humiliations qu’ils recevoient des Européens. Son état, d’abord équivoque, fut enfin fixé avec le tems, entre les blancs & les noirs.

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Ces noirs ne ſont pas en très-grand nombre dans la nouvelle Eſpagne. Comme les naturels du pays ſont plus intelligens, plus forts, plus laborieux que ceux des autres colonies, on n’y a guere apporté d’Afriquains1 que ce qu’il en falloit pour les fantaiſies, pour le ſervice domeſtique des gens riches. Les eſclaves chers à leurs3 maîtres de qui ils dépendent abſolument, qui les ont achetés à un très-haut prix, & qui en font les miniſtres de leurs plaiſirs, profitent de la faveur qu’ils ont pour opprimer les Mexicains. Ils prennent ſur ces hommes qu’on dit libres un aſcendant qui nourrit une haine implacable entre les deux nations. La loi a cherché à fomenter cette averſion en prenant des meſures efficaces pour empêcher toute liaiſon entr’elles. Il eſt défendu aux négres d’avoir aucun commerce d’amour avec les Indiens, ſous peine aux hommes d’être mutilés, aux femmes d’être rigoureuſement punies. Par toutes ces raiſons, les Afriquains4 qui dans les autres établiſſemens5 ſont les ennemis des Européens, en ſont les partiſans dans les Indes Eſpagnoles.
Ces noirs ne ſont pas en très-grand nombre dans la nouvelle Eſpagne. Comme les naturels du pays ſont plus intelligens, plus forts, plus laborieux que ceux des autres colonies, on n’y a guere apporté d’Africains1 que ce qu’il en falloit pour les fantaiſies &2 pour le ſervice domeſtique des gens riches. Ces eſclaves chers à des3 maîtres de qui ils dépendent abſolument, qui les ont achetés à un très-haut prix, & qui en font les miniſtres de leurs plaiſirs, profitent de la faveur qu’ils ont, pour opprimer les Méxicains. Ils prennent ſur ces hommes, qu’on dit libres, un aſcendant qui nourrit une haîne implacable entre les deux nations. La loi a cherché à fomenter cette averſion, en prenant des meſures efficaces pour empêcher toute liaiſon entr’elles. Il eſt défendu aux négres d’avoir aucun [71]commerce d’amour avec les Indiens, ſous peine aux hommes d’être mutilés, aux femmes d’être rigoureuſement punies. Par toutes ces raiſons, les Africains4 qui dans les autres établiſſemes5 ſont les ennemis des Européens, en ſont les partiſans dans les Indes Eſpa-gnoles.

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L’autorité n’a pas beſoin de cet appuis du moins au Mexique, où la population n’eſt plus ce qu’elle fut autrefois. Les premiers hiſtoriens & ceux qui les ont copiés, ont écrit que les Eſpagnols [44]y avoient trouvé dix millions d’ames. Ce fut une exagération des conquérans pour relever l’éclat de leur triomphe, & qu’on adopta1 ſans examen avec d’autant plus de complaiſance qu’elle les rendoit odieux. Avec un peu d’attention, on auroit ſenti que ce calcul n’étoit pas même vraiſemblable. Tous les monumens atteſtent qu’un peu plus d’un ſiecle avant l’arrivée des Européens, ces vaſtes pays n’étoient habités que par des petites nations, dont quelques-unes n’avoient point2 de demeure fixe, &3 les autres cultivoient fort peu. Il4 ne pouvoit pas alors être beaucoup plus peuplé que les5 autres contrées ſauvages6 de l’Amérique ſeptentrionale7 & méridionale. Les hommes durent la vérité s’y multiplier beaucoup, lorſque ce grand eſpace réuni ſous les mêmes loix fut devenu un empire policé ; mais ce changement étoit trop récent pour avoir eu des ſuites ſi conſidérables8. C’eſt beaucoup accorder que de convenir, que la population du Mexique n’a été enflée que de la moitié. Aujourd’hui elle ne paſſe pas huit à neuf cens mille ames9.
L’autorité n’a pas beſoin de cet appui, du moins au Mexique, où la population n’eſt plus ce qu’elle fut autrefois. Les premiers hiſtoriens & ceux qui les ont copiés, ont écrit que les Eſpagnols y avoient trouvé dix millions d’ames. Ce fut une exagération des conquérans pour relever l’éclat de leur triomphe ; elle fut adoptée1 ſans examen, avec d’autant plus de complaîſance, qu’elle les rendoit plus odieux. Il ſuffit de ſuivre avec attention les brigands qui dévaſterent d’abord ces belles contrées, pour ſe convaincre qu’on n’avoit réuſſi multiplier les hommes Mexico & dans les campagnes voiſines, qu’en dépeuplant le centre2 de l’empire ; & que3 les provinces éloignées de la capitale4, ne différoient en rien des5 autres ſolitudes6 de l’Amérique méridionale7 & ſeptentrionale8. C’eſt beaucoup accorder, que de convenir que la population du Mexique n’a été enflée que de la moitié : aujourd’hui elle ne paſſe pas un million d’ames9.

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On croit communément, que les premiers conquérans ſe faiſoient un jeu de maſſacrer les Indiens, que les prêtres même excitoient leur férocité. Sans doute que ſes1 farouches ſoldats répandirent ſouvent du ſang ſans motif même apparent, ſans doute que2 leurs fanatiques miſſionnaires ne s’oppoſerent pas à ces barbaries comme ils le devoient. Cependant ce ne fut pas la vraie ſource, la3 ſource principale de la dépopulation du Mexique. Elle fut l’ouvrage d’une tyrannie ſourde4 & lente5 de l’avarice qui exigeoit de ſes malheureux habitans. Plus de travail6, un travail plus rude que leur tempérament & le climat ne le comportoient.
On croit communément que les premiers [72]conquérans ſe faiſoient un jeu de maſſacrer les Indiens ; que les prêtres même excitoient leur férocité. Sans doute ces1 farouches ſoldats répandirent ſouvent du ſang, ſans motif même apparent ; ſans doute leurs fanatiques miſſionnaires ne s’oppoſerent pas à ces barbaries comme ils le devoient. Cependant ce ne fut pas la vraie ſource principale de la dépopulation du Mexique ; elle fut l’ouvrage d’une tyrannie lente4, & de l’avarice qui exigeoit de ſes malheureux habitans6 un travail plus rude que leur tempérament & le climat ne le comportoient.

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Cette oppreſſion commença avec la conquette1. Toutes les terres furent partagées entre la couronne, les compagnons de Cortez, & les grands ou les miniſtres qui avoient le plus de faveur à la Cour d’Eſpagne. Les Mexicains fixés dans le domaine royal, étoient deſtinés aux travaux publics, qui dans les premiers tems furent conſidérables. Le ſort de ceux qu’on attacha aux poſſeſſions des particuliers fut encore plus malheureux. Tous gémiſſoient ſous un joug affreux. On les nourriſſoit mal. On ne leur donnoit aucun ſalaire, & on exigeoit deux des ſervices ſous leſquels les hommes les plus robuſtes auroient ſuccombé. Leurs malheurs attendrirent Barthelemi de Las Caſas.
Cette oppreſſion commença avec la conquête1. Toutes les terres furent partagées entre la couronne, les compagnons de Cortez, & les grands ou les miniſtres qui avoient le plus de faveur à la cour d’Eſpagne. Les Mexicains fixés dans le domaine royal, étoient deſtinés aux travaux publics, qui, dans les premiers tems, furent conſidérables. Le ſort de ceux qu’on attacha aux poſſeſſions des particuliers, fut encore plus malheureux. Tous gémiſſoient ſous un joug affreux ; on les nourriſſoit mal, on ne leur donnoit aucun ſalaire, & on exigeoit d’eux des ſervices, ſous leſquels les hommes les plus robuſtes auroient ſuccombé. Leurs malheurs attendrirent Barthelemi de Las Caſas.

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Cet homme ſi célebre dans les annales du nouveau monde, avoit accompagné ſon pere au premier voyage de Colomb. La douceur ſimple des Indiens le frappa ſi fort2, qu’il ſe fit eccleſiaſtique pour travailler à leur converſion. Bientôt ce fut le ſoin qu’il3 l’occupat le moins. Comme il étoit plus homme que prêtre, il fut plus révolté des barbaries qu’on exerçoit contr’eux, que de leurs ſuperſtitions. On le voyoit voler continuellement d’un hémiſphere à l’autre pour conſoler des peuples qu’il portoit dans ſon ſein, ou pour adoucir leurs tyrans. Cette conduite qui le rendit l’idole des uns & la terreur des autres, n’eut pas le ſuccès qu’il s’étoit promis. L’eſpérance d’en impoſer par un caractere révéré des Eſpagnols, le détermina à accepter l’évêché de Chiappa4, dans le Mexique. Lorſqu’il ſe fut convaincu que cette dignité étoit une barriere inſuffiſante contre l’avarice & la cruauté qu'il vouloit arrêter, il l’abdiqua. A cette époque5, cet homme courageux, ferme, déſintéreſſé cita au [46]tribunal de l’univers entier ſa nation7. Il l’accuſa dans ſon traité de la tyrannie des Eſpagnols dans les Indes8, d’avoir fait pour quinze millions d’Indiens. On oſa blâmer l’amertume de ſon ſtile9 ; mais perſonne ne les10 convainquit d’exagération. Ses écrits en reprirent11 la beauté de ſon ame, & la grandeur de ſes ſentimens imprimérent ſur ſes barbares compatriotes, une flétriſſure que le tems n’a pas effacée &12 n’effacera jamais.
Cet homme, ſi célebre dans les annales du [73]nouveau monde, avoit accompagné ſon pere au premier voyage de Colomb. La douceur & le caractere1 ſimple des Indiens le frapperent tel point2, qu’il ſe fit eccléſiaſtique pour travailler à leur converſion. Bientôt ce fut le ſoin qui3 l’occupa le moins. Comme il étoit plus homme que prêtre, il fut plus révolté des barbaries qu’on exerçoit contr’eux, que de leurs ſuperſtitions. On le voyoit voler continuellement d’un hémiſphere à l’autre pour conſoler des peuples qu’il portoit dans ſon ſein, ou pour adoucir leurs tyrans. Cette conduite, qui le rendit l’idole des uns & la terreur des autres, n’eut pas le ſuccès qu’il s’étoit promis. L’eſpérance d’en impoſer par un caractere révéré des Eſpagnols, le détermina à accepter l’évêché de Chiapa4, dans le Mexique. Lorſqu’il ſe fut convaincu que cette dignité étoit une barriere inſuffiſante contre l’avarice & la cruauté qu’il vouloit arrêter, il l’abdiqua. Ce fut alors que5 cet homme courageux, ferme, déſintéreſſé, cita ſa nation6 au tribunal de l’univers entier. Il l’accuſa dans ſon Traité de la tyrannie des Eſpagnols en Amérique8, d’avoir fait périr quinze millions d’Indiens. On oſa blâmer l’amertume de ſon ſtyle9 ; mais perſonne ne le10 convainquit d’exagération. Ses écrits, où reſpirent11 la beauté de ſon ame & la grandeur de ſes ſentimens, imprimerent ſur ſes barbares compatriotes [74], une flétriſſure que le tems n’a pas effacée, n’effacera jamais.

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La cour de Madrid réveillée par les cris du vertueux Las Caſas, & par l’indignation de tous les peuples ; ſentit enfin, que la tyrannie qu’elle permettoit étoit contraire à la religion, à l’humanité, à la politique. Elle ſe détermina à rompre les fers des Mexicains. Leur liberté ne fut plus gênée que par la condition qui leur fut impoſée de ne pas ſortir du territoire, où ils étoient établis. Cette précaution dut ſon origine à la crainte qu’on avoit qu’ils n’allaſſent joindre les ſauvages, errans au nord & au midi de l’empire.
La cour de Madrid réveillée par les cris du vertueux Las Caſas, & par l’indignation de tous les peuples, ſentit enfin que la tyrannie qu’elle permettoit étoit contraire à la religion, à l’humanité, à la politique : elle ſe détermina à rompre les fers des Méxicains. Leur liberté ne fut plus gênée que par la condition qui leur fut impoſée de ne pas ſortir du territoire où ils étoient établis. Cette précaution dut ſon origine à la crainte qu’on avoit qu’ils n’allaſſent joindre les ſauvages errans au nord & au midi de l’empire.

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Avec la liberté, il auroit fallu leur rendre leurs terres. On ne le fit pas. Cette injuſtice les réduiſit à travailler uniquement pour leurs oppreſſeurs. Seulement il fut ſtatué que les Eſpagnols auxquels ils voudroient vendre leurs ſueurs, ſeroient tenus de les bien nourrir, & de leur donner vingt-quatre piaſtres par an, où une partie1 de cette ſomme proportionnée au tems qu’ils auroient ſervi2.
Avec la liberté, il auroit fallu leur rendre leurs terres. On ne le fit pas. Cette injuſtice les réduiſit à travailler uniquement pour leurs oppreſſeurs. Seulement il fut ſtatué que les Eſpagnols, auxquels ils voudroient vendre leurs ſueurs, ſeroient tenus de les bien nourrir, & de les payer raiſon1 de 120 livres par an2.

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Sur ce gain, on retint1 le tribut impoſé par le gouvernement, & une piaſtre2 pour un uſage dont on eſt bien étonné que les conquérans ſe ſoient aviſé. Il fut formé dans chaque communauté une caiſſe deſtinée à ſecourir les Indiens caducs ou malades, & à les ſoutenir dans des [47]malheurs particuliers, dans des calamités publiques.
Sur ce gain, on retient1 le tribut impoſé par le gouvernement, & cent ſols2 pour un uſage dont on eſt bien étonné que les conquérans ſe ſoient aviſés. Il fut formé dans chaque communauté une caiſſe deſtinée à ſecourir les Indiens caducs ou malades, & à les ſoutenir dans des malheurs particuliers ou3 dans des calamités publiques.

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319
Cette adminiſtration fut confiée à leurs Caciques. Ils n'étoient pas les deſcendans de ceux qu’on avoit trouvés au tems de la conquette1. Les Eſpagnols les choiſirent parmi les Indiens, qui paroiſſoient les plus attachés à leurs intérêts, & ils ne craignirent pas de rendre leur dignités héréditaires. On borna leurs fonctions à entretenir la police dans leur diſtrict, qui eut communément huit ou dix lieues d’étendue, à percevoir le tribut des Indiens qui travailloient pour leur propre compte ; comme2 le tribut des autres étoit3 retenu par les autres maîtres4 qu’ils ſervoient, à prevenir leur fuite en les retenant5 toujours ſous leurs yeux, & en ne ſouffrant pas qu’ils contractaſſent aucun engagement ſans leur aveu. Pour prix de leurs ſervices, ces eſpeces de magiſtrats obtinrent du gouvernement une propriété. Il leur fut permis de prendre dans la caiſſe commune, cinq ſols tous les ans pour chaque Indien, ſoumis à leur juriſdiction. On les autoriſa enfin à faire cultiver leurs champs par les jeunes gens qui n’étoient pas encore ſoumis à la capitation, & à occuper les filles juſqu’au tems de leur mariage, à des travaux propres de leur ſexe, ſans autre ſalaire que leur nourriture.
Cette adminiſtration fut confiée à leurs caciques. Ils n’étoient pas les deſcendans de ceux qu’on avoit trouvés au tems de la conquête1. Les Eſpagnols les choiſirent parmi les Indiens qui paroiſſoient les plus attachés à leurs intérêts ; & ils ne craignirent pas de rendre leur dignités héréditaires. On borna leurs fonctions à entretenir la police dans leur diſtrict, qui eut communément huit ou dix lieues d’étendue ; à percevoir le tribut des Indiens qui travailloient pour leur propre compte, le tribut des autres étant3 retenu par les maîtres4 qu’ils ſervoient ; à prévenir leur fuite en les gardant5 toujours ſous leurs yeux, & en ne ſouffrant pas qu’ils contractaſſent aucun engagement ſans leur aveu. Pour prix de leurs ſervices, ces eſpeces de magiſtrats obtinrent du gouvernement une propriété. Il leur fut permis de prendre dans la caiſſe commune, cinq ſols tous les ans pour chaque Indien ſoumis à leur Juriſdiction. On les autoriſa enfin à faire cultiver leurs champs par les jeunes gens qui n’étoient pas encore ſoumis à la capitation, & à occuper les filles juſqu’au tems de leur mariage, à des travaux propres de leur ſexe, ſans autre ſalaire que leur nourriture.

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Ces inſtitutions qui changeoient totalement le ſort des Indiens du Mexique, irriterent les Eſpagnols à un point inconcevable. Leur orgueil ne pouvoit pas1 ſe plier à voir des hommes libres dans des Amériquains2 ; ni leur avarice s’accoutumer à payer des travaux, qui juſqu’alors ne leur avoient rien coûté. Ils employerent ſucceſſivement, ou à la fois, la ruſe, les remontrances & la violences3 pour faire anéantir un [48]arrangement qui contrarioit ſi fort leurs paſſions les plus vives : leurs efforts furent inutiles. Las Caſas avoit fait à ſes enfans4 des patrons5 qui ſoutinrent ſon ouvrage avec une chaleur extrême6. Les Mexicains eux-mêmes ſe ſentant appuyés, citerent leurs oppreſſeurs aux tribunaux, & les tribunaux foibles ou corrompus à la Cour. Ils pouſſerent leur courage juſqu’à refuſer unaniment7 de travailler pour ceux qui ſe montroient injuſtes envers quelques-uns de leurs compatriotes. Cet accord, plus que tout le reſte, donna de la ſolidité à ce qui avoit été réglé. L’ordre preſcrit par les loix, s’établit inſenſiblement. Il n’y eut plus8 de ſyſtême ſuivi d’oppreſſion, mais ſeulement beaucoup de ces vexations particulieres qu’un peuple vaincu qui a perdu ſon gouvernement, ne peut guere éviter de la part de ceux qui l’ont ſubjugué.
Ces inſtitutions, qui changeoient totalement le ſort des Indiens du Mexique, irriterent les Eſpagnols à un point inconcevable. Leur orgueil ne pouvoit ſe plier à voir des hommes [76]libres dans les Américains2 ; ni leur avarice s’accoutumer à payer des travaux, qui juſqu’alors ne leur avoient rien coûté. Ils employerent ſucceſſivement, ou à la fois, la ruſe, les remontrances & la violence3, pour faire anéantir un arrangement qui contrarioit ſi fort leurs paſſions les plus vives : leurs efforts furent inutiles. Las Caſas avoit fait à ſes chers Indiens4 des protecteurs5 qui ſoutinrent ſon ouvrage avec zèle & avec chaleur6. Les Mexicains eux-mêmes ſe ſentant appuyés, citerent leurs oppreſſeurs aux tribunaux, & les tribunaux, foibles ou corrompus, à la cour. Ils pouſſerent leur courage juſqu’à refuſer unanimement7 de travailler pour ceux qui ſe montroient injuſtes envers quelques-uns de leurs compatriotes. Cet accord, plus que tout le reſte, donna de la ſolidité à ce qui avoit été reglé. L’ordre preſcrit par les loix, s’établit inſenſiblement. Il n’y eut pas8 de ſyſtême ſuivi d’oppreſſion, mais ſeulement beaucoup de ces vexations particulieres qu’un peuple vaincu, qui a perdu ſon gouvernement, ne peut guere éviter de la part de ceux qui l’ont ſubjugué.

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Ces injuſtices ſourdes, n’empêcherent pas les Mexicains de recouvrer de tems en tems quelques parcelles de l’immenſe territoire dont on avoit dépouillé leurs peres. Ils les achetoient du domaine, ou des grands propriétaires. Ce ne fut pas leur travail qui les mit en état de faire ces acquiſitions. Ils en furent redevables, les uns1 au bonheur de trouver2 des mines, les autres de déterrer3 des tréſors qu’on avoit cachés au tems de la conquête. Le plus grand nombre tirerent leurs moyens4 des prêtres & des moines auxquels ils devoient le jour.
Ces injuſtices ſourdes, n’empêcherent pas les Mexicains de recouvrer de tems en tems quelques parcelles de l’immenſe territoire dont on avoit dépouillé leurs peres. Ils les achetoient du domaine, ou des grands propriétaires, Ce ne fut pas leur travail qui les mit en [77]état de faire ces acquiſitions : ils en furent redevables au bonheur d’avoir trouvé, les uns2 des mines, les autres des tréſors qu’on avoit cachés au tems de la conquête. Le plus grand nombre tirerent leurs reſſources4 des prêtres & des moines auxquels ils devoient le jour.

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322
Ceux même que la fortune traita moins favorablement, ſe procurerent par le ſeul profit de leurs ſalaires, plus de commodités qu'ils n’en avoient eu avant de ſubir un joug étranger. On1 ſe tromperoit groſſierement ſi on vouloit juger de l’ancienne proſpérité des habitans du Mexique ; parce2 qui a été dit de ſon empereur, de [49]ſa cour, de ſa capitale, des gouverneurs de ſes provinces. Le deſpotiſme y avoit produit les effets funeſtes qu’il produit parto ut. L’état entier étoit immolé aux caprices, aux voluptés, à la magnificence d’un petit nombre.
Ceux même que la fortune traita moins favorablement, ſe procurerent par le ſeul profit de leurs ſalaires, plus de commodités qu’ils n’en avoient eu avant de ſubir un joug étranger. L’on1 ſe tromperoit groſſierement, ſi on vouloit juger de l’ancienne proſpérité des habitans du Mexique par ce2 qui a été dit de ſon empereur, de ſa cour, de ſa capitale, des gouverneurs de ſes provinces. Le deſpotiſme y avoit produit les effets funeſtes, qu’il produit partout. L’état entier étoit immolé aux caprices, aux voluptés, à la magnificence d’un petit nombre.

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323
Le gouvernement tiroit des avantages conſidérables des mines qu’il faiſoit exploiter, de plus grands encore de celles qui étoient entre les mains des particuliers. Les ſalines lui rendoient beaucoup. Les cultivateurs payoient en nature au tems de la récolte le tiers de toutes les productions des terres, ſoit qu’elles leur appartinſent1 en propre, ſoit qu’ils n’en fuſſent que les fermiers. Les chaſſeurs, les pêcheurs, les potiers, tous les ouvriers rendoient chaque mois la même portion de leur induſtrie. Les pauvres même étoient taxés à des contributions fixes, que de rudes2 travaux ou des aumônes devoient les mettre en état d’acquitter.
Le gouvernement tiroit des avantages conſidérables des mines qu’il faiſoit exploiter, de plus grands encore de celles qui étoient entre les mains des particuliers. Les ſalines lui rendoient beaucoup. Les cultivateurs payoient en nature, au tems de la récolte, le tiers de toutes les productions des terres ; ſoit qu’elles leur appartinſſent1 en propre, ſoit qu’ils n’en fuſſent que les fermiers. Les chaſſeurs, les pêcheurs, les potiers, tous les ouvriers rendoient chaque mois la même portion de [78]leur induſtrie. Les pauvres même étoient taxés à des contributions fixes, que des2 travaux ou des aumônes devoient les mettre en état d’acquitter.

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Le commun1 des Mexicains alloient nuds. L’empereur lui-même2, & les grands ſeigneurs ne ſe couvroient que d’une eſpece de manteau compoſé d’une piece de coton quarrée3 & nouée ſur l’épaule droite. Ils avoient4 des ſandales pour chauſſure5. Les femmes du peuple n’avoient pour tout vêtement qu’une eſpece de chemiſe à demi manches qui leur tomboit ſur6 les genouils7, & qui étoit ouverte ſur la poitrine. Il étoit défendu à la multitude d’élever ſes maiſons au-deſſus du raiz de de chauſſée, & d’y avoir ni portes ni fenêtres. La plupart étoient bâties & d’y avoir ni portes ni fenêtres. La plupart étoient bâties8 de terre, couvertes de planches, & n’avoient pas plus de commodités que d’élégance. Leur intérieur étoit revêtus de nattes, & éclairé par des torches de bois9 de ſapin, quoique10 la cire & l’huile fuſſent abondantes. La ſimple paille & des couvertures11 [50]de coton formoient les lits. Une groſſe pierre, ou quelque billot de bois tenoit lieu de chevet, & pour ſieges on n’avoit que de petits ſacs de feuilles de palmier ; mais l’uſage étoit de s’aſſeoirpour ſieges on n’avoit que de petits ſacs de feuilles de palmier ; mais l’uſage étoit de s’aſſeoir12terre, & même d’y manger. La nourriture, ou la viande entroit rarement, étoit peu variée13 & peu délicate. La plus ordinaire étoit le mays en pâte, ou préparé14 avec divers aſſaiſonnemens. On y joignoit toutes ſortes d’herbes, a l’exception de celles qui étoient15 trop dures, ou qui avoient quelque16 mauvaiſe odeur. Leur meilleur breuvage étoit une compoſition d’eau où l’on délayoit de la farine de cacao avec un peu du de la farine de cacao avec un peu du miel. Il y avoit d’autres Il y avoit d’autres17 boiſſons mais18 qui ne pouvoient enivrer : les liqueurs fortes étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en boire22 il falloit la permiſſion du gouvernement. Elle23 ne s’accordoit24 qu’aux veillards25 & aux malades. Seulement dans quelques ſolemnités26 & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge. L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices. On raſoit publiquement ceux qui s’y laiſſoient ſurprendre27, & leur maiſon étoit abattue. S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſéder des charges.
Le commun1 des Mexicains alloient nuds. L’empereur lui-même2, & les grands ſeigneurs ne ſe couvroient que d’une eſpece de manteau compoſé d’une piece de coton quarrée3 & nouée ſur l’épaule droite. Ils avoient4 des ſandales pour chauſſure5. Les femmes du peuple n’avoient pour tout vêtement qu’une eſpece de chemiſe demi manches qui leur tomboit ſur6 les genoux7, & qui étoit ouverte ſur la poitrine. . Il étoit défendu aux gens du commun d’élever les maiſons au-deſſus du maiſons au-deſſus du rez-de-chausſée, , & d’y avoir ni portes ni fenêtres. La plûpart étoient bâties8 de terre, couvertes de planches, & n’avoient pas plus de commodités que d’élégance. Leur intérieur étoit revêtu de nattes, & eclairé par des torches de bois9 de ſapin, quoique10 la cire & l’huile fuſſent abondantes. La ſimple paille & des couvertures11 de coton, formoient les lits. Pour ſiéges, on n’avoit que de petits ſacs de feuilles de palmier ; ; mais l’uſage étoit de s’aſſeoir12terre, & même d’y manger. La nourriture, où la viande entroit rarement, étoit peu variée13 & peu délicate. La plus ordinaire étoit le mays en pâte, ou préparé14 avec divers aſſaiſonnemens. On y joignoit les herbes des champs [79][79]qui n’étoient pas15 trop dures, ou qui n’avoien point de16 mauvaiſe odeur, Le cacao, délayé dans de l’eau chaude, & aſſaiſonné de miel ou de piment, étoit le meilleur breuvage. Il y avoit d’autres17 boiſſons, mais18 qui ne pouvoient enivrer : les liqueurs fortes étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en boire22 il falloit la permiſſion du gouvernement. Elle23 ne s’accordoit24 qu’aux vieillards25 & aux malades. Seulement dans quelques ſolemnités26 & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge. L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices. On raſoit publiquement ceux qui s’y laiſſoient ſurprendre27, & leur maiſon étoit abattue. S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſeder des charges.
Celle1 des hommes riches, des nobles2 & des gens en place avoit pour baſe, outre le produit des chaſſes3 & des pêches5, les poules d’inde6, les canards7 & les lapins, les les ſeuls animaux, avec8 de petits chiens, qu’on eût ſu apprivoiſer dans ces contrées. Mais les vivres9 de la multitude ſe réduiſoient du maïs, préparé11 de diverſes manières12 ; à du cacao délayé dans l’eau chaude13 & aſſaiſonné14 [414]avec du miel & du pimant ; ; aux herbes des champs qui n’étoient pasherbes des champs qui n’étoient pas15 trop dures ou qui n’avoient pas dede16 mauvaiſe odeur. Elle faiſoit uſage de de quelques17 boiſſons qui ne pouvoient pas19 enivrer. Pour20 les liqueurs fortes, elles21 étoient ſi rigoureuſement défendues, que pour en uſer22 il falloit la permiſſion du gouvernement. On23 ne l’accordoit24 qu’aux vieillards25 & aux malades. Seulement, dans quelques ſolemnités26 & dans les travaux publics, chacun en avoit une meſure proportionnée à l’âge. L’ivrognerie étoit regardée comme le plus odieux des vices. On raſoit publiquement ceux qui en étoient convaincus27, & leur maiſon étoit abattue. S’ils exerçoient quelque office public, ils en étoient dépouillés, & déclarés incapables de jamais poſſéder des charges.
Celle1 des hommes riches, des nobles2 et des gens en place avait pour base, outre le produit des chasses3 et des pêches5, les poules d’Inde6, les canards7 et les lapins, les seuls animaux, avec8 de petits chiens, qu’on eût su apprivoiser dans ces contrées. Mais les vivres9 de la multitude se réduisaient à du maïs, préparé11 de diverses manières12 ; à du cacao délayé dans l’eau chaude13 et assaisonné14 avec du miel et du piment ; aux herbes des champs qui n’étaient pas15 trop dures ou qui n’avaient pas de16 mauvaise odeur. Elle faisait usage de quelques17 boissons qui ne pouvaient pas19 enivrer. Pour20 les liqueurs fortes, elles21 étaient si rigoureusement défendues, que pour en user22 il fallait la permission du gouvernement. On23 ne l’accordait24 qu’aux vieillards25 et aux malades ; seulement, dans quelques solennités26 et dans les travaux [307] publics, chacun en avait une mesure proportionnée à l’âge : l’ivrognerie était regardée comme le plus odieux des vices ; on rasait publiquement ceux qui en étaient convaincus27, et leur maison était abattue. S’ils exerçaient quelque office public, ils en étaient dépouillés, et déclarés incapables de jamais posséder des charges.
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Comment1 des hommes qui avoient ſi peu2 de beſoins, avoient-ils jamais pu ſubir le jougpu ſubir3 le joug4 de l’eſclavage ? Que le citoyen accoutumé aux douceurs5 & aux commodités de la vie6, les achete7 tous les jours par le ſacrifice de ſa8 liberté, ce n’eſt pas un paradoxe pour9 la raiſon10 ; mais que des peuples malheureux11 à qui la nature offre réellement12 plus de bonheur que le pacte barbare13 qui les unit, reſtent14 dans la ſervitude, & ne penſent [51] pas15 qu’il n'y a ſouvent16 qu’une riviere à traverſer pour être libres : voilà ce qu’on ne concevroit jamais18 ſi on19 ne ſavoit pas20 combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent l’eſpece humaine.
Comment1 des hommes qui avoient ſi peu2 de beſoins, ont-ils pu ſubir le jougpu ſubir3 le joug4 de l’eſclavage ? Que le citoyen accoutumé aux douceurs5 & aux commodités de la vie6, les achete7 tous les jours par le ſacrifice de ſa8 liberté, ce n’eſt pas un paradoxe pour9 la raiſon10 ; mais que des peuples à qui la nature offre12 plus de bonheur que la chaîne ſociale13 qui les unit, reſtent tranquillement14 dans la ſervitude, & ne penſent paspenſent pas15 qu’il n’y a ſouventſouvent16 qu’une riviere à traverſer pour être libres ; voilà ce qu’on ne concevroit jamaisne concevroit jamais18, ſi l’on19 ne ſavoit pas20 [80]combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent l’eſpece humaine.
L’empire étoit ſoumis un deſpotiſme auſſi cruel que mal combiné. La crainte, cette grande roue1 des des gouvernemens arbitraires, y tenoit lieu2 de morale & de principes3. Le Le chef4 de l’état étoit devenu peu-à-peu une eſpèce de divinité ſur laquelle les plus téméraires n’oſoient porter un regard5, & dont les plus imprudens ne ſe ſeroient pas permis de [409][409]juger6 les actions. On conçoit comment des citoyens achètent7 tous les jours, par le ſacrifice de leur8 liberté, les douceurs & les commodités de9 la vie auxquelles ils ſont accoutumés dès l’enfance10 : mais que des peuples à qui la nature brute offroit12 plus de bonheur que la chaîne ſociale13 qui les uniſſoit, reſtâſſent tranquillement tranquillement14 dans la ſervitude, ſans penſer15 qu’il n’y avoit16 qu’une montagne ou une17 rivière à traverſer pour être libres : voilà ce qui ſeroit incompréhenſible18, ſi l’on19 ne ſavoit combien l’habitude & la ſuperſtition dénaturent par-tout21 l’eſpèce humaine.

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Les Mexicains ſont aujourd’hui moins malheureux. Nos fruits, nos grains & nos quadrupedes ont rendu leur nourriture plus ſaine, plus agréable & plus abondante. Leurs maiſons ſont mieux bâties, mieux diſtribuées & mieux meublées. Des ſouliers, un caleçon, une chemiſe, une caſaque1 de laine ou de coton, ſelon le climat2 ; une fraiſe & un chapeau forment leur habillement. La conſidération qu’on eſt parvenu à attacher3 à ces jouiſſances, les a rendus plus œconomes4 & plus laborieux.
Les Mexicains ſont aujourd’hui moins malheureux. Nos fruits, nos grains & nos quadrupedes ont rendu leur nourriture plus ſaine, plus agréable & plus abondante. Leurs maiſons ſont mieux bâties, mieux diſtribuées & mieux meublées. Des ſouliers, un caleçon, une chemiſe, un habit1 de laine ou de coton, une fraiſe & un chapeau, forment leur habillement. La conſidération qu’on eſt convenu d’attacher3 à ces jouiſſances, les a rendus plus économes4 & plus laborieux. Cette aiſance n’eſt pas univerſelle, ſans doute ; elle n’eſt même que trop rare au voiſinage des mines, des villes & des grandes routes où la tyrannie s’endort rarement ; mais ſouvent on la trouve avec ſatisfaction dans des contrées écartées où les Eſpagnols ne ſe ſont guere multipliés, &où ils ſont devenus en quelque ſorte Méxicains5.

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Les habitans de la province de Chiapa, ſe diſtinguent entre tous les autres. Ils doivent leur ſupériorité à l’avantage d’avoir eu pour paſteur Las Caſas, qui empêcha leur oppreſſion dans les premiers tems. Ils ſont au-deſſus de leurs compatriotes par la taille, par l’eſprit & par la force. Leur langue a une douceur, une élégance particulieres. Leur territoire ſans être meilleurs que les autres, eſt infiniment plus riche en toutes ſortes de productions. On les trouve peintres, muſiciens, adroits à tous les arts. Ils excellent ſur-tout à fabriquer ces ouvrages, ces tableaux, ces étoffes de plume qui n’ont jamais été imités ailleurs, & des tapis en laine de différentes couleurs que les meilleurs ouvriers d’Europe pourroient avouer2. Leur ville principale, ſe nomme Chiapa Dos Indos. Elle n’eſt habitée que par les naturels du pays, qui y3 forment une population de quatre mille familles ; parmi leſquels on trouve beaucoup de nobleſſe Indienne. La grande [52]riviere ſur laquelle cette ville eſt ſituée, devient un théâtre où les habitans exercent continuellement leur adreſſe & leur courage. Avec des bateaux ils forment des armées navalles4. Ils combattent entr’eux ; ils s’attaquent, & ils ſe défendent avec une habilité5 ſurprenante. Ils n’excellent pas moins à la courſe des taureaux, au jeu des cannes, à la danſe, à tous les exercices du corps. Ils bâtiſſoient6 des villes, des châteaux de bois qu’ils couvroient de toile peinte, & qu’ils aſſiégent. Enfin, le théâtre & la comédie ſont un de leurs amuſemens ordinaires. On voit par ces détails de quoi les Mexicains étoient capables, s’ils avoient eu le bonheur de paſſer ſous la domination d’un conquérant, qui eût eu aſſez de modération & de lumiere pour relâcher les fers de leur ſervitude, au lieu de les reſſerrer.
Les habitans de la Province de Chiapa, ſe diſtinguent entre tous les autres. Ils doivent leur ſupériorité à l’avantage d’avoir eu pour paſteur Las Caſas, qui empêcha leur oppreſſion dans les premiers tems. Ils ſont au-deſſus de leurs compatriotes par la taille, par l’eſprit & par la force. Leur langue a une douceur &1 une élégance particulieres. Leur territoire, ſans être meilleur que les autres, eſt infiniment plus riche en toutes ſortes de productions [81]. On les trouve peintres, muſiciens, adroits à tous les arts. Ils excellent ſur-tout à fabriquer ces ouvrages, ces tableaux, ces étoffes de plume qui n’ont jamais été imités ailleurs. Leur ville principale, ſe nomme Chiapa dos Indos. Elle n’eſt habitée que par les naturels du pays, qui forment une population de quatre mille familles, parmi leſquelles on trouve beaucoup de nobleſſe Indienne. La grande riviere ſur laquelle cette ville eſt ſituée, devient un théâtre où les habitans exercent continuellement leur adreſſe & leur courage. Avec des bateaux ils forment des armées navales4. Ils combattent entr’eux ; ils s’attaquent, & ils ſe défendent avec une agilité5 ſurprenante. Ils n’excellent pas moins à la courſe des taureaux, au jeu des cannes, à la danſe, à tous les exercices du corps. Ils bâtiſſent6 des villes, des châteaux de bois qu’ils couvrent de toile peinte, & qu’ils aſſiégent. Enfin, le théâtre & la comédie ſont un de leurs amuſemens ordinaires. On voit par ces détails de quoi les Mexicains étoient capables, s’ils avoient eu le bonheur de paſſer ſous la domination d’un conquérant, qui eût eu aſſez de modération & de lumiere pour relâcher les fers de leur ſervitude, au lieu de les resſerrer.

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Les occupations de ce peuple ſont fort variées. Les plus intelligens, les plus aiſés s’adonnent aux manufactures de premiere néceſſité diſperſées dans tout l’empire. Il1 s’en eſt établi de plus belles chez les Haſcalteques. Leur ancienne capitale & la nouvelle, qui eſt l’Os Angelos2, ſont le centre de cette induſtrie. On y fabrique des draps aſſez fins, des toiles de coton qui ont de l’agrément, quelques ſoiries, de bons chapeaux, des galons, des broderies, des dentelles3, des verres, & beaucoup de clinquaillerie4. Les arts ont dû faire naturellement plus de progrès dans une province qui avoit ſu conſerver long-tems ſon indépendance, que les Eſpagnols crurent devoir un peu ménager après la conquête, & qui avoit toujours montré plus de pénétration ; ſoit qu’elle la dut à ſon climat, ou à ſon gouſa5 [53] poſition. Tous les habitans du Mexique qui paſſent néceſſairement ſur ſon territoire pour aller acheter les marchandiſes d’Europe, arrivées à la Vera Cruz6, ont trouvé commode de prendre ſur leur route ce que la flotte ne leur fourniſſoit pas, ou ce qu’elle leur vendoit trop cher.
Les occupations de ce peuple ſont fort variées. Les plus intelligens, les plus aiſés [82]s’adonnent aux manufactures de premiere néceſſité, diſperſées dans tout l’empire. Ils1 s’en eſt établi de plus belles chez les Tlaſcalteques. Leur ancienne capitale, & la nouvelle qui eſt Angeles2, ſont le centre de cette induſtrie. On y fabrique des draps aſſez fins, des toiles de coton qui ont de l’agrément, quelques ſoiries, de bons chapeaux, des galons, des broderies, des denteles3, des verres, & beaucoup de clincaillerie4. Les arts ont dû faire naturellement plus de progrès dans une province qui avoit ſu conſerver long-tems ſon indépendance, que les Eſpagnols crurent devoir un peu ménager après la conquête, & qui avoit toujours montré plus de pénétration ; ſoit qu’elle la dût à ſon climat, ou à ſon gouvernement. A ces avantages, s’eſt joint celui de ſa5 poſition. Tous les habitans du Mexique qui paſſent néceſſàirement ſur ſon territoire, pour aller acheter les marchandiſes d’Europe arrivées à la Vera-Cruz6, ont trouvé commode de prendre ſur leur route ce que la flotte ne leur fourniſſoit pas, ou ce qu’elle leur vendoit trop cher.

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Le ſoin des troupeaux fait vivre quelques-uns des Mexicains, que la fortune, ou la nature n’ont pas appellés à des fonctions plus diſtinguées. L’Amérique, au tems de la1 découverte, n’avoit ni porcs, ni moutons, ni bœufs, ni chevaux, ni même aucun animal domeſtique. Colomb porta quelques-uns de ces animaux utiles à Saint-Domingue, d’où ils ſe répandirent partout, & plutôt qu’ailleurs2 au Mexique. Ils s’y ſont prodigieuſement multipliés. On compte par milliers les bêtes à cornes4, dont les peaux ſont devenues l’objet d’une exportation conſidérable. Les chevaux ont dégénéré, mais on compenſe la qualité par le nombre. Le lard des cochons y tient lieu de beurre. La laine des moutons y eſt ſeche, groſſiere & mauvaiſe comme elle l’eſt partout entre les tropiques.
Le ſoin des troupeaux fait vivre quelques-uns des Mexicains, que la fortune, ou la nature n’ont pas appellés à des fonctions plus diſtinguées. L’Amérique, au tems de ſa1 découverte, n’avoit ni porcs, ni moutons, ni [83]bœufs ni chevaux, ni même aucun animal domeſtique. Colomb porta quelques-uns de ces animaux utiles à Saint-Domingue, d’où ils ſe répandirent par-tout, & au Mexique plutôt qu’ailleurs3. Ils s’y ſont prodigieuſement multipliés. On compte par milliers les bêtes à corne4 dont les peaux ſont devenues l’objet d’une exportation conſidérable. Les chevaux ont dégénéré, mais on compenſe la qualité par le nombre. Le lard des cochons y tient lieu de beurre. La laine des moutons y eſt ſéche, groſſiere & mauvaiſe, comme elle l’eſt par-tout entre les tropiques.

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L’éloignement où étoient les anciennes & les nouvelles conquêtes du centre de l’autorité, fit juger qu’elles languiroient juſqu’à ce qu’on leur eût accordé une adminiſtration indépendante. On leur donna donc un commandant particulier, qui, avec un titre moins impoſant que celui du vice-roi de la Nouvelle-Eſpagne, jouit des mêmes prérogatives.

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II faut voir maintenant1 à quel degré de proſpérité s’eſt élevé2 le Mexique3, malgré les [449]énormes pertes que des ennemis étrangers lui ont fait eſſuyer, malgré les troubles domeſtiques qui lui ont ſi ſouvent déchiré le ſein.
Voyons1 à quel degré de prospérité s’est élevée la plus importante conquête que les Espagnols ont faite dans2 le Nouveau-Monde3 malgré les énormes pertes que des ennemis étrangers lui ont fait essuyer, malgré les troubles domestiques qui lui ont si souvent déchiré le sein.
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La grande Cordelière, après avoir traverſé toute l’Amérique Méridionale, s’abaiſſe & ſe retrécit dans l’iſtme de Panama ; ſuit dans la même forme les provinces de Coſta-Ricca, de Nicaragua, de Guatimala ; s’élargit, s’élève de nouveau dans le reſte du Mexique, mais ſans approcher jamais de la hauteur prodigieuſe qu’elle a dans le Pérou. Ce changement eſt ſur-tout remarquable vers la mer du Sud. Les rives y ſont très-profondes, & n’offrent un fonds que fort près de terre, tandis que dans la mer du Nord on le trouve à une très-grande diſtance du continent. Auſſi les rades ſont-elles auſſi bonnes, auſſi multipliées dans la première de ces mers, qu’elles ſont rares & mauvaiſes dans l’autre.

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Le climat d’une région ſituée preſqu’entiérement dans la Zone Torride, eſt alternativement humide & chaud. Ces variations ſont plus ſenſibles & plus communes dans les contrées baſſes, marécageuſes, remplies de forêts & incultes de l’Eſt, que dans les parties [450] de l’empire qu’une nature bienfaiſante a traitées plus favorablement.

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La qualité du ſol eſt auſſi très-différente. Il eſt quelquefois ingrat, quelquefois fertile, ſelon qu’il eſt montueux, uni ou ſubmergé.

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Les Eſpagnoſs ne ſe virent pas plutôt les maîtres de cette riche & vaſte région, qu’ils s’empreſſèrent d’y édifier des villes dans les lieux qui leur paroiſſoient le plus favorables au maintien de leur autorité, dans ceux qui leur promettoient de plus grands avantages de leur conquête. Ceux des Européens qui vouloient s’y fixer obtenoient une poſſeſſion aſſez étendue : mais ils étoient réduits à chercher des cultivateurs que la loi ne leur donnoit pas.

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Un autre ordre de choſes s’obſervoit dans les campagnes. Elles étoient la plupart diſtribuées aux conquérans pour prix de leur ſang ou de leurs ſervices. L’étendue de ces domaines, qui n’étoient accordés que pour deux ou trois générations, étoit proportionnée au grade & à la faveur. On y attacha, comme ſerfs, un nombre plus ou moins grand de Mexicains. Cortès en eut vingt-trois mille dans les provinces de Mexico, de Tlaſcala, [451]de Mechoacan & de Oaxaca, avec cette diſtinction qu’ils devoient être l’apanage de ſa famille à perpétuité. Il faut que l’oppreſſion ait été moindre dans ces poſſeſſions héréditaires que dans le reſte de l’empire, puiſqu’en 1746 on y comptoit encore quinze mille neuf cens quarante Indiens, dix-huit cens Eſpagnols, métis du mulâtres, & ſeize cens eſclaves noirs.

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Le Mexique est situé dans l’Amérique septentrionale, entre le septième et le trentième degré de latitude du nord. Il est borné au nord par la Louisiane, au midi par la mer du Sud, au couchant par la mer Vermeille, à l’orient par le golfe du Mexique et par l’isthme de Darien. On lui donne plus de huit cents lieues du nord-ouest au sud-ouest ; mais sa largeur, qui est fort irrégulière, n’est que de deux cent cinquante. Le pays est coupé dans toute sa longueur par une chaîne de montagnes qui heureusement sont moins hautes [339], moins larges, moins froides et moins stériles que les Cordilières du Pérou, dont elles paraissent la continuation.
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Cette région est trop étendue et trop inégale pour que le climat y puisse être partout le même. Elle est glaciale en plusieurs endroits, embrasée dans d’autres, mais le plus généralement d’une température agréable. Si l’on y respire un air malsain dans quelques gorges profondes, sur des plages basses, auprès des rivières qui débordent périodiquement, partout ailleurs il est salubre. Ceux de ses habitans qui ont des mœurs réglées arrivent au terme prescrit par la nature sans avoir éprouvé d’autres incommodités que celles auxquelles la triste humanité est exposée sur le reste du globe.
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La cour de Madrid ne vit pas plus tôt sa domination imperturbablement établie dans ces vastes contrées, qu’elle en confia le gouvernement à un chef unique. Sous son inspection furent établies trois audiences qui devaient rendre la justice et avoir aussi quelque part à l’administration. On attacha sept provinces à la juridiction de Guadalajara, huit à celle de Guatimala, et sept à celle de Mexico.
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Le pays n’avoit aucun des animaux néceſſaires pour la ſubſiſtance1 de ſes nouveaux habitans, pour le labourage & pour les autres2 beſoins inſéparables d’une ſociété un peu compliquée. On les fit venir3 des iſles4 déja ſoumiſes à la Caſtille qui elles-mêmes les avoient naguère5 reçus de notre7 hémiſphère. Ils propagèrent avec une incroyable célérité8. Tous dégénérèrent ; &9 comment, affoiblis10 par le trajet des mers, privés de leur nourriture originaire, livrés à des mains incapables de les élever & de les ſoigner : comment n’auroientils pas ſouffert des altérations ſenſibles ? La plus marquée11 fut celle qu’éprouva12 la brebis. Mendoza fit venir des béliers d’Eſpagne pour renouveller des races abâtardies13 ; & depuis cette époque, les toiſons ſe trouvèrent14 de [452]qualité ſuffiſante15 pour ſervir d’aliment à pluſieurs manufactures aſſez importantes16.
Le pays qu’on venait d’asservir voyait bien errer dans ses forêts plusieurs1 de nos quadrupèdes sauvages, quelques-uns même qui lui étaient propres ; mais il n’avait aucun des animaux domestiques qui servent si utilement la nourriture [340], au labourage, aux2 besoins inséparables d’une société un peu compliquée. On les tira3 des îles4 déjà soumises à la Castille, qui elles-mêmes les avaient reçus naguère6 de l’ancien7 hémisphère. Tous dégénérèrent très-rapidement. Eh9 ! comment, affaiblis10 par le trajet des mers, privés de leur nourriture originaire, livrés à des mains incapables de les élever et de les soigner, comment n’auraient-ils pas souffert une altération sensible ? Cependant, comme leur propagation ne diminuait pas, on se flatta qu’avec le temps ils redeviendraient ce qu’ils devaient être. Cette espérance ne11 fut pas toutefois trompée. Le bœuf, le porc, la chèvre, le cheval, recouvrèrent peu peu en partie ce qu’ils avaient perdu12. La brebis eut une destinée moins heureuse. Son lait et sa chair furent toujours d’une qualité inférieure13, et pendant long-temps il ne fut pas possible14 de mettre sa toison en œuvre. Depuis même que des béliers ont été envoyés d’Europe15 pour régénérer cette espèce abâtardie, sa dépouille n’a pu être employée que dans quelques étoffes d’un tissu trèsgrossier et de peu de durée16.
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La multiplication des troupeaux amena une grande augmentation dans les cultures. Au maïs, qui avoit toujours fait la principale nourriture des Mexicains, on aſſocia les grains de nos contrées. Dans l’origine, ils ne réuſſirentpas. Leurs ſemences jettées au haſard dans des ronces, ne donnèrent d’abord que des herbes épaiſſes & ſtériles. Un végétation trop rapide & trop vigoureuſe ne leur laiſſoit pas le tems de mûrir, ni même de ſe former : mais cette ſurabondance de ſucs diminua peu-à-peu; & l’on vit enfin proſpérer la plupart de nos grains, de nos légumes & de nos fruits.

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L’introduction des troupeaux devait amener une grande augmentation dans les cultures. Celle du maïs était la seule connue au Mexique, comme dans le reste du Nouveau-Monde. Les grains de l’ancien lui furent associés. Ils ne réussirent pas dans les premières années. Leurs semences, jetées au hasard sur des terres mal préparées, se [341]convertissaient en mauvaises herbes. Une végétation trop rapide et trop vigoureuse ne leur laissait pas le temps de mûrir, ni même de former des épis. Cette surabondance de sucs diminua peu à peu, et l’on vit prospérer le froment et l’orge, mais moins heureusement que dans le pays de leur origine.
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Les premières relations qu’on eut sur le Mexique célébraient toutes, avec plus ou moins d’exagération, les jardins du chef et des principaux membres de l’empire. Les fleurs et les simples qui les couvraient formaient, selon leurs auteurs, un des plus délicieux tableaux que l’œil pût contempler. Mais ils conviennent généralement qu’on n’y voyait ni racines, ni légumes. Ces objets même n’étaient cultivés nulle part. Les grands, comme le peuple, n’avaient en ce genre que ce que la nature seule, secondée par l’union continuelle de la chaleur et de l’humidité, faisait croître dans les campagnes. Les conquérans portèrent dans leur nouvelle acquisition les richesses qui abondaient dans les potagers d’Europe ; et ces plantes utiles et salutaires n’y perdirent rien de ce qui les faisait rechercher dans nos climats.
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La vigne & l’olivier ont éprouvé la même dégradation. La plantation en avoit été prohibéeau commencement dans1 la vue de laiſſer un débouché aux denrées de la métropole. On accorda en 1706 aux Jéſuites2, & peu après au marquis Del Valle, deſcendant de Cortez, la permiſſion de les cultiver. Les expériences n’ont pas été heureuſes. A la vérité, on n’a pas abandonnéce qui avoit été fait ; mais perſonne n’a ſollicité la liberté de ſuivre un exemple qui ne préſentoit pas de grands avantages. D’autre culturesont eu plus de ſuccès3.
La vigne & l’olivier ont éprouvé la mêmedégradation. La plantation en avoit été prohibée au commencement, dans1 la vue de laiſſer un débouché aux dénrées de la métropole. On accorda en 1706 aux Jéſuites2, & peu aprés au Marquis Del Valle, deſcendant de Cortez, la permiſſion de les cultiver. Les expériences n’ont pas été heureuſes. A la vérité, on n’a pas abandonné ce qui avoit été fait ; mais perſonne n’a ſollicité la liberté de ſuivre un exemple qui ne préſentoit pas de grands avantages. D’autres cultures ont eu plus de ſuccès3.
Si la vigne & l’olivier ne furent pas naturaliſésdans cette partie du Nouveau-Monde, ce fut le gouvernement qui l’empêcha, dans1 la vue de laiſſer des débouchés aux productionsde la métropole. Peut-être le ſol2 & le climat auroient-ils eux-mêmes repouſſé ces précieuſes plantes. Du moins eſt-on autoriſé le penſer quand on voit que les eſſais que vers 1706 il fut permis aux jéſuites & aux héritiers de Cortès de tenter, ne furent pas heureux, & que les expériences qu’on a [453]tentées depuis ne l’ont pas été beaucoup davantage3.
Entre les arbres fruitiers qui furent introduits au Mexique, les orangers, les citronniers, les figuiers, les pêchers, les abricotiers furent ceux qui se multiplièrent le plus, et qui réussirent le mieux1. La pomme, la poire, la prune, la cerise [342], y perdirent beaucoup de leur goût2 et de leur parfum. Dans la vue d’assurer un débouché aux plus importantes denrées de la métropole, il fut défendu la colonie de planter la vigne et l’olivier. On permit, en 1706, aux descendans de Cortez et aux jésuites d’en essayer la culture, liberté qui devint depuis générale. Cette faveur, car c’est ainsi qu’on osa nommer un acte de justice étroite, n’eut aucune suite. Le sol et le climat ont opiniâtrément repoussé ces productions3.
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Le coton, le ſucre, la ſoie1, le cacao, le tabac, les grains d’Europe [54]réuſſiſſent tous plus ou moins bien. On eſt encouragéaux travaux qu’ils exigent par le bonheur qu’ont eu les Eſpagnols2, de découvrir des mines de fer qui étoient entierement inconnues aux Mexicains, & des mines d’un cuivre aſſez dur pour ſervir à labourer les terres. Cependant, tous3 ces objets faute de bras ou d’activité ſont bornés à une4 circulation intérieure. Il n’y a que la vanille, l’indigo & la cochenille qui entrent dans le commerce du Mexique avec les autres nations5.
Le coton, le ſucre, la ſoie1, le cacao, le tabac, les grains d’Europe réuſſiſſent tous plus ou moins bien. On eſt encouragé aux travaux qu’ils exigent par le bonheur qu’ont eu les Eſpagnols2, de découvrir [84]des mines de fer qui étoient entierement inconnuesaux Mexicains, & des mines d’un cuivre aſſez dur pour ſervir labourer les terres. Cependant, tous3 ces objets, faute de bras, ou d’activité, ſont bornés une4 circulationintérieure. Il n’y a que la vanille, l’indigo& la cochenille, qui entrent dans le commercedu Mexique avec les autres nations5.
Le coton, le tabac1, le cacao, le ſucre, quelques autres productions réuſſirent généralement : mais faute2 de bras ou d’activité3, ces objets furent concentrés dans une4 circulation intérieure. Il n’y a que le jalap, la vanille, l’indigo & la cochenille qui entrent dans le commerce de la Nouvelle-Eſpagne avec les autres nations5.
Le coton, le tabac1, le cacao, le sucre, sont cultivés avec plus ou moins de succès dans le Mexique ; mais, faute2 de bras ou d’activité3, ces productions furent toujours concentrées dans la4 circulation intérieure. Le pays ne fournit au commerce extérieur que du jalap, de la vanille, de l’indigo et de la cochenille5.
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Le jalap eſt un des purgatifs les plus employés dans la médecine. Il tire ſon nom de la ville de Xalapa, aux environs de laquelle il croît abondamment. Sa racine, la ſeule partie qui ſoit d’uſage, eſt tubéreuſe, groſſe, alongée1 en forme de navet, blanche à l’intérieur & remplie d’un ſuc laiteux. La plante qu’elle produit a été long-tems2 inconnue. On ſait maintenant que c’eſt un liſeron ſemblable pour le port à celui de nos haies. Sa tige eſt grimpante, anguleuſe, légérement velue. Ses feuilles diſpoſées alternativement ſont aſſez grandes, veloutées en-deſſus3, ridées en-deſſous4, marquées de ſept nervures, quelquefois entières en cœur, quelquefois partagées en pluſieurs lobes plus ou [454]moins diſtincts. Les fleurs qui naiſſent par bouquets le long de la tige ont un calice glanduleux à ſa baſe, diviſé profondément en cinq parties & accompagné de deux feuilles florales. La corolle grande, conformée en cloche, blanchâtre en-dehors5, d’un pourpre foncé à l’intérieur, ſupporte cinq étamines blanches de longueur inégale. Le germen6 placé dans le milieu & ſurmonté d’un ſeul ſtyle, devient, en mûriſſant une capſule ronde, renfermant dans une ſeule loge quatre ſemences rouſſes & très-velues.
Le jalap est un des purgatifs les plus employés dans la médecine. Il tire son nom de la ville de Xalapa, aux environs de laquelle il croît abondamment. Sa racine, la seule partie qui soit d’usage, est tubéreuse, grosse, allongée1 en forme de navet, blanche à l’intérieur, et remplie d’un suc laiteux. La plante qu’elle produit a été long-temps2 inconnue. On sait maintenant que c’est un liseron semblable pour le port à celui de nos haies. Sa tige est grimpante, anguleuse, légèrement velue. Ses feuilles, disposées alternativement, sont assez grandes, veloutées en dessus3, ridées en [343]dessous4, marquées de sept nervures, quelquefois entières en cœur, quelquefois partagées en plusieurs lobes plus ou moins distincts. Les fleurs qui naissent par bouquets le long de la tige ont un calice glanduleux à sa base, divisé profondément en cinq parties, et accompagné de deux feuilles florales. La corolle, grande, conformée en cloche, blanchâtre en dehors5, d’un pourpre foncé à l’intérieur, supporte cinq étamines blanches de longueur inégale. Le germe6, placé dans le milieu et surmonté d’un seul style, devient, en mûrissant, une capsule ronde, renfermant dans une seule loge quatre semences rousses et très-velues.
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Cette plante ſe trouve non-ſeulement dans le voiſinage de Xalapa, mais encore ſur les ſables de la Vera-Crux1. On la cultive facilement. Le poids des racines eſt depuis douze juſqu’à vingt livres. On les coupe par tranches pour les faire ſécher. Elles acquièrent alors une couleur brune, un œil réſineux. Leur goût eſt un peu âcre & cauſe des nauſées. Le meilleur jalap eſt compact2, réſineux, brun, difficile à rompre & inflammable. On ne le donne qu’à une doſe très-petite, parce qu’il eſt très-actif & purge violemment. Son extrait réſineux fait par l’eſprit-de-vin eſt employé aux mêmes uſages, mais avec plus de précaution [455]. L’Europe en conſomme annuellement ſept mille cinq cens3 quintaux qu’elle paie 972,0004 livres.
Cette plante se trouve non-seulement dans le voisinage de Xalapa, mais encore sur les sables de la Véra-Cruz1. On la cultive facilement. Le poids des racines est depuis douze jusqu’à vingt livres. On les coupe par tranches pour les faire sécher. Elles acquièrent alors une couleur brune, un œil résineux. Leur goût est un peu âcre et cause des nausées. Le meilleur jalap est compacte2, résineux, brun, difficile à rompre et inflammable. On ne le donne qu’à une dose très-petite, parce qu’il est très-actif et purge violemment. Son extrait résineux fait par l’esprit-de-vin est employé aux mêmes usages, mais avec plus de précaution. L’Europe en consomme annuellement sept huit mille3 quintaux, qu’elle paie onze douze cent mille4 livres.
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La vanille eſt une plante qui, comme le liere1, s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les embraſſetrès-étroitement2, & s’éleve par leur3 ſecours. Sa tige qui n’a que peu de diamettre, n’eſt pas tout-à-fait ronde. Quoique très-ſouple, elle4 eſt aſſez dure. Son écorce eſt mince, fort adhérente6 & verte. Elle eſt partagée comme la vigne, par7 des nœuds éloignés les uns des autres de ſix à ſept pouces. C’eſt de ces nœuds que ſortentdes feuilles aſſez ſemblables à celles du laurier, mais plus longues, plus larges, plus épaiſſes, plus charnues. Elles font d’un verd très-vif, brillantes par deſſus8, & un peu pâles par deſſous. Les9 fleurs ſont noirâtres. Une petite gouſſe longue d’environ ſix pouces, large10 de quatre lignes, ridée, molaſſe, huileuſe, graſſe quoique caſſante ; peut être regardée comme le fruit de cette plante. L’intérieur de la gouſſe eſt tapiſſé d’une pulpe rouſſeâtre, aromatique11, un peu âcre, remplie d’une liqueur noire, huileuſe & balſamique, où nagent une infinitéde grains noirs, luiſans, & preſque imperceptibles12.
La vanille eſt une plante qui, comme le liere1, s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les embraſſe très-étroitement2, & s’éleve par leurs3 ſecours. Sa tige, qui n’a que peu de diametre, n’eſt pas tout-à-fait ronde. Quoique très-ſouple, elle4 eſt aſſez dure. Son écorce eſt mince, fort adhérente6 & verte. Elle eſt partagée comme la vigne, par7 des nœuds eloignés les uns des autres de ſix à ſept pouces. C’eſt de ces nœuds que ſortent des feuillesaſſez ſemblables à celles du laurier, mais plus longues, plus larges, plus épaiſſes, plus charnues. Elles ſont d’un verd très-vif, brillantespar-deſſus8, & un peu pâles par-deſſous. Les9 fleurs ſont noirâtres. Une petite gouſſe longue d’environ ſix pouces, large10 de quatre lignes, ridée, mollaſſe, huileuſe, graſſe, quoique caſſante, peut être regardée comme le fruit de cette plante. L’intérieurde la gouſſe eſt tapiſſé d’une poulpe rouſſeâtre, aromatique11, un peu âcre, remplie d’une liqueur noire, huileuſe & balſamique, [85]où nâgent une infinité de grains noirs, luiſans, & preſque imperceptibles12.
La vanille eſt une plante qui, comme le lierre1, s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les couvre preſqu’entiérement2 & s’élève par leur3 ſecours. Sa tige, de la groſſeur du petit doigt, eſt verdâtre, charnue, preſque cylindrique, noueuſe par intervalle, & ſarmenteuſe comme celle de la vigne. Chaque nœud4 eſt garni d’une feuille alterne5, aſſez épaiſſe, de forme ovale, longue de huit pouces6 & large de trois. Il pouſſe auſſi des racines qui pénétrant l’écorce7 des arbres en tirent une nourriture ſuffiſante pour ſoutenir quelque tems la plante en vigueur, lorſque par accident le bas de la tige eſt endommagé ou même ſéparé de la racine principale. Cette tige, parvenue une certaine hauteur, ſe ramifie, s’étend ſur les côtés8 & ſe couvre de bouquets de9 fleurs aſſez grandes, blanches en-dedans, verdâtres en-dehors. Cinq des diviſions10 de leur calice ſont longues, étroites & ondulées. La ſixième, plus intérieure, préſente la forme d’un cornet. Le piſtil qu’elles couronnent ſupporte une ſeule étamine. Il devient, [456]en mûriſſant11, un fruit charnu, compoſé comme une gouſſe de ſept huit pouces de longueur, qui s’ouvre en trois valves chargées de menues ſemences12.
La vanille est une plante qui, comme le lierre1, [344]s’accroche aux arbres qu’elle rencontre, les couvre presque entièrement2, et s’élève par leur3 secours. Sa tige, de la grosseur du petit doigt, est verdâtre, charnue, presque cylindrique, noueuse par intervalles, et sarmenteuse comme celle de la vigne. Chaque nœud4 est garni d’une feuille alterne5, assez épaisse, de forme ovale, longue de huit pouces6 et large de trois. Il pousse aussi des racines qui, pénétrant l’écorce7 des arbres, en tirent, une nourriture suffisante pour soutenir quelque temps la plante en vigueur, lorsque, par accident le bas de la tige est endédommagé, ou même séparé de la tige principale. Cette tige, parvenue à une certaine hauteur, se ramifie, s’étend sur les côtés8, et se couvre de bouquets de9 fleurs assez grandes, blanches en dedans, verdâtres en dehors. Cinq des divisions10 de leur calice sont longues, étroites et ondulées. La sixième, plus intérieure, présente la forme d’un cornet. Le pistil qu’elles couronnent supporte une seule étamine. Il devient, en mûrissant11, un fruit charnu, composé comme une gousse de sept à huit pouces de longueur, qui s’ouvre en trois valves chargées de menues semences12.
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Cette plante croît naturellement dans les terreins1 incultes, toujours humides, ſouvent inondés & couverts de grands arbres ; d’où l’on peut inférer que ces terreins2 ſont les plus propres à ſa culture. Pour la multiplier, il ſuffit de piquer au pied des arbres quelques rameaux ou ſarmens qui prennent racine & s’élèvent en peu de tems3. Quelques cultivateurs, pour préſerver leurs plants de la pourriture, préfèrent de les attacher aux arbres même à un pied de terre. Ces plants ne tardent pas à pouſſer des filets qui, deſcendant en ligne droite, vont s’enfoncer dans la terre & y former des racines.
Cette plante croît naturellement dans les terrains1 incultes, toujours humides, souvent inondés et couverts de grands arbres ; d’où l’on peut inférer que ces terrains2 sont les plus propres à sa culture. Pour la multiplier, il suffit de piquer au pied des arbres quelques rameaux ou sarmens, qui [345]prennent racine et s’élèvent en peu de temps3. Quelques cultivateurs, pour préserver leurs plants de la pourriture, préfèrent de les attacher aux arbres, même à un pied de terre. Ces plants ne tardent pas à pousser des filets qui, descendant en ligne droite, vont s’enfoncer dans la terre et y former des racines.
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La recolte de ces1 gouſſes commence vers la fin de ſeptembre, & dure juſqu’à2 la fin de décembre [55]. On les fait ſecher3l’ombre. Lorſqu’elles ſont ſeches & en état d’être gardées4, on les oingt extérieurement avec5 un peu d’huile6 de coco7, ou de calba8 pour les rendre ſouples10, les mieux conſerver11, empêcher qu’elles ne ſechent trop, ou qu'elles ne ſe briſent12.
La récolte de ces1 gouſſes commence vers la fin de ſeptembre, & dure juſqu’à2 la fin de décembre. On les fait ſécher3l’ombre. Lorſqu’elles ſont ſéches & en état d’être gardées4, on les oint extérieurement avec5 un peu d’huile6 de coco7, ou de calba8, pour les rendre ſouples10, les mieux conſerver11, empêcher qu’elles ne ſéchent trop, ou qu’elles ne ſe briſent12.
La récolte des1 gouſſes commence vers la fin de ſeptembre, & dure environ trois mois. L’aromate qui leur eſt particulier ne s’acquiert que par2 la préparation. Elle conſiſte enfiler pluſieurs gouſſes3, à les tremper un moment dans une chaudière d’eau bouillante pour les blanchir4. On les ſuſpend enſuite dans5 un lieu expoſé l’air libre & aux rayons du [457]ſoleil. Il découle alors6 de leur extrémité une liqueur viſqueuſe, ſurabondante, dont on facilite la ſortie par une preſſion légère, réitérée deux7 ou trois fois le jour8. Pour retarder la deſſiccation qui doit ſe faire lentement, on9 les enduit pluſieurs repriſes d’huile, qui conſerve leur molleſſe &10 les préſerve des inſectes. On les entoure auſſi d’un fil de coton pour11 empêcher qu’elles ne s’ouvrent. Lorſqu’elles ſont ſuffiſamment deſſéchées, on les paſſe dans des mains ointes d’huile, & on les met dans un pot verniſſé pour les conſerver fraîchement12.
La récolte des1 gousses commence vers la fin de septembre, et dure environ trois mois. L’aromate qui leur est particulier ne s’acquiert que par2 la préparation. Elle consiste à enfiler plusieurs gousses3, à les tremper un moment dans une chaudière d’eau bouillante pour les blanchir4. On les suspend ensuite dans5 un lieu exposé à l’air libre et aux rayons du soleil. Il découle alors6 de leur extrémité une liqueur visqueuse, surabondante, dont on facilite la sortie par une pression légère, réitérée deux7 ou trois fois le jour8. Pour retarder la dessication, qui doit se faire lentement, on9 les enduit, à plusieurs reprises, d’huile, qui conserve leur mollesse et10 les préserve des insectes. On les entoure aussi d’un fil de coton pour11 empêcher qu’elles ne s’ouvrent. Lorsqu’elles sont suffisamment desséchées, on les passe dans des mains ointes d’huile, et on les met dans un pot vernissé pour les conserver fraîchement12.
351
C’eſt à peu près1 tout ce qu’on fait de2 la vanille, deſtinée particulierement4 à parfumer le chocolat, dont l’uſage a paſſé des Mexicains aux Eſpagnols, & des Eſpagnols aux autres peuples. Il n’y a que celle qui croît dans les montagnes inacceſſibles de la nouvelle Eſpagne qui ait de la réputation. On ignore également le nombre5 de ſes eſpeces, qu’elles ſont les eſpeces6 les plus précieuſes, quel eſt le terroir qui leur convient le mieux, comment on7 les cultive, & de quelle maniere elles ſe multiplient. Tous ces ſecrets ſont reſtés aux naturels du pays. On prétend8 qu’ils ne ſont parvenus à ſe conſerver9 cette ſource de richeſſe, que par un ſerment fait entr’eux, de ne jamais rien révéler à leurs tyrans, & de ſouffrir les plus cruels tourmens plutôt que d’être parjures. Il eſt plus vraiſemblable qu’ils doivent un pareil avantage au caractere10 de la nation conquérante, qui contente11 des richeſſes qu’elle a acquiſes, accoutumée à une vie pareſſeuſe, à une douce ignorance, mépriſe également12, & les curioſités d’hiſtoire naturelle, & les efforts de ceux qui s’en occupent13. L’indigo lui eſt mieux connu14.
C’eſt à-peu-près1 tout ce qu’on ſait de2 la vanille, deſtinée particulierement4 à parfumer le chocolat, dont l’uſage a paſſé des Mexicains aux Eſpagnols, & des Eſpagnols aux autres peuples. Il n’y a que celle qui croît dans les montagnes inacceſſibles de la nouvelle Eſpagne, qui ait de la réputation. On ignore également le nombre5 de ſes eſpeces ; qu’elles ſont6 les plus précieuſes ; quel eſt le terroir qui leur convient le mieux ; comment on7 les cultive, & de quelle maniere elles ſe multiplient. Tous ces ſecrets ſont reſtés aux naturels du pays. On prétend8 qu’ils ne ſont parvenus à ſe conſerver9 cette ſource de richeſſe, que par un ſerment fait entr’eux, de ne jamais rien révéler à leurs tyrans, ſur la culture de la vanille, & de ſouffrir les plus cruels tourmens plutôt que d’être parjures. Il eſt plus vraiſemblable qu’ils doivent un pareil avantage au caractere10 de la nation conquérante, qui contente11 [86] des richeſſes acquiſes, accoutumée à une vie pareſſeuſe, une douce ignorance, mépriſe également12, & les curioſités d’hiſtoire naturelle, & les efforts de ceux qui s’en occupent13. L’indigo lui eſt pourtant mieux connu14.
Voilà1 tout ce qu’on ſait ſur2 la vanille particuliérement3 deſtinée à parfumer le chocolat dont l’uſage a paſſé des Mexicains aux Eſpagnols, & des Eſpagnols aux autres peuples ; & encore ces notions, tout-à-fait modernes, ſont-elles dues un naturaliſte François. Il n’eft pas poſſible que malgré l’indifférence qu’ils ont montrée juſqu’ici pour l’hiſtoire5 de la nature6, les maîtres de cette partie du Nouveau-Monde n’aient des connoiſſances plus approfondies. S’ils ne7 les ont pas communiquées, c’eſt ſans doute8 qu’ils ont voulu ſe réſerver excluſivement9 cette production [458]quoiqu’il n’en vienne annuellement en Europe que cinquante quintaux & qu’elle n’y ſoit pas vendue au-deſſus de 431,568 livres. Le tems10 de la révélation11 des lumières arrivera un jour12, & alors la vanille ſera auſſi généralement connue que l’eſt maintenant13 l’indigo.
Voilà1 tout ce qu’on sait sur2 la vanille, particulièrement3 destinée à parfumer le chocolat, dont l’usage a passé des Mexicains aux Espagnols, et des Espagnols aux autres peuples ; et encore ces [346]notions, tout-à-fait modernes, sont-elles dues à un naturaliste français. Il n’est pas possible que, malgré l’indifférence qu’ils ont montrée jusqu’ici pour l’histoire5 de la nature6, les maîtres de cette partie du Nouveau-Monde n’aient des connaissances plus approfondies. S’ils ne7 les ont pas communiquées, c’est sans doute8 qu’ils ont voulu se réserver exclusivement9 cette production, quoiqu’il n’en vienne annuellement en Europe que cinquante soixante quintaux, et quelle n’y soit pas vendue au-dessus de cinq six cent mille livres. Le temps10 de la révélation11 des lumières arrivera un jour12, et alors la vanille sera aussi généralement connue que l’est maintenant13 l’indigo.
352
L’indigotier eſt une eſpece d’arbriſſeau dont la racine groſſe1 de trois ou quatre lignes de diamettre, & longue2 de plus d’un pied, a une légére odeur tiran ſur celle du perſil. De cette racine ſort une ſeule tige à peu près3 de ſa groſſeur, [56]haute d’environ4 deux pieds, droite, dure, preſque ligneuſe, couverte d’une écorce légerement gercée de couleur de gris cendre vers le bas, verte dans le milieu, rougeâtre5 à l’extrêmité, & ſans apparence de moëlle en dedans. Les feuilles rangées deux à deux autour6 de la côte, ſont7 de figure ovale, liſſes, douces8 au toucher, ſillonnées au-deſſus, d’un verd foncé au-deſſous9, & attachées par une queue fort courte. Depuis environ le tiers de10 la tige juſques vers l’extrêmité, on voit des épis chargés de douze à quinze fleurs très-petites, & qui n’ont point d’odeur. Le piſtile qui eſt dans le milieu11 de chaque fleur, ſe change en une gouſſe, dans laquelle les ſemences ſont renfermées12.
L’indigotier eſt une eſpece de plante, dont la racine groſſe1 de trois ou quatre lignes de diametre & longue2 de plus d’un pied, a une légere odeur tirant ſur celle du perſil. De cette racine, ſort une ſeule tige peu-près3 de ſa groſſeur, haute d’environ4 deux pieds, droite, dure, preſque ligneuſe, couverte d’une écorce légerement gercée, de couleur de gris cendré vers le bas, verte dans le milieu, rougeâtre5 à l’extrêmité, & ſans apparence de moëlle en dedans. Les feuilles rangées deux à deux autour6 de la côte, ſont7 de figure ovale, liſſes, douces8 au toucher, ſillonnées au-deſſus, d’un verd foncé au-deſſous9, & attachées par une queue fort courte. Depuis environ le tiers de10 la tige juſques vers l’extrémité, on voit des épis chargés de douze à quinze fleurs très-petites, & qui n’ont point d’odeur. Le piſtil qui eſt dans le milieu11 de chaque fleur, ſe change en une gouſſe, dans laquelle les ſemences ſont renfermées12.
L’indigotier eſt une plante droite & aſſez touffue1. De ſa racine s’élève une tige ligneuſe, caſſante, haute2 de deux pieds, ramifiée dès ſon origine, blanche l’intérieur & couverte d’une écorce griſâtre. Les feuilles ſont alternes, compoſées3 de pluſieurs folioles, diſpoſées ſur4 deux rangs le long d’une côte commune, terminée par une foliole impaire & garnie ſa baſe de deux petites membranes que l’on nomme ſtipules5. A l’extrémité de chaque rameau ſe trouvent des épis de fleurs rougeâtres, papillionacées, aſſez petites & compoſées6 de quantité7 de pétales. Les étamines8 au nombre de dix9, & le piſtil ſurmonté d’un ſeul ſtyle, ſont diſpoſés comme dans10 la plupart des fleurs légumineuſes. Le piſtil ſe change en une petite gouſſe arrondie, légérement courbe, d’un pouce de longueur & d’une ligne & demie de largeur, remplie11 [459]de ſemences cylindriques, luiſantes & rembrunies12.
L’indigotier est une plante droite et assez touffue1. De sa racine s’élève une tige ligneuse, cassante, haute2 de deux pieds, ramifiée dès son origine, blanche à l’intérieur, et couverte d’une écorce grisâtre. Les feuilles sont alternes, composées3 de plusieurs folioles disposées sur4 deux rangs le long d’une côte commune, terminée par une foliole impaire, et garnie à sa base de deux petites membranes que l’on nomme stipules5. A l’extrémité de chaque rameau se trouvent des épis de fleurs rougeâtres, papilionacées, assez petites, et composées6 de quantité7 de pétales. Les étamines8, au nombre de dix9, et le pistil surmonté d’un seul style, sont disposés comme dans10 la plupart des fleurs légumineuses. Le pistil se change en une petite gousse arrondie, légèrement courbe, [347]d’un pouce de longueur et d’une ligne et demie de largeur, remplie11 de semences cylindriques, luisantes et rembrunies12.
353
Cette plante demande1 une terre graſſe, unie2, bien labourée, & qui ne ſoit pas trop ſeche. On ſeme ſa graine3, qui pour4 la figure5 & la couleur reſſemble à la poudre à canon, dans de petites6 foſſes de la largeur9 de la houe, de deux 11 trois pouces de profondeur, éloignées d’un pied les unes des autres, & en ligne droite le plus qu’il eſt poſſible. Il faut avoir une attention continuelle à arracher les mauvaiſes herbes qui étoufferoient aiſement l’indigotier. Quoiqu’on le puiſſe ſemer en toutes les ſaiſons, on préfére communément le printemps12 ; l’humidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours. Elle eſt mûre au bout de deux mois. On la coupe avec des couteaux courbés en ſerpettes, lorſqu’elle commence à fleurir, & les coupes continuent de ſix en ſix ſemaines ſi le tems13 eſt un peu pluvieux. Sa durée eſt d’environ deux ans. A cette époque14 elle dégénere, on l’arrache & on la renouvelle.
Cette plante demande1 une terre graſſe, unie2, bien labourée, & qui ne ſoit pas trop ſéche. On ſeme ſa graine3, qui pour4 la figure5 [87]& la couleur reſſemble à la poudre à canon, dans de petites6 foſſes de la largeur9 de la houe, de deux 11 trois pouces de profondeur, éloignées d’un pied les unes des autres, & en ligne droite le plus qu’il eſt poſſible. Il faut avoir une attention continuelle à arracher les mauvaiſes herbes qui étoufferoient aiſément l’indigotier. Quoiqu’on le puiſſe ſemer en toutes les ſaiſons, on préfere communément le printemps12 ; l’humidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours. Elle eſt mûre au bout de deux mois. On la coupe avec des couteaux courbés en ſerpettes, lorſqu’elle commence à fleurir : & les coupes continuent de ſix en ſix ſemaines ſi le tems13 eſt un peu pluvieux. Sa durée eſt d’environ deux ans ; après ce terme14 elle dégénere. On l’arrache, & on la renouvelle.
Cette plante veut1 une terre légère2, bien labourée & qui ne ſoit jamais inondée. L’on préfère pour cette raiſon des lieux3 qui ont de4 la pente, parce que cette poſition préſerve les champs du ſéjour des pluies qui flétriroient l’indigotier5, & des inondations qui le couvriroient d’un limon nuiſible. Les terreins bas & plats peuvent être encore employés pour cette culture, ſi l’on pratique des rigoles & des6 foſſés pour l’écoulement des eaux, & ſi l’on a la précaution7 de ne planter qu’après8 la ſaiſon des pluies qui occaſionnent ſouvent des débordemens. On jette la graine dans9 de petites foſſes faites avec10 la houe, de deux ou11 trois pouces de profondeur, éloignées d’un pied les unes des autres, & en ligne droite le plus qu’il eſt poſſible. Il faut avoir une attention continuelle à arracher les mauvaiſes herbes qui étoufferoient aiſément l’indigotier. Quoiqu’on le puiſſe ſemer en toutes les ſaiſons, on préfère communément le printems12. L’humidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours. Elle eſt mûre au bout de deux mois. On la coupe avec des couteaux [460] courbés en ſerpettes, lorſqu’elle commence à fleurir ; & les coupes continuent de ſix en ſix ſemaines, ſi le tems13 eſt un peu pluvieux. Sa durée eſt d’environ deux ans. Après ce terme14 elle dégénère. On l’arrache, & on la renouvelle.
Cette plante veut1 une terre légère2, bien labourée, et qui ne soit jamais inondée. L’on préfère pour cette raison des lieux3 qui ont de4 la pente, parce que cette position préserve les champs du séjour des pluies, qui flétriraient l’indigotier5, et des inondations, qui le couvriraient d’un limon nuisible. Les terrains bas et plats peuvent être encore employés pour cette culture, si l’on pratique des rigoles et des6 fossés pour l’écoulement des eaux, et si l’on a la précaution7 de ne planter qu’après8 la saison des pluies, qui occasionnent souvent des débordemens. On jette la graine dans9 de petites fosses faites avec10 la houe, de deux ou11 trois pouces de profondeur, éloignées d’un pied les unes des autres, et en ligne droite le plus qu’il est possible. Il faut avoir une attention continuelle à arracher les mauvaises herbes, qui étoufferaient aisément l’indigotier. Quoiqu’on le puisse semer en toutes les saisons, on préfère communément le printemps12. L’humidité fait lever la plante dans trois ou quatre jours. Elle est mûre au bout de deux mois. On la coupe avec des couteaux courbés en serpettes lorsqu’elle commence à fleurir, et les coupes continuent de six en six semaines, si le temps13 est un peu pluvieux. Sa durée est d’environ deux ans. Après ce terme14 elle dégénère. On l’arrache et on la renouvelle.
354
Comme cette plante épuiſe bientôt le ſol, [57]parce qu’elle ne pompe pas aſſez d’air & de roſée par ſes feuilles pour humecter la terre, il eſt avantageux au cultivateur d’avoir un vaſte eſpace qui demeure couvert d’arbres, juſqu’à ce qu’il convienne de les abattre pour faire occuper leur place par l’indigo. Car, il faut ſe repréſenter ces1 arbres comme des ſcyphons2 par leſquelles3 la terre & l’air ſe communiquent reciproquement leur ſubſtance fluide & végétative, des ſcyphons4 où les vapeurs & les ſucs s’attirant tour-à-tour5, ſe mettent en équilibre. Ainſi, tandis que la ſeve de la terre monte par les racines juſqu’aux branches, les feuilles aſpirent l’air & les vapeurs qui circulant par les fibres redeſcendent dans la terre, & lui rendent en roſée ce qu’elle perd en ſeve. C’eſt pour obéir à cette influence reciproque, qu’au défaut des arbres qui conſervent ces7 champs vierges pour y ſemer de l’indigo, on couvre ceux qui ſont uſés par cette plante de patates ou de hianes, dont les branches rampantes conſervent la fraîcheur de la terre, & dont les feuilles brûlées renouvellent la fertillité8.
Comme cette plante épuiſe bientôt le ſol, parce qu’elle ne pompe pas aſſez d’air & de roſée par ſes feuilles pour humecter la terre, il eſt avantageux au cultivateur d’avoir un vaſte eſpace qui demeure couvert d’arbres, juſqu’à ce qu’il convienne de les abattre, pour faire occuper leur place par l’indigo : car il faut ſe repréſenter les1 arbres comme des ſcyphons2 par leſquels3 la terre & l’air ſe communîquent réciproquement leur ſubſtance fluide & végétative, des ſcyphons4 où les vapeurs & les ſucs s’attirant tour-à-tour5, ſe mettent en [88]équilibre. Ainſi tandis que la ſeve de la terre monte par les racines juſqu’aux branches, les feuilles aſpirent l’air & les vapeurs qui circulant par les fibres de l’arbre6, redeſcendent dans la terre, & lui rendent en roſée ce qu’elle perd en ſeve. C’eſt pour obéir à cette influence reciproque, qu’au défaut des arbres qui conſervent les7 champs vierges pour y ſemer de l’indigo, on couvre ceux qui ſont uſés par cette plante de patates ou de lianes, dont les branches rampantes conſervent la fraîcheur de la terre, & dont les feuilles brûlées renouvellent la fertilité8.
Comme cette plante épuiſe bientôt le ſol, parce qu’elle ne pompe pas aſſez d’air & de roſée par ſes feuilles pour humecter la terre, il eſt avantageux au cultivateur d’avoir un vaſte eſpace qui demeure couvert d’arbres, juſqu’à ce qu’il convienne de les abattre, pour faire occuper leur place par l’indigo : car il faut ſe repréſenter les1 arbres comme des ſiphons2 par leſquels3 la terre & l’air ſe communiquent réciproquement leur ſubſtance fluide & végétative, des ſiphons4 où les vapeurs & les ſucs s’attirant tour-à-tour5, ſe mettent en équilibre. Ainſi, tandis que la ſève de la terre monte par les racines juſqu’aux branches, les feuilles aſpirent l’air & les vapeurs qui circulant par les fibres de l’arbre6 redeſcendent dans la terre, & lui rendent en roſée ce qu’elle perd en ſève. C’eſt pour obéir à cette influence réciproque, qu’au défaut des arbres qui conſervent les7 champs vierges [461]pour y ſemer de l’indigo, on couvre ceux qui ſont uſés par cette plante de patates ou de lianes, dont les branches rampantes conſervent la fraîcheur de la terre, & dont les feuilles brûlées renouvellent la fertilité8.
Comme cette plante épuise bientôt le sol, parce qu’elle ne pompe pas assez d’air et de rosée par ses feuilles pour humecter la terre, il est avantageux au cultivateur d’avoir un vaste espace qui demeure couvert d’arbres jusqu’à ce qu’il convienne de les abattre pour faire occuper leur place par l’indigo ; car il faut se représenter les1 arbres comme des siphons2 par lesquels3 la terre et l’air se communiquent réciproquement leur substance fluide et végétative, des siphons4 où les vapeurs et les sucs, s’attirant tour tour5, se mettent en équilibre. Ainsi, tandis que la sève de la terre monte par les racines jusqu’aux branches, les feuilles aspirent l’air et les vapeurs, qui, circulant par les fibres de l’arbre6, redescendent dans la terre et lui rendent en rosée ce qu’elle perd en sève. C’est pour obéir à cette influence réciproque qu’au défaut des arbres qui conservent les7 champs vierges pour y semer de l’indigo on, couvre ceux qui sont usés par cette plante de patates ou de lianes, dont les branches rampantes conservent la fraîcheur de la terre, et dont les feuilles brûlées renouvellent la fertilité8.
355
On diſtingue deux1 eſpeces d’indigo, le franc & le batard. Quoique l’un obtienne un plus haut prix à raiſon de ſa perfection5, il eſt communément avantageux de cultiver l’autre, parce qu’il eſt plus peſant. On trouve un plus grand nombre de terres propres au premier ; le ſecond réuſſit mieux dans celles qui ſont plus expoſées à la pluie. Tous deux ſont ſujets à de grands accidens. On en voit dont le pied ſeche, & tombe par la piquure9 d’un ver fort commun, ou dont les feuilles qui font leur prix, ſont dévorées en vingt-quatre heures par des11 chenilles. Ce dernier accident trop ordinaire, a fait dire [58]que les cultivateurs d’indigo, ſe couchent12 riches & ſe levent13 ruinés.
On diſtingue deux1 eſpeces d’indigo, le franc & le bâtard. Quoique l’un obtienne un plus haut prix, raiſon de ſa perfection5, il eſt communément avantageux de cultiver l’autre parce qu’il eſt plus peſant. On trouve un plus grand nombre de terres propres au premier ; le ſecond réuſſit mieux dans celles qui ſont plus expoſées à la pluie. Tous deux ſont ſujets à de grands accidens. On en voit dont le pied ſeche, & tombe par la piquûre9 d’un ver fort commun, ou dont les feuilles qui font leur prix, ſont dévorées en vingt-quatre heures par des11 chenilles. Ce dernier accident, trop ordinaire, a fait dire que les cultivateurs d’indigo ſe couchent12 riches & ſe levent13 ruinés.
On diſtingue pluſieurs1 eſpèces d’indigo, mais on n’en cultive que deux2. Le franc dont nous venons de parler3, & le bâtard qui en diffère par ſa tige beaucoup plus élevée, plus ligneuſe & plus durable ; par ſes folioles plus longues & plus étroites ; par ſes gouſſes plus courbes ; par ſes ſemences noirâtres4. Quoique l’un obtienne un plus haut prix, il eſt communément avantageux de cultiver l’autre, parce qu’on le renouvelle moins ſouvent6, qu’il eſt plus peſant, qu’il donne plus de feuilles dont le produit eſt cependant moindre, volume égal7. On trouve un plus grand nombre de terres propres au premier ; le ſecond réuſſit mieux dans celles qui ſont plus expoſées à la pluie. Tous deux ſont ſujets à de grands accidens dans le premier âge. Ils ſont quelquefois brûlés par l’ardeur du ſoleil ou étouffés ſous une toile dont un ver particulier ces régions les entoure8. On en voit dont le pied ſèche & tombe par la piquûre9 [462]d’un autre10 ver fort commun, ou dont les feuilles qui font leur prix ſont dévorées en vingt-quatre heures par les11 chenilles. Ce dernier accident trop ordinaire a fait dire que les cultivateurs d’indigo ſe couchoient12 riches & ſe levoient13 ruinés.
On distingue plusieurs1 espèces d’indigo ; mais on n’en cultive que deux2 : le franc, dont nous venons de parler3 ; et le bâtard, qui en diffère par sa tige beaucoup plus élevée, plus ligneuse et plus durable, par ses folioles plus longues et plus étroites, par ses gousses plus courbes, par ses semences noirâtres4. Quoique l’un obtienne un [349]plus haut prix, il est communément avantageux de cultiver l’autre, parce qu’on le renouvelle moins souvent6, qu’il est plus pesant, qu’il donne plus de feuilles, dont le produit est cependant moindre, à volume égal7. On trouve un plus grand nombre de terres propres au premier ; le second réussit mieux dans celles qui sont plus exposées à la pluie. Tous deux sont sujets à de grands accidens dans le premier âge. Ils sont quelquefois brûlés par l’ardeur du soleil, ou étouffés sous une toile dont un ver particulier à ces régions les entoure8. On en voit dont le pied sèche et tombe par la piqûre9 d’un autre10 ver fort commun, ou dont les feuilles, qui font leur prix, sont dévorées en vingt-quatre heures par les11 chenilles. Ce dernier accident, trop ordinaire, a fait dire que les cultivateurs d’indigo se couchaient12 riches et se levaient13 ruinés.
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Cette production doit être ramaſſée avec précaution, de peur qu’en la ſecouant on ne faſſe tomber la farine attachée aux feuilles, qui eſt très-précieuſe. On la jette dans la trempoire ; c’eſt une grande cuve remplie d’eau. Il s’y fait une formentation1 qui dans vingt-quatre heures au plus tard arrive au dégré qu’on deſire. On ouvre alors un robinet pour faire couler l’eau dans une ſeconde cuve, appellée2 la batterie. On nettoie auſſi-tôt la trempoire afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, & de continuer le travail ſans interruption.
Cette production doit être ramaſſée avec [89]précaution, de peur qu’en la ſecouant on ne faſſe tomber la farine attachée aux feuilles, qui eſt très-précieuſe. On la jette dans la trempoire ; c’eſt une grande cuve, remplie d’eau. Il s’y fait une fermentation1 qui, dans vingt-quatre heures au plus tard, arrive au dégré qu’on deſire. On ouvre alors un robinet pour faire couler l’eau dans une ſeconde cuve, appellée2 la batterie. On nettoie auſſi-tôt la trempoire afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, & de continuer le travail ſans interruption.
Cette production doit être ramaſſée avec précaution, de peur qu’en la ſecouant on ne faſſe tomber la farine attachée aux feuilles, qui eſt très-précieuſe. On la jette dans la trempoire. C’eſt une grande cuve, remplie d’eau. Il s’y fait une fermentation1 qui, dans vingt-quatre heures au plus tard, arrive au degré qu’on deſire. On ouvre alors un robinet pour faire couler l’eau dans une ſeconde cuve, appellée2 la batterie. On nettoie auſſi-tôt la trempoire afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, & de continuer le travail ſans interruption.
Cette production doit être ramassée avec précaution, de peur qu’en la secouant on ne fasse tomber la farine attachée aux feuilles, qui est trèsprécieuse. On la jette dans la trempoire. C’est une grande cuve remplie d’eau. Il s’y fait une fermentation1 qui, dans vingt-quatre heures au plus tard, arrive au degré qu’on désire. On ouvre alors un robinet pour faire couler l’eau dans une seconde cuve, appelée2 la batterie. On nettoie aussi-tôt la trempoire, afin de lui faire recevoir de nouvelles plantes, et de continuer le travail sans interruption.
357
L’eau qui a paſſé dans la1 batterie ſe trouve impregnée d’une terre très-ſubtile qui conſtitue ſeule la fécule, ou ſubſtance bleue que l’on cherche, & qu’il faut ſéparer du ſel inutile de la plante, parce qu’il fait ſurnager la fécule. Pour y parvenir, on agite violemment l’eau avec des ſeaux de bois percés, attachés à un long manche. Cet exercice exige la plus grande préciſion3. Si on ceſſoit trop-tôt4 de battre, on perdroit la partie colorante qui n’auroit pas encore été ſéparé5 du ſel. Si au contraire, on continuoit de battre la teinture après l’entiere ſéparation, les parties ſe rapprocheroient, formeroient une nouvelle combinaiſon ; & le ſel par ſa réaction ſur la fécule, exciteroit une ſeconde fermentation qui altéreroit la teinture & noirciroit la couleur, & feroit ce qu’on appelle indigo brûlé. Ces accidens ſont prévenus par une attention ſuivie aux moindres phénomenes7, & par la précaution que prend l’artiſte de8 puiſer par intervalle avec un vaſe propre un peu de la teinture9. Lorſqu’il s’apperçoit10 que les molecules colorées ſe raſſemblent en [59]ſe ſéparant du reſte de la liqueur, il fait ceſſer le mouvement des ſeaux pour donner le tems11 à la fécule bleue de ſe précipiter au fond de la cuve, où on la laiſſe ſe raſſeoir juſqu’à ce que l’eau ſoit totalement éclaircie. On débouche alors ſucceſſivement des trous percés à différentes hauteurs, par leſquels cette eau inutile ſe répand en dehors12.
L’eau qui a paſſé dans ſa1 batterie ſe trouve impregnée d’une terre très-ſubtile qui conſtitue ſeule la fécule ou ſubſtance bleue que l’on cherche, & qu’il faut ſéparer du ſel inutile de la plante, parce qu’il fait ſurnager la fécule. Pour y parvenir, on agite violemment l’eau avec des ſeaux de bois percés &2 attachés à un long manche. Cet exercice exige la plus grande précaution3. Si on ceſſoit trop tôt4 de battre, on perdroit la partie colorante qui n’auroit pas encore été ſéparé5 du ſel. Si au contraire, on continuoit de battre la teinture après l’entiere ſéparation, les parties ſe rapprocheroient, formeroient une nouvelle combinaiſon ; & le ſel par ſa réaction ſur la fécule, exciteroit une ſeconde fermentation qui altéreroit la teinture &6 en noirciroit la couleur, & feroit ce qu’on appelle indigo brûlé. Ces [90]accidens ſont prévenus par une attention ſuivie aux moindres changemens que ſubit la teinture7, & par la précaution que prend l’ouvrier d’en8 puiſer un peu de tems en tems avec un vaſe propre9. Lorſqu’il s’apperçoit10 que les molécules colorées ſe raſſemblent en ſe ſéparant du reſte de la liqueur, il fait ceſſer le mouvement des ſeaux pour donner le tems11 à la fécule bleue de ſe précipiter au fond de la cuve, où on la laiſſe ſe raſſeoir juſqu’à ce que l’eau ſoit totalement éclaircie. On débouche alors ſucceſſivement des trous percés à différentes hauteurs, par leſquels cette eau inutile ſe répand en dehors12.
L’eau qui a paſſé dans la1 batterie ſe trouve imprégnée d’une terre très-ſubtile qui conſtitue ſeule la fécule ou ſubſtance bleue que l’on cherche, & qu’il faut ſéparer du ſel inutile de la plante, parce qu’il fait ſurnager la fécule. Pour y parvenir, on agite violemment l’eau avec des ſeaux de bois percés &2 attachés à [463]un long manche. Cet exercice exige la plus grande précaution3. Si on ceſſoit trop tôt4 de battre, on perdroit la partie colorante qui n’auroit pas encore été ſéparée5 du ſel. Si au contraire, on continuoit de battre la teinture après l’entière ſéparation, les parties ſe rapprocheroient, formeroient une nouvelle combinaiſon ; & le ſel par ſa réaction ſur la fécule, exciteroit une ſeconde fermentation qui altéreroit la teinture, en noirciroit la couleur, & feroit ce qu’on appelle indigo brûlé. Ces accidens ſont prévenus par une attention ſuivie aux moindres changemens que ſubit la teinture7, & par la précaution que prend l’ouvrier d’en8 puiſer un peu, de tems en tems, avec un vaſe propre9. Lorſqu’il s’apperçoit10 que les molécules colorées ſe raſſemblent en ſe ſéparant du reſte de la liqueur, il fait ceſſer le mouvement des ſeaux pour donner le tems11 à la fécule bleue de ſe précipiter au fond de la cuve, où on la laiſſe ſe raſſeoir juſqu’à ce que l’eau ſoit totalement éclaircie. On débouche alors ſucceſſivement des trous percés à différentes hauteurs, par leſquels cette eau inutile ſe répand en-dehors12.
L’eau qui a passé dans la1 batterie se trouve imprégnée d’une terre très-subtile, qui constitue seule la fécule ou substance bleue que l’on cherche, et qu’il faut séparer du sel inutile de la plante, parce qu’il fait surnager la fécule. Pour y parvenir, on agite violemment l’eau avec des seaux de bois percés et2 attachés à un long manche. Cet exercice exige la plus grande précaution3. Si on cessait trop tôt4 de battre, on perdrait la partie colorante qui n’aurait pas encore été séparée5 du sel. Si, au contraire, on continuait de battre la teinture après l’entière séparation, les parties se rapprocheraient, formeraient une nouvelle combinaison, et le sel, par sa réaction sur la fécule, exciterait une seconde fermentation qui altérerait la teinture, en noircirait la couleur, et ferait ce qu’on appelle indigo brûlé. Ces accidens sont prévenus par une attention suivie aux moindres changemens que subit la teinture7, et par la précaution que prend l’ouvrier d’en8 puiser un peu de temps en temps avec un vase propre9. Lorsqu’il s’aperçoit10 que les molécules colorées se rassemblent en se séparant du reste de la liqueur, il fait cesser le mouvement des seaux pour donner le temps11 à la fécule bleue de se précipiter au fond de la cuve, où on la laisse se rasseoir jusqu’à ce que l’eau soit totalement éclaircie. On débouche alors successivement des trous percés à différentes hauteurs, par lesquels cette eau inutile se répand en dehors12.
358
La fécule bleue qui eſt reſtée au fond de la batterie, ayant acquis la conſiſtance d’une boue liquide, on ouvre des robinets qui la font paſſer dans le repoſoir. Après qu’elle s’eſt encore dégagée de beaucoup d’eau ſuperflue dans cette troiſieme & derniere cuve, on la met1 égoutter dans des ſacs, d’où, quand il ne filtre plus d’eau au travers de la toile ; cette matiere devenue plus épaiſſe eſt miſe dans des caiſſons où elle acheve de perdre ſon humidité. Au bout de trois mois, l’indigo eſt en état d’être vendu.
La fécule bleue qui eſt reſtée au fond de la batterie, ayant acquis la conſiſtance d’une boue liquide, on ouvre des robinets qui la font paſſer dans le repoſoir. Après qu’elle s’eſt encore dégagée de beaucoup d’eau ſuperflue dans cette troiſieme & derniere cuve, on la fait1 égoutter dans des ſacs ; d’où, quand il ne filtre plus d’eau au travers de la toile, cette matiere devenue plus épaiſſe, eſt miſe dans des caiſſons où elle acheve de perdre ſon humidité. Au bout de trois mois, l’indigo eſt en état d’être vendu.
La fécule bleue qui eſt reſtée au fond de [464]la batterie, ayant acquis la conſiſtance d’une boue liquide, on ouvre des robinets qui la font paſſer dans le repoſoir. Après qu’elle s’eſt encore dégagée de beaucoup d’eau ſuperflue dans cette troiſième & dernière cuve, on la fait1 égoutter dans des ſacs ; d’où, quand il ne filtre plus d’eau au travers de la toile, cette matière devenue plus épaiſſe, eſt miſe dans des caiſſons où elle achève de perdre ſon humidité. Au bout de trois mois, l’indigo eſt en état d’être vendu.
La fécule bleue qui est restée au fond de la batterie [351] ayant acquis la consistance d’une boue liquide, on ouvre des robinets qui la font passer dans le reposoir. Après qu’elle s’est encore dégagée de beaucoup d’eau superflue dans cette troisième et dernière cuve, on la fait1 égoutter dans des sacs, d’où, quand il ne filtre plus d’eau au travers de la toile, cette matière, devenue plus épaisse, est mise dans des caissons, où elle achève de perdre son humidité. Au bout de trois mois, l’indigo est en état d’être vendu.
359
Les blanchiſſeuſes l’emploient pour donner une couleur bleuâtre au linge. Les peintres s’en ſervent dans leurs détrempes. Les teinturiers ne ſauroient faire de beau bleu ſans indigo. Les anciens le tiroient de l’Inde Orientale. Il a été tranſplanté dans des tems1 modernes en Amérique. Sa culture eſſayée ſucceſſivement en différens endroits, paroît fixée à la Caroline, à Saint-Domingue & au Mexique. L’indigo connu ſous le nom de guatimala, d’où il vient, eſt2 le plus parfait3 de tous. La nouvelle Eſpagne tire un aſſez grand avantage4 de cette plante ; mais elle gagne encore plus au commerce de la cochenille5.
Les blanchiſſeuſes l’emploient pour donner une couleur bleuâtre au linge. Les peintres s’en ſervent dans leurs détrempes. Les teinturiers ne ſauroient faire de beau bleu ſans [91]indigo. Les anciens le tiroient de l’Inde orientale. Il a été tranſplanté dans des tems1 modernes en Amérique. Sa culture eſſayée ſucceſſivement en différens endroits, paroît fixée à la Caroline, à Saint-Domingue & au Mexique. L’indigo connu ſous le nom de Guatimala, d’où il vient, eſt2 le plus parfait3 de tous. La nouvelle Eſpagne tire un aſſez grand avantage4 de cette plante ; mais elle gagne encore plus au commerce de la cochenille5.
Les blanchiſſeuſes l’emploient pour donner une couleur bleuâtre au linge. Les peintres s’en ſervent dans leurs détrempes. Les teinturiers ne ſauroient faire de beau bleu ſans indigo. Les anciens le tiroient de l’Inde Orientale. Il a été tranſplanté, dans des tems1 modernes, en Amérique. Sa culture eſſayée ſucceſſivement en différens endroits, paroît fixée à la Caroline, à la Géorgie, la Floride, la Louyſiane, Saint-Domingue & au Mexique. Ce dernier2, le plus recherché3 de tous, eſt connu ſous le nom de Guatimala, parce qu’il croît ſur le territoire4 de cette cité fameuſe. On ſe l’y procure d’une manière qui mérite d’être remarquée5.
Les blanchisseuses l’emploient pour donner une couleur bleuâtre au linge. Les peintres s’en servent dans leurs détrempes. Les teinturiers ne sauraient faire de beau bleu sans indigo. Les anciens le tiraient de l’Inde orientale. Il a été transplanté, dans des temps1 modernes, en Amérique. Sa culture, essayée successivement en différens endroits, paraît fixée à la Caroline, à la Géorgie, à la Floride, à la Louisiane, à Saint-Domingue et au Mexique. Ce dernier2, le plus recherché3 de tous, est connu sous le nom de Guatimala, parce qu’il croît sur le territoire4 de cette cité fameuse. On se l’y procure d’une manière qui mérite d’être remarquée5.
360

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Dans ces belles contrées où chaque propriété a quinze ou vingt lieues d’étendue, une portion de ce vaſte eſpace eſt employé1 tous les ans à la culture de l’indigo. Pour l’obtenir, les travaux ſe réduiſent à brûler les arbuſtes qui couvrent les campagnes, à donner aux terres un ſeul labour fait avec négligence. Ces opérations ont lieu dans le mois de mars, ſaiſon où il ne pleut que trèsrarement dans ce délicieux climat. Un homme à cheval jette enſuite la graine de cette plante de la même manière qu’on ſème le bled2 en Europe. Perſonne ne s’occupe plus de cette riche production juſqu’à la récolte.
Dans ces belles contrées où chaque propriété a quinze ou vingt lieues d’étendue, une portion de ce vaste espace est employée1 tous les ans à la culture de l’indigo. Pour l’obtenir, les travaux se réduisent à brûler les arbustes qui couvrent les campagnes, à donner aux terres un seul labour [352]fait avec négligence. Ces opérations ont lieu dans le mois de mars, saison où il ne pleut que trèsrarement dans ce délicieux climat. Un homme à cheval jette ensuite la graine de cette plante de la même manière qu’on sème le blé2 en Europe. Personne ne s’occupe plus de cette riche production jusqu’à la récolte.
361

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Il arrive de-là1 que l’indigo lève dans un endroit & qu’il ne lève point2 dans d’autres ; que celui qui eſt levé eſt ſouvent étouffé par les plantes paraſites dont des ſarclages faits à propos l’auroient débarraſſé. Auſſi les Eſpagnols recueillent-ils moins d’indigo ſur 33 ou 44 lieues de terrein5 que les nations rivales dans quelques arpens bien travaillés. Auſſi leur indigo, quoique fort ſupérieur à tous les autres n’a-t-il pas toute la perfection dont il ſeroit ſuſceptible. L’Europe en reçoit annuellement ſix mille quintaux, qu’elle paie 7,626,960 liv7.
Il arrive de là1 que l’indigo lève dans un endroit et qu’il ne lève pas2 dans d’autres ; que celui qui est levé est souvent étouffé par les plantes parasites dont des sarclages faits à propos l’auraient débarrassé. Aussi les Espagnols recueillent-ils moins d’indigo sur trois3 ou quatre4 lieues de terrain5 que les nations rivales dans quelques arpens bien travaillés. Aussi leur indigo, quoique fort supérieur à tous les autres, n’a-t-il pas toute la perfection dont il serait susceptible. L’Europe en reçoit annuellement six sept6 mille quintaux, qu’elle paie huit ou neuf millions de livres7.
362

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Cette proſpérité augmenteroit infailliblement, ſi la cour de Madrid mettoit les naturels du pays en état de cultiver l’indigo pour leur propre compte. Cet intérêt perſonnel, ſubſtitué à un intérêt étranger, les rendroit plus actifs, plus intelligens ; & il eſt vraiſemblable que l’abondance & la bonté de l’indigo du Mexique banniroient, avec le tems1, celui des autres colonies de tous les marchés.
Cette prospérité augmenterait infailliblement, si la cour de Madrid mettait les naturels du pays en état de cultiver l’indigo pour leur propre compte. Cet intérêt personnel, substitué à un intérêt étranger, les rendrait plus actifs, plus intelligens ; et il est vraisemblable que l’abondance et la bonté de l’indigo du Mexique banniraient, avec le temps1, celui des autres colonies de tous les marchés.
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La cochenille, à laquelle nous devons nos belles couleurs de pourpre & d’écarlate, n’a exiſté juſqu’ici qu’au Mexique. J’avois1 avancé d’après les meilleurs auteurs, même Eſpagnols, que la nature de cette couleur étoit inconnue avant le commencement du ſiècle. En remontant aux originaux, j’ai trouvé qu’Acoſta, en 1530, & Herrera, en 1601, l’avoient auſſi bien décrite que nos modernes naturaliſtes. Je me retracte donc ; & je ſuis bien fâché de ne m’être pas trompé plus ſouvent dans ce que j’ai écrit des Eſpagnols. Grace à l’ignorance des voyageurs & à la légéreté avec laquelle ils conſidèrent les productions de la nature dans tous les règnes, ſon hiſtoire ſe remplit de fauſſetés qui paſſent d’un ouvrage dans un autre, & que des auteurs qui [467]ſe copient ſucceſſivement, tranſmettent d’âge en âge. On n’examine guère ce qu’on croit bien ſavoir ; & c’eſt ainſi qu’après avoir propagé les erreurs, les témoignages qui retardent l’obſervation en prolongent encore la durée. Un autre inconvénient, c’eſt que les philoſophes perdent un tems2 précieux à élever des ſyſtêmes qui nous en impoſent juſqu’à ce que les prétendus faits qui leur ſervoient de baſe aient été démentis.
La cochenille, à laquelle nous devons nos belles couleurs de pourpre et d’écarlate, n’a existé [353]jusqu’ici qu’au Mexique. J’avais1 avancé, d’après les meilleurs auteurs, même espagnols, que la nature de cette couleur était inconnue avant le commencement du siècle. En remontant aux originaux, j’ai trouvé qu’Acosta, en 1530, et Herréra, en 1601, l’avaient aussi bien décrite que nos modernes naturalistes. Je me rétracte donc ; et je suis bien fâché de ne m’être pas trompé plus souvent dans ce que j’ai écrit des Espagnols. Grâce à l’ignorance des voyageurs et à la légèreté avec laquelle ils considèrent les productions de la nature dans tous les règnes, son histoire se remplit de faussetés qui passent d’un ouvrage dans un autre, et que des auteurs qui se copient successivement transmettent d’âge en âge. On n’examine guère ce qu’on croit bien savoir ; et c’est ainsi qu’après avoir propagé les erreurs, les témoignages qui retardent l’observation en prolongent encore la durée. Un autre inconvénient, c’est que les philosophes perdent un temps2 précieux à élever des systèmes qui nous en imposent jusqu’à ce que les prétendus faits qui leur servaient de base aient été démentis.
364

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La cochenille eſt un inſecte de la groſſeur & de la forme d’une punaiſe. Les deux ſexes y ſont diſtincts, comme dans la plupart des autres animaux. La femelle, fixée ſur un point de la plante preſqu’au moment de ſa naiſſance, y reſte toujours attachée par une eſpèce de trompe & ne préſente qu’une croute preſque hémiſphérique qui recouvre toutes les autres parties. Cette enveloppe change deux fois en vingt-cinq jours & eſt enduite d’une pouſſière blanche, graſſe, impénétrable à l’eau. A ce terme, qui eſt l’époque de la puberté, le mâle, beaucoup plus petit & dont la forme eſt plus dégagée, ſort d’un tuyau farineux, à l’aide d’aîles dont il eſt pourvu. Il voltige au-deſſus des femelles immobiles & s’arrête [468]ſur chacune d’elles. La même femelle eſt ainſi viſitée par pluſieurs mâles qui périſſent bientôt après la fécondation. Son volume augmente ſenſiblement juſqu’à ce qu’une goutte de liqueur, éhappée de deſſous elle, annonce la ſortie prochaine des œufs qui ſont en grand nombre. Les petits rompent leur envelope en naiſſant & ſe répandent bientôt ſur la plante pour choiſir une place favorable & pour s’y fixer. Ils cherchent ſur-tout à ſe mettre à l’abri du vent d’Eſt. Auſſi l’arbriſſeau ſur lequel ils vivent, vu de ce côté-là, paroît-il tout verd ; tandis qu’il eſt blanc du côté oppoſé ſur lequel les inſectes ſe ſont portés de préférence.
La cochenille est un insecte de la grosseur et de la forme d’une punaise. Les deux sexes y sont distincts comme dans la plupart des autres animaux. La femelle, fixée sur un point de la plante presqu’au moment de sa naissance, y reste toujours attachée par une espèce de trompe, et ne présente qu’une croûte presque hémisphérique [354]qui recouvre toutes les autres parties. Cette enveloppe change deux fois en vingt-cinq jours, et est enduite d’une poussière blanche, grasse, impénétrable à l’eau. A ce terme, qui est l’époque de la puberté, le mâle, beaucoup plus petit, et dont la forme est plus dégagée, sort d’un tuyau farineux, à l’aide d’ailes dont il est pourvu. Il voltige au-dessus des femelles immobiles, et s’arrête sur chacune d’elles. La même femelle est ainsi visitée par plusieurs mâles, qui périssent bientôt après la fécondation. Son volume augmente sensiblement jusqu’à ce qu’une goutte de liqueur, échappée de dessous elle, annonce la sortie prochaine des œufs, qui sont en grand nombre. Les petits rompent leur enveloppe en naissant, et se répandent bientôt sur la plante pour choisir une place favorable et pour s’y fixer. Ils cherchent surtout à se mettre à l’abri du vent d’est. Aussi l’arbrisseau sur lequel ils vivent, vu de ce côté-là, paraît-il tout vert, tandis qu’il est blanc du côté opposé sur lequel les insectes se sont portés de préférence.
365

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Cet arbriſſeau, connu ſous le nom de nopal, de raquette & de figue1 d’Inde, a environ cinq pieds de haut. Sa tige eſt charnue, large, applatie2, veloutée, un peu âpre, couverte de houppes d’épine répandues ſymétriquement ſur ſa ſurface. Elle ſe ramifie beaucoup & ſe retrécit, ainſi que les rameaux, dans chacun de ſes points de diviſion : ce qui donne aux diverſes portions de la plante, ainſi étranglée, la forme d’une feuille ovale, épaiſſe & épineuſe. Cette plante n’a point d’autres feuilles. Ses fleurs éparſes ſur les jeunes tiges [469]ſont compoſées d’un calice écailleux qui ſupporte beaucoup de pétales & d’étamines. Le piſtil, ſurmonté d’un ſeul ſtyle & caché dans le fond du calice, devient avec lui un fruit bon à manger, ſemblable à une figue, rempli de ſemences nichées dans une pulpe rougeâtre.
Cet arbrisseau, connu sous le nom de nopal, de raquette et de figuier1 d’Inde, a environ cinq pieds de haut. Sa tige est charnue, large, aplatie2, veloutée, un peu âpre, couverte de houppes d’épine répandues symétriquement sur sa surface. Elle se ramifie beaucoup, et se rétrécit, ainsi que les rameaux, dans chacun de ses points de division ; ce qui donne aux diverses portions de [355]la plante ainsi étranglée la forme d’une feuille ovale, épaisse et épineuse. Cette plante n’a point d’autres feuilles. Ses fleurs, éparses sur les jeunes tiges, sont composées d’un calice écailleux qui supporte beaucoup de pétales et d’étamines. Le pistil, surmonté d’un seul style, et caché dans le fond du calice, devient avec lui un fruit bon à manger, semblable à une figue, rempli de semences nichées dans une pulpe rougeâtre.
366

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Il y a pluſieurs eſpèces de nopal. Ceux qui ont la tige liſſe les épines nombreuſes & trop rapprochées ne ſont point propres à l’éducation de la cochenille. Elle ne réuſſit bien que ſur celui qui a peu d’épines & une ſurface veloutée, propre à lui donner une aſſiette plus aſſurée. Il craint les vents, les pluies froides & la trop grande humidité. La méthode de le recéper n’eſt pas avantageuſe. On gagne plus à le replanter tous les ſix ans en mettant pluſieurs portions de tiges dans des foſſes aſſez profondes, diſpoſées en quinconce ou en quarré1, à ſix ou huit pieds de diſtance. Un terrein2 ainſi planté, connu ſous le nom de nopalerie, n’a ordinairement qu’un ou deux arpens d’étendue, rarement trois. Chaque arpent produit juſqu’à deux quintaux de cochenille, & un homme ſuffit pour le cultiver. Il doit ſarcler ſouvent, mais avec précaution, pour ne pas déranger l’inſecte qui ne ſurvit [470]pas à ſon déplacement. Il détruira encore avec ſoin les animaux deſtructeurs, dont le plus redoutable eſt une chenille qui fait des traînées dans l’intérieur même de la plante, & attaque l’inſecte en-deſſous3.
Il y a plusieurs espèces de nopal. Ceux qui ont la tige lisse, les épines nombreuses et trop rapprochées, ne sont point propres à l’éducation de la cochenille. Elle ne réussit bien que sur celui qui a peu d’épines et une surface veloutée, propre à lui donner une assiette plus assurée. Il craint les vents, les pluies froides et la trop grande humidité. La méthode de le recéper n’est pas avantageuse. On gagne plus à le replanter tous les six ans, en mettant plusieurs portions de tiges dans des fosses assez profondes, disposées en quinconce ou en carré1, à six ou huit pieds de distance. Un terrain2 ainsi planté, connu sous le nom de nopalerie, n’a ordinairement qu’un ou deux arpens d’étendue, rarement trois. Chaque arpent produit jusqu’à deux quintaux de cochenille, et un homme suffit pour le cultiver. Il doit sarcler souvent, mais avec précaution, pour ne pas déranger l’insecte, qui ne survit pas à son déplacement. Il détruira encore avec soin les animaux destructeurs, dont le plus redoutable est [356]une chenille qui fait des traînées dans l’intérieur même de la plante, et attaque l’insecte en dessous3.
367

[absent]

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Dix-huit mois après la plantation, on couvre le nopal de cochenilles : mais pour les distribuer plus réguliérement ſur toute la plante, & empêcher qu’elles ne ſe nuiſent par leur rapprochement, on attache aux épines, de diſtance en diſtance, de petits nids faits avec la bourre de coco, ouverts du côté de l’Oueſt, remplis de douze à quinze mères prêtes à pondre. Les petits qui en ſortent s’attachent au nopal, & parviennent à leur plus grande conſiſtance en deux mois qui ſont la durée de leur vie. On en fait alors la récolte qui ſe renouvelle tous les deux mois depuis octobre juſqu’en mai. Elle peut être moins avantageuſe s’il y a un mêlange d’une autre cochenille de moindre prix, ou s’il y a abondance de mâles dont on fait peu de cas, parce qu’ils ſont plus petits & qu’ils tombent avant le tems1. Cette récolte doit précéder de quelques jours le moment de la ponte, ſoit pour prévenir la perte des œufs qui ſont riches en [471]couleur, ſoit pour empêcher les petits de ſe répandre ſur une plante déja épuiſée, qui a beſoin de quelques mois de repos. En commençant par le bas, on détache ſucceſſivement les cochenilles avec un couteau, & on les fait tomber dans un baſſin placé au-deſſous, dont un des bords applati2 s’applique exactement contre la plante que l’on nettoie enſuite avec le même couteau ou avec un linge.
Dix-huit mois après la plantation, on couvre le nopal de cochenilles ; mais pour les distribuer plus régulièrement sur toute la plante, et empêcher qu’elles ne se nuisent par leur rapprochement, on attache aux épines, de distance en distance, de petits nids faits avec la bourre de coco, ouverts du côté de l’ouest, remplis de douze à quinze mères prêtes à pondre. Les petits qui en sortent s’attachent au nopal, et parviennent à leur plus grande consistance en deux mois, qui sont la durée de leur vie. On en fait alors la récolte, qui se renouvelle tous les deux mois, depuis octobre jusqu’en mai. Elle peut être moins avantageuse, s’il y a un mélange d’une autre cochenille de moindre prix, ou s’il y a abondance de mâles, dont on fait peu de cas, parce qu’ils sont plus petits, et qu’ils tombent avant le temps1. Cette récolte doit précéder de quelques jours le moment de la ponte, soit pour prévenir la perte des œufs qui sont riches en couleur, soit pour empêcher les petits de se répandre sur une plante déjà épuisée, qui a besoin de quelques mois de repos. En commençant par le bas, on détache successivement les cochenilles avec un couteau, et on les fait tomber dans un bassin placé au-dessous, dont un des bords, aplati2, s’applique exactement contre la plante, que l’on nettoie ensuite [357] avec le même couteau ou avec un linge.
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La nature de la cochenille, ſans laquelle on ne pourroit faire ni pourpre ni écarlate, & qui ne ſe trouve que dans le Mexique, a été [60]long-tems inconnue même aux nations qui en faiſoient le plus d’uſage. Les Eſpagnols naturellement réſervés, & qui deviennent myſtérieux, quand il s’agit de leurs colonies, garderent un ſecret que tout leur faiſoit croire important. On eſt enfin parvenu à ſçavoir que c’eſt un inſecte de la groſſeur & de la forme d’une punaiſe.
La nature de la cochenille, ſans laquelle on ne pourroit faire ni pourpre ni écarlate, & qui ne ſe trouve que dans le Mexique, a été long-tems inconnue, même aux nations qui en faiſoient le plus d’uſage. Les Eſpagnols naturellement réſervés, & qui deviennent myſtérieux quand il s’agit de leurs colonies, garderent un ſecret que tout leur faiſoit croire important. On eſt enfin parvenu à ſçavoir que c’eſt un inſecte de la groſſeur & de la forme d’une punaiſe.

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369
Il a comme tous les animaux deux ſexes. La femelle eſt mal proportionnée, lente & engourdie. Ses yeux, ſa bouche, ſes antennes, ſes pieds ſont tellement enfoncés, tellement cachés dans les replis de ſa peau qu’il eſt impoſſible de les diſtinguer, ſans le ſecours du microſcope. Auſſi a-t-on pris long-tems cet animal pour une graine.
Il a, comme tous les animaux, deux ſexes. La femelle eſt mal proportionnée, lente & engourdie ; ſes yeux, ſa bouche, ſes antennes, ſes pieds ſont tellement enfoncés, tellement cachés dans les replis de ſa peau, qu’il eſt impoſſible de les diſtinguer, ſans le ſecours du microſcope. Auſſi a-t-on pris long-tems cet animal pour une graine.

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370
Le mâle qui eſt très-rare, & qui ſuffit à trois cens femelles, ou davantage, eſt actif, mince & grêle en comparaiſon de la femelle. Son col eſt plus étroit que la tête, & plus encore que le reſte du corps. Le thorax eſt de forme elliptique, un peu plus long que le col & la tête enſemble, & applati par en bas. Ses antennes ſont articulées, & de chaque articulation ſortent quatre ſoies diſpoſées par paires de chaque côté. Il a ſix pattes, chacune formée de trois pieces. De l’extrêmité poſtérieure de ſon corps, s’allongent deux grandes ſoies, ou poils qui ont quatre, ou cinq fois ſa longueur. Il porte deux ailes plantées ſur la partie ſupérieure du thorax, qui s'abaiſſent comme les ailes des mouches ordinaires, lorſqu'il marche ou qu’il ſe1 repoſe. Ces ailes de forme oblongue diminuent bruſquement de largeur au point de leur attache au corps. Elles ſont fortifiées de deux longs muſcles, dont l’un s’étend extérieurement tout autour de l’aile, & l’autre intérieur & parallele au premier, ſemble interrompu [61] vers la ſommité des ailes. Le mâle eſt d’un rouge clair, la femelle eſt d’un rouge plus foncé.
Le mâle qui eſt très-rare, & qui ſuffit à [92]trois cens femelles ou davantage, eſt actif, mince & grêle en comparaiſon de la femelle ; ſon col eſt plus étroit que la tête, & plus encore que le reſte du corps. Le thorax eſt de forme elliptique, un peu plus long que le col & la tête enſemble, & applati par en bas, ſes antennes ſont articulées, & de chaque articulation ſortent quatre ſoies diſpoſées par paires de chaque côté. Il a ſix pattes, chacune formée de trois pieces. De l’extrêmité poſtérieure de ſon corps, s’allongent deux grandes ſoies ou poils, qui ont quatre ou cinq fois ſa longueur. Il porte deux ailes plantées ſur la partie ſupérieure du thorax, qui s’abaiſſent comme les ailes des mouches ordinaires, lorſqu’il marche ou qu’il repoſe. Ces ailes, de forme oblongue, diminuent bruſquement de largeur au point de leur attache au corps. Elles ſont fortifiées de deux longs muſcles, dont l’un s’étend extérieurement tout autour de l’aile, & l’autre intérieur & parallele au premier, ſemble interrompu vers la ſommité des ailes. Le mâle eſt d’un rouge clair, la femelle eſt d’un rouge plus foncé.

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L’arbriſſeau qui les nourrit tous deux, nommé nopal eſt armé d’épines, & a environ cinq pieds de haut. Il a des feuilles épaiſſes & ovales. Sa fleur eſt large, & ſon fruit a la figure d’une figue. Il eſt rempli d’un ſuc rouge auquel la cochenille doit vraiſemblablement ſa couleur.
L’arbriſſeau qui les nourrit tous deux, nommé nopal, eſt armé d’épines, & a environ cinq pieds de haut. Il a des feuilles épaiſſes & ovales. Sa fleur eſt large, & ſon fruit a la figure d’une figue. Il eſt rempli d’un ſuc rouge, auquel la cochenille doit vraiſemblablement ſa couleur.

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Le nopal ſort communément d’une ou deux de ſes feuilles qu’on a miſes dans un trou, & couverte de terre. Sa culture ſe réduit à extirper les mauvaiſes herbes qui l’environnent, il faut la renouveller ſouvent ; parce que plus il eſt jeune, plus ſon produit eſt conſidérable & de bonne qualité. On le trouve dans diverſes contrées du Mexique, à Haſcala, à Chalula, à Chiopa, dans la nouvelle Galice ; mais il n’y eſt pas commun. Les1 peuples ne le plantent jamais, & ſa cochenille qui eſt telle que la nature brute la donne, eſt appellée ſauvage, & n’eſt pas excellente. Les ſeuls Indiens d’Oaxaca ſe livrent ſans réſerve à ce genre d’induſtrie. Jamais on ne les a vus rebutés, ni par les attentions continuelles qu’elle exige, ni par les malheurs trop communs auxquels elle les expoſe. Leur intelligence, leur activité, leur aiſance les ont mis en état de ſupporter une mauvaiſe récolte, d’en attendre une bonne. Elles ſont plus égales en général dans un terrein aride où le nopal ſe plaît, & ſous un ciel tempéré où la cochenille eſt expoſée à moins d’accidens, que dans les parties de la province où le froid & le chaud3 ſe font ſentir davantage.
Le nopal ſort communément d’une ou deux de ſes feuilles qu’on a miſes dans un trou, & couvertes de terre. Sa culture ſe réduit à extirper les mauvaiſes herbes qui l’environnent. Il faut le renouveller ſouvent, parce que plus il eſt jeune, plus ſon produit eſt conſidérable & de bonne qualité. On le trouve dans diverſes contrées du Mexique, à Tlascala, à Chalula, à Chiapa, dans la nouvelle Galice ; mais il n’y eſt pas commun. Les1 peuples ne le plantent jamais, & ſa cochenille qui eſt telle que la nature brute la donne, eſt appellée ſauvage, & n’eſt pas excellente. Les ſeuls Indiens d’Oaxaca ſe livrent ſans réſerve à ce genre d’induſtrie. Jamais on ne les a vus rebutés, ni par les attentions continuelles qu’elle exige, ni par les malheurs trop communs auxquels elle les expoſe. Leur intelligence, leur activité, leur aiſance, les ont mis en état de ſupporter une mauvaiſe récolte, &2 d’en attendre une bonne. Elles ſont plus égales en général dans un terrein aride où le nopal ſe plaît, & ſous un ciel temperé où la cochenille eſt expoſée à moins d’accidens, que dans les parties de la province où le froid & lec haud3 ſe font ſentir davantge.

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373
Dès que la ſaiſon favorable eſt arrivée, les Mexicains ſement pour ainſi dire les cochenilles ſur la plante qui leur eſt propre, en y attachant [62]de petits nids de mouſſe qui en contiennent chacun1 douze ou quinze. Elles font trois ou quatre jours après leur2 petits qui ſe répandent avec une célérité ſurprenante ſur toutes les branches. Ils ne tardent pas à perdre cette activité, & on les voit s’attacher ſans plus ſe mouvoir à la partie la plus nourriſſante, la mieux expoſée de la feuille, juſqu’à ce qu’ils ayent pris tout leur accroiſſement. Ils ne la rongent pas, ils ne font que la piquer, & en tirer le ſuc avec une petite trompe que la nature leur a donnée pour cet uſage.
Dès que la ſaiſon favorable eſt arrivée, les Mexicains ſement, pour ainſi dire, les côchenilles ſur la plante qui leur eſt propre, en y attachant de petits nids de mouſſe qui [94]en contiennent chacune1 douze ou quinze. Elles font trois ou quatre jours après leurs2 petits, qui ſe répandent avec une célérité ſurprenante ſur toutes les branches. Ils ne tardent pas à perdre cette activité, & on les voit s’attacher ſans plus ſe mouvoir à la partie la plus nourriſſante, la mieux expoſée de la feuille, juſqu’à ce qu’ils ayent pris tout leur accroiſſement. Ils ne la rongent pas, ils ne font que la piquer & en tirer le ſuc avec une petite trompe, que la nature leur a donnée pour cet uſage.

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374
On fait chaque année trois récoltes de cochenille, qui ſont autant de générations de cet animal1. La derniere ne donne qu’une cochenille médiocre, par ce qu'elle eſt mêlée de parcelles détachées2 des feuilles qu’on a raclées3 pour enlever les inſectes nouveaux nés, qu’il ne ſeroit guere poſſibles de recueillir autrement, & parce que les jeunes4 cochenilles y ſont mêlées avec les vieilles, ce5 qui diminue conſidérablement leur prix. Immédiatement avant les pluies6, on coupe les branches de7 nopal pour ſauver les petits inſectes qui y reſtent8. On les ſerre dans les habitations où les feuilles9 conſervent leur fraîcheur, comme toutes celles des10 plantes qu’on nomme graſſes. Les cochenilles y croiſſent pendant la mauvaiſe ſaiſon. Dès qu’elle eſt paſſée, on les met ſur des arbres extérieurs où la fraîcheur vivifiante de l’air leur fait bientôt faire leurs petits.
On fait chaque année trois récoltes de cochenille, qui ſont autant de générations de cet animal1. La derniere ne donne qu’une cochenille médiocre, parce qu’elle eſt mêlée de parcelles détachées2 des feuilles qu’on a raclées3 pour enlever les inſectes nouveaux nés, qu’il ne ſeroit guere poſſible de recueillir autrement, & parce que les jeunes4 cochenilles y ſont mêlées avec les vieilles ; ce5 qui diminue conſidérablement leur prix. Immédiatement avant les pluies6, on coupe les branches du7 nopal, pour ſauver les petits inſectes qui y reſtent8. On les ſerre dans les habitations, où les feuilles9 conſervent leur fraîcheur, comme toutes celles des10 plantes qu’on nomme graſſes. Les cochenilles y croiſſent pendant la mauvaiſe ſaiſon. Dès qu’elle eſt paſſée, on les met ſur des arbres [95]extérieurs, où la fraîcheur vivifiante de l’air leur fait bientôt faire leurs petits.
Immédiatement avant1 la ſaiſon2 des pluies3, pour prévenir la deſtruction totale des4 cochenilles qui pourroit être occaſionnée par l’intempérie de l’air6, on coupe les branches de7 nopal chargées d’inſectes encore jeunes8. On les ſerre dans les habitations, où elles9 conſervent leur fraîcheur comme toutes les10 plantes qu’on nomme graſſes. Les cochenilles y croiſſent pendant la mauvaiſe ſaiſon. Dès qu’elle eſt paſſée, on les met ſur des arbres extérieurs où la fraîcheur vivifiante de l’air leur fait bientôt faire leurs petits.
Immédiatement avant1 la saison2 des pluies3, pour prévenir la destruction totale des4 cochenilles, qui pourrait être occasionnée par l’intempérie de l’air6, on coupe les branches du7 nopal chargées d’insectes encore jeunes8. On les serre dans les habitations, où elles9 conservent leur fraîcheur comme toutes les10 plantes qu’on nomme grasses. Les cochenilles y croissent pendant la mauvaise saison. Dès qu’elle est passée, on les met sur des arbres extérieurs, où la fraîcheur vivifiante de l’air leur fait bientôt faire leurs petits.
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La cochenille ſylveſtre, eſpèce différente de la cochenille fine ou meſteque dont on vient de parler, mais cultivée dans les mêmes lieux & ſur la même plante, n’exige pas les mêmes ſoins & les mêmes précautions. Elle [472]a la vie moins délicate, réſiſte mieux aux injures de l’air. Sa récolte eſt conſéquemment moins variable pour le produit & peut ſe faire toute l’année. Elle diffère de l’autre en ce qu’elle eſt plus petite, plus vorace, moins chargée en couleur, enveloppée d’un coton qu’elle étend à deux lignes autour d’elle. Elle ſe multiplie plus facilement, ſe répand plus loin & plus vîte ſans aucun ſecours étranger ; de ſorte qu’une nopalerie en eſt bientôt couverte. Comme ſon produit eſt plus ſûr, que ſon prix équivaut aux deux tiers de celui de la meſteque, & qu’elle ſe propage ſur toutes les eſpèces de nopal, on peut la cultiver avec ſuccès, mais ſéparément, parce que ſon voiſinage affameroit l’autre qui ſeroit auſſi étouffée ſous ſon duvet. On retrouve cette eſpèce au Pérou ſur un nopal très-épineux qui y eſt fort commun.
La cochenille sylvestre, espèce différente de la cochenille fine ou mestèque, dont on vient de parler, mais cultivée dans les mêmes lieux et sur la même plante, n’exige pas les mêmes soins et les mêmes précautions. Elle a la vie moins délicate, résiste mieux aux injures de l’air. Sa récolte est conséquemment moins variable pour le produit, et peut se faire toute l’année. Elle diffère de l’autre en ce qu’elle est plus petite, plus vorace, moins chargée en couleur, enveloppée d’un coton qu’elle étend à deux lignes autour d’elle. Elle se multiplie plus facilement, se répand plus loin et plus vite sans aucun secours étranger ; de sorte qu’une nopalerie en est bientôt couverte. Comme son produit est plus sûr, que son prix équivaut aux deux tiers de celui de la mestèque, et qu’elle se propage sur toutes les espèces de nopal, on peut la cultiver avec succès, mais séparément. [358]parce que son voisinage affamerait l’autre, qui serait aussi étouffée sous son duvet. On retrouve cette espèce au Pérou sur un nopal très-épineux, qui y est fort commun.
376
Les cochenilles n’ont pas été plutôt1 recueillies, qu’on les plonge dans l’eau chaude pour les faire mourir. Il y a différentes manieres de les ſecher. La meilleure eſt de les expoſer pendant pluſieurs jours au ſoleil, où elles prennent une [63]teinte de brun roux, ce que les Eſpagnols appellent renegrida. La ſeconde eſt de les mettre au four où elles prennent une couleur grisâtre vainée2 de pourpre, ce qui leur fait donner le nom de jaſpeada3. Enfin, la plus imparfaite qui eſt celle que les Indiens pratiquent le plus communément, conſiſte à les mettre ſur des plaques avec leurs gâteaux de mays4 : elles s’y brûlent ſouvent, auſſi5 les appelle-t-on6 negra.
Les cochenilles n’ont pas été plutôt1 recueillies qu’on les plonge dans l’eau chaude pour les faire mourir. Il y a différentes manieres de les ſecher. La meilleure eſt de les expoſer pendant pluſieurs jours au ſoleil, où elles prennent une teinte de brun roux, ce que les Eſpagnols appellent renegrida. La ſeconde eſt de les mettre au four où elles prennent une couleur grisâtre veinée2 de pourpre, ce qui leur fait donner le nom de jaſpeada3. Enfin la plus imparfaite, qui eſt celle que les Indiens pratiquent le plus communément, conſiſte à les mettre ſur des plaques avec leurs gâteaux de mays4 : elles s’y brûlent ſouvent, auſſi5 les appelle-t-on6 negra.
Les cochenilles n’ont pas été plutôt1 recueillies, qu’on les plonge dans l’eau chaude pour les faire mourir. Il y a différentes manières de les ſécher. La meilleure eſt de les expoſer pendant pluſieurs jours au ſoleil, où elles prennent une teinte de brun roux, ce que les Eſpagnols appellent renegrida. La ſeconde eſt [473]de les mettre au four, où elles prennent une couleur griſâtre, veinée2 de pourpre, ce qui leur fait donner le nom de jafpeada3. Enfin, la plus imparfaite, qui eſt celle que les Indiens pratiquent le plus communément, conſiſte à les mettre ſur des plaques avec leurs gâteaux de maïs4 : elles s’y brûlent ſouvent. On5 les appelle6 negra.
Les cochenilles n’ont pas été plus tôt1 recueillies, qu’on les plonge dans l’eau chaude pour les faire mourir. Il y a différentes manières de les sécher. La meilleure est de les exposer pendant plusieurs jours au soleil, où elles prennent une teinte de brun roux, ce que les Espagnols appellent renegrida. La seconde est de les mettre au four, où elles prennent une couleur grisâtre, veinée2 de pourpre ; ce qui leur fait donner le nom de jaspeada3. Enfin la plus imparfaite, qui est celle que les Indiens pratiquent le plus communément, consiste à les mettre sur des plaques avec leurs gâteaux de maïs4 : elles s’y brûlent souvent. On5 les appelle6 negra.
377
Quoique1 la cochenille appartienne au regne animal qui eſt l’eſpece la plus périſſable, elle ne ſe gâte jamais. Sans autre attention que celle de l'enfermer dans une boîte2, on l’a gardée3 des ſiecles entiers avec toute ſa vertu.
Quoi1 la cochenille appartienne au régne animal qui eſt l’eſpece la plus périſſable, elle ne ſe gâte jamais. Sans autre attention que celle de l’enfermer dans une boëte2, on l’a gardée3des ſiecles entiers avec toute ſa vertu.
Quoique1 la cochenille appartienne au règne animal qui eſt l’eſpèce la plus périſſable, elle ne ſe gâte jamais. Sans autre attention que celle de l’enfermer dans une boëte2, on la garde3 des ſiècles entiers avec toute ſa vertu.
Quoique1 la cochenille appartienne au règne animal, qui est l’espèce la plus périssable, elle ne se gâte jamais. Sans autre attention que celle de l’enfermer dans une boîte2, on la garde3 des siècles entiers avec toute sa vertu.
378
Son prix qui eſt toujours très-haut, auroit bien dû exciter l’émulation des nations qui cultivent les iſles de l’Amérique, & des autres peuples qui habitent des régions dont la température ſeroit convenableà cet inſecte, & à la plante dont il ſe nourrit. Cependant, la nouvelle Eſpagne eſt reſtée ſeule en poſſeſſion de cette riche production. Indépendammentde ce qu’elle en fournit à l’Aſie, elle en envoye tous les ans en Europe environ deux mille cinq cens ſurrons1 ou ſacs, qui ſe vendent à Cadix, l’un dans l’autre, huit cent piaſtres2. C’eſt un produit très-conſidérable qui ne coûte aucune peine aux Eſpagnols. Il ſemble que la nature leur ait donné gratuitement ce qu’elle vend cher aux autres nations. Elle les a privilégiésen leur accordant en même-tems, & les productions qui attirent le plus de richeſſes, & l’or & l’argent qui ſont la ſource3, ou le ſigne de toutes les productions.
Son prix qui eſt toujours très-haut, auroit bien dû exciter l’émulation des nations qui cultivent les iſles de l’Amérique, & des autres peuples qui habitent des régions dont la températureſeroit convenable à cet inſecte & à la plante dont il ſe nourrit. Cependant, la nouvelle Eſpagne eſt reſtée ſeule en poſſeſſion de cette riche production. Indépendamment [96]de ce qu’elle en fournit à l’Aſie, elle en envoyetous les ans en Europe environ deux mille cinq cens ſurons1 ou ſacs, qui ſe vendent à Cadix, l’un dans l’autre, 3300 l2. C’eſt un produit trés-conſidérable, qui ne coûte aucunepeine aux Eſpagnols. Il ſemble que la natureleur ait donné gratuitement ce qu’elle vend cher aux autres nations. Elle les a privilégiésen leur accordant en même-tems, & les productions qui attirent le plus de richesſes, & l’or & l’argent qui ſont le véhicule3 ou le ſigne de toutes les productions.

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Cette riche production réuſſiroit vraiſemblablement dans différentes parties du Mexique : mais juſqu’à nos jours, il n’y a eu guère que la province d’Oaxaca qui s’en ſoit ſérieuſement occupée. Les récoltes ont été plus abondantes1 ſur un terrein2 aride, où le nopal ſe plaît, que ſur un ſol naturellement fécond ; elles ont3 éprouvé moins d’accidens dans les4 expoſitions agréablement tempérées, que dans celles où le froid & le chaud ſe faiſoient5 ſentir davantage. Les Mexicains connoiſſoient6 la cochenille avant la deſtruction de leur empire. Ils s’en ſervoient pour peindre leurs maiſons [474] & pour teindre leur coton. On voit8 dans Herrera que, dès 1523, le miniſtère ordonnoit à Cortès9 de la multiplier. Les conquérans repouſſèrent ce travail comme ils mépriſoient10 tous les autres ; & il reſta tout entier aux Indiens. Eux ſeuls s’y livrent encore12 : mais trop ſouvent avec les fonds avancés par les Eſpagnols, à des conditions plus ou moins uſuraires. Le fruit de leur induſtrie eſt tout porté dans la capitale de la province, qui ſe nomme auſſi Oaxaca13.
Cette riche production réussit mieux1 sur un terrain2 aride, où le nopal se plaît, que sur un sol naturellement fécond ; elle3 éprouve moins d’accidens dans des4 expositions agréablement tempérées que dans celles où le froid et le chaud se font5 sentir davantage. Les Mexicains connurent6 la cochenille longtemps7 [359] avant la destruction de leur empire. Ils s’en servaient pour peindre leurs maisons et pour teindre leur coton. On lit8 dans Herréra que, dès 1523, le ministère ordonnait à Cortez9 de la multiplier. Les conquérans repoussèrent ce travail comme ils dédaignaient10 tous les autres ; et il resta tout entier aux Indiens. Eux seuls continuèrent 11 s’y livrer12, mais trop souvent avec les fonds avancés par les Espagnols, à des conditions plus ou moins usuraires.
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L’origine des métaux partage la phyſique. Quelques naturaliſtes les croyent auſſi anciens que le monde ; d’autres penſent avec plus de [64]vraiſemblance qu’ils ont été formés ſucceſſivement. Ceux-ci, pour la plupart font honneur de cette eſpece de cette création au ſoleil, on a des feux ſouterrains qui uniſſent enſemble les parties élémentaires, les principes qui doivent entrer dans la différente combinaiſon des métaux. L’impoſſibilité, ou malgré leur ſavantes analyſes, ſes habiles gens ſe ſont trouvé de faire un métal de ce qui ne l’étoit pas, même en uniſſant les matieres qu’ils prétendent conſtituer les métaux, & en ſe ſervant du feu qui eſt leur grand agent, a donné naiſſance à un troiſieme ſyſtême.

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Ceux qui l’ont imaginé, ont penſé qu’il y avoit dans la nature un principe ſéminal qui opérant ſur l’air, la terre, l’eau, l’huile, le ſel ; les autres élémens produiſant du fer, du cuivre, de l’or, de l’argent. L’organiſation des métaux, quoique plus groſſiere que celles des plantes & des animaux, n’a pas empêché qu’on n’accordât à ces trois regnes principaux de la nature quelque choſe d’analogue, une origine preſque commune.

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Mais quelle de ces opinions que l’on ſuive, on ne peut douter qu’il ne ſe forme journellement des mines nouvelles. La nature dans l’intérieur de la terre, ainſi qu’à ſa ſurface, eſt dans une action continuelle. Quoique hors d’état de ſuivre pas à pas ſes opérations, nous n’en ſommes pas moins aſſurés qu’elle récompenſe d’un côté, ce qu’elle a décompenſé d’un autre. Mille faits plus frappans les uns que les autres démontrent cette vérité, & la raiſon vient à l’appui de l’expérience. L’eau, l’air, le feu altérent à nos yeux tous les métaux imparfaits. [65]Ces agens qui ſous nos pieds ont plus de reſſort, doivent produire de plus grands effets.

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Cette ville où l’on arrive par de beaux chemins, & où l’on jouit d’un printems continuel, s’élève au milieu d’une plaine ſpacieuſe, couverte de jolis hameaux & bien cultivée. Ses rues ſont larges, tirées au cordeau, & formées par des maiſons un peu baſſes, mais agréablement bâties. Ses places, ſon aqueduc, ſes édifices publics ſont d’aſſez bon goût. Elle a quelques manufactures de ſoie & de coton. Les marchandiſes d’Aſie & celles d’Europe y ſont d’un uſage général. Nous avons eu occaſion de voir pluſieurs voyageurs que les circonſtances avoient conduits à Oaxaca. Tous nous ont aſſuré que de tous les établiſſemens formés par les Eſpagnols dans le NouveauMonde [475], c’étoit celui où l’eſprit de ſociété avoit fait le plus de progrès. Tant d’avantages paroiſſent une ſuite du commerce de la cochenille.

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Indépendamment de ce que conſomment l’Amérique & les Philippines1, l’Europe reçoit tous les ans quatre mille quintaux de cochenille fine, deux cens2 quintaux de granille, cent quintaux de pouſſière de cochenille, & trois cens3 quintaux de cochenille ſylveſtre, qui, rendus dans ſes ports, ſont vendus 8,610,140 liv4.
Indépendamment de ce que consomment l’Amérique et l’Asie1, l’Europe reçoit tous les ans quatre mille quintaux de cochenille fine, deux cents2 quintaux de granille, cent quintaux de poussière de cochenille, et trois cents3 quintaux de cochenille sylvestre, qui, rendus dans ses ports, sont vendus neuf dix millions de livres4.
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Cette riche production n’a crû juſqu’ici qu’au profit de l’Eſpagne. M. Thiery, botaniſte François, bravant plus de dangers qu’on n’en ſauroit imaginer, l’a enlevée Oaxaca même, & l’a tranſplantée Saint-Domingue, où il la cultive avec une perſévérance digne de ſon premier courage. Ses premiers ſuccès ont ſurpaſſé ſon attente, & tout porte eſpérer que la ſuite répondra de ſi heureux commencemens1. Puiſſe ce genre de culture, puiſſent les autres s’étendre plus loin encore &2 occuper de nouvelles3 nations. Eh ! ne ſommes-nous pas tous frères ? enfans du même père, ne ſommes-nous pas appellés4 à une [476]deſtinée commune ? Faut-il que je traverſe la proſpérité de mon ſemblable, parce que la nature a placé une rivière ou une montagne entre lui & moi ? Cette barrière m’autoriſet-elle à le haïr, à le perſécuter ? O combien cette prédilection excluſive pour des ſociétés particulières, a coûté de calamités au globe, combien il lui en coûtera dans la ſuite, ſi la ſaine philoſophie n’éclaire enfin des eſprits trop long-tems5 égarés par des ſentimens factices ! Ma voix eſt trop foible6, ſans doute, pour diſſiper le preſtige. Mais il naîtra, n’en doutons point, il naîtra des écrivains, dont le raiſonnement & l’éloquence perſuaderont tôt ou tard aux générations futures, que le genre humain eſt plus que la patrie, ou plutôt que le bonheur de l’une eſt étroitement lié à la félicité de l’autre.
Cette riche production n’a crû jusqu’ici qu’au profit de l’Espagne. Puisse ce genre de culture, puissent les autres cultures, sans en excepter aucune2, occuper toutes les3 nations. Eh ! ne sommes-nous pas tous frères ? Enfans du même père, ne sommes-nous pas appelés4 à une destinée commune ? Faut-il que je traverse la prospérité de mon semblable parce que la nature a placé une rivière ou une montagne entre lui et moi ? Cette barrière m’autorise-t-elle à le haïr, à le persécuter ? O combien cette prédilection exclusive pour des sociétés particulières a coûté de calamités au globe ! combien il lui en coûtera dans la [360]suite, si la saine philosophie n’éclaire enfin des esprits trop long-temps5 égarés par des sentimens factices ! Ma voix est trop faible6 sans doute pour dissiper le prestige. Mais il naîtra, n’en doutons point, il naîtra des écrivains dont le raisonnement et l’éloquence persuaderont tôt ou tard aux générations futures que le genre humain est plus que la patrie, ou plutôt que le bonheur de l’une est étroitement lié à la félicité de l’autre.
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Aux grandes exportations dont on a parlé, il faut ajouter l’envoi que fait le Mexique de dix mille trois cens cinquante1 quintaux de bois de campêche, qui produiſent 112,428 liv2. ; de trois cens dix3 quintaux de breſillet, qui produiſent 4,266 liv4. ; de quarante-ſept5 quintaux de carmin, qui produiſent 81,000 liv. ; de ſix6 quintaux d’écaille, qui produiſent [477] 24,300 liv. ; de quarante-ſept7 quintaux de rocou, qui produiſent 21,600 liv8. ; de trente quintaux de ſalſe-pareille, qui produiſent 4,147 liv9. ; de quarante10 quintaux de baume, qui produiſent 45,920 liv. ; de cinq quintaux de ſang de dragon, qui produiſent 270 liv. ; de cent cuirs en poil, qui produiſent 1,620 liv11.
Aux grandes exportations dont on a parlé il faut ajouter l’envoi que fait le Mexique de onze douze mille1 quintaux de bois de Campêche ; de trois quatre cents3 quintaux de brésillet ; de cinquante5 quintaux de carmin ; de six sept6 quintaux d’écaille ; de cinquante soixante7 quintaux de rocou ; de trente quarante quintaux8 de salsepareille ; de quarante cinquante quintaux de baume9 ; de cinq six10 quintaux de sangdragon ; de quelques cuirs en poil : objets peu importans, et qui, rendus dans la métropole, ne valent pas plus de quatre ou cinq cent mille livres11.
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Mais, comme ſi la nature n’avoit pas fait aſſez pour l’Eſpagne, en lui accordant preſque gratuitement tous les tréſors de la terre que les autres nations ne doivent qu’aux travaux les plus rudes, elle lui a encore prodigué, ſur-tout au Mexique, l’or & l’argent qui ſont le véhicule ou le ſigne de toutes les productions.
Mais, comme si la nature n’avait pas fait assez pour l’Espagne en lui accordant presque gratuitement tous les trésors de la terre que les autres nations ne doivent qu’aux travaux les plus rudes, elle lui a encore prodigué, surtout au Mexique, l’or et l’argent, qui sont le véhicule ou le signe de toutes les productions.
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Tel eſt ſur nous l’empire de ces brillans & funeſtes métaux, qu’ils ont balancé l’infamie & l’exécration que méritoient les dévaſtateurs de l’Amérique. Les noms du Mexiqne, du Pérou &1 du Potoſi, ne nous font pas friſſonner ; & nous ſommes des hommes ! Aujourd’hui même que l’eſprit de juſtice & le ſentiment de l’humanité ſont devenus l’ame de nos écrits, la regle invariable de nos jugemens ; un navigateur qui deſcendroit dans nos ports avec un vaiſſeau chargé de richeſſes notoirement acquiſes par des moyens auſſi barbares, ne paſſeroit-il pas de ſon bord dans ſa maiſon, au milieu du bruit général de nos acclamations ? Quelle eſt donc cette ſageſſe dont notre ſiécle s’enorgueillit ſi fort ? Qu’eſt-ce donc que cet or, qui nous ôte l’idée du crime & l’horreur du ſang ? Sans doute qu’un moyen [97]d’échange entre les nations, un ſigne repréſentatif de toutes les ſortes de valeurs, une évaluation commune de tous les travaux, a quelques avantages. Mais ne vaudroit-il pas mieux que les nations fuſſent demeurées ſédentaires, iſolées, ignorantes & hoſpitalieres, que de s’être empoiſonnées de la plus féroce de toutes les paſſions ?
Tel eſt ſur nous l’empire de ces brillans & funeſtes métaux, qu’ils ont balancé l’infamie & l’exécration que méritoient les dévaſtateurs de l’Amérique. Les noms du Mexique, du Pérou, du Potoſi, ne nous font pas friſſonner ; & nous ſommes des hommes ! Aujourd’hui même que l’eſprit de juſtice & le ſentiment de l’humanité ſont devenus l’ame de nos écrits, la règle invariable de nos jugemens ; un navigateur qui deſcendroit dans [478]nos ports avec un vaiſſeau chargé de richeſſes notoirement acquiſes par des moyens auſſi barbares, ne paſſeroit-il pas de ſon bord dans ſa maiſon, au milieu du bruit général de nos acclamations ? Quelle eſt donc cette ſageſſe dont notre ſiècle s’enorgueillit ſi fort ? Qu’eſt-ce donc que cet or, qui nous ôte l’idée du crime & l’horreur du ſang ? Sans doute qu’un moyen d’échange entre les nations, un ſigne repréſentatif de toutes les ſortes de valeurs, une évaluation commune de tous les travaux, a quelques avantages. Mais ne vaudroit-il pas mieux que les nations fuſſent demeurées ſédentaires, iſolées, ignorantes & hoſpitalières, que de s’être empoiſonnées de la plus féroce de toutes les paſſions ?
Tel est sur nous l’empire de ces brillans et funestes métaux, qu’ils ont balancé l’infamie et [361]l’exécration que méritaient les dévastateurs de l’Amérique. Les noms du Mexique, du Pérou, du Potosi, ne nous font pas frissonner, et nous sommes des hommes ! Aujourd’hui même que l’esprit de justice et le sentiment de l’humanité sont devenus l’âme de nos écrits, la règle invariable de nos jugemens, un navigateur qui descendrait dans nos ports avec un vaisseau chargé de richesses notoirement acquises par des moyens aussi barbares ne passerait-il pas de son bord dans sa maison au milieu du bruit général de nos acclamations ? Quelle est donc cette sagesse dont notre siècle s’enorgueillit si fort ? Qu’est-ce donc que cet or qui nous ôte l’idée du crime et l’horreur du sang ? Sans doute qu’un moyen d’échange entre les nations, un signe représentatif de toutes les sortes de valeurs, une évaluation commune de tous les travaux a quelques avantages. Mais ne vaudrait-il pas mieux que les nations fussent demeurées sédentaires, isolées, ignorantes et hospitalières, que de s’être empoisonnées de la plus féroce de toutes les passions ?
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L’origine des métaux n’a pas été toujours bien connue. On a cru long-tems1 qu’ils étoient auſſi anciens que le monde. On penſe aujourd’hui, avec plus de raiſon, qu’ils ſe forment ſucceſſivement. Il n’eſt pas poſſible en effet de douter que la nature ne ſoit dans une action continuelle, & que ſes reſſorts ne ſoient auſſi puiſſans ſous nos pieds que ſur notre tête.
L’origine des métaux n’a pas été toujours bien connue. On a cru long-tems1 qu’ils étoient auſſi anciens que le monde. On penſe aujourd’hui, avec plus de raiſon, qu’ils ſe forment ſucceſſivement. Il n’eſt pas poſſible en effet de douter que la nature ne ſoit dans une action continuelle, & que ſes reſſorts ne ſoient auſſi puiſſans ſous nos pieds que ſur notre tête.
L’origine des métaux n’a pas été toujours bien connue. On a cru long-temps1 qu’ils étaient aussi anciens que le monde. On pense aujourd’hui, avec plus de raison, qu’ils se forment successivement. Il n’est pas possible en effet de douter que la nature ne soit dans une action continuelle, et que ses ressorts ne soient aussi puissans sous nos pieds que sur notre tête.
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Chaque métal, ſuivant les chymiſtes1, a pour principe une terre qui le conſtitue, & qui lui eſt particuliere. Il ſe montre à nous, tantôt ſous la forme qui le caractériſe, & tantôt ſous des formes variées, dans leſquelles il n’y a que des yeux exercés qui puiſſent le reconnoître. Dans le premier cas, on l’appelle vierge, & dans le ſecond minéraliſé.
Chaque métal, ſuivant les chymiſtes1, a pour principe une terre qui le conſtitue, & [479]qui lui eſt particulière. Il ſe montre à nous, tantôt ſous la forme qui le caractériſe, & tantôt ſous des formes variées, dans leſquelles il n’y a que des yeux exercés qui puiſſent le reconnoître. Dans le premier cas, on l’appelle vierge, & dans le ſecond minéraliſé.
Chaque métal, suivant les chimistes1, a pour principe une terre qui le constitue, et qui lui est particulière. Il se montre à nous, tantôt sous la forme qui le caractérise, et tantôt sous des formes variées, dans lesquelles il n’y a que des yeux exercés qui puissent le reconnaître. Dans le premier cas, on l’appelle vierge ; et dans le second, minéralisé.
391

[absent]
Soit vierges, ſoit minéraliſés, les métaux ſont quelquefois épars par fragmens, dans les couches horiſontales1 ou inclinées de la terre. Ce n’eſt pas le lieu de leur origine. Ils y ont été entraînés par les embrâſemens, les [98]inondations, les tremblemens qui bouleverſent ſans interruption notre miſérable planete. Ordinairement on les trouve, tantôt en veines ſuivies ; & tantôt en maſſes détachées, dans le ſein des rochers & des montagnes où ils ont été formés.
Soit vierges, ſoit minéraliſés, les métaux ſont quelquefois épars par fragmens, dans les couches horizontales1 ou inclinées de la terre. Ce n’eſt pas le lieu de leur origine. Ils y ont été entraînés par les embraſemens, les inondations, les tremblemens qui bouleverſent ſans interruption notre miſérable planète. Ordinairement on les trouve, tantôt en veines ſuivies, & tantôt en maſſes détachées, dans le ſein des rochers & des montagnes où ils ont été formés.
Soit vierges, soit minéralisés, les métaux sont quelquefois épars par fragmens dans les couches horizontales1 ou inclinées de la terre. Ce n’est pas le lieu de leur origine. Ils y ont été entraînés par les embrasemens, les inondations, les tremblemens qui bouleversent sans interruption notre misérable planète. Ordinairement on les trouve tantôt en veines suivies, et tantôt en masses détachées, dans le sein des rochers et des montagnes où ils ont été formés.
392
Les eaux ſalines qui ſe trouvent1 dans les entrailles de la terre, ſont miſes par l’air chaud qui regne dans les lieux profonds en état d’agir2 ſur les molécules métalliques. Elles3 les atté- nent4, les diviſent & les élevent avec elles lorſqu’elles ſont réduites5 en vapeurs. Ces corps légers demeurent ſuſpendus pendant quelque tems, & voltigent6 dans les cavités de la terre. Ils7 ſe mêlent & ſe confondent. Devenus par leur agrégation8 trop peſans9 pour reſter plus long-tems ſuſpendus, ils10 tombent par leur propre poids ſur les terres, ou les roches qu’ils rencontrent. Ils11 s’entaſſent les uns12 ſur les autres, & forment un tout ſenſible13. Si les molécules qui ſe ſont dépoſées ont été purement métalliques ſans être combinées avec des molécules étrangeres14, elles forment des métaux purs, des métaux vierges. Si dans le tems que les molécules métalliques voltigeoient en l’air15, elles ont rencontré des molécules d’autres métaux élevées par la chaleur ſouterraine en même tems qu’elles, il en réſulte16 des mines des différentes eſpeces, ſuivant la nature & les proportions des molécules17 étrangeres qui ſe ſeront combinées18.
Selon les conjectures des naturaliſtes1, dans ces grands atteliers toujours échauffés, s’élevent perpétuellement des exhalaiſons. Ces liqueurs ſulfureuſes & ſalines, agiſſent2 ſur les molécules métalliques, les atténuent4, les diviſent, & les mettent5 en état de voltiger6 dans les cavités de la terre. Elles7 ſe réuniſſent. Devenues8 trop peſantes9 pour ſe ſoutenir dans l’air, elles10 tombent &11 s’entaſſent les unes12 ſur les autres. Si, dans leurs différens mouvemens, elles n’ont pas rencontré d’autres corps14, elles forment des métaux purs. Il n’en eſt pas de même, ſi15 elles ſe ſont combinées avec16 des matieres17 étrangeres.
Selon les conjectures des naturaliſtes1, dans ces grands atteliers toujours échauffés, s’élèvent perpétuellement des exhalaiſons. Ces liqueurs ſulfureuſes & ſalines, agiſſent2 ſur les molécules métalliques, les atténuent4, les diviſent, & les mettent5 en état de voltiger6 dans les cavités de la terre. Elles7 ſe réuniſſent. Devenues8 trop peſantes9 pour ſe ſoutenir dans l’air, elles10 tombent &11 s’entaſſent [480]les unes12 ſur les autres. Si, dans leurs différens mouvemens, elles n’ont pas rencontré d’autres corps14, elles forment des métaux purs. Il n’en eſt pas de même, ſi15 elles ſe ſont combinées avec16 des matières17 étrangères.
Selon les conjectures des naturalistes1, dans ces grands ateliers toujours échauffés s’élèvent perpétuellement des exhalaisons. Ces liqueurs sulfureuses et salines agissent2 sur les molécules métalliques, les atténuent4, les divisent, et les mettent5 en état de voltiger6 dans les cavités de la terre. Elles7 se réunissent. Devenues8 trop pesantes9 pour se soutenir dans l’air, elles10 tombent et11 s’entassent les unes12 sur les autres. Si dans leurs différens mouvemens elles n’ont pas rencontré d’autres corps14, elles forment des métaux purs. Il n’en est pas de même si15 elles se sont combinées avec16 des matières17 étrangères.
393
Tout nous porte à conjecturer, que la nature opére très-lentement la formentation des mines, & nous ſommes sûrs que dans ce grand travail elle n’agit pas d’une maniere conſtante & uniforme. Ses productions doivent être extrêmement variées en raiſon de l’eſpece ou de la forme des molécules qu’elle combine, de leur quantité, de leurs proportions, des différens dégrés d’atténuation & de diviſion des ſubſtances, du tems & des voies qu’elle emploie à toutes les [66]opérations. Auſſi, les mines différent-elles par le tiſſu, par la couleur, par la forme, par les accidens. Il y en a d’une figure indéterminée, & d’autres d’une figure réguliere. Les unes ſont opaques, les autres ont un peu de tranſparence. Les métaux ont en général dans l’état de mine un coup d’œil tout différent de celui qu’ils ont lorſqu’ils ont été purifiés.

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394
Les filons & les fentes de la terre ſont les atteliers où la nature s’occupe ordinairement de la formation des mines. Elles ne ſe trouvent pas toujours par filons ſuivis. Souvent on les rencontre dans le ſein des montagnes par maſſes détachées. Elles forment comme des tas ſéparés dans les creux des pierres.

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395
On voit auſſi quelquefois des fragmens de mines dans les couches de la terre, ou même à ſa ſurface. Il eſt viſible qu’elles n’y ont pas été formées. Elles y ont été tranſportées par les eaux qui ont arraché ces fragmens des filons placés dans les montagnes, & qui les ont raſſemblées dans des couches de terre produites elles-mêmes par les inondations. Ces mines par fragmens conduiſent quelquefois aux filons dont elles ont été détachées. L’or qu’on trouve dans les rivieres ne peut pas avoir une autre origine.

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396
Le prix que les hommes ont attaché aux métaux, le beſoin qu’ils en ont eu, leur ont fait imaginer des moyens ſans nombre pour les tirer des entrailles de1 la terre. Envain la nature2 les a-t-elle maſqués, & rendu pour ainſi dire méconnoiſſables en3 les aſſocians4d’autres ſubſtances, elle n’a pas endormi notre activité. Nous avons découvert une partie5 de ſes ſecrets6. En multipliant les obſervations on eſt parvenu à connoître les lieux où ſe trouvent plus communément7 [67] les mines. Ce ſont pour l’ordinaire des montagnes où les plantes croiſſent foiblement8, & jauniſſe promptement9 ; où les arbres ſont tortueux10, & demeurent petits11 ; où l’humidité des roſées, des pluies même dure peu, & les neiges fondent avec célérité12 ; ou s’elevent des exhalaiſons ſulphureuſes13 & minérales ; où les eaux ſont chargées de ſels vitrioliques ; où les ſables contiennent des parties métalliques. Quoique chacun de ces ſignes pris ſolitairement puiſſe être14 équivoque, il eſt rare qu’ils ſe réuniſſent tous ſans que le terrein15 renferme quelques mines16.
La nature, qui ſembloit vouloir2 les cacher, n’a pu3 les dérober4l’avidité5 de l’homme6. En multipliant les obſervations, on eſt parvenu à connoître les lieux où ſe trouvent les mines. Ce ſont, pour l’ordinaire, des montagnes, où les plantes croiſſent foiblement8 & jaunisſent vîte9 ; où les arbres ſont petits10 & tortueux11 ; où l’humidité des roſées, des pluies, des neiges même ne ſe conſerve pas12 ; où s’élevent des exhalaiſons ſulfureuſes13 & minérales ; [99]où les eaux ſont chargées de ſels vitrioliques ; où les ſables contiennent des parties métalliques. Quoique chacun de ces ſignes, pris ſolitairement, ſoit14 équivoque, il eſt rare qu’ils ſe réuniſſent tous, ſans que le terrein15 renferme quelque mine16.
La nature, qui ſembloit vouloir2 les cacher, n’a pu3 les dérober4l’avidité5 de l’homme6. En multipliant les obſervations, on eſt parvenu à connoître les lieux où ſe trouvent les mines. Ce ſont, pour l’ordinaire, des montagnes, où les plantes croiſſent foiblement8 & jauniſſent vîte9 ; où les arbres ſont petits10 & tortueux11 ; où l’humidité des roſées, des pluies, des neiges même ne ſe conſerve pas12 ; où s’élèvent des exhalaiſons ſulfureuſes13 & minérales ; où les eaux ſont chargées de ſels vitrioliques ; où les ſables contiennent des parties métalliques. Quoique chacun de ces ſignes, pris ſolitairement, ſoit14 équivoque, il eſt rare qu’ils ſe réuniſſent tous, ſans que le terrein15 renferme quelque mine16.
La nature, qui semblait vouloir2 les cacher, n’a pu3 les dérober4l’avidité5 de l’homme6. En multipliant les observations, on est parvenu à connaître les lieux où se trouvent les mines. Ce sont pour l’ordinaire des montagnes où les plantes croissent faiblement8 et jaunissent vite9 ; où les arbres sont petits10 et tortueux11 ; où l’humidité des rosées, des pluies, des neiges même, ne se conserve pas12 ; où s’élèvent des exhalaisons sulfureuses13 et minérales ; où les eaux sont chargées de sels vitrioliques ; où les sables contiennent des parties métalliques. Quoique chacun de ces signes, pris solitairement, soit14 équivoque, il est rare qu’ils se réunissent tous sans que le terrain15 renferme quelque mine16.
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[absent]
Mais à quelles conditions tirons-nous cette richeſſe ou ce poiſon des abîmes où la nature l’avoit renfermé ? Il faut percer des rochers à une profondeur immenſe ; creuſer des canaux ſouterrains1 qui garantiſſent des eaux qui affluent & qui menacent de toutes parts ; entraîner dans d’immenſes galeries des forêts coupées en étais ; ſoutenir les voutes de ces galeries, contre l’énorme peſanteur des terres qui tendent ſans ceſſe à les combler & à enfouir ſous leur chûte les hommes avares & audacieux qui les ont conſtruites ; creuſer des canaux & des aqueducs ; inventer ces machines hydrauliques ſi étonnantes & ſi variées, & toutes les formes diverſes de fourneaux ; courir le danger d’être étouffé ou conſumé par une exhalaiſon2 qui s’enflamme à la lueur des lampes qui éclairent le travail ; & périr enfin d’une phtiſie3 qui réduit la vie de l’homme à la moitié de ſa durée. Si l’on examine combien tous ces travaux ſuppoſent d’obſervations, de tentatives & d’eſſais, on reculera l’origine du monde bien au-delà de ſon antiquité connue. Nous montrer l’or, le fer, le [100]cuivre, l’étain & l’argent employés par les premiers hommes, c’eſt nous bercer d’un menſonge qui ne peut en impoſer qu’à des enfans.
Mais à quelles conditions tirons-nous cette richeſſe ou ce poiſon des abîmes où la nature l’avoit renfermé ? Il faut percer des rochers à une profondeur immenſe ; creuſer des canaux ſouterreins1 qui garantiſſent des eaux [481]qui affluent & qui menacent de toutes parts ; entraîner dans d’immenſes galeries des forêts coupées en étais ; ſoutenir les voûtes de ces galeries, contre l’énorme peſanteur des terres qui tendent ſans ceſſe à les combler & à enfouir ſous leur chûte les hommes avares & audacieux qui les ont conſtruites ; creuſer des canaux & des aqueducs ; inventer ces machines hydrauliques ſi étonnantes & ſi variées, & toutes les formes diverſes de fourneaux ; courir le danger d’être étouffé ou conſumé par une exalaiſon2 qui s’enflamme à la lueur des lampes qui éclairent le travail ; & périr enfin d’une phtiſie3 qui réduit la vie de l’homme à la moitié de ſa durée. Si l’on examine combien tous ces travaux ſuppoſent d’obſervations, de tentatives & d’eſſais, on reculera l’origine du monde bien au-delà de ſon antiquité connue. Nous montrer l’or, le fer, le cuivre, l’étain & l’argent employés par les premiers hommes, c’eſt nous bercer d’un menſonge qui ne peut en impoſer qu’à des enfans.
Mais à quelles conditions tirons-nous cette richesse ou ce poison des abîmes où la nature l’avait renfermé ? Il faut percer des rochers à une profondeur immense ; creuser des canaux souterrains1 qui garantissent des eaux qui affluent et qui menacent de toutes parts ; entraîner dans d’immenses galeries des forêts coupées en étais ; soutenir les voûtes de ces galeries contre l’énorme pesanteur des terres qui tendent sans cesse à les combler, et à enfouir sous leur chute les hommes avares et audacieux qui les ont construites ; creuser des canaux et des aquéducs ; inventer ces machines hydrauliques si étonnantes et si variées, et toutes les formes diverses de fourneaux ; courir le danger d’être étouffé ou consumé par une exhalaison2 [364] qui s’enflamme à la lueur des lampes qui éclairent le travail, et périr enfin d’une phthisie3 qui réduit la vie de l’homme à la moitié de sa durée. Si l’on examine combien tous ces travaux supposent d’observations, de tentatives et d’essais, on reculera l’origine du monde bien au-delà de son antiquité connue. Nous montrer l’or, le fer, le cuivre, l’étain et l’argent employés par les premiers hommes, c’est nous bercer d’un mensonge qui ne peut en imposer qu’à des enfans.
398
Leur exploitation n’a pas été toujours la même. Cet art a ſuivi le progrès des autres arts. Tout y a été perfectionné : la fouille qui conſiſte à écarter la terre qui couvre la roche où ſont les métaux ; il eſt défendu de la combler, afin que ceux qui voudroient exercer leur induſtrie dans les mêmes lieux ne ſoient par trompés ; les puits pratiqués pour deſcendre dans la mine & pour en ſortir ; les galleries ou chemins ſouterreins qui ſuivent la direction du filon que l’on a trouvé : les ouvrages de charpente, ou de maçonnerie deſtinés à ſoutenir la terre qui ſont au deſſus des travailleurs : les outils propres à détacher le minéral de ſa roche, & le feu qui ſupplée ſouvent à leur inſuffiſance : les machines qui ſervent à tirer de la mine les richeſſes qu’elle donne, ou les matieres inutiles dont on veut s’y débarraſſer : les pompes & les autres moyens indiſpenſables pour ſe délivrer des eaux qui forment le plus grand obſtacle que l’on ait à vaincre : les inventions pour mettre en mouvement, pour rafraîchir, pour renouveller l’air des ſouterreins, & pour emporter les exhalaiſons [68]mortelles dont ils ſont remplis. Voilà les préparatifs, les inſtrumens & les opérations néceſſaires pour l’exploitation des mines.

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399
Lorſque le travail de la mine1 eſt fini, celui de la métallurgie commence. Son objet eſt de ſéparer les métaux les uns des autres, & de les dégager des matieres étrangeres qui les enveloppent.
Lorſque le travail de la minéralogie1 eſt fini, celui de la métallurgie commence. Son objet eſt de ſéparer les métaux les uns des autres, & de les dégager des matieres étrangeres qui les enveloppent.
Lorſque le travail de la minéralogie1 eſt fini, celui de la métallurgie commence. Son objet eſt de ſéparer les métaux les uns des autres, [482]& de les dégager des matières étrangères qui les enveloppent.
Lorsque le travail de la minéralogie1 est fini, celui de la métallurgie commence. Son objet est de séparer les métaux les uns des autres, et de les dégager des matières étrangères qui les enveloppent.
400
Dans les pays où le bois eſt rare comme au Mexique, & dans preſque toute l’AmériqueMéridionale, elle emploie le mercure. La pratique conſtante des Eſpagnols dans le nouveaumonde, eſt, après avoir écraſé le minéral dans un moulin deſtiné à cet uſage, d’y mêler du mercure qui ſe combine avec l’or & avec l’argent ; mais plus difficilement avec l’argent qu’avec l’or, ſans s’unir avec la pierre qui ſervoit de matrice à ces métaux. Lorſque le mercure s’eſt chargé d’une quantité ſuffiſante d’or ou d’argent, on met en diſtillation l’amalgame qui s’eſt fait. La chaleur du feu fait évaporer le mercure, & l’or ou l’argent dont il étoit chargé reſtent au fond des vaiſſeaux.

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401

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Pour ſéparer l’or des pierres qui le contiennent, il ſuffit de les écraſer & de les réduire en poudre. On triture enſuite la matiere pulvériſée avec du vif argent1, qui s’unit avec ce précieux métal, mais ſans s’unir, ni avec le roc, ni avec le ſable, ni avec la terre qui s’y trouvoient mélés. Avec le ſecours du feu, on diſtille enſuite le mercure, qui, en partant, laiſſe l’or au fonds2 du vaſe dans l’état d’une poudre qu’on purifie à la coupelle. L’argent vierge n’exige pas d’autres préparations.
Pour ſéparer l’or des pierres qui le contiennent, il ſuffit de les écraſer & de les réduire en poudre. On triture enſuite la matière pulvériſée avec du vif argent1, qui s’unit avec ce précieux métal, mais ſans s’unir, ni avec le roc, ni avec le ſable, ni avec la terre qui s’y trouvoient mêlés. Avec le ſecours du feu, on diſtille enſuite le mercure, qui, en partant, laiſſe l’or au fond2 du vaſe dans l’état d’une poudre qu’on purifie à la coupelle. L’argent vierge n’exige pas d’autres préparations.
Pour séparer l’or des pierres qui le contiennent, il suffit de les écraser et de les réduire en poudre. On triture ensuite la matière pulvérisée avec du vif-argent1 qui s’unit avec ce précieux métal, mais sans s’unir, ni avec le roc, ni avec le sable, ni avec la terre qui s’y trouvaient mêlés. Avec le secours du feu on distille ensuite le mercure, qui, en partant, laisse l’or au fond2 du vase dans l’état d’une poudre qu’on purifie à la coupelle. L’argent vierge n’exige pas d’autres préparations.
402

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Mais, quand l’argent eſt combiné avec des ſubſtances étrangeres, ou avec des métaux d’une nature différente, il faut une grande capacité & une expérience conſommée pour le purifier. Tout autoriſe à penſer qu’on n’a pas ce talent dans le nouveau-monde.
Mais quand l’argent eſt combiné avec des ſubſtances étrangères, ou avec des métaux d’une nature différente, il faut une grande capacité & une expérience conſommée pour le purifier. Tout autoriſe à penſer qu’on n’a pas ce talent dans le Nouveau-Monde.
Mais, quand l’argent est combiné avec des substancesétrangères, ou avec des métaux d’une nature différente, il faut une grande capacité et une expérienceconsommée pour le purifier. Tout autorise à penser qu’on n’a pas ce talent dans le NouveauMonde [365] ;
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Auſſi eſt-il généralement reçu, que des mineurs Allemands ou Suédois, trouveroient dans le mineral déja exploité, plus de richeſſes [101] que l’Eſpagnol n’en a déja tirées1. Ils éleveroient leur fortune ſur des mines, qu’un défaut d’intelligence a fait rejetter2 comme inſuffiſantes pour payer les depenſes qu’elles exigeoient.
Auſſi eſt-il généralement reçu, que des mineurs Allemands ou Suédois, trouveroient dans le minéral déja exploité, plus de richeſſes que l’Eſpagnol n’en a déja tirées1. Ils éleveroient leur fortune ſur des mines, qu’un défaut d’intelligence a fait rejetter2 comme inſuffiſantes [483] pour payer les dépenſes qu’elles exigeoient.
aussi est-il généralement reçu que des mineurs allemands ou suédois trouveraient dans le minéral déjà exploité plus de richesses que l’Espagnol n’en a déjà tiré1. Ils éleveraient leur fortune sur des mines qu’un défaut d’intelligence a fait rejeter2 comme insuffisantes pour payer les dépenses qu’elles exigeaient.
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Cette méthode étoit inconnue aux1 Mexicains. La leur, quelle qu’elle2 fut, devoit être bien imparfaite. Auſſi quoique l’argent fut très-abondant dans3 leurs contrées, en4 avoient-ils infiniment moins5 que d’or qu’il eſt plus aiſé d’arracher la terre. Ils connoiſſoient le prix de l’un & de l’autre, quoiqu’ils en fiſſent peu d’uſage dans le commerce6. Ces métaux étoient7 pour eux plutôt8 un objet de curioſité qu’un ſecours pour leurs véritables beſoins, qu’un moyen univerſel de change9.
L’art des1 Mexicains, quel qu’il2 fût, étoit encore infiniment au-deſſous de celui de3 leurs oppreſſeurs. Auſſi4 avoient-ils moins d’argent5 que d’or. Ces métaux n’étoieut pas7 pour eux un moyen d’échange : c’étoit un objet de pur ornement, de ſimple curioſité9.

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405
Dans1 les premieres années qui ſuivirent la conquette2, les Eſpagnols s’épargnoient les ſoins, les travaux3, les dépenſes inſéparables4 de l’exploitation [69] des mines. On arrachoit aux Mexicains tout ce5 qu’ils avoient amaſſé de métaux depuis la fondation7 de leur empire. Les temples, les palais des grands, les maiſons des particuliers8, les moindres cabanes : tout étoit viſité9 & dépouillé. Quoique l’horreur des Indiens10 pour leurs oppreſſeurs fit rentrer beaucoup11 de ces richeſſes12 dans la terre, & en fit jetter encore plus dans13 le grand lac & dans14 les rivierres, l’imagination eſt étonné de la quantité qui s’en trouva15. Cette ſource épuiſée, il fallut recourir aux mines.
Dans1 les premieres années qui ſuivirent la conquête2, les Eſpagnols s’épargnoient les ſoins, les travaux3, les dépenſes inſéparables4 de l’exploitation des mines. On arrachoit aux Mexicains tout ce5 qu’ils avoient amaſſé de métaux, depuis la fondation7 de leur empire. Les temples, les palais des grands, les maiſons des particuliers8, les moindres cabanes, tout étoit viſité9 & depouillé. Quoique l’horreur des Indiens10 pour leurs tyrans fît rentrer beaucoup11 de ces richeſſes12 dans la terre, en fît jetter encore plus dans13 le grand lac & dans14 les rivieres, l’avarice trouva de quoi ſe ſatisfaire ou ſe conſoler15. Cette ſource épuiſée, il fallut recourir aux mines.
Avant l’arrivée des Caſtillans1, les Mexicains n’avoient d’or que ce que2 les torrens en détachoient des montagnes ; ils avoient moins d’argent encore, parce que3 les haſards qui pouvoient en faire tomber dans leurs mains, étoient infiniment plus rares. Ces métaux n’étoient pas pour eux un moyen d’échange, mais4 de pur ornement & de ſimple curioſité. Ils y étoient peu attachés. Auſſi prodiguèrent-ils d’abord le peu5 qu’ils en6 avoient une nation étrangère qui en faiſoit ſon idole ; auſſi en jettoient-ils aux pieds7 de ſes chevaux, qui, en mâchant leurs mords, devoient paroître s’en nourrir. Mais, lorſque8 les hoſtilités entre les deux peuples eurent commencé9, & meſure que l’animoſité augmentoit, ces perfides tréſors furent jettés en partie dans les lacs & dans les rivières10, pour en priver un ennemi implacable qui ſembloit n’avoir paſſé tant11 de mers que pour en obtenir la poſſeſſion. Ce fut ſur-tout12 dans la capitale & ſon voiſinage qu’on prit ce parti. Après la ſoumiſſion13, le conquérant parcourut l’empire pour ſatisfaire ſa paſſion dominante14 [484]. Les temples, les palais, les maiſons des particuliers, les moindres cabanes : tout fut viſité, tout fut dépouillé15. Cette ſource épuiſée, il fallut recourir aux mines.

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406
On en fouilla d’abord indifféremment partout, & de préférence ſur les côtes. L’expérience ayant prouvé que celles qui étoient les plus voiſines de l’Océan, étoient les moins abondantes on s’en dégoûta. Aujourd’hui on n’en exploite aucune qui1 ne ſoit à une très-grande diſtance de la mer du Nord, où elle ſeroit expoſée aux in- cuſſions, peut-être aux invaſions2 des Européens. Ce qui s’en trouve ſur le golphe3 de Californie paroît jouir d’une sûreté entiere, juſqu'à4 ce que ces parages ſoient plus connus &5 plus fréquentés. Les principales6 ſont dans le Zacatecas, la nouvelle Biſcaye & le Mexico, trois provinces ſituées dans l’intérieur de l’Empire, où il eſt impoſſible à l’ennemi d’arriver par terre, & ou des rivieres navigables ne conduiſent pas. Elles peuvent occuper quarante mille Indiens, dirigés par quatre mille Eſpagnols9.
On en fouilla d’abord indifféremment par tout, & par préférence ſur les côtes. L’expérience ayant prouvé que celles qui étoient [102]les plus voiſines de l’Océan, étoient les moins abondantes, on s’en dégoûta. Aujourd’hui l’on n’en exploite aucune qui1 ne ſoit à une très-grande diſtance de la mer du Nord, où elle ſeroit expoſée aux incurſions, peut-être aux invaſions2 des Européens. Ce qui s’en trouve ſur le golfe3 de Californie, paroît jouir d’une ſûreté entiere, juſqu’à4 ce que ces parages ſoient plus connus &5 plus fréquentés. Les principales6 ſont dans le Zacatecas, la nouvelle Biſcaye & le Mexico, trois provinces ſituées dans l’intérieur de l’empire, où il eſt impoſſible à l’ennemi d’arriver par terre, & où des rivieres navigables ne conduiſent pas. Elles peuvent occuper quarante mille Indiens, dirigés par quatre mille Eſpagnols9.
Celles qui pouvoient donner des plus grandes eſpérances ſe trouvoient dans des contrées qui n’avoient jamais ſubi le joug Mexicain. Nuno de Guſman fut chargé en 1530, de les aſſervir. Ce que ce capitaine devoit un nom illuſtre1 ne l’empêcha pas de ſurpaſſer en férocité tous les aventuriers, qui juſqu’alors avoient inondé de ſang les infortunées campagnes du Nouveau-Monde. Sur2 des milliers de cadavres, il vint bout, en moins3 de deux ans, d’établir une domination très-étendue, dont on forma l’audience de Guadalaxara4. Ce fut toujours la partie de la Nouvelle-Eſpagne la5 plus abondante en métaux. Ces richeſſes6 ſont ſur-tout communes dans la Nouvelle-Galice, dans la NouvelleBiſcaye, & principalement7 dans le pays de8 Zacatecas. Du ſein de ces arides montagnes ſort la plus grande partie des 80,000,000 liv. qu’on fabrique annuellement dans les monnoies du Mexique. La circulation intérieure, les Indes Orientales, les iſles nationales & [485]la contrebande, abſorbent près de la moitié de ce numéraire. On en porte dans la métropole 44,196,047 liv. quoi il faut ajouter cinq mille ſix cens trente-quatre quintaux de cuivre qui ſont vendus en Europe 453,600 l9.
Celles qui dans la nouvelle Espagne pouvaient donner de plus grandes espérances se trouvaient dans des contrées qui n’avaient jamais subi le joug mexicain. Nuno de Gusman fut chargé en 1530 de les asservir. Ce que ce capitaine devait à un nom illustre1 ne l’empêcha pas de surpasser en férocité tous les aventuriers qui jusqu’alors avaient inondé de sang les infortunées campagnes du Nouveau-Monde. Sur2 des milliers de cadavres il vint à bout, en moins3 de deux ans, d’établir une domination très-étendue, dont on forma l’audience de Guadalaxara4. Ce fut toujours la partie de la nouvelle Espagne la5 plus abondante en métaux. Ces richesses6 sont surtout communes dans la Nouvelle-Galice, dans la NouvelleByscaie, et principalement7 dans le pays de8 Zacatecas.
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Les mines appartiennent à celui qui les découvre. Les formalités auxquelles il eſt aſſujetti ſe réduiſent à faire approuver ſes échantillons par le gouvernement. On lui accorde autant de terrein qu’il veut ; mais il eſt obligé de donner une piaſtre par pied au propriétaire. Le tiers de [70]ce qu’il achete, paſſe au domaine, qui après avoir eu long-tems la manie funeſte de le faire exploiter pour ſon compte, a pris le parti de le vendre à qui veut le payer, & par préférence au mineur. Toutes les mines abandonnées tombent auſſi dans les mains du roi.
Les mines appartiennent à celui qui les découvre. Les formalités auxquelles il eſt aſſujetti, ſe réduiſent à faire approuver ſes échantillons par le gouvernement. On lui accorde autant de terrein qu’il en1 veut ; mais il eſt obligé de donner une piaſtre ou 5 livres 5 ſols2 par pied au propriétaire. Le tiers de ce qu’il achete, paſſe au domaine, qui, après avoir eu long-tems la manie funeſte de le faire exploiter pour ſon compte, a pris le parti de le vendre à qui veut le payer, & par préférence au mineur. Toutes les mines abandonnées tombent auſſi dans les mains du Roi.

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408
Il tire quatre-vingt piaſtres1 de chaque quintal de mercure qu’on emploie. Inutilement les gens éclairés ont repréſenté ſouvent que ce prix exceſſif faiſoit néceſſairement languir les travaux : on s’eſt refuſé à leurs inſtances. Tout ce qu’elles ont produit, c’eſt qu’on a accordé un crédit de deux ans, mais dont on ſe fait payer les intérêts. Rarement ceux qui entreprennent d’exploiter des mines ſont-ils hors d’état de ſe paſſer de ces facilités. On ne voit guere ſe livrer à ces entrepriſes incertaines & dangereuſes, que des hommes dont les affaires ſont équivoques, ou tout-à-fait ruinées.
Il tire 420 livres1 de chaque quintal de mercure qu’on emploie. Inutilement les gens éclairés ont repréſenté ſouvent que ce prix exceſſif faiſoit néceſſairement languir les travaux : on s’eſt refuſé à leurs inſtances. Tout ce qu’elles ont produit, c’eſt qu’on a accordé un crédit de deux ans, mais dont on ſe fait payer les intérêts. Rarement ceux qui entreprennent d’exploiter des mines, ſont-ils hors d’état de ſe paſſer de ces facilités. On ne voit guère ſe livrer à ces entrepriſes incertaines & dangereuſes, que des hommes dont les affaires ſont équivoques, ou tout-à-fait ruinées.

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409
Ce qui en éloigne ſur-tout les gens ſages & aiſés, c’eſt l’obligation, de livrer la cinquieme partie de l’argent, & la dixieme partie de l’or qu’on arrache des entrailles de la terre au gouvernement. Il s’eſt2 long-tems refuſé à cette différence ; mais à la fin3 il y4 a été forcé, parce que les mines d’or plus caſuelles que celles d’argent étoient entierement abandonnées. Les unes & les autres ſeront bientôt hors d’état de payer le tribut qui leur eſt impoſé. A meſure que leurs produits ſe multiplient dans le commerce, ils ont moins de valeurs, ils expriment6 moins de choſes7. Cet aviliſſement des métaux auroit eu de plus grands effets qu’il n’en a eu, ſi les travaux qui les procurent n’avoient été ſucceſſivement ſimplifiés. Cette œconomie8 approche tous les jours de ſon terme ſenſible, & lorſqu’elle y [71]ſera parvenue, la cour de Madrid ne pourra pas ſe diſpenſer de diminuer les droits, à moins qu’elle ne conſente à voir tomber les meilleures mines comme elle a vu négliger les médiocres. Peut-être la verrons nous dans peu9 réduite à ſe contenter de deux réales10 par marc qu’elle tire pour les droits de marque & de fabrication.
Ce qui en éloigne ſur-tout les gens ſages & aiſés, c’eſt l’obligation de livrer au gouvernement1 la cinquieme partie de l’argent, & la dixieme partie de l’or qu’on arrache des entrailles de la terre. L’état s’étoit2 long-tems refuſé à cette différence d’impoſition : mais3 il a été forcé d’y conſentir5, parce que les mines d’or plus caſuelles que celles d’argent, étoient entierement abandonnées. Les unes & les autres ſeront bientôt hors d’état de payer le tribut qui leur eſt impoſé. A meſure que leurs produits ſe multiplient dans le commerce, ils ont moins de valeur ; ils repréſentent6 moins de marchandiſes7. Cet aviliſſement des métaux auroit eu de plus grands effets qu’il n’en a eu, ſi les travaux qui les procurent [104] n’avoient été ſucceſſivement ſimplifiés. Cette économie8 approche tous les jours de ſon terme ſenſible ; & lorſqu’elle y ſera parvenue, la cour de Madrid ne pourra pas ſe diſpenſer de diminuer les droits, à moins qu’elle ne conſente à voir tomber les meilleures mines, comme elle a vu négliger les médiocres. Peut-être la verrons-nous bientôt9 réduite à ſe contenter de deux réaux ou de vingt-ſix ſols10 par marc qu’elle tire pour les droits de marque & de fabrication.

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410
Les monnoies du Mexique fabriquent annuellement douze à treize1 millions de piaſtres2. La ſixieme partie peu près3 en or, le reſte en argent. Il en paſſe environ la moitié en Europe, le ſixieme dans les Indes Orientales, un douzieme dans les iſles Eſpagnoles. Le reſte coule par une tranſpiration inſenſible dans les colonies étrangeres, ou circule dans l’empire. Il y ſert au commerce intérieur, & au payement des impoſitions qui ſont conſidérables.
Les monnoies du Mexique fabriquent annuellement environ 651 millions de livres2 ; la ſixieme partie à-peu-près3 en or, le reſte en argent. Il en paſſe environ la moitié en Europe, le ſixieme dans les Indes Orientales, un douzieme dans les iſles Eſpagnoles. Le reſte coule par une tranſpiration inſenſible, dans les colonies étrangeres, ou circule dans l’empire. Il y ſert au commerce intérieur, & au payement des impoſitions qui ſont conſidérables.

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411
Tous les Indiens mâles payent depuis dix-huit ans juſqu’à cinquante, une capitation de dix-huit réaux1, dont ſeize2 doivent être verſés dans les caiſſes du gouvernement, & le reſte eſt deſtiné à divers uſages. Les métis qui ſont cenſés Indiens dans les deux premieres générations, & les mulâtres libres ſont aſſervis au même droit. On en exempte les eſclaves negres pour leſquels on a donné au roi trente-ſix piaſtres3 à leur entrée dans la colonie.
Tous les Indiens mâles payent, depuis dix-huit ans juſqu’à cinquante, une capitation de 11 livres 16 ſols1, dont les huit neuviemes2 doivent être verſés dans les caiſſes du gouvernement, & le reſte eſt deſtiné à divers uſages. Les métis, qui ſont cenſés Indiens dans les deux premieres générations, & les mulâtres libres, ſont aſſervis au même droit. On en [105]exempte les eſclaves négres, pour leſquels on a donné au roi 280 livres3 à leur entrée dans la colonie.

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412
Les Eſpagnols qu’on n’a pas avilis juſqu’à leur impoſer un tribut perſonnel, ſont aſſujettis à toutes les autres taxes. La plus forte eſt celle de trente-trois pour cent du prix de toutes les marchandiſes que l’Europe leur envoye. L’ancien monde en retient vingt-cinq ſous diverſes dénominations, & il en eſt payé huit à leur entrée dans le nouveau. Cet impôt ruineux n’empêche [72] pas qu’elles ne ſoient ſoumiſes dans la ſuite à l’alcavala.
Les Eſpagnols qu’on n’a pas avilis juſqu’à leur impoſer un tribut perſonnel, ſont aſſujettis à toutes les autres taxes. La plus forte eſt celle de trente-trois pour cent du prix de toutes les marchandiſes que l’Europe leur envoye. L’ancien monde en retient vingt-cinq ſous diverſes dénominations, & il en eſt payé huit à leur entrée dans le nouveau. Cet impôt ruineux n’empêche pas qu’elles ne ſoient ſoumiſes dans la ſuite à l’alcavala.

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413
L’alcavala eſt un droit ſur toutes les choſes qui ſe vendent ou ſe changent1, & autant de fois qu’elles ſe vendent ou qu’elles ſe changent3. Il fut établi dans la métropole en 1341, & s’eſt élevé peu peu4 juſqu’à dix pour cent de la valeur de la marchandiſe vendue en gros, & juſqu’à quatorze de la marchandiſe vendue en détail. Philippe II après le déſaſtre de ſa flotte ſi connue ſous le titre faſtueux d’invincible, fut déterminé par ſes beſoins à introduire cette impoſition5 dans le Mexique, comme dans ſes autres colonies. Quoiqu’elle ne dut durer6 qu’un tems, elle s’eſt perpétuée. Il eſt vrai qu’elle n’a pas été augmentée, & qu’elle eſt reſtée à deux & demi pour cent, où elle fut d’abord fixée. La Cruciade n’a pas eu la même ſtabilité.
L’alcavala eſt un droit ſur toutes les choſes qui ſe vendent ou s’échangent1, & que l’on paye2 autant de fois qu’elles ſe vendent ou s’échangent3. Il fut établi dans la métropole en 1341, & s’eſt élevé peu-à-peu4 juſqu’à dix pour cent de la valeur de la marchandiſe vendue en gros, & juſqu’à quatorze de la marchandiſe vendue en détail. Philippe II, après le déſaſtre de ſa flotte, ſi connue ſous le titre faſtueux d’invincible, fut déterminé par ſes beſoins à introduire cette impoſitions5 dans le Mexique, comme dans ſes autres colonies. Quoiqu’elle ne dût exiſter6 qu’un tems, elle s’eſt perpétuée. Il eſt vrai qu’elle n’a pas été augmentée, & qu’elle eſt reſtée à deux & demi pour cent, où elle fut d’abord fixée. La cruciade n’a pas eu la même ſtabilité.

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414
C’eſt une bulle qui donne de grandes indulgences, & qui permet l’uſage des œufs, du beurre, du fromage pendant le carême. Le gouvernement à qui la cour de Rome en a abandonné le bénéfice, avoit diſtribué en quatre claſſes ceux qui voudroient en profiter. Elle étoit payée trois réaux & demi1 par ceux qui vivoient du fruit de leur induſtrie. Ceux qui étoient parvenus à ſe faire un capital de deux mille piaſtres2, la payoient huit réaux3. Elle coûtoit deux piaſtres4 à ceux qui en5 poſſédoient plus de dix mille6, & dix piaſtres7 au vice-roi, & à ceux qui étoient revêtus des dignités les plus honorables. On s’en rapportoit à la conſcience de chaque citoyen, en l’avertiſſant qu’il n’obtenoit rien s’il ne proportionnoit ſa contribution à ſa fortune. Le Mexique ſeul rendoit alors [73]environ cinq cens mille piaſtres8. Il eſt vraiſemblable que cette ſuperſtition s’affoibliſſoit, puiſque le miniſtere a fixé en 1756, pour tous les états, la bulle à trois réaux9. Le gouvernement n’oblige perſonne à la prendre ; mais les prêtres refuſeroient les conſolations de la religion à ceux qui ne l’auroient pas achetée ; & il n’y a peut-être dans toute l’Amérique Eſpagnole un homme aſſez éclairé, ou aſſez hardi pour s’élever au deſſus11 de cette tyrannie. On parle beaucoup de ſauvages & de barbares ; mais ceux dont la religion & le gouvernement ſe jouent ainſi, ſont-ils des ſauvages du nouveau monde ou de l’ancien, du nord ou du midi12 ?
C’eſt une bulle qui donne de grandes indulgences, & qui permet l’uſage des œufs, du beurre, du fromage, pendant le carême. Le gouvernement, à qui la cour de Rome en a abandonné le bénéfice, avoit diſtribué en quatre claſſes ceux qui voudroient en profiter. Elle étoit payée 2 livres 6 ſols1, par ceux qui vivoient du fruit de leur induſtrie. Ceux qui étoient parvenus à ſe faire un capital de 10, 500 livres2, la payoient 5 livres 5 ſols3 ; elle coûtoit 10 livres 10 ſols4 à ceux qui poſſédoient plus de 58, 600 livres6 ; & 52 livres 10 ſols7 au viceroi, & à ceux qui étoient revêtus des dignités les plus honorables. On s’en rapportoit à la conſcience de chaque citoyen, en l’avertiſſant qu’il n’obtenoit rien, s’il ne proportionnoit ſa contribution à ſa fortune. Le Mexique ſeul rendoit alors environ 2,600,000 liv8. Il eſt vraiſemblable que cette ſuperſtition s’affoibliſſoit, puiſque le miniſtère a fixé en 1756, pour tous les états, la bulle à quarante ſols9. Le gouvernement n’oblige perſonne à la prendre ; mais les prêtres refuſeroient les conſolations de la religion à ceux qui ne l’auroient pas achetée ; & il n’y a peut-être pas10 dans toute l’Amérique Eſpagnole un homme aſſez éclairé, ou aſſez hardi, pour s’élever au-deſſus11 de cette tyrannie.

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Un genre d’oppreſſion qui n’a pas été porté ſi patiemment ; c’eſt l’impôt qu’on a mis dans les derniers tems ſur le ſel & ſur le tabac. Les peuples qui ſouffroient ſans murmurer, peut-être1 ſans les trop ſentir leurs anciens maux2, ont été révoltés de ces nouveautés. L’une leur a paru ſi oppoſée au droit naturel, & l’autre contrarioit ſi fort un de leurs goûts les plus vifs, que quoique façonnés de longue main au joug, ils ont murmuré3. La conduite atroce des fermiers a beaucoup ajouté au mécontentement. Il s’eſt manifeſté d’un bout de l’Empire à l’autre, avec un éclat qui a retenti juſqu’en Europe. Des tempéramens ont pallié le mal ; mais les eſprits ſont toujours dans une fermentation que la métropole finira4 difficilement ſans des5 ſacrifices. Un des plus agréables à ſes colonies ſeroit celui du papier marqué.
Un genre d’oppreſſion qui n’a pas été porté ſi patiemment, c’eſt l’impôt qu’on a mis dans [107]les derniers tems ſur le ſel & ſur le tabac. Les peuples, qui ſouffroient leurs anciens maux1 ſans murmurer2, ont été révoltés de ces nouveautés. L’une leur a paru ſi oppoſée au droit naturel, & l’autre contrarioit ſi fort un de leurs goûts les plus vifs, que quoique façonnés de longue main au joug, ils ſe ſont ſoulevés3. La conduite atroce des fermiers a beaucoup ajouté au mécontentement. Il s’eſt manifeſté d’un bout de l’empire à l’autre, avec un éclat qui a retenti juſqu’en Europe. Des tempéramens ont pallié le mal ; mais les eſprits ſont toujours dans une fermentation que la métropole appaiſera4 difficilement ſans quelques5 ſacrifices. Un des plus agréables à ſes colonies ſeroit celui du papier marqué.

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Indépendamment des tribus1 réguliers que l’Eſpagne exige de ſes colonies, elle en tire2 dans des tems fâcheux, ſous le nom d’emprunt, des ſommes conſidérables dont ont3 n’a jamais payé [74]ni les intérêts, ni les capitaux. Cette vexation qui a commencé du tems de Philippe II s’eſt perpétuée juſqu’à nos jours. Elle a été plus ſouvent répétée ſous Philippe V que dans le cours des autres regnes, ce qui n’a4 pas pu5 contribué à rendre le nom François odieux dans ces contrées. La contribution qui a porté ſur tous ceux qui avoient quelque fortune, a été plus forte au Mexique qu’ailleurs, parce que les Européens, les Créoles, les Métis, les Mulâtres, les Indiens, ſur-tout, y jouiſſoient d’une plus grande aiſance. La proſpérité publique y a été bien diminuée par ces loix fiſcale, & c’eſt tous les jours encore plus par l’avidité du clergé.
Indépendamment des tributs1 réguliers que l’Eſpagne exige de ſes colonies, elle y leve2 dans des tems fâcheux, ſous le nom d’emprunt, des ſommes conſidérables dont on3 n’a jamais payé ni les intérêts, ni les capitaux. Cette vexation, qui a commencé du tems de Philippe II, s’eſt perpétuée juſqu’à nos jours. Elle a été plus ſouvent répétée ſous Philippe V, que dans le cours des autres regnes, ce qui n’ a4 pas peu5 contribué à rendre le nom François odieux dans ces contrées. La contribution, qui a porté ſur tous ceux qui avoient quelque fortune, a été plus forte au Mexique qu’ailleurs ; parce que les Européens, [108]les créoles, les métis, les mulâtres, les Indiens, ſur-tout, y jouiſſoient d’une plus grande aiſance. La proſpérité publique y a été bien diminuée par ces loix fiſcales, & l’eſt tous les jours encore plus par l’avidité du clergé.

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Il tire rigoureuſement la dîme de tout ce qui ſe récolte. Les fonctions de ſon état lui ſont payées à un prix extravagant. Ses terres ſont immenſes, & acquierent tous les jours plus d’étendue. On le croit en poſſeſſion du quart des revenus de l’empire. Le ſeul évêque de Los Angelos1 a deux cens quarante mille piaſtres2 de rente. Ces richeſſes ſcandaleuſes ont tellement multiplié les eccléſiaſtiques, qu’ils forment aujourd’hui le cinquieme de toute la population des blancs. Quelques-uns ſont nés dans la Colonie. La plupart ſont des avanturiers arrivés d’Europe, pour ſe ſouſtraire à l’autorité de leurs ſupérieurs, ou pour faire promptement fortune.
Il tire rigoureuſement la dîme de tout ce qui ſe récolte. Les fonctions de ſon état lui ſont payées à un prix extravagant. Ses terres ſont immenſes, & acquierent tous les jours plus d’étendue. On le croit en poſſeſſion du quart des revenus de l’empire. Le ſeul évêque d’Angeles1, a 1,260,000 livres2 de rente. Ces richeſſes ſcandaleuſes ont tellement multiplié les eccléſiaſtiques, qu’ils forment aujourd’hui le cinquieme de toute la population des blancs. Quelques-uns ſont nés dans la colonie. La plupart ſont des avanturiers arrivés d’Europe, pour ſe ſouſtraire à l’autorité de leurs ſupérieurs, ou pour faire promptement fortune.

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Celle de la couronne n’eſt pas ce qu’elle devroit être. Les droits établis ſur les marchandiſes qui arrivent de Cadix, & ſur les mines, le vif-argent, la capitation, les impôts, le domaine ſont de ſi grands objets qu’on ne peut revenir de ſa ſurpriſe quand on voit que le monarque ne retire annuellement du Mexique, quoique la mieux adminiſtrée de ſes poſſeſſions, [75]qu’environ douze cens mille piaſtres1. Le reſte, c’eſt-à-dire, preſque tout, eſt abſorbé par le gouvernement civil & militaire du pays qui ſont l’un & l’autre dans le plus grand déſordre.
Celle de la couronne n’eſt pas ce qu’elle devroit être. Les droits établis ſur les marchandiſes qui arrivent de Cadix & ſur les mines, le vif-argent, la capitation, les impôts, le domaine, ſont de ſi grands objets, qu’on ne peut revenir de ſa ſurpriſe, quand on voit que le monarque ne retire annuellement du Mexique, quoique la mieux adminiſtrée de ſes poſſeſſions, qu’environ 6,300,000 livres1. [109]Le reſte, c’eſt-à-dire, preſque tout, eſt abſorbé par le gouvernement civil & militaire du pays, qui ſont l’un & l’autre dans le plus grand déſordre.

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Les finances ſont en proie à une foule de commis répandus partout ; aux corrégidors qui ont l’adminiſtration des provinces ; aux commandans des places ; à trois conſeils ſupérieurs de juſtice connus ſous le nom d’audience ; à ceux qui ont la plénitude de l’autorité, ou aux ſubalternes qui gagnent la confiance des gens en place. Une partie de ces rapines paſſe en Europe, l’autre ſert à nourrir l’orgueil, la pareſſe, le luxe, le libertinage d’un petit nombre de villes du Mexique, de ſa capitale ſingulierement.
Les finances ſont en proie à une foule de commis répandus par-tout, aux corregidors, qui ont l’adminiſtration des provinces ; aux commandans des places ; à trois conſeils ſupérieurs de juſtice, connus ſous le nom d’Audience ; à ceux qui ont la plénitude de l’autorité, ou aux ſubalternes qui gagnent la confiance des gens en place. Une partie de ces rapines paſſe en Europe ; l’autre ſert à nourrir l’orgueil, la pareſſe, le luxe, le libertinage d’un petit nombre de villes du Mexique, de ſa capitale ſingulierement.

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Dans les premières années qui ſuivirent la conquête, tous les paiemens ſe faiſoient avec des lingots d’argent, avec des morceaux d’or, dont le poids & la valeur avoient reçu la ſanction du gouvernement. Le beſoin d’une monnoie régulière ne tarda pas à ſe faire ſentir, & vers 1542 ces premiers métaux furent convertis en eſpèces de différentes grandeurs. On en fabriqua même de cuivre, mais les Indiens les dédaignèrent. Forcés d’en recevoir, ils les jettoient avec mépris dans les lacs & dans les rivières. En moins d’un an il en diſparut pour plus d’un million ; & ce fut une néceſſité de renoncer à un moyen d’échange qui révoltoit les dernières claſſes du peuple.

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Quoique l’éducation des troupeaux, les cultures & l’exploitation des mines ſoient reſtées, au Mexique, fort loin du terme où une nation active n’eût pas manqué de les porter, les manufactures y ſont dans un plus [486]grand déſordre encore. Celles de laine & de coton ſont aſſez généralement répandues : mais comme elles ſont entre les mains des Indiens, des métis, des mulâtres, & qu’elles ne ſervent qu’aux vêtemens des gens peu riches, leur imperfection ſurpaſſe tout ce qu’on peut dire. Il ne s’en eſt formé de moins défectueuſes1 qu’à Quexetaco où l’on fabrique d’aſſez beaux draps2. Mais c’eſt ſur-tout dans la province de Tlaſcala que les travaux ſont animés. Sa poſition entre Vera-Crux3 & Mexico, la douceur du climat, la beauté du pays, la fertilité des terres y ont fixé la plupart des ouvriers qui paſſoient de l’ancien dans le Nouveau-Monde. On en a vu ſortir ſucceſſivement des étoffes de ſoie, des rubans, des galons, des dentelles, des chapeaux qu’ont conſommés ceux des métis, ceux des Eſpagnols qui n’étoient pas en état de payer les marchandiſes apportées d’Europe. C’eſt los-Angèles4, ville étendue, riche & peuplée qui eſt le centre de cette induſtrie. Toute la fayence5, la plupart des verres & des cryſtaux6 qui ſe vendent dans l’empire, ſortent de ſes atteliers7. Le gouvernement y fait même fabriquer des armes à feu.
Quoique l’éducation des troupeaux, les cultures et l’exploitation des mines soient restées au Mexique fort loin du terme où une nation active n’eût pas manqué de les porter, les manufactures y sont dans un plus grand désordre encore. Celles de laine et de coton sont assez généralement [366] répandues ; mais comme elles sont entre les mains des Indiens, des métis, des mulâtres, et qu’elles ne servent qu’aux vêtemens des gens peu riches, leur imperfection surpasse tout ce qu’on peut dire. Il ne s’en est formé de moins défectueuse1 qu’à Queretaro2. Mais c’est surtout dans la province de Tlascala que les travaux sont animés. Sa position entre Véra-Cruz3 et Mexico, la douceur du climat, la beauté du pays, la fertilité des terres, y ont fixé la plupart des ouvriers qui passaient de l’ancien dans le Nouveau-Monde. On en a vu sortir successivement des étoffes de soie, des rubans, des galons, des dentelles, des chapeaux, qu’ont consommés ceux des métis, ceux des Espagnols qui n’étaient pas en état de payer les marchandises apportées d’Europe. C’est Puébla-de-los-Angelès4, ville étendue, riche et peuplée, qui est le centre de cette industrie. Toute la faïence5, la plupart des verres et des cristaux6 qui se vendent dans l’empire sortent de ses ateliers7. Le gouvernement y fait même fabriquer des armes à feu.
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L’indolence des peuples qui habitent la Nouvelle-Eſpagne, doit être une des principales cauſes qui ont retardé les proſpérités de cette région fameuſe, mais elle n’eſt pas la ſeule ; & la difficulté des communications doit avoir beaucoup ajouté à cette inertie. La circulation eſt continuellement arrêtée par toutes les entraves qu’a pu imaginer une adminiſtration injuſte & fiſcale. Il y a au plus deux rivières qui puiſſent porter de foibles1 canots, & aucune n’a même ce genre d’utilité dans toutes les ſaiſons. On ne voit quelques traces de chemin qu’auprès des grandes villes ; par-tout ailleurs, il faut voiturer les denrées ou les marchandiſes à dos de mulet, & ſur la tête des Indiens tout ce qui eſt fragile. Dans la plupart des provinces, la police fixe au voyageur ce qu’il doit payer pour le logement, les chevaux, les guides, pour la nourriture ; & cet uſage, tout barbare qu’on le trouvera, eſt encore préférable à ce qui ſe pratique dans les lieux où la liberté paroît plus reſpectée.
L’indolence des peuples qui habitent la Nouvelle-Espagne doit être une des principales causes qui ont retardé les prospérités de cette region fameuse ; mais elle n’est pas la seule ; et la difficulté des communications doit avoir beaucoup ajouté à cette inertie. La circulation est continuellement arrêtée par toutes les entraves qu’a pu imaginer une administration injuste et fiscale. [367]Il y a au plus deux rivières qui puissent porter de faibles1 canots, et aucune n’a même ce genre d’utilité dans toutes les saisons. On ne voit quelques traces de chemin qu’auprès des grandes villes ; partout ailleurs il faut voiturer les denrées ou les marchandises à dos de mulet, et sur la tête des Indiens tout ce qui est fragile. Dans la plupart des provinces, la police fixe au voyageur ce qu’il doit payer pour le logement, les chevaux, les guides, pour la nourriture ; et cet usage, tout barbare qu’on le trouvera, est encore préférable à ce qui se pratique dans les lieux où la liberté paraît plus respectée.
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Ces obſtacles à la proſpérité publique ont été fortifiés par le joug rigoureux ſous lequel des maîtres oppreſſeurs tenoient les Indiens [488]chargés de tous les travaux pénibles. Le mal eſt devenu plus grand par la diminution des bras employés au ſervice de la cupidité Européenne.
Ces obstacles à la prospérité publique ont été fortifiés par le joug rigoureux sous lequel des maîtres oppresseurs tenaient les Indiens chargés de tous les travaux pénibles. Le mal est devenu plus grand par la diminution des bras employés au service de la cupidité européenne.
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Les premiers pas des Caſtillans au Mexique furent ſanglans. Le carnage s’étendit durant le mémorable ſiège de Mexico ; & il fut pouſſé au-delà de tous les excès dans les expéditions entrepriſes pour remettre dans les fers des peuples déſeſpérés qui avoient tenté de briſer leurs chaînes. L’introduction de la petite-vérole, accrut la dépopulation, qui fut encore bientôt après augmentée par les épidémies de 1545 & de 1576, dont la première coûta huit cens1 mille habitans à l’empire, & la ſeconde deux millions, ſi l’on veut adopter les calculs du crédule, de l’exagérateur Torquemada. Il eſt même démontré que ſans aucune cauſe accidentelle, le nombre des indigènes s’eſt inſenſiblement réduit à très-peu de choſe. Selon les regiſtres de 1600, il y avoit cinq cens2 mille Indiens tributaires dans le diocèſe de Mexico ; & il n’y en reſtoit plus que cent dix-neuf mille ſix cens3 onze, en 1741. Il y en avoit deux cens4 cinquante-cinq mille dans le diocèſe de los-Angèles ; & [489]il n’en reſtoit que quatre-vingt-huit mille deux cens5 quarante. Il y en avoit cent cinquante mille dans le diocèſe de Oaxaca6 ; & il n’en reſtoit plus que quarante-quatre mille deux cens7 vingt-deux. Nous ignorons8 les révolutions arrivées dans9 les ſix10 autres égliſes11 : mais il eſt vraiſemblable qu’elles ont été partout les mêmes12.
Les premiers pas des Castillans au Mexique furent sanglans. Le carnage s’étendit durant le mémorable siége de Mexico ; et il fut poussé au-delà de tous les excès dans les expéditions entreprises pour remettre dans les fers des peuples désespérés qui avaient tenté de briser leurs chaînes. L’introduction de la petite-vérole accrut la dépopulation, qui fut encore bientôt après augmentée par les épidémies de 1545 et de 1576, dont la première coûta huit cent1 mille habitans à l’empire, et la seconde deux millions, si l’on [368]veut adopter les calculs du crédule, de l’exagérateur Torquémada. Il est même démontré que, sans aucune cause accidentelle, le nombre des indigènes s’est insensiblement réduit à très-peu de chose. Selon les registres de 1600, il y avait cinq cent2 mille Indiens tributaires dans le diocèse de Mexico ; et il n’y en restait plus que cent dix-neuf mille six cent3 onze en 1741. Il y en avait deux cent4 cinquante-cinq mille dans le diocèse de los-Angelès ; et il n’en restait que quatre-vingt-huit mille deux cent5 quarante. Il y en avait cent cinquante mille dans le diocèse de Guaxaca6, et il n’en restait plus que quarante-quatre mille deux cent7 vingt-deux. On na pas8 les mêmes détails sur9 les autres parties de l’empire11, mais trèsvraisemblablement ils ne diffèrent que peu de ceux que nous venons de transcrire12.
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L’uſage où étoient où ſont encore les Eſpagnols, les métis, les mulâtres, les nègres de prendre ſouvent leurs femmes parmi les Indiennes, tandis qu’aucune de ces races n’y a jamais ou preſque jamais choiſi des maris, a contribué ſans doute à l’affoibliſſement de cette nation : mais cette influence a dû être aſſez bornée ; & ſi nous ne nous trompons, une tyrannie permanente a produit des effets beaucoup plus étendus.

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On ne diſſimulera pas qu’à meſure que le peuple origène voyoit diminuer ſa population, celle des races étrangères augmentoit dans une progreſſion très-remarquable. En 1600, le diocèſe1 de Mexico ne comptoit que ſept mille de ces familles ; & leur nombre s’éleva en 17412cent dix-neuf mille cinq cens onze. Le diocèſe3 de los-Angèles n’en comptoit [490] que quatre mille ; &4 il s’éleva à trente mille ſix cens. Le diocèſe de Oaxaca n’en comptoit5 que mille ; & il s’éleva6ſept mille deux cens quatre-vingt-ſeize. Cependant les anciens habitans n’ont été qu’imparfaitement remplacés par7 les nouveaux8. La culture des terres & l’exploitation des mines étoient l’occupation ordinaire des Indiens. Les Eſpagnols, les métis, les mulâtres, les noirs même ont dédaigné, la plupart, ces grands objets. Pluſieurs vivent dans l’oiſiveté. Un plus grand nombre donnent quelques momens aux arts & au commerce. Le reſte eſt employé au ſervice des gens riches.
L’usage où étaient, où sont encore les Espagnols, les métis, les mulâtres, les nègres, de prendre souvent leurs femmes parmi les Indiennes, tandis qu’aucune1 de ces races n’y a jamais ou presque jamais choisi des maris, a contribué sans doute2l’affaiblissement3 de cette nation ; mais4 il est démontré que ces races étrangères ne se sont pas autant accrues5 que le peuple aborigène6 a diminué. L’eussent-elles égalé en nombre, elles ne l’auraient pas remplacé dans7 les travaux8. La culture des terres et l’exploitation des mines étaient l’occupation ordinaire des Indiens. Les Espagnols, les métis, les mulâtres, les noirs [369]même ont dédaigné, la plupart, ces grands objets. Plusieurs vivent dans l’oisiveté. Un plus grand nombre donnent quelques momens aux arts et au commerce. Le reste est employé au service des gens riches.
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Mexico qui put quelque tems2 douter ſi les Eſpagnols3 étoient des4 brigands ou des conquérans, ſe vit5 preſque totalement détruite6 par les guerres cruelles dont elle fut le théâtre. Cortez la rebâtit, l’embellit, en fit une cité comparable aux plus magnifiques de l’ancien monde, ſupérieure toutes celles du nouveau7.
Mexico, qui put quelque tems2 douter ſi les Eſpagnols3 étoient un eſſaim de4 brigands ou un peuple conquérant, ſe vit5 preſque totalement détruit6 par les guerres cruelles dont il fut le théâtre. Cortez ne tarda pas la rebâtir. On l’a dépuis augmentée & embellie7.
C’eſt ſur-tout dans la capitale de l’empire qu’on eſt révolté de ce dernier ſpectacle1. Mexico, qui put, quelque tems2, douter ſi les Caſtillans3 étoient un eſſaim de4 brigands ou un peuple conquérant, ſe vit5 preſque totalement détruit6 par les cruelles guerres dont il fut le théâtre. Cortès ne tarda pas à le rebâtir d’une manière fort ſupérieure ce qu’il étoit avant ſon déſaſtre7.
C’est surtout dans la capitale de l’empire qu’on est révolté de ce dernier spectacle1. Mexico, qui put quelque temps2 douter si les Espagnols3 étaient un essaim de4 brigands ou un peuple conquérant, avait été5 presque totalement détruit6 par les combats multipliés et opiniâtres qui s’étaient livrés dans ses murs mêmes durant un siége des plus singuliers dont l’histoire ait conservé le souvenir7.
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La ville s’élève au milieu d’un grand lac dont les rives offrent des ſites heureux qui ſeroient charmans, ſi l’art y ſecondoit un peu [491]la nature. Sur le lac même, l’œil contemple avec ſurpriſe & ſatisfaction des iſles flottantes. Ce ſont des radeaux formés avec des roſeaux entrelacés & aſſez ſolides pour porter de fortes couches de terre, & même des habitations légérement conſtruites. Quelques Indiens font là leur demeure & y cultivent une aſſez grande abondance de légumes. Ces jardins ſinguliers n’occupent pas toujours le même eſpace. Ils changent de ſituation, lorſque ce changement convient à leurs poſſeſſeurs.

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Des levées fort larges & bâties ſur pilotis conduiſent à la cité. Cinq ou ſix canaux portent à ſon centre & dans ſes plus beaux quartiers toutes les productions de la campagne. Une eau ſalubre qu’on tire d’une montagne éloignée ſeulement de cinq à ſix mille toiſes eſt diſtribuée dans toutes les maiſons & même à leurs différens étages par des aqueducs très-bien entendus.

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Cortez jugea cependant le chef-lieu de l’état qu’il venait de renverser propre à être aussi le centre de celui qu’il se proposait de fonder. Seulement il pensa que la nouvelle cité devait être autant supérieure à l’ancienne que le gouvernement qui allait se former serait au-dessus de celui qui venait de finir. Échauffé par cette idée, il traça lui-même le plan d’une ville immense, où il voulut que tout fût digne du monarque qu’il représentait, de la nation dont il était membre, et de la réputation qu’il avait acquise. La difficulté était de la peupler. On y réussit en déterminant à y continuer leur séjour les combattans que le fer, que la famine, que la contagion avaient épargnés. Ceux des auxiliaires dont l’attachement pour la Castille n’était pas douteux leur furent associés. Quelques Mexicains des plus distingués et [370]des plus actifs se chargèrent de bâtir des rues entières et d’y attirer des habitans. La plupart des aventuriers acceptèrent les meilleurs quartiers, et, à l’exemple de leur général, élevèrent des demeures magnifiques pour eux et pour leurs familles. On tint en réserve de vastes espaces pour les hommes avides que l’appât d’une grande fortune ne manquerait pas d’attirer, et de plus grands encore pour les places, pour les fontaines, pour les églises, pour les couvens, pour les édifices publics de tous les genres que la succession des temps amènerait. Le succès ne se fit pas attendre. Le nouveau Mexico devint très-rapidement et est resté jusqu’à nos jours la ville de l’autre hémisphère la plus belle, la plus opulente, et la plus peuplée. En 1777 le nombre des naissances s’y éleva à cinq mille neuf cent quinze, et celui des morts à cinq mille onze ; d’où on peut inférer que sa population approche de deux cent mille âmes.
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Sa forme eſt quarrée. Ses rues ſont larges, droites & bien pavées. Les édifices publics y ont de la magnificence, les palais de la grandeur, les moindres maiſons des commodités. Une puanteur dangereuſe qui s’exhaloit des canaux dont la ville étoit traverſée en a fait diminuer le nombre. Son circuit qui embraſſe des promenades fort décorées, des jardins délicieux eſt d’environ deux lieues. Les Eſpagnols y vivent dans une ſi grande ſécurité qu’ils ont jugé inutile de conſtruire des fortifications, d’avoir des troupes, de l’artillerie.

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Ses rues ſont larges, droites, & ſe coupent à angles droits. Les maiſons y ſont aſſez ſpacieuſes, mais ſans commodités ni décoration. Aucun des édifices publics qu’on montre avec le plus d’oſtentation aux voyageurs, ne rappelle à l’eſprit les beaux jours de l’architecture, pas même les bons tems gothiques. Les places principales ont une fontaine au milieu, [110]& ſont aſſez régulieres ; c’eſt tout leur mérite. On voit une promenade avec un jet-d’eau, où ſe réuniſſent huit allées, dont les arbres ont une forme & un feuillage peu agréables. La ſuperſtition a entaſſé les tréſors de toutes les parties du monde dans d’innombrables égliſes, ſans qu’il y en ait aucune qui éleve l’ame à des idées ſublimes, ou qui rempliſſe le cœur de ſentimens agréables.

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L’air qu’on y1 reſpire eſt très-tempéré. Il n’eſt [76]nullement déſagréable d’être vêtu2 toute l’année d’étoffe3 de laine. Les moindres précautions ſuffiſent pour n’avoir rien à ſouffrir de la chaleur. Charlequint4 demandoit à un Eſpagnol qui arrivoit de Mexico, combien il y avoit de tems entre l’été5 & l’hyver6, autant, répondit-il avec vérité & avec eſprit, qu’il en faut pour paſſer du ſoleil l’ombre.
L’air qu’on reſpire dans cette ville eſt très-tempéré. On y ſupporte2 toute l’année des vêtemens3 de laine. Les moindres précautions ſuffiſent pour n’avoir rien à ſouffrir de la chaleur. Charles-Quint4 demandoit à un Eſpagnol qui arrivoit de Mexico, combien il y avoit de tems entre l’été5 & l’hiver6 : Autant, répondit-il avec vérité & avec eſprit, qu’il en faut pour paſſer du ſoleil l’ombre.
L’air qu’on reſpire dans cette ville eſt très-tempéré. On y peut porter2 toute l’année des vêtemens3 de laine. Les moindres précautions ſuffiſent pour n’avoir rien à ſouffrir de la chaleur. Charles-Quint4 demandoit à un Eſpagnol [492]qui arrivoit de Mexico combien il y avoit de tems entre l’hiver5 & l’été6 : autant, répondit-il avec vérité & avec eſprit, qu’il en faut pour paſſer du ſoleil l’ombre.

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La ville eſt bâtie au milieu d’un grand lac diviſé en deux parties par une1 langue de terre fort étroite. Celle dont l’eau eſt douce, tranquille & poiſſonneuſe tombe dans l’autre qui eſt ſalée, communément agitée & ſans poiſſon. La circonférence de tout ce lac qui eſt inégal dans ſon étendue eſt d’environ trente lieues.
La ville eſt bâtie au milieu d’un grand lac, qu’une1 langue de terre fort étroite diviſe en deux parties2. Celle dont l’eau eſt douce, tranquille & poiſſonneuſe, tombe dans l’autre qui eſt ſalée, communément agitée & ſans poiſſon. La circonférence de tout ce lac, qui eſt inégal dans ſon étendue, eſt d’environ trente lieues.

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On ne s’accorde pas ſur l’origine de ces eaux. L’opinion la plus commune & la plus vraiſemblable les fait ſortir d’une grande & haute montagne ſituée au ſud-oueſt de Mexico, avec cette différence que l’eau ſalée coule ſous une terre remplie de mines qui lui communiquent ſa qualité.
On ne s’accorde pas ſur l’origine de ces eaux. L’opinion la plus commune & la plus vraiſemblable, les fait ſortir d’une grande & haute montagne ſituée au ſud-oueſt de Mexico [111], avec cette différence que l’eau ſalée coule ſous une terre remplie de mines qui lui communique ſa qualité.

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Avant la conquête, Mexico & beaucoup d’autres villes ſituées ſur les bords du lac, étoient expoſées à des inondations qui en rendoient le ſejour dangereux. Des digues conſtruites avec une dépenſe & des travaux incroyables ne ſuffiſoient pas toujours pour détourner les torrens qui ſe précipitoient des montagnes. Les Eſpagnols ont éprouvé les mêmes malheurs. Leur capitale a ſouvent vu deux ou trois pieds d’eau dans ſes murs. Les édifices les mieux entendus ont été plus d’une fois renverſés1. Quelques précautions qu’on prenne pour faire des fondemens ſolides, les maiſons ſont au bout d’un certain tems demi enſevelies2 dans un terrein qui n’eſt pas capable de3 les ſoutenir.
Avant la conquête, Mexico & beaucoup d’autres villes ſituées ſur les bords du lac, étoient expoſées à des inondations qui en rendoient le ſéjour dangereux. Des digues conſtruites avec une dépenſe & des travaux incroyables, ne ſuffiſoient pas toujours pour détourner les torrens qui ſe précipitoient des montagnes. Les Eſpagnols ont auſſi éprouvé ces calamités. La plupart de leurs bâtimens, quoique élevés avec ſoin & ſur pilotis, ſont, après1 quelques années, enfoncés de quatre, de cinq & de ſix pieds2 dans un terrein qui n’eſt pas aſſez ſtable pour3 les ſoutenir.

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Ces inconvéniens firent former le projet de procurer aux eaux un écoulement par un canal de dix lieues qui devoit les porter la riviere de Tula. Des rélations qu’on pourroit ſupçonner d’exagération quelque authentiques qu’elles paroiſſent, aſſurent qu’en 1604 on employa pendant ſix mois ce grand ouvrage, quatre cens ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens. Pour fournir aux dépenſes qu’exigeoit ce grand appareil1, on exigea le centieme du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes, impôt ſans exemple2 dans le nouveau monde. L’ignorance, le découragement, des intérêts particuliers firent échouer l’entrepriſe3.
Ces inconvéniens inſpirerent le projet de ménager un écoulement aux eaux. Des relations d’une enflure giganteſque aſſurent qu’en 1604, quatre cents ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens furent occupés creuſer ce canal. Pour trouver les fonds néceſſaires1, on exigea le centiéme du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes : impôt inconnu2 dans le nouveau-monde. L’ignorance, le découragement, les intérêts particuliers firent échouer cette noble & ſage entrepriſe3.
L’ingénieur Martinès eut, en 1607, l’idée d’un grand canal qui parut généralement préférable tous les moyens mis en uſage juſqu’à cette époque. Pour fournircette dépenſe1, on exigea le centième du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes : impôt inconnu2 dans le Nouveau-Monde. Quatre cens ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens furent occupés pendant ſix mois ce travail, & l’entrepriſe fut jugée enſuite impraticable3.

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Le vice-roi Ladereyra penſa en 1635 qu’il ſeroit avantageux, qu’il étoit même indiſpenſablede bâtir ailleurs1 Mexico. L’avarice qui ne vouloit rien ſacrifier ; la volupté qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe qui rédoutoitces ſoins : toutes les paſſions ſe réunirent pour traverſer cet arrangement, il fallut prendre le parti de reſter où on étoit3.
Le Viceroi Ladeyrera penſa en 1635 qu’il ſeroit avantageux, qu’il étoit même indiſpenſable [112] de bâtir ailleurs1 Mexico. L’avarice, qui ne vouloit rien ſacrifier ; la volupté, qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe, qui redoutoit les ſoins : toutes les pasſions ſe réunirent pour traverſer une idée, qui en elle-même étoit ſuſceptible d’objections raiſonnables3.
La cour fatiguée de la diverſité des opinions & des troubles qu’elle occaſionnoit, arrêta en 1631 que1 Mexico ſeroit abandonné & qu’on conſtruiroit ailleurs une nouvelle capitale2. L’avarice qui ne vouloit rien ſacrifier [497] ; la volupté qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe qui redoutoit les ſoins : toutes les paſſions ſe réunirent pour faire changer les réſolutions du miniſtère, & leur eſpérance ne fut pas trompée3.

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Les nouveaux effortsqu’on a fait1 depuis pour rendre ce ſejour auſſi ſûr qu’il eſt agréable n’ont pas été tout fait2 heureux, ſoit que l’art ait été mal employé, ſoit que la nature ait oppoſé au ſuccès des obſtaclesinſurmontables. Mexico reſte toujours expoſé à la fureur des eaux ; & la crainte d’y être enſeveli3a beaucoup diminué ſa population. La plupart des hiſtoriens aſſurent qu’elle paſſoit autrefoisdeux cens4 mille ames : aujourd’hui elle n’eſt que de ſoixante5 mille. Elle eſt formée par des eſpagnols, des métis, des indiens, des negres, des mulâtres, partant6 de races différentes depuis le blanc juſqu’au noir, qu’à peine parmi [78]cent viſages en trouveroit-on deux de la même couleur.
Les nouveaux efforts qu’on a faits1 depuis pour rendre ce ſéjour auſſi ſûr qu’il eſt agréable, n’ont pas été tout-à-fait2 heureux ; ſoit que l’art ait été mal employé ; ſoit que la nature ait oppoſé au ſuccès des obſtacles inſurmontables. Mexico reſte toujours expoſé à la fureur des eaux ; & la crainte des débordemens3 a beaucoup diminué ſa population. La plupart des hiſtoriens aſſurent qu’elle paſſoit autrefois deux cents4 mille ames : aujourd’hui elle n’eſt que de cinquante5 mille. Elle eſt formée par des Eſpagnols, des métis, des Indiens, des négres, des mulâtres, par tant6 de races différentes, depuis le blanc juſqu’au noir, qu’à peine parmi cent viſages en trouveroit-on deux de la même couleur.

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Avant1 cette émigration, dans le tems que la capitale de la nouvelle Eſpagne ſe peuploit d’Européens2, les richeſſes s’y étoient accumulées3un point incroyable. Tout ce4 qui eſt ailleurs5 de fer &6 de cuivre, fut7 d’argent ou d’or. On les8 fit ſervir ainſi que les perles & les pierres précieuſes9 à l’ornement des chevaux10, des valets11, des meubles les plus communs, aux plus viles offices. Les mœurs qui ſuivent toujours le cours du luxe ſe monterent au ton de cette magnificence romaneſque. Les femmes dans l’intérieur de leurs palais12 furent ſervies par des milliers d’eſclaves, & ne parurent en public qu’avec un cortege réſervé parmi nous à la majeſté du trône. Les hommes ajoutoient à ces profuſions, des profuſions encore plus grandes pour des negreſſes qu’ils élevoient publiquement au rang de leurs maîtreſſes. Ce luxe ſi effréné dans les actions ordinaires de la vie, paſſoit toutes les13 bornes à l’occaſion de la moindre fête. L’orgueil général étoit alors en mouvement, & chacun prodiguoit les14 millions pour juſtifier le ſien. Les crimes néceſſaires pour ſoutenir ces extravagances, étoient effacés d’avance : la ſuperſtition déclaroit ſaint & juſte tout homme qui donneroit beaucoup aux égliſes.
Avant1 cette émigration2, les richeſſes s’étoient accumulées dans Mexico3un point incroyable. Tout ce4 qui ailleurs eſt5 de fer &6 de cuivre, fut7 d’argent ou d’or. On fit ſervir ces brillans métaux, ainſi que les perles & les pierres pricieuſes,9 à l’ornement [113] des chevaux10, des valets11, des meubles les plus communs, aux plus vils offices. Les mœurs qui ſuivent toujours le cours du luxe, ſe monterent au ton de cette magnificence romaneſque. Les femmes, dans l’intérieur de leurs palais12, furent ſervies par des milliers d’eſcalves, & ne parurent en public qu’avec un cortége réſervé, parmi nous, à la majeſté du trône. Les hommes ajoûtoient à ces profuſions, des profuſions encore plus grandes pour des négreſſes qu’ils élevoient publiquement au rang de leurs maitreſſes. Ce luxe ſi effréné dans les actions ordinaires de la vie, paſſoit toutes bornes à l’occaſion de la moindre fête. L’orgueil général étoit alors en mouvement, & chacun prodiguoit des14 millions pour juſtifier le ſien. Les crimes néceſſaires pour ſoutenir ces extravagances étoient effacés d’avance : la ſuperſtition déclaroit ſaint & juſte tout homme qui donneroit beaucoup aux égliſes.
L’avantage qu’a1 cette cité d’être le chef-lieu de la Nouvelle-Eſpagne en a ſucceſſivement multiplié2 les habitans. En 1777, le nombre des naiſſances s’y éleva3cinq mille neuf cens quinze & celui des morts cinq mille onze ; d’où l’on peut conclure que ſa population ne s’éloigne guère de deux cens mille ames. Tous les citoyens ne ſont pas opulens : mais pluſieurs le ſont plus peut-être qu’en aucun lieu du globe. Ces richeſſes accumulées très-rapidement eurent bientôt une influence remarquable. La plupart des choſes4, qui ſont ailleurs5 de fer ou6 de cuivre, furent7 d’argent ou d’or. On fit ſervir ces brillans métaux9 à l’ornement des valets10, des chevaux11, des meubles les plus communs, aux plus vils offices. Les mœurs, qui ſuivent toujours le cours du luxe, ſe montèrent au ton de cette magnificence romaneſque. Les femmes, dans leur intérieur12, furent ſervies par des milliers d’eſclaves, & ne parurent en public qu’avec un cortège réſervé parmi nous [493]à la majeſté du trône. Les hommes ajoutoient à ces profuſions des profuſions encore plus grandes pour des négreſſes qu’ils élevoient publiquement au rang de leurs maîtreſſes. Ce luxe ſi effréné dans les actions ordinaires de la vie, paſſoit toutes les13 bornes à l’occaſion de la moindre fête. L’orgueil général étoit alors en mouvement, & chacun prodiguoit les14 millions pour juſtifier le ſien. Les crimes néceſſaires pour ſoutenir ces extravagances étoient effacés d’avance : la ſuperſtition déclaroit ſaint & juſte tout homme qui donneroit beaucoup aux égliſes.

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Les tréſors & le faſte qui en eſt la ſuite, ont dû néceſſairement diminuer à Mexico, à meſure que ceux qui les poſſédoient ont été chercher un aſile1Los Angelos2, & dans d’autres villes. Cependant l’avantage qu’elle a3 d’être au centre de la domination, le ſiege du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnoies, [79]le ſejour des plus grands propriétaires des terres, des plus riches négocians, a toujours retenu5 dans ſes mains la plupart des grandes affaires de l’empire.
Les tréſors, & le faſte qui en eſt la ſuite, ont dû néceſſairement diminuer à Mexico, à meſure que ceux qui les poſſédoient ont été chercher un aſyle1Angeles2, & dans d’autres villes. Cependant l’avantage qu’a cette capitale3 d’être au centre de la domination, le ſiége du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnoies, le ſéjour des plus [114]grands propriétaires des terres &4 des plus riches négocians, a toujours fixé5 dans ſes mains la plupart des grandes affaires de l’empire.

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Celles qu’il fait avec les autres parties de l’Amérique ſont très-bornées. Par la mer du nord, il reçoit de Maracaïbo & de Caraque du cacao fort ſupérieur au ſien, & des negres par la voye1 de la Havane & de Carthagene : il donne en échange des farines & de l’argent.
Celles qu’il fait avec les autres parties de l’Amérique, ſont très-bornées. Par la mer du Nord, il reçoit de Maracaïbo & de Caraque du cacao fort ſupérieur au ſien, & des négres par la voie1 de là Havane & de Carthagene : il donne en échange des farines & de l’argent.

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Ses liaiſons avec la mer du ſud lui ſont plus utiles, ſans être beauco up plus conſidérables. Dans les premiers tems, il fut permis au Pérou d’envoyer tous les ans à la nouvelle Eſpagne1 deux vaiſſeaux dont les cargaiſons réunies ne devoient pas valoir plus de deux cens2 mille piaſtres. On les réduiſit3 peu après à un. Cette navigation fut depuis4 totalement ſupprimée5 en 1636, ſous prétexte qu’elle ruinoit le commerce de la métropole par l’abondance des marchandiſes des Indes orientales qu’elle introduiſoit. Les négocians de Limas ſe plaignirent long-tems inutilement d’une loi barbare qui les privoit du double avantage de vendre le ſuperflu de leurs denrées, & de recevoir celles qui leur manquoient. La communication entre les deux colonies fut enfin rétablie, mais avec des reſtrictions qui prouvent que le gouvernement n’avoit pas acquis des lumieres, & qu’il ne faiſoit que céder à l’importunité. Depuis cette époque des bâtimens expédiés de Callao & de Guayaquil, portent du cacao, des huiles, des vins, des eaux-de-vie, à Acapulco & à Sonſonate, ſur la côte de Guatimala, & en rapportent du brai, du goudron, du roucou7, de l’indigo, de la cochenille, du fer, des merceries de les angeles8, & autant [80]qu’ils peuvent en contrebande des marchandiſes arrivées des Philippines, ces iſles ſi célébres en Europe par les rapports qu’elles ont avec le Mexique. L’importance de cette communication paroît exiger que nous remontions à ſon origine.
Ses liaiſons avec la mer du Sud lui ſont plus utiles, ſans être beaucoup plus conſidérables. Dans les premiers tems, il fut permis au Pérou d’envoyer tous les ans à la Nouvelle-Eſpagne1 deux vaiſſeaux, dont les cargaiſons réunies ne devoient pas valoir plus d’un million dix2 mille livres. Cette navigation fut réduite3 peu après à la moitié. On la ſupprima4 totalement en 1636, ſous prétexte qu’elle ruinoit le commerce de la métropole, par l’abondance des marchandiſes des Indes orientales qu’elle introduiſoit. Les négocians de Lima ſe plaignirent long-tems &6 inutilement, d’une loi barbare qui les privoit du double avantage de vendre le ſuperflu de leurs denrées, & de recevoir celles qui leur manquoient. La communication entre les deux colonies fut enfin rétablie, mais avec des reſtrictions qui prouvent [115]que le gouvernement n’avoit pas acquis des lumieres, & qu’il ne faiſoit que céder à l’importunité. Depuis cette époque, des bâtimens expédiés de Callao, & de Guayaquil, portent du cacao, des huiles, des vins, des eaux-de-vie, à Acapulco & à Sonſonate, ſur la côte de Guatimala, & en rapportent du brai, du goudron, du rocou7, de l’indigo, de la cochenille, du fer, des merceries d’Angeles8, & autant qu’ils peuvent, en contrebande, des marchandiſes arrivées des Philippines ; ces iſles ſi célébres en Europe par les rapports qu’elles ont avec le Mexique. L’importance de cette communication paroît exiger que nous remontions à ſon origine.

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Tout prit l’empreinte d’une oſtentation, inconnue juſqu’alors dans les deux hémiſphères. Les citoyens ne ſe contentèrent plus d’une habitation modeſte placée ſur des rues larges & bien alignées. Il fallut, à la plupart, des hôtels qui eurent plus d’étendue que de commodités ou d’élégance. On multiplia les édifices publics, ſans que preſqu’aucun rappellât à l’eſprit les beaux jours de l’architecture, pas même les bons tems gothiques. Les places principales eurent toutes la même forme, la même régularité, une fontaine ſemblable avec des ornemens de mauvais goût. [494]Des arbres mal choiſis & d’un vilain feuillage ôtèrent aux promenades ce que des allées bien diſtribuées & des eaux jailliſſantes auroient pu leur donner d’agrément. Dans les cinquante-cinq couvens qu’une crédulité digne de pitié avoit fondés, on en voyoit fort peu qui ne révoltâſſent par les vices de leur conſtruction. Les innombrables temples où les tréſors du globe entier étoient entaſſés, manquoient généralement de majeſté & n’inſpiroient pas à ceux qui les fréquentoient des idées & des ſentimens dignes de l’Être-ſuprême qu’on y venoit adorer. Dans cette multitude d’immenſes conſtructions, il n’y a que deux monumens dignes de fixer l’attention d’un voyageur. L’un eſt le palais du vice-roi où s’aſſemblent auſſi les tribunaux, où l’on fabrique la monnoie, où eſt le dépôt du vif-argent. Un peuple, que la famine pouſſoit au déſeſpoir, le brûla en 1692. On l’a rebâti depuis ſur un meilleur plan. C’eſt un quarré qui a quatre tours & ſept cens cinquante pieds de long ſur ſix cens quatre-vingt-dix de large. La cathédrale commencée en 1573 & finie en 1667 feroit également honneur aux meilleurs artiſtes. Sa longueur eſt de quatre [495]cens pieds, ſa largeur de cent quatre-vingt-quinze ; & elle a coûté 9,460,800 liv. Malheureuſement, ces édifices n’ ont pas la ſolidité qu’on leur deſireroit.

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On a vu que Mexico eſt ſitué dans un lac conſidérable qu’une langue de terre fort étroite diviſe en deux parties, l’une remplie d’eaux douces & l’autre d’eaux ſalées. Ces eaux paroiſſent également ſortir d’une haute montagne ſituée à peu de diſtance de la ville, avec cette différence que les dernières doivent traverſer des mines qui leur communiquent leur qualité. Mais indépendamment de ces ſources régulières, il exiſte un peu plus loin quatre petits lacs qui, dans le tems des orages, ſe déchargent quelquefois dans le grand avec une violence deſtructive.

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Les anciens habitans avoient été3 toujours expoſés à des4 inondations qui leur faiſoient payer5 fort cher les avantages que leur procuroit l’emplacement qu’ils avoient choiſi pour en faire le centre de leur puiſſance. Aux calamités inſéparables de ces débordemens trop répétés ſe joignit pour leur vainqueur le chagrin de voir ſes bâtimens plus peſans s’enfoncer, quoiqu’élevés6 ſur pilotis, en fort [496]peu de tems7, de quatre, de8 cinq, de9 ſix pieds dans un terrein10 qui n’avoit pas aſſez de ſolidité pour les porter.
Malheureusement les eaux, qui, dans la saison des pluies, tombent en torrens des montagnes, et font sortir de leur lit1 les lacs qui entourent Mexico, y causent souvent de grands ravages. Ses2 anciens habitans furent3 toujours exposés à ces4 inondations, qui leur faisaient acheter5 fort cher les avantages que leur procurait l’emplacement qu’ils avaient choisi pour en faire le centre de leur puissance. Aux calamités inséparables de ces débordemens trop répétés se joignit, pour [371]leur vainqueur, le chagrin de voir ses bâtimens plus pesans s’enfoncer, quoique élevés6 sur pilotis, en fort peu de temps7, de quatre, cinq, et9 six pieds, dans un terrain10 qui n’avait pas assez de solidité pour les porter.
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On eſſaya à pluſieurs repriſes de détourner des torrens ſi terribles : mais les directeurs de ces grands ouvrages n’avoient pas des connoiſſances ſuffiſantes pour employer les méthodes les plus efficaces, ni les agens ſubalternes aſſez de zèle pour ſuppléer par leurs efforts à l’incapacité des chefs.

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Ces inconvéniens firent former le projet de procurer le projet de procurer aux eaux un écoulement par un un écoulement par un canal de dix lieues qui devoit les porter la riviere de Tula. Des rélations qu’on pourroit ſupçonner Des rélations qu’on pourroit ſupçonner d’exagération quelque authentiques qu’elles paroiſſent, aſſurent qu’en 1604 , aſſurent qu’en 1604 on employa pendant ſix mois ce grand ouvrage, quatre cens ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens. Pour fournir aux dépenſes qu’exigeoit ce grand appareil quatre cens ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens. Pour fournir aux dépenſes qu’exigeoit ce grand appareil1, on exigea le centieme du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes, impôt ſans exemple2 dans le nouveau monde. L’ignorance, le découragement, des intérêts particuliers firent échouer l’entrepriſe L’ignorance, le découragement, des intérêts particuliers firent échouer l’entrepriſe3.
Ces inconvéniens inſpirerent le projet de le projet de ménager un écoulement un écoulement aux eaux. Des relations Des relations d’une enflure giganteſque aſſurent qu’en 1604, quatre aſſurent qu’en 1604, quatre cents ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens furent occupés creuſer ce canal. Pour trouver les fonds néceſſaires1, on exigea le centiéme du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes : impôt inconnu2 dans le nouveau-monde. L’ignorance, le découragement, L’ignorance, le découragement, les intérêts particuliers firent échouer intérêts particuliers firent échouer cette noble & ſage entrepriſe3.
L’ingénieur Martinès eut, en 1607, l’idée d’un grand canal qui parut généralement préférable tous les moyens mis en uſage juſqu’à cette époque. Pour fournir à à cette dépenſe1, on exigea le centième du prix des maiſons, des terres, des marchandiſes : impôt inconnu2 dans le Nouveau-Monde. Quatre cens ſoixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens furent occupés pendant ſix mois ce travail, & & l’entrepriſe fut jugée enſuite impraticable3.
On essaya plusieurs reprises de détourner ces torrens destructeurs ; mais les artistes qui s’en chargèrent n’avaient ni le génie ni les connaissances qu’exigeait une entreprise de sa nature si difficile. L’ingénieur Martinès eut en 1607 l’idée d’un grand canal qui parut généralement préférable à tous les moyens mis en usage jusqu’à cette époque. Pour fournir à cette dépense1, on exigea le centième du prix des maisons, des terres, des marchandises ; impôt inconnu2 dans le Nouveau-Monde. Quatre cent soixante-onze mille cent cinquante-quatre Indiens furent occupés pendant six mois à ce travail, et l’entreprise fut jugée ensuite impraticable3.
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Le besoin d’un meilleur plan que celui qui avait échoué ne se fit pas attendre. Il devint plus urgent que jamais en 1629. L’inondation fit à cette époque de si grands ravages, qu’il ne resta sur pied ni cabane, ni palais, ni monument public. Des ruines, c’était tout ce qui restait des travaux d’un siècle ; et, pour nous servir des propres termes d’une relation avouée par le gouvernement, on était réduit à chercher Mexico dans Mexico même. Dans la ville seule, trente mille Indiens, vingt mille Espagnols furent les victimes [372]de ce désastre, ou de la peste et de la famine qui le suivirent.
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Le vice-roi Ladereyra penſa en 1635 qu’il ſeroit avantageux, qu’il étoit même indiſpenſablede bâtir ailleurs1 Mexico. L’avarice qui ne vouloit rien ſacrifier ; la volupté qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe qui rédoutoitces ſoins : toutes les paſſions ſe réunirent pour traverſer cet arrangement, il fallut prendre le parti de reſter où on étoit3.
Le Viceroi Ladeyrera penſa en 1635 qu’il ſeroit avantageux, qu’il étoit même indiſpenſable [112] de bâtir ailleurspenſa en 1635 qu’il ſeroit avantageux, qu’il étoit même indiſpenſable [112] de bâtir ailleurs1 Mexico. L’avarice, qui ne vouloit rien ſacrifier ; la volupté, qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe, qui redoutoit les ſoins : toutes les pasſions ſe réunirent pour traverſer une idée, qui en elle-même étoit ſuſceptible d’objections raiſonnables3.
La cour fatiguée de la diverſité des opinions & des troubles qu’elle occaſionnoit, arrêta en 1631 que1 Mexico ſeroit abandonné & qu’on conſtruiroit ailleurs une nouvelle capitale2. L’avarice qui ne vouloit rien ſacrifier [497] ; la volupté qui craignoit d’interrompre ſes plaiſirs ; la pareſſe qui redoutoit les ſoins : toutes les paſſions ſe réunirent pour faire changer les réſolutions du miniſtère, & leur eſpérance ne fut pas trompée3.
La cour de Madrid, désespérant de trouver un remède tant de maux, arrêta en 1631 que1 Mexico serait abandonné, et qu’on construirait ailleurs une nouvelle capitale2. L’avarice qui ne voulait rien sacrifier, la volupté qui craignait d’interrompre ses plaisirs, la paresse qui redoutait les soins, toutes les passions se réunirent pour faire changer les résolutions du ministère, et leur espérance ne fut pas trompée3.
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Il ſe paſſa un ſiècle & plus, ſans que le gouvernement s’occupât de l’obligation de prévenir des malheurs dont les peuples avoient à gémir ſans ceſſe. A la fin, les eſprits ſe ſont réveillés1. On s’eſt déterminé2 en 1763 à couper une montagne où l’on s’étoit contenté juſqu’alors de faire quelques excavations ; & depuis les eaux ont eu3 tout l’écoulement que la ſûreté publique pouvoit exiger. C’eſt4 le commerce qui s’eſt chargé5 de ce grand ouvrage pour 4,320,0006. liv. Lui-même il a voulu7 ſupporter tout ce que cette entrepriſe coûteroit de plus, & que ſi on faiſoit des économies, elles tournâſſent au profit du fiſc. Cette généroſité n’a8 pas été9 une vertu d’oſtentation. Il en a coûté 1,890,00011 livres aux négocians pour avoir ſervi leur patrie.
Il se passa un siècle et plus sans que le gouvernement s’occupât de l’obligation de prévenir des malheurs dont les peuples avaient à gémir sans cesse. A la fin les esprits se réveillèrent1. On se détermina2 en 1763 à couper une montagne où l’on s’était contenté jusqu’alors de faire quelques excavations, et depuis les eaux eurent3 tout l’écoulement que la sûreté publique pouvait exiger. Ce fut4 le commerce qui se chargea5 de ce grand ouvrage pour 4,000,000 de6 liv. Lui-même il voulut7 supporter tout ce que cette entreprise coûterait de plus, et que, si on faisait des économies, elles tournassent au profit du fisc. Cette générosité ne fut8 pas une vertu d’ostentation. Il en coûta un million cinq10six cent mille11 livres aux négocians pour avoir servi leur patrie.
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On médite d’autres travaux. Le projet de deſſécher le grand lac qui entoure Mexico paroît arrêté ; & les gens de l’art demandent [498] 8,100,000 liv1. pour conduire le nouveau plan à un heureux terme. C’eſt beaucoup. Mais qu’eſt-ce que l’argent, quand il s’agit de la ſalubrité de l’air, de la conſervation des hommes, de la multiplication des denrées ? O que les maîtres du monde feront de biens2, qu’ils ſeront honorés lorſque l’or qu’ils prodiguent à un luxe giganteſque, à d’avides favoris, à de vains caprices, ſera conſacré à l’amélioration de leur empire ! Un hôpital ſain, conſtruit avec intelligence & bien adminiſtré ; la ceſſation de la mendicité ou l’emploi de l’indigence ; l’extinction de la dette de l’état ; une impoſition modérée & équitablement répartie ; la réforme des loix3 par la confection d’un code ſimple & clair : ces inſtitutions feroient plus pour leur gloire que des palais magnifiques ; que la conquête d’une province, après des batailles gagnées ; que tous les bronzes, tous les marbres & toutes les inſcriptions de la flatterie.
On médite d’autres travaux. Le projet de dessécher le grand lac qui entoure Mexico paraît arrêté ; et les gens de l’art demandent huit neuf [373]millions1 pour conduire le nouveau plan à un heureux terme. C’est beaucoup. Mais, qu’est-ce que l’argent quand il s’agit de la salubrité de l’air, de la conservation des hommes, de la multiplication des denrées ? O que les maîtres du monde feront de bien2 ! qu’ils seront honorés lorsque l’or qu’ils prodiguent à un luxe gigantesque, à d’avides favoris, à de vains caprices, sera consacré à l’amélioration de leur empire ! Un hôpital sain, construit avec intelligence et bien administré ; la cessation de la mendicité ou l’emploi de l’indigence ; l’extinction de la dette de l’état ; une imposition modérée et équitablement répartie ; la réforme des lois3 par la confection d’un code simple et clair : ces institutions feraient plus pour leur gloire que des palais magnifiques, que la conquête d’une province après des batailles gagnées, que tous les bronzes, tous les marbres et toutes les inscriptions de la flatterie.
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Si la cour de Madrid, à qui cet eſpoir eſt ſpécialement permis, fait pour Mexico ce qu’elle s’eſt propoſé, elle verra bien-tôt cette cité fameuſe, le ſiège du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnoies1, le [499]ſéjour des plus grands propriétaires, le centre de toutes les affaires importantes ; elle la verra prendre un plus grand eſſor encore, communiquer aux provinces de ſa dépendance l’impulſion qu’elle aura reçue, donner de l’activité à l’induſtrie, à la circulation intérieures, & par une ſuite néceſſaire étendre ou multiplier les liaiſons étrangères.
Si la cour de Madrid, à qui cet espoir est spécialement permis, fait pour Mexico ce qu’elle s’est proposé, elle verra bientôt cette cité fameuse, le siége du gouvernement, le lieu de la fabrication des monnaies1, le séjour des plus grands propriétaires, le centre de toutes les affaires importantes ; elle la verra prendre un plus grand essor encore, communiquer aux provinces de sa dépendance l’impulsion qu’elle aura reçue, donner de l’activité à l’industrie, à la circulation intérieures [374], et, par une suite nécessaire, étendre ou multiplier les liaisons étrangères.
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La plus connue de celles que le Mexique entretient par la mer du Sud a été formée avec les iſles1 Philippines.
La plus connue de celles que le Mexique entretient par la mer du Sud a été formée avec les îles1 Philippines.
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Lorſque la cour de Madrid dont les ſuccès étendoient de plus en plus l'ambition eut formé1 le plan d’un grand établiſſement en Aſie, elle s’occupa ſérieuſement des moyens de le faire réuiſſir. Il n’étoit pas ſans difficulté2. Les richeſſes de l’Amérique attiroient ſi puiſſamment les Eſpagnois3 qui conſentoient à s’expatrier, qu’il ne paroiſſoit4 pas poſſible de5 les engager6 à s’aller fixer aux Philippines, à moins qu’on ne conſentit à leur faire partager ces tréſors. On ſe détermina à ce ſacrifice. La colonie naiſſante fut autoriſée à envoyer tous les ans en Amérique7 des marchandiſes de l’Inde pour y être échangées contre des métaux.
Lorsque la cour de Madrid, dont les ſuccès étendoient de plus en plus l’ambition, eut formé1 le plan d’un grand établiſſement en Aſie, elle s’occupa ſérieuſement des moyens de le faire réuſſir. Ce projet devoit rencontrer de grandes difficultés2. Les richeſſes de l’Amérique attiroient ſi puiſſamment les Eſpagnols3 qui conſentoient à s’expatrier, qu’il ne paroiſſoit4 pas poſſible de5 les engager6 à s’aller fixer aux Philippines, à moins qu’on ne conſentît à leur faire partager ces tréſors. On ſe détermina à ce ſacrifice. La colonie naisſante fut autoriſée à envoyer tous les ans en Amérique7 des marchandiſes de l’Inde. [116]pour y être échangées contre des métaux.
Lorſque la cour de Madrid, dont les ſuccès étendoient de plus en plus l’ambition, eut conçu1 le plan d’un grand établiſſement en Aſie, elle s’occupa ſérieuſement des moyens de le faire réuſſir. Ce projet devoit rencontrer de grandes difficultés2. Les richeſſes de l’Amérique attiroient ſi puiſſamment les Eſpagnols3 qui conſentoient à s’expatrier, qu’il ne paroiſſoit4 pas poſſible d’engager même5 les plus miſérables6 à s’aller fixer aux Philippines ; à moins qu’on ne conſentît a leur faire partager ces tréſors. On ſe détermina à ce ſacrifice. La colonie naiſſante fut autoriſée à envoyer tous les ans dans le Nouveau-Monde7 des marchandiſes de l’Inde [500]pour y être échangées contre des métaux.
Lorsque la cour de Madrid, dont les succès étendaient de plus en plus l’ambition, eut conçu1 le plan d’un grand établissement en Asie, elle s’occupa sérieusement des moyens de le faire réussir. Ce projet devait rencontrer de grandes difficultés2. Les richesses de l’Amérique attiraient si puissamment les Espagnols3 qui consentaient à s’expatrier, qu’il ne paraissait4 pas possible d’engager même5 les plus misérables6 à s’aller fixer aux Philippines, à moins qu’on ne consentît à leur faire partager ces trésors. On se détermina à ce sacrifice. La colonie naissante fut autorisée à envoyer tous les ans dans le Nouveau-Monde7 des marchandises de l’Inde pour y être échangées contre des métaux.
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Tous les étrangers, tous les habitans même du Nouveau-Monde sont exclus de ce négoce. Il n’est permis qu’aux Espagnols inscrits à l’hôtel-deville de Manille. C’est dans une assemblée, présidée par le gouverneur, que la part de chaque citoyen est fixée. Elle est proportionnée à la naissance, aux places, à la faveur. Ceux que la misère met hors d’état d’exercer leur droit, ceux qui ne veulent pas courir le risque de l’exercer, cèdent à un prix convenu leur place à des colons [375]plus riches ou plus hardis. Ces hommes entreprenans empruntent pour ce voyage, qui dure un an, les sommes dont ils ont besoin à un intérêt de vingt-cinq ou trente pour cent. Les dépôts des legs pieux sont leur ressource la plus ordinaire. Depuis trois siècles, les gardiens de ces largesses destinées au soulagement de l’humanité souffrante les font servir à l’accroissement de leur scandaleuse opulence.
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Cette liberté illimitée eut des ſuites ſi conſidérables, qu’elle excita la jalouſie de la métropole. On parvint à calmer un peu les eſprits, en réduiſant à ſix cens mille piaſtres le commerce que dans la ſuite il ſeroit1 permis de2 faire. Cette ſomme3 fut partagée4 en douze mille actions égales. Chaque chef de famille en devoit avoir5 une, & les gens en place un nombre proportionné à leur élévation. Les communautés religieuſes furent compriſes dans l’arrangement ſuivant l’étendue de leur crédit, &6 l’opinion qu’on avoit de leur utilité. On en accorda cinq cens aux Jéſuites dont les occupations & les entrepriſes paroiſſoient exiger de plus grand moyens7.
Cette liberté illimitée eut des ſuites ſi conſidérables, qu’elle excita la jalouſie de la métropole. On parvint à calmer un peu les eſprits, en réduiſant à 3,150,ooo livres le commerce, que dans la ſuite il ſeroit1 permis de2 faire. Cette ſomme3 fut partagée4 en douze mille actions égales. Chaque chef de famille en devoit avoir5 une, & les gens en place, un nombre proportionné à leur élévation. Les communautés religieuſes furent compriſes dans l’arrangement, ſuivant l’étendue de leur crédit, &6 l’opinion qu’on avoit de leur utilité. On en accorda cinq cents aux Jéſuites, dont les occupations & les entrepriſes paroiſſoient exiger de plus grands moyens7.
Cette liberté illimitée eut des ſuites ſi conſidérables qu’elle excita la jalouſie de la métropole. On parvint à calmer un peu les eſprits, en bornant un commerce qu’on croyoit & qui étoit en effet immenſe. Ce qu’il devoit être1 permis d’en2 faire dans la ſuite3 fut partagé4 en douze mille actions égales. Chaque chef de famille en avoit5 une & les gens en place un nombre proportionné à leur élévation. Les communautés religieuſes furent compriſes dans l’arrangement, ſuivant l’étendue de leur crédit ou6 l’opinion qu’on avoit de leur utilité.

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Les vaiſſeaux qui partoient d’abord de l’iſle1 de Cebu, & enſuite de celle de Luçon, prirent [81] dans les premiers tems2 la route du Pérou. La longueur de cette navigation étoit exceſſive. On découvrit des vents aliſés qui conduiſoient dans la moitié moins de tems au Mexique3, & cette branche de commerce ſe porta ſur ſes4 côtes où il s’eſt fixé.
Les vaiſſeaux qui partoient d’abord de l’iſle1 de Cebu, & enſuite de celle de Luçon, prirent dans les premiers tems2 la route du Pérou. La longueur de cette navigation étoit exceſſive. On découvrit des vents aliſés qui ouvroient une route au Mexique moins longue de la moitié3 ; & cette branche de commerce ſe porta ſur ſes4 côtes, où il s’eſt fixé.
Les vaiſſeaux qui partoient d’abord de l’iſle1 de Cebu & enſuite de celle de Luçon, prirent, dans les premiers tems2, la route du Pérou. La longueur de cette navigation étoit exceſſive. On découvrit des vents aliſés qui ouvroient au Mexique un chemin plus court3 ; & cette branche de commerce ſe porta ſur ces4 côtes où il s’eſt fixé.
Les vaisseaux, qui partaient d’abord de l’île1 de Cébu, et ensuite de celle de Luçon, prirent dans les premiers temps2 la route du Pérou. La longueur de cette navigation était excessive. On découvrit des vents alisés qui ouvraient au Mexique un chemin plus court3 ; et cette branche de commerce se porta sur ces4 côtes, où il s’est fixé.
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On expédie tous les ans du port de Manille un vaiſſeau d’environ deux mille tonneaux. Selon les loix actuellement arrêtées & qui ont ſouvent varié, ce bâtiment ne devroit [501] porter que quatre mille balles de marchandiſes, & on le charge au-moins du double. Les frais de conſtruction, d’armement, de navigation, toujours infiniment plus conſidérables qu’ils ne devroient l’être, ſont ſupportés par le gouvernement qui ne reçoit pour tout dédommagement que 75,000 piaſtres ou 405,000 liv. par navire.

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Le départ eſt fixé au mois de juillet. Après s’être débarraſſé d’une foule d’iſles2 & de rochers, toujours incommodes, quelquefois dangereux, le galion fait route au Nord juſqu’au trentième degré de latitude. Là commencent à régner des vents aliſés qui le mènent à ſa deſtination. On penſe aſſez généralement que s’il avançoit plus loin, il trouveroit des vents plus forts & plus réguliers qui précipiteroient ſa marche : mais il eſt défendu ſous les peines les plus graves à ceux qui le commandent de s’écarter de la ligne qu’on leur a tracée.
Le départ du navire expédié tous les ans du port de Manille1 est fixé au mois de juillet. Après s’être débarrassé d’une foule d’îles2 et de rochers, toujours incommodes, quelquefois dangereux, le galion fait route au nord jusqu’au trentième degré de latitude. Là commencent à régner des vents alisés qui le mènent à sa destination. On pense assez généralement que, s’il avançait plus loin, il trouverait des vents plus forts et plus réguliers qui précipiteraient sa marche ; mais il est défendu, sous les peines les plus graves, à ceux qui le commandent de s’écarter de la ligne qu’on leur a tracée.
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Telle est sans doute la raison qui, pendant [376]deux siècles, a empêché les Espagnols de faire la moindre découverte sur un océan qui aurait offert tant d’objets d’instruction et d’utilité à des nations plus éclairées ou moins circonspectes ; mais pourquoi ce peuple, autrefois si actif, ne le redeviendrait-il pas ? Si c’était à des marchands qu’il fallût inspirer ce nouvel esprit, ce seraient des mines, ce seraient des perles, ce seraient des diamans qu’il leur faudrait promettre : l’intérêt a toujours été, l’intérêt sera toujours le grand mobile de leur profession. De l’or, de l’or, et de l’or encore, voilà le terme de leurs espérances. Pourvu que le pilote conduise leurs navires dans les ports où se fera le meilleur débit de leurs marchandises, dans les ports où ils recevront des retours plus riches, tout est bien. Le navigateur qui s’écarterait un moment de ce but si cher à leur cœur, serait à leurs yeux un fou indigne de toute confiance. Les gouvernemens eux-mêmes eurent trop long-temps des idées presque aussi bornées. Ils ne voyaient dans leurs expéditions lointaines qu’une augmentation de puissance, qu’une augmentation de fortune ; ils n’y voyaient que des richesses qui les mettaient en état de faire massacrer quelques milliers d’hommes pour agrandir d’une ville ou d’une province un territoire qui les accablait déjà de son étendue. Ce n’est qu’après plusieurs siècles d’aveuglement que la lumière a commencé à luire. Quelques souverains, plus éclairés que leurs semblables, ont [377]enfin compris qu’il serait moins dispendieux de tirer leurs sujets, de tirer le globe même entier de la barbarie que d’entretenir cinq cents assassins en campagne, que de donner une fête d’un jour, que de fournir aux révoltantes profusions d’un favori sans mérite. Aussitôt ont été ordonnées des navigations sur les mers les plus éloignées, sur les mers les plus orageuses, sur les mers les plus inconnues. L’amour de la gloire, qu’une politique soupçonneuse avait éteint ou comprimé dans toutes les âmes, s’est exalté dans les instrumens destinés à ces entreprises. Ils ont compté pour rien les plus rudes travaux, la perte de la santé, le risque de la vie, lorsqu’il s’est agi de dissiper les ténèbres, dont la paresse, l’orgueil, la superstition voulaient perpétuer la durée. Un succès plus ou moins grand a couronné une audace digne de tant d’estime. L’univers s’est agrandi ; la figure de la terre a été connue. L’astronomie, diverses branches de physique, les principes de morale, ces objets et beaucoup d’autres ont acquis une extension, une perfection nouvelles. L’enthousiasme s’est étendu ; il est arrivé jusqu’à la cour de Madrid, que la situation de ses domaines met plus à portée que ses guides ou ses rivaux d’étendre la sphère de nos connaissances.
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On expédie tous les ans, au milieu de juillet, du port de Manille un gallion qui eſt communément de dix-huit cens1deux mille tonneaux. Après s’être débarraſſé d’une foule d’iſles & de rochers qui rallentiſſent ſa marche, il fait route à l’eſt vers le nord pour trouver à la hauteur de trente dégrés de latitude les vents d’oueſt qui2 le menent droit au terme de ſon voyage. Ce vaiſſeaux extrêmement chargé eſt ſix mois en route, parce3 que ceux qui le montent, navigateurs timides, ne tendent jamais leur grande4 voile pendant la nuit, & qu’ils amenent5 ſouvent toutes leurs voiles6 ſans néceſſité. Durant un ſi long eſpace de tems, ils ſont pourvus d’eau d’une maniere aſſez ſinguliere pour être remarquée7.
On expédie tous les ans, au milieu de juillet, du port de Manille, un galion qui eſt communément de dix-huit cents1deux mille tonneaux. Après s’être débarraſſé d’une foule d’iſles & de rochers qui rallentiſſoient ſa marche, il fait route à l’Eſt vers le Nord, [117]pour trouver à la hauteur de trente dégré de latitude les vents d’Oueſt, qui2 le menent droit au terme de ſon voyage. Ce vaiſſeau extrêmement chargé, eſt ſix mois en route, parce3 que ceux qui le montent, navigateurs timides, ne tendent jamais leur grande4 voile pendant la nuit, & qu’ils amenent5 ſouvent toutes leurs voiles6 ſans néceſſité. Il atteint enfin le Mexique7.
Telle eſt ſans doute la raiſon qui, pendant deux ſiècles1, a empêché les Eſpagnols de faire la moindre découverte ſur un océan qui auroit offert tant d’objets d’inſtruction & d’utilité des nations plus éclairées ou moins [502]circonſpectes2. Le voyage dure ſix mois ; parce que le vaiſſeau eſt ſurchargé d’équipages & de marchandiſes, &3 que ceux qui le montent, navigateurs timides, font toujours très-peu de4 voile pendant la nuit, & ſouvent, quoique6 ſans néceſſité, n’en font point du tout7.
Cependant elle n’a jusqu’ici rien changé1la marche de son galion des Philippines2. Le voyage dure encore six mois, parce que le vaisseau est [378]surchargé d’équipages et de marchandises, et3 que ceux qui le montent, navigateurs timides, font toujours très-peu de4 voile pendant la nuit, et souvent, quoique6 sans nécessité, n’en font point du tout7.
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Les Eſpagnols qui parcourent les côtes de la mer du ſud, ne mettent pas comme nous leurs boiſſons dans des futailles, mais dans des vaſes de terre aſſez ſemblables à ces grandes jarres qui recoivent les huiles en Europe. Leurs compatriotes de Manille ſuivent le même uſage, & pour gagner du terrein, ils ſuſpendent ces jarres aux haubans & aux étais. Cette proviſion quoique plus conſidérable que celle qu’on pourroit loger entre les ponts, n’eſt pas ſuffiſante pour les beſoins de l’équipage. Des pluies qu’on trouve régulierement entre les trente & quarante dégrés de latitude ſeptentrionale rempliſſent le vuide. Leurs eaux recueillies dans des nates placées de biais qui s’étendent d’une extrêmité du vaiſſeau [82]à l’autre, coulent dans des larges bambons creuſés qui les conduiſent aux jarres. Ce ſecours qui n'a jamais manqué eſt plus que ſuffiſant pour atteindre le Mexique.

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Les côtes de ce grand empire1 ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des cordillieres2 font regner un printemps3 éternel, des vents réguliers & doux. Dès4 qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’athmoſphere5 de l’eſt à l’oueſt n’étant plus interrompue par cette chaîne prodigieuſe7 de montagnes, le climat devient différent. A la vérité la navigation eſt ſûre8 & facile9 dans ces parages, depuis le milieu d’octobre juſqu’au commencement10 de mai ; mais durant le reſte de l’année, les coups de vent d’oueſt11, les tourbillons violens, les pluies exceſſives, les chaleurs étouffantes, les calmes abſolus : tous ces obſtacles qui ſe réuniſſent, ou qui ſe ſuccédent rendent12 la mer fâcheuſe, dangereuſe même. Dans toute cette étendue de côte qui paſſe ſix cens lieues, on ne voit pas une ſeule barque, ni le moindre canot, ſoit pour le commerce, ſoit pour la pêche. Les ports même qu’on y trouve répandus ſont ouverts, ſans défenſe, expoſés aux caprices du premier corſaire qui jugera propos de tourner ſon avidité de ce côté là. Celui d’Acapulco où arrivent les Gallions eſt le ſeul qui ait attiré l’attention du gourvernement14.
Les côtes de ce grand empire1 ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des Cordelieres2 font régner un printems3 éternel, des vents réguliers & doux. Dès4 qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’athmoſphere5 de l’Eſt à l’Oueſt n’étant plus interrompue par cette chaîne prodigieuſe7 de montagnes, le climat devient différent. A la vérité, la navigation eſt ſûre8 & facile9 dans ces parages, depuis le milieu d’octobre juſqu’au commencement10 de mai ; mais durant le reſte de l’année, les coups de vent d’Oueſt11, les tourbillons violens, les pluies exceſſives, les chaleurs étouffantes, les calmes abſolus ; tous ces obſtacles qui ſe réuniſſent, ou qui ſe ſuccédent, rendent12 la mer fâcheuſe, dangereuſe même. Dans toute cette étendue de côtes qui eſt de plus de ſix cents lieues, on ne voit pas une ſeule barque, ni le moindre canot, ſoit pour le commerce, ſoit pour la pêche [118]. Les ports même qu’on y trouve répandus, ſont ouverts, ſans défenſe, expoſés aux caprices du premier corſaire qui voudra tourner ſon avidité de ce côté-là. Celui d’Acapulco où arrivent les galions, eſt le ſeul qui ait attiré l’attention du gouvernement14.
Les côtes du Mexique1 ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des Cordelières2 font régner un printems3 éternel, des vents réguliers & doux. Auſſi-tôt4 qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’atmoſphère5 de l’Eſt à l’Oueſt n’étant plus interrompue par cette prodigieuſe6 chaîne de montagnes, le climat devient différent. A la vérité, la navigation eſt facile8 & ſûre9 dans ces parages depuis le milieu d’octobre juſqu’à la fin10 de mai : mais, durant le reſte de l’année, les calmes &11 les orages y rendent alternativement12 [534] la mer fâcheuſe &13 dangereuſe.
Les côtes du Mexique1 ne ressemblent pas à celles du Pérou, où le voisinage et la hauteur des Andes2 font régner un printemps3 éternel, des vents réguliers et doux. Aussitôt4 qu’on a passé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’atmosphère5 de l’est à l’ouest n’étant plus interrompue par cette prodigieuse6 chaîne de montagnes, le climat devient différent. A la vérité, la navigation est facile8 et sûre9 dans ces parages depuis le milieu d’octobre jusqu’à la fin10 de mai ; mais, durant le reste de l’année, les calmes et11 les orages y rendent alternativement12 la mer fâcheuse et13 dangereuse.
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Il eſt ſitué ſur la côte ſeptentrionale de la mer pacifique, quatre-vingt lieues de Mexico, au dix-ſeptieme dégré de latitude, & au deux cens ſoixante-quatorzieme de longitude. On y arrive par1 deux embouchures dont une petite iſle2 forme la ſéparation, &3 on y entre de jour par un [83]vent de mer, comme on4 en ſort de nuit par un vent de terre. Un mauvais fort, quarante-deux pieces de canon, & une garniſon de ſoixante hommes6 le défendent. Il eſt également étendu, ſûr & commode. Le baſſin qui forme ce port7 eſt entouré de hautes montagnes ſi8 arides, qu’elles manquent même d’eau. On y reſpire un9 air embraſé, lourd & mal-ſain, où perſonne ne peut s’accoutumer que des negres nes ſous un climat à peu près ſemblable, ou quelques mulâtres10, Cette foible11 & vile12 population eſt groſſie à l’arrivée des Gallions par les négocians de toutes les provinces13 du Mexique qui viennent échanger des vins & des bijoux d’Europe14, leur cochenille15 & environ deux millions de piaſtres16 contre les épiceries, les mouſſelines, les toiles peintes, les ſoiries18, les aromates, les ouvrages d’orfévrerie de l’Aſie. Après un ſéjour d’environ trois mois le vaiſſeau reprend la route des Philippines avant le premier avril, avec une ou deux compagnies d’infanterie deſtinées à recruter la garniſon de Manille. Une partie des richeſſes dont il eſt chargé s’arrête dans la colonie, le reſte ſe diſtribue aux nations qui avoient contribué à former ſa cargaiſon19.
On y arrive par1 deux embouchures, dont une petite iſle2 forme la ſéparation, &3 on y entre de jour par un vent de mer, comme on4 en ſort de nuit par un vent de terre. Un mauvais fort, quarante-deux piéces de canon, & une garniſon de ſoixante hommes6, le défendent. Il eſt également étendu, ſûr & commode. Le baſſin qui forme ce port7, eſt entouré de hautes montagnes ſi8 arides, qu’elles manquent même d’eau. On y reſpire un9 air embraſé, lourd & mal-ſain, où perſonne ne peut s’accoutumer que des négres nés ſous un climat à-peu-près ſemblable, ou quelques mulâtres10. Cette foible11 & malheureuſe12 population, eſt groſſie à l’arrivée des galions13 du Mexique qui viennent échanger des bijoux d’Europe14, leur cochenille15, & environ dix millions d’argent16, contre les épiceries, les mouſſelines, les toiles peintes, les ſoieries18, les aromates, les ouvrages d’orfévrerie de l’Aſie. Après un ſéjour d’environ trois mois, le vaiſſeau reprend la route des Philippines avant le premier avril, avec une ou deux compagnies d’infanterie deſtinées recruter [119]la garniſon de Manille. Une partie des richeſſes dont il eſt chargé, s’arrête dans la colonie, le reſte ſe diſtribue aux nations qui avoient contribué former ſa cargaiſon19.
Le port d’Acapulco, où le vaiſſeau aborde, a1 deux embouchures, dont une petite iſle2 forme la ſéparation. On y entre de jour par un vent de mer, & l’on4 en ſort de nuit par un vent de terre. Un mauvais fort, cinquante ſoldats5, quarante-deux pièces de canon, & trente-deux hommes du corps de l’artillerie6 le défendent. Il eſt également étendu, ſûr & commode. Le baſſin qui forme cette belle rade7 eſt entouré de hautes montagnes ſi8 arides, qu’elles manquent même d’eau. Son9 air embrâſé ; lourd & mal-ſain, n’eſt habituellement reſpiré que par quatre cens familles de Chinois, de mulâtres & de nègres, qui forment trois compagnies de milice10. Cette foible11 & malheureuſe12 population eſt groſſie à l’arrivée du galion par les négocians de toutes les provinces13 du Mexique, qui viennent échanger leur argent15 & leur cochenille16 contre les épiceries [503], les mouſſelines, les porcelaines17, les toiles peintes, les ſoieries18, les aromates, les ouvrages d’orfévrerie de l’Aſie.
Le port d’Acapulco, où le vaisseau aborde, a1 deux embouchures, dont une petite île2 forme la séparation. On y entre de jour par un vent de mer, et l’on4 en sort de nuit par un vent de terre. Un mauvais fort, cinquante soldats5, quarante-deux pièces de canon, et trente-deux hommes du corps de l’artillerie6 le défendent. Il est également étendu, sûr et commode. Le bassin qui forme cette belle rade7 est entouré de hautes montagnes, arides, privées d’eau, et remplies de volcans qui occasionnent de fréquens tremblemens de terre. Son9 air embrasé, lourd et malsain, n’est habituellement respiré que par quatre cents familles de Chinois, de mulâtres et de nègres, qui forment trois compagnies de milice10. Cette faible11 et malheureuse12 population est grossie à l’arrivée du galion par les négocians de toutes les provinces13 du Mexique, qui viennent échanger leur argent15 et leur cochenille16 contre les épiceries, les mousselines, les porcelaines17, les toiles peintes, les soieries18, les aromates, les ouvrages d’orfévrerie de l’Asie.
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A ce marché eſt audacieuſement conſommée dans le Nouveau-Monde, la fraude audacieuſement commencée dans l’ancien. Les ſtatus ont borné la vente à 2,700,000 liv. & elle paſſe 10,800,000 livres. Tout l’argent provenant de ces échanges devroit dix pour cent au gouvernement ; & les fauſſes déclarations le privent des trois quarts du revenu que devroient lui former ſes douanes.

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L’étendue de ces échanges ne fut pas originairement fixée. Cette liberté illimitée ne tarda pas à exciter la jalousie de la métropole. Pour calmer [379]les esprits, on réduisit le privilége à très-peu de chose. Ce commerce a été depuis tantôt resserré, tantôt étendu, sans qu’il soit possible d’assigner les motifs de ces variations. Au temps où nous écrivons, la loi ne permet qu’un vaisseau de six cents tonneaux, et il est toujours de dix-huit cents ou de deux mille ; la loi ne permet qu’une vente de cinq cent mille piastres, ou de deux millions cinq cent mille livres, et elle s’élève constamment à deux millions de piastres ou à dix millions de livres. Les droits de la douane ne sont pas plus respectés.
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Après un ſéjour d’environ trois mois, le galion reprend la route des Philippines avec quelques compagnies d’infanterie deſtinées à recruter la garniſon de Manille. Il a été intercepté trois fois par les Anglois1 dans ſa traverſée. Ce fut Cawendish qui s’en empara en 1587, Rogers en 1709, & Anſon en 1742. La moindre partie des richeſſes dont il eſt chargé s’arrête dans la colonie. Le reſte eſt diſtribué aux nations qui avoient contribué à former ſa cargaiſon.
Après un séjour d’environ trois mois, le galion reprend la route des Philippines avec quelques compagnies d’infanterie destinées à recruter la garnison de Manille. Il a été intercepté trois fois par les Anglais1 dans sa traversée, qui, par la faveur continuelle du vent d’est, ne dure que deux mois2. Ce fut Cawendish qui s’en empara en 1587, Rogers en 1709, et Anson en 1742. La moindre partie des richesses dont il est chargé s’arrête dans la colonie. Le reste est distribué aux nations qui avaient contribué à former sa cargaison.
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L’eſpace immenſe que les Gallions ont1 à parcourir, a fait deſirer vivement des lieux2 où ils puſſent ſe rafraîchir. On en a trouvé d’abord un3 ſur la route d’Acupulco4 aux Philippines, dans des iſles connues d’abord5 ſous le nom d’iſles des Larrons, & depuis ſous celui d’iſles Mariannes. Elles furent découvertes en 1521 par Magellan. On les perdit de vue. Les Gallions s’aviſerent dans la ſuite d’y relâcher ; mais il n’y fut formé d’établiſſement fixe qu’en 16786.
L’eſpace immenſe que les galions ont1 à parcourir, a fait rechercher des lieux2 où ils pusſent ſe refraîchir. Le premier qu’on a rencontré, eſt3 ſur la route d’Acapulco4 aux Philippines, dans des iſles connues d’abord5 ſous le nom d’iſles des Larrons, & depuis ſous celui d’iſles Mariannes. Elles furent découvertes en 1521 par Magellan. On les perdit de vue. Les galions s’aviſerent dans la ſuite d’y relâcher ; mais il n’y fut formé d’établiſſement fixe qu’en 16786.
L’eſpace immenſe que les galions avoient1 à parcourir, fit deſirer un port2 où ils puſſent ſe radouber & ſe rafraîchir. On le trouva3 ſur [504]la route d’Acapulco4 aux Philippines, dans un archipel connu5 ſous le nom d’iſles Marianes6.
L’espace immense que les galions avaient1 à parcourir fit désirer un port2 où ils pussent se radouber et se rafraîchir. On le trouva3 sur la route d’Acapulco4 aux Philippines, dans un archipel connu5 sous le nom d’îles Marianes6.
470
Elles ſont ſituées à l’extrêmité de la mer du [84]ſud près de quatre cens1 lieues à l’orient des Philippines, & forment un archipel qui s’étend du ſud au nord depuis le treizieme juſqu’au vingt-deuxieme dégré de latitude ſeptentrionale2. Leur poſition dans la Zone Torride n’empêche pas que le climat n’y ſoit aſſez tempéré. L’air y eſt pur, le ciel ſerein, & le terrein fertile. Avant leur communication avec les Européens, les habitans toujours nuds, ne vivoient que de fruits, de racines & de poiſſon. Comme la pêche étoit leur occupation ordinaire, leur ſeule occupation, ils étoient parvenus à imaginer, à conſtruire les canots les plus parfaits qu’on ait trouvés dans le tour du globe.
Elles ſont ſituées à l’extrémité de la mer du Sud, près de quatre cents1 lieues à l’Orient des Philippines. Leur poſition dans la Zone Torride n’empêche pas que le climat n’y ſoit aſſez tempéré. L’air y eſt pur, le ciel ſerein, & le terrein fertile. Avant leur communication avec les Européens, les habitans toujours nuds, ne vivoient que de fruits, de racines & de poiſſon. Comme la pêche étoit leur occupation ordinaire, leur ſeule occupation, ils étoient parvenus à imaginer, à conſtruire les canots les plus parfaits qu’on ait trouvés dans le tour du globe.

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471
Les peuples très-nombreux, répandus dans une douzaine d’iſles les ſeules habitées de cet archipel ont péri ſucceſſivement depuis l’invaſion des Eſpagnols, ou par des maladies contagieuſes ou par les mauvais traitemens qu’ils éprouvoient. Ce qui reſtoit au nombre de deux mille ſept cens1 perſonnes, a été concentré dans l’iſle de Guahan2, qui peut avoir vingt-cinq à trente lieues de circuit. Elle a une garniſon de cent hommes chargée de défendre deux petits forts ſitués ſur deux rades, dont l’une reçoit un petit bâtiment qui arrive tous les deux ans des Philippines, & l’autre eſt deſtinée à fournir des rafraîchiſſemens au Gallion3. Cette derniere eſt ſi mauvaiſe que le vaiſſeau n’y ſéjourne jamais plus de deux jours, & que dans ce court eſpace il eſt ſouvent expoſé aux plus grands dangers. Il eſt bien extraordinaire que l’Eſpagne n’ait pas fait chercher un meilleur port, ou bien ſingulier qu’on n’en ait point trouvé dans un ſi grand nombre d’iſles. La Californie préſente un aſile4 plus aſſuré aux Gallions5, qui vont des Philippines à Acapulco.
Les peuples très-nombreux, répandus dans une douzaine d’iſles, les ſeules habitées de cet archipel, ont péri ſucceſſivement depuis [120]l’invaſion des Eſpagnols, ou par des maladies contagieuſes, ou par les mauvais traitemens qu’ils éprouvoient. Ce qui reſtoit, au nombre de deux mille ſept cents1 perſonnes, a été concentré dans l’iſle de Guam2, qui peut avoir vingt-cinq à trente lieues de circuit. Elle a une garniſon de cent hommes, chargée de défendre deux petits forts ſitués ſur deux rades, dont l’une reçoit un petit bâtiment qui arrive tous les deux ans des Philippines, & l’autre eſt deſtinée à fournir des rafraîchisſemens au galion3. Cette derniere eſt ſi mauvaiſe, que le vaiſſeau n’y ſéjourne jamais plus de deux jours, & que dans ce court eſpace il eſt ſouvent expoſé aux plus grands dangers. Il eſt bien extraordinaire que l’Eſpagne n’ait pas fait chercher un meilleur port, ou bien ſingulier qu’on n’en ait point trouvé dans un ſi grand nombre d’iſles. La Californie préſente un aſyle4 plus aſſuré aux galions5, qui vont des Philippines à Acapulco.

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Ces iſles1 forment une chaîne qui s’étend depuis le treizième degré juſqu’au vingt-deuxième. Pluſieurs ne ſont que des rochers : mais on en compte neuf qui ont de l’étendue. C’eſt-là2 que la nature riche & belle offre une verdure éternelle, des fleurs d’un parfum exquis, des eaux de cryſtal3 tombant en caſcade, des arbres chargés de fleurs & de fruits en même tems4, des ſituations pittoreſques que l’art n’imitera jamais.
Ces îles1 forment une chaîne qui s’étend depuis le treizième degré jusqu’au vingt-deuxième. Plusieurs [380] ne sont que des rochers ; mais on en compte neuf qui ont de l’étendue. C’est là2 que la nature riche et belle offre une verdure éternelle, des fleurs d’un parfum exquis, des eaux de cristal3 tombant en cascade, des arbres chargés de fleurs et de fruits en même temps4, des situations pittoresques que l’art n’imitera jamais.
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Dans cet archipel, ſitué ſous la Zone Torride, l’air eſt pur, le ciel ſerein & le climat aſſez tempéré.
Dans cet archipel, situé sous la zone torride, l’air est pur, le ciel serein et le climat assez tempéré.
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On y voyoit autrefois des peuples nombreux. Rien n’indique d’où ils étoient ſortis. Sans doute, qu’ils avoient été jettés1 par quelque tempête ſur ces côtes, mais depuis ſi long-tems2, qu’ils avoient oublié leur origine, qu’ils ſe croyoient les ſeuls habitans du monde.
On y voyait autrefois des peuples nombreux. Rien n’indique d’où ils étaient sortis. Sans doute qu’ils avaient été jetés1 par quelque tempête sur ces côtes, mais depuis si long-temps2, qu’ils avaient oublié leur origine, qu’ils se croyaient les seuls habitans du monde.
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Quelques habitudes, la plupart ſemblables à celles des autres ſauvages de la mer du Sud, leur tenoient lieu de culte, de loix1 de gouvernement. Ils couloient leurs jours [505]dans une indolence perpétuelle ; & c’étoit aux bananes, aux noix de coco, ſur-tout au rima, qu’ils devoient ce malheur ou cet avantage.
Quelques habitudes, la plupart semblables à celles des autres sauvages de la mer du Sud, leur tenaient lieu de culte, de lois1, de gouvernement. Ils coulaient leurs jours dans une indolence perpétuelle ; et c’était aux bananes, aux noix de coco, surtout au rima, qu’ils devaient ce malheur ou cet avantage.
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Le rima, célébré par quelques voyageurs ſous le nom d’arbre à pain, n’eſt pas encore bien connu des botaniſtes. C’eſt un arbre dont la tige élevée & droite ſe diviſe vers la cime en pluſieurs branches, Ses feuilles ſont alternes, grandes, fermes, épaiſſes, ſinuées profondément vers les bords latéraux. Les plus jeunes, avant leur développement, ſont enfermées dans une membrane qui ſe deſſèche & laiſſe en tombant une impreſſion circulaire autour de la tige. Elles rendent, ainſi que les autres parties de l’arbre, une liqueur laiteuſe très-tenace. De l’aiſſelle des feuilles ſupérieures ſort un corps ſpongieux, long de ſix pouces, tout couvert de petites fleurs mâles très-ſerrées. Plus bas, on trouve d’autres corps chargés de fleurs femelles, dont le piſtil devient une baie alongée1 remplie d’une amande. Ces baies, portées ſur un axe commun, ſont ſi rapprochées, qu’elles ſe confondent & forment, par eur aſſemblage, un fruit très-gros & haut de [506]dix pouces de longueur, hériſſé de pointes groſſes, courtes & émouſſées. Il paroît qu’il exiſte deux eſpèces ou variétés du rima. L’un a le fruit intérieurement pulqueux2, rempli d’amandes bonnes à manger, qui ont la forme & le goût de la châtaigne. Le fruit de l’autre eſt plus petit : il n’a point d’amandes, parce qu’elles avortent lorſqu’il eſt parfaitement mûr. Sa chair eſt molle, doucereuſe & mal-ſaine. Mais quand on le cueille un peu avant ſa maturité, il a le goût d’artichaut3, & on le mange comme du pain, ce qui lui a fait donner le nom de fruit à pain. Ceux qui veulent le conſerver une ou pluſieurs années, le coupent par tranches & le font ſécher au four ou au ſoleil.
Le rima, célébré par quelques voyageurs sous le nom d’arbre pain, n’est pas encore bien connu des botanistes. C’est un arbre dont la tige élevée et droite se divise vers la cime en plusieurs branches. Ses feuilles sont alternes, grandes, fermes, épaisses, sinuées profondément vers les bords latéraux. Les plus jeunes, avant leur développement [381], sont enfermées dans une membrane qui se dessèche, et laisse en tombant une impression circulaire autour de la tige. Elles rendent, ainsi que les autres parties de l’arbre, une liqueur laiteuse très-tenace. De l’aisselle des feuilles supérieures sort un corps spongieux, long de six pouces, tout couvert de petites fleurs mâles très-serrées. Plus bas on trouve d’autres corps chargés de fleurs femelles, dont le pistil devient une baie allongée1 remplie d’une amande. Ces baies, portées sur un axe commun, sont si rapprochées, qu’elles se confondent et forment par leur assemblage un fruit très-gros et haut de dix pouces de longueur, hérissé de pointes grosses, courtes et émoussées. Il paraît qu’il existe deux espèces ou variétés du rima. L’un a le fruit intérieurement pulpeux2, rempli d’amandes bonnes à manger, qui ont la forme et le goût de la châtaigne. Le fruit de l’autre est plus petit ; il n’a point d’amandes, parce qu’elles avortent lorsqu’il est parfaitement mûr. Sa chair est molle, doucereuse et malsaine. Mais, quand on le cueille un peu avant sa maturité, il a le goût de l’artichaut3, et on le mange comme du pain ; ce qui lui a fait donner le nom de fruit pain. Ceux qui veulent le conserver une ou plusieurs années le coupent par tranches, et le font sécher au four ou au soleil.
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On trouve dans l’hiſtoire des Marianes trois choſes qui paroiſſent1 dignes d’être remarquées.
On trouve dans l’histoire des Marianes trois choses qui paraissent1 dignes d’être remarquées.
478

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L’uſage du feu y étoit totalement ignoré. Aucun de ces volcans terribles, dont les veſtiges deſtructeurs ſont ineffaçablement gravés ſur la ſurface du globe ; aucun de ces phénomènes céleſtes qui allument ſouvent des flammes dévorantes & inattendues dans tous les climats ; aucun de ces haſards heureux qui, [507]par frottement ou par colliſion, font ſortir de brillantes étincelles de tant de corps : rien n’avoit donné aux paiſibles habitans des Marianes, la moindre idée d’un élément ſi familier aux autres nations. Pour le leur faire connoître, il falloit que le reſſentiment des premiers Eſpagnols, arrivés ſur ces côtes ſauvages, brûlât quelques centaines de cabanes.
L’usage du feu y était totalement ignoré. Aucun de ces volcans terribles dont les vestiges destructeurs sont ineffaçablement gravés sur la surface du globe ; aucun de ces phénomènes célestes qui allument souvent des flammes dévorantes et inattendues dans tous les climats ; aucun de ces hasards heureux qui, par frottement ou par collision, font sortir de brillantes étincelles de tant de corps, rien n’avait donné aux paisibles habitans des Marianes la moindre idée d’un élément si familier aux autres nations. Pour le leur faire connaître, il fallait que le ressentiment des premiers Espagnols arrivés sur ces côtes sauvages brûlât quelques centaines de cabanes.
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Cet uſage du feu n’étoit guère propre à leur en donner une idée favorable, à leur faire deſirer de le reproduire. Auſſi le prirent-ils pour un animal qui s’attachoit au bois & qui s’en nourriſſoit. Ceux que l’ignorance d’un objet ſi nouveau avoit porté1 à en approcher s’étant brûlés, leurs cris inſpirèrent de la terreur aux autres qui n’oſèrent plus le regarder que de très-loin. Ils appréhendèrent la morſure de cette bête féroce, qu’ils croyoient capable de les bleſſer par la ſeule violence de ſa reſpiration. Cependant, ils revinrent par degrés de la conſternation dont ils avoient été frappés ; leur erreur ſe diſſipa peu-à-peu2, & on les vit s’accoutumer enfin à un bien précieux dont tous les autres peuples connus étoient dans une poſſeſſion immémoriale.
Cet usage du feu n’était guère propre à leur en donner une idée favorable, à leur faire désirer de le reproduire ; aussi le prirent-ils pour un animal qui s’attachait au bois et qui s’en nourrissait. Ceux que l’ignorance d’un objet si nouveau avait portés1 à en approcher s’étant brûlés, leurs cris inspirèrent de la terreur aux autres, qui n’osèrent plus le regarder que de très-loin. Ils appréhendèrent la morsure de cette bête féroce, qu’ils croyaient capable de les blesser par la seule violence de sa respiration. Cependant ils revinrent par degrés de la consternation dont ils avaient été frappés ; leur erreur se dissipa peu peu2, et on les vit s’accoutumer enfin à un bien précieux dont tous les autres peuples connus étaient dans une possession immémoriale.
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Un autre ſpectacle digne d’attention, c’étoit [508] la ſupériorité que le ſexe le plus délicat avoit pris1 ſur le plus fort dans les Marianes. L’aſcendant y étoit tel, que les femmes jouiſſoient d’une puiſſance illimitée dans leur intérieur ; qu’on ne pouvoit diſpoſer de rien ſans leur aveu, & qu’elles avoient la libre diſpoſition de tout ; que dans aucun cas, même celui d’une infidélité publiquement connue, on n’étoit pas autoriſé à manquer aux égards qui leur étoient dus ; que pour peu qu’elles jugeâſſent elles-mêmes qu’un époux n’avoit pas aſſez de douceur, de complaiſance & de ſoumiſſion, un nouveau choix leur étoit permis ; que ſi elles ſe croyoient trahies, elles pouvoient piller la cabane, couper les arbres du parjure, ou faire commettre ces dégâts par leurs parens ou par leurs compagnes.
Un autre spectacle digne d’attention, c’était la supériorité que le sexe le plus délicat avait prise1 sur le plus fort dans les Marianes. L’ascendant y était tel, que les femmes jouissaient d’une puissance illimitée dans leur intérieur ; qu’on ne pouvait disposer de rien sans leur aveu, et qu’elles avaient la libre disposition de tout ; que dans aucun cas, même celui d’une infidélité publiquement connue, on n’était pas autorisé à manquer aux égards qui leur étaient dus ; que pour peu qu’elles jugeassent elles-mêmes qu’un époux n’avait pas assez de douceur, de complaisance et de soumission, un nouveau choix leur était permis ; que, si elles se croyaient trahies, elles pouvaient piller la cabane, couper les arbres du parjure, ou faire commettre ces dégâts par leurs parens ou par leurs compagnes.
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Mais, comment des coutumes ſi bizarres avoient-elles pu s’établir & s’enraciner ? Si l’on en croit les relations anciennes ou modernes, les hommes de cet archipel étoient noirs, laids, mal faits ; ils avoient la plupart une maladie hideuſe de la peau, malgré l’uſage journalier du bain. Les femmes, au contraire, avoient un teint aſſez clair, des traits [509]réguliers, un air aiſé, quelques graces, le goût du chant & de la danſe. Eſt-il étonnant qu’avec tant de moyens de plaire, elles aient acquis un empire abſolu & inébranlable ? Ce qui eſt vraiment extraordinaire, c’eſt qu’il y ait eu des contrées, & ſur-tout des contrées ſauvages, où l’on ait trouvé une différence ſi marquée entre les deux ſexes. L’unanimité des hiſtoriens pourra-t-elle jamais étouffer les doutes que doit faire naître une narration ſi peu vraiſemblable ?
Mais comment des coutumes si bizarres avaient-elles pu s’établir et s’enraciner ? Si l’on en croit les relations anciennes ou modernes, les hommes de cet archipel étaient noirs, laids, mal faits : ils avaient la plupart une maladie hideuse de la peau, malgré l’usage journalier du bain. Les femmes, au contraire, avaient un teint assez clair, des traits réguliers, un air aisé, quelques grâces, le goût du chant et de la danse. Est-il étonnant qu’avec tant de moyens de plaire elles aient acquis un empire absolu et inébranlable ? Ce qui est vraiment extraordinaire, c’est qu’il y ait eu des contrées, et surtout des contrées sauvages, où l’on [384]ait trouvé une différence si marquée entre les deux sexes. L’unanimité des historiens pourra-t-elle jamais étouffer les doutes que doit faire naître une narration si peu vraisemblable ?
482

[absent]

[absent]
Les témoignages réunis de tant d’écrivains qu’on voudra, ne ſauroient prévaloir contre une loi bien connue, générale & conſtante de la nature. Or, par-tout, excepté aux iſles1 Marianes, on a trouvé & l’on a dû trouver la femme ſoumiſe à l’homme. Si l’on veut que je me prête à cette exception, il faut l’appuyer d’une autre : c’eſt que dans cette contrée, les femmes l’emportoient ſur les hommes, non-ſeulement en intelligence, mais en force de corps. Si l’on ne m’aſſure pas l’un de ces faits, je nie l’autre ; à moins toutefois que quelque dogme ſuperſtitieux n’ait rendu leurs perſonnes ſacrées. Car il n’y a rien que la ſuperſtition ne dénature, point d’uſage ſi monſtrueux [510] qu’elle n’établiſſe, point de forfaits auxquels elle ne détermine, point de ſacrifices qu’elle n’obtienne. Si elle dit à l’homme, Dieu veut que tu te mutiles, il ſe mutilera. Si elle lui dit, Dieu veut que tu aſſaſſines ton fils, il l’aſſaſſinera. Si elle lui a dit, aux iſles2 Marianes, Dieu veut que tu rampes devant la femme, il rampera devant la femme. La beauté, les talens & l’eſprit, dans toutes les contrées du monde ſauvages ou policées, proſterneront un homme aux pieds d’une femme : mais ces avantages particuliers à quelques femmes n’établiront nulle part la tyrannie générale du ſexe foible ſur le ſexe robuſte. L’homme commande à la femme, même dans les pays où la femme commande à la nation. Le phénomène des iſles3 Marianes ſeroit dans l’ordre moral ce que l’équilibre de deux poids inégaux, ſuſpendus à des bras égaux de levier, ſeroit dans l’ordre phyſique. Aucune ſorte d’autorité ne doit nous amener à la croyance d’une abſurdité. Mais, dira-t-on, ſi les femmes ont mérité là cette autorité par quelques ſervices importans dont la mémoire s’eſt perdue ? eh bien ! l’homme reconnoiſſant4 le premier jour, aura été ingrat le ſecond.
Les témoignages réunis de tant d’écrivains qu’on voudra ne sauraient prévaloir contre une loi bien connue, générale et constante de la nature. Or partout, excepté aux îles1 Marianes, on a trouvé et l’on a dû trouver la femme soumise à l’homme. Si l’on veut que je me prête à cette exception, il faut l’appuyer d’une autre : c’est que dans cette contrée les femmes l’emportaient sur les hommes, non-seulement en intelligence, mais en force de corps. Si l’on ne m’assure pas l’un de ces faits, je nie l’autre ; à moins toutefois que quelque dogme superstitieux n’ait rendu leurs personnes sacrées ; car il n’y a rien que la superstition ne dénature, point d’usage si monstrueux qu’elle n’établisse, point de forfaits auxquels elle ne détermine, point de sacrifices qu’elle n’obtienne. Si elle dit à l’homme, Dieu veut que tu te mutiles, il se mutilera ; si elle lui dit, Dieu veut que tu assassines ton fils, il l’assassinera ; si elle lui a dit, aux îles2 Marianes, Dieu veut que tu rampes devant la femme, il rampera devant la femme. La beauté, les talens et l’esprit, dans toutes les contrées du monde, sauvages ou policées, prosterneront un homme aux pieds d’une femme ; mais ces avantages particuliers à quelques femmes n’établiront nulle part la tyrannie [385] générale du sexe foible sur le sexe robuste. L’homme commande à la femme, même dans les pays où la femme commande à la nation. Le phénomène des îles3 Marianes serait dans l’ordre moral ce que l’équilibre de deux poids inégaux, suspendus à des bras égaux de lévier, serait dans l’ordre physique. Aucune sorte d’autorité ne doit nous amener à la croyance d’une absurdité. Mais, dira-t-on, si les femmes ont mérité là cette autorité par quelques services importans dont la mémoire s’est perdue ? Eh bien ! l’homme reconnaissant4 le premier jour, aura été ingrat le second.
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La troiſième choſe remarquable dans les Marianes, c’étoit un proſs1 ou canot, dont la forme ſingulière a toujours fixé l’attention des navigateurs les plus éclairés.
La troisième chose remarquable dans les Marianes, c’était un pros1 ou canot, dont la forme singulière a toujours fixé l’attention des navigateurs les plus éclairés.
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[absent]
Ces peuples occupoient des iſles1 ſéparées par des intervalles conſidérables. Quoique ſans moyens & ſans deſir d’échanges, ils vouloient communiquer entre eux. Ils y réuſſirent avec le ſecours d’un bâtiment d’une ſûreté entière, quoique très-petit ; propre à toutes les évolutions navales, malgré la ſimplicité de ſa conſtruction ; ſi facile à manier, que trois hommes ſuffiſoient pour toutes les manœuvres ; recevant le vent de côté, mérite abſolument néceſſaire dans ces parages ; ayant l’avantage unique d’aller & de venir, ſans jamais virer de bord & en changeant ſeulement la voile ; d’une telle marche qu’il faiſoit douze ou quinze milles2 en moins d’une heure, & qu’il alloit quelquefois plus vîte que le vent. De l’aveu de tous les connoiſſeurs3, ce proſs appellé4 volant à cauſe de ſa légéreté, eſt le plus parfait bateau qui ait jamais été imaginé ; & l’invention n’en ſauroit être diſputée aux habitans des Marianes, puiſqu’on n’en a trouvé le modèle dans aucune mer du monde.
Ces peuples occupaient des îles1 séparées par des intervalles considérables. Quoique sans moyens et sans désir d’échanges, ils voulaient communiquer entre eux. Ils y réussirent avec le secours d’un bâtiment d’une sûreté entière, quoique très-petit, propre à toutes les évolutions navales, malgré la simplicité de sa construction ; si facile à manier, que trois hommes suffisaient pour toutes les manœuvres ; recevant le vent de côté, mérite absolument nécessaire dans ces parages ; ayant l’avantage unique d’aller et de venir sans jamais virer de bord, et en changeant seulement la voile ; d’une telle marche, qu’il faisait douze [386]ou quinze mille2 en moins d’une heure, et qu’il allait quelquefois plus vite que le vent. De l’aveu de tous les connaisseurs3, ce pros, appelé4 volant à cause de sa légèreté, est le plus parfait bateau qui ait jamais été imaginé ; et l’invention n’en saurait être disputée aux habitans des Marianes, puisqu’on n’en a trouvé le modèle dans aucune mer du monde.
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S’il étoit raiſonnable de prononcer ſur le génie d’une nation par un art iſolé, on ne pourroit s’empêcher d’avoir la plus grande opinion de ces ſauvages qui, avec des outils groſſiers & ſans le ſecours du fer, ont obtenu à la mer des effets que des moyens multipliés n’ont pu procurer aux peuples les plus éclairés. Mais pour aſſeoir un jugement ſolide, il faudroit d’autres preuves qu’un talent que le haſard peut avoir donné ; & ces preuves ne ſont conſignées dans aucune hiſtoire.
S’il était raisonnable de prononcer sur le génie d’une nation par un art isolé, on ne pourrait s’empêcher d’avoir la plus grande opinion de ces sauvages qui, avec des outils grossiers et sans le secours du fer, ont obtenu à la mer des effets que des moyens multipliés n’ont pu procurer aux peuples les plus éclairés. Mais, pour asseoir un jugement solide, il faudrait d’autres preuves qu’un talent que le hasard peut avoir donné, et ces preuves ne sont consignées dans aucune histoire.
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Les iſles1 Marianes furent découvertes, en 1521, par Magellan. Ce célèbre navigateur les nomma iſles2 des Larrons, parce que leurs ſauvages habitans, qui n’avoient pas la moindre notion du droit de propriété, inconnu dans l’état de nature, enlevèrent ſur ſes vaiſſeaux quelques bagatelles qui tentèrent leur curioſité. On négligea long-tems3 de s’établir dans cet archipel où il n’y avoit aucune de ces riches mines qui enflammoient alors les Eſpagnols. Ce fut en 1668 ſeulement que les vaiſſeaux qui y relâchoient de tems4 en tems5, en allant du Mexique aux Indes Orientales, y dépoſèrent quelques miſſionnaires. Dix ans après, la cour de Madrid jugea que les voies [513]de la perſuaſion ne lui donnoient pas aſſez de ſujets ; & elle appuya par des ſoldats les prédications de ſes apôtres.
Les îles1 Marianes furent découvertes en 1521 par Magellan. Ce célèbre navigateur les nomma îles2 des Larrons, parce que leurs sauvages habitans, qui n’avaient pas la moindre notion du droit de propriété, inconnu dans l’état de nature, enlevèrent sur ses vaisseaux quelques bagatelles qui tentèrent leur curiosité. On négligea long-temps3 de s’établir dans cet archipel, où il n’y avait aucune de ces riches mines qui enflammaient alors les Espagnols. Ce fut en 1668 seulement que les vaisseaux qui y relâchaient de temps4 en temps5, [387]en allant du Mexique aux Indes orientales, y déposèrent quelques missionnaires. Dix ans après, la cour de Madrid jugea que les voies de la persuasion ne lui donnaient pas assez de sujets, et elle appuya par des soldats les prédications de ses apôtres.
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Des ſauvages iſolés, que guidoit un farouche inſtinct ; auxquels l’arc & la flèche étoient même inconnus, qui n’avoient pour toute défenſe que de gros bâtons : ces ſauvages ne pouvoient pas réſiſter aux armes & aux troupes de l’Europe. Cependant la plupart d’entre eux ſe firent maſſacrer plutôt que de ſe ſoumettre. Un grand nombre furent la victime des maladies honteuſes que leurs inhumains vainqueurs leur avoient portées. Ceux qui avoient échappé à tous ces déſaſtres prirent le parti déſeſpéré de faire avorter leurs femmes, pour ne pas laiſſer après eux des enfans eſclaves. La population diminua, dans tout l’archipel, au point qu’il fallut, il y a vingt-cinq1 ou trente2 ans, en réunir les foibles3 reſtes dans la ſeule iſle4 de Guam.
Des sauvages isolés que guidait un farouche instinct, auxquels l’arc et la flèche étaient même inconnus, qui n’avaient pour toute défense que de gros bâtons, ces sauvages ne pouvaient pas résister aux armes et aux troupes de l’Europe. Cependant la plupart d’entre eux se firent massacrer plutôt que de se soumettre. Un grand nombre furent la victime des maladies honteuses que leurs inhumains vainqueurs leur avaient portées. Ceux qui avaient échappé à tous ces désastres prirent le parti désespéré de faire avorter leurs femmes, pour ne pas laisser après eux des enfans esclaves. La population diminua dans tout l’archipel, au point qu’il fallut, il y a quarante1 ou cinquante2 ans, en réunir les faibles3 restes dans la seule île4 de Guam.
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Elle a quarante lieues de circonférence. Son port, ſitué dans la partie occidentale & défendu par une batterie de huit canons, eſt formé d’un côté par une langue de terre qui s’avance deux lieues dans la mer, & de l’autre par un recif1 de même étendue qui l’embraſſe [514] preſque circulairement. Quatre vaiſſeaux peuvent y mouiller à l’abri de tous les vents, excepté de celui d’Oueſt qui ne ſouffle jamais violemment dans ces parages.
Elle a quarante lieues de circonférence. Son port, situé dans la partie occidentale et défendu par une batterie de huit canons, est formé d’un côté par une langue de terre qui s’avance deux lieues dans la mer, et de l’autre par un rescif1 de même étendue qui l’embrasse presque circulairement. Quatre vaisseaux peuvent y mouiller à l’abri de tous les vents, excepté de celui d’ouest, [388]qui ne souffle jamais violemment dans ces parages
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A quatre lieues de la rade, ſur les bords de la mer, dans une ſituation heureuſe, s’élève l’agréable bourgade d’Agana. C’eſt dans ce chef-lieu de la colonie & dans vingt-un petits hameaux, diſtribués autour de l’iſle1, que ſont répartis quinze cens2 habitans, reſtes infortunés d’un peuple autrefois nombreux.
A quatre lieues de la rade, sur les bords de la mer, dans une situation heureuse, s’élève l’agréable bourgade d’Agana. C’est dans ce chef-lieu de la colonie et dans vingt-un petits hameaux, distribués autour de l’île1, que sont répartis quinze cents2 habitans, restes infortunés d’un peuple autrefois nombreux.
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L’intérieur de Guam ſert d’aſyle1 & de pâture aux chèvres, aux porcs, aux bœufs, aux volailles qu’au tems2 de la conquête y portèrent les Eſpagnols, & qui depuis ſont devenus ſauvages. Ces animaux, qu’il faut tuer à coup3 de fuſil ou prendre au piège, formoient la principale nourriture des Indiens & de leurs oppreſſeurs, lorſque tout-à-coup4 les choſes ont changé de face.
L’intérieur de Guam sert d’asile1 et de pâture aux chèvres, aux porcs, aux bœufs, aux volailles qu’au temps2 de la conquête y portèrent les Espagnols, et qui depuis sont devenus sauvages. Ces animaux, qu’il faut tuer à coups3 de fusil ou prendre au piége, formaient la principale nourriture des Indiens et de leurs oppresseurs, lorsque tout coup4 les choses ont changé de face.
491

[absent]

[absent]
Un homme actif, humain, éclairé a compris enfin que la population ne ſe rétabliroit pas, qu’elle s’affoibliroit1 même encore, à moins qu’il ne réuſſît à rendre ſon iſle2 agricole. Cette idée élevée l’a fait cultivateur lui-même. A ſon exemple, les naturels du pays ont défriché [515] les terres dont il leur avoit aſſuré la propriété. Leurs champs ſe ſont couverts de riz, de cacao, de maïs, de ſucre, d’indigo, de coton, de fruits, de légumes, dont, depuis un ſiècle ou deux, on leur laiſſoit ignorer l’uſage. Le ſuccès a augmenté leur docilité. Ces enfans d’une nature brute, dans qui la tyrannie & la ſuperſtition avoient achevé de dégrader l’homme, ont exercé, dans des atteliers, quelques3 arts de néceſſité première, & fréquenté, ſans une répugnance trop marquée, les écoles ouvertes pour leur inſtruction. Leurs jouiſſances ſe ſont multipliées avec leurs occupations ; & ils ont été enfin heureux dans un des meilleurs pays du monde : tant il eſt vrai qu’il n’y a rien dont on ne vienne à bout avec de la douceur & par la bienfaiſance, puiſque ces vertus peuvent éteindre le reſſentiment dans l’ame même du ſauvage.
Un homme actif, humain, éclairé, a compris enfin que la population ne se rétablirait pas, qu’elle s’affaiblirait1 même encore, à moins qu’il ne réussît à rendre son île2 agricole. Cette idée élevée l’a fait cultivateur lui-même. A son exemple, les naturels du pays ont défriché les terres dont il leur avait assuré la propriété. Leurs champs se sont couverts de riz, de cacao, de maïs, de sucre, d’indigo, de coton, de fruits, de légumes, dont, depuis un siècle ou deux, on leur laissait ignorer l’usage. Le succès a augmenté leur docilité. Ces enfans d’une nature brute, dans qui la tyrannie et la superstition avaient achevé de dégrader l’homme, ont exercé dans des ateliers quelque3 [389]arts de nécessité première, et fréquenté, sans une répugnance trop marquée, les écoles ouvertes pour leur instruction. Leurs jouissances se sont multipliées avec leurs occupations, et ils ont été enfin heureux dans un des meilleurs pays du monde ; tant, il est vrai, qu’il n’y a rien dont on ne vienne à bout avec de la douceur et par la bienfaisance, puisque ces vertus peuvent éteindre le ressentiment dans l’âme même du sauvage.
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Cette révolution ineſpérée a été l’ouvrage de M. Tobias qui, en 1772, gouvernoit encore les Marianes. Puiſſe ce vertueux & reſpectable Eſpagnol obtenir un jour ce qui combleroit ſa félicité, la conſolation de voir diminuer la paſſion de ſes enfans chéris pour [516]le vin de cocotier, & de voir augmenter leur goût pour le travail !
Cette révolution inespérée a été l’ouvrage de M. Tobias, qui, en 1772, gouvernait encore les Marianes. Puisse ce vertueux et respectable Espagnol obtenir un jour ce qui comblerait sa félicité, la consolation de voir diminuer la passion de ses enfans chéris pour le vin de cocotier, et de voir augmenter leur goût pour le travail !
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Si, dès l’origine, les Eſpagnols avoient eu les vues raiſonnables du ſage Tobias, les Marianes auroient été civiliſées & cultivées. Ce double avantage auroit procuré à cet archipel une ſûreté qu’il ne ſauroit ſe promettre d’une garniſon de cent cinquante hommes concentrée dans Guam.
Si, dès l’origine, les Espagnols avaient eu les vues raisonnables du sage Tobias, les Marianes auraient été civilisées et cultivées. Ce double avantage aurait procuré à cet archipel une sûreté qu’il ne saurait se promettre d’une garnison de cent cinquante hommes concentrée dans Guam.
494

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Tranquilles pour leurs poſſeſſions, les conquérans ſe ſeroient livrés à l’amour des découvertes qui étoient1 alors le génie dominant de la nation. Secondés par le talent de leurs nouveaux ſujets pour la navigation, leur activité auroit porté les arts utiles & l’eſprit de ſociété dans les nombreuſes iſles2 qui couvrent l’océan Pacifique & plus loin encore. L’univers eût été, pour ainſi dire, agrandi par de ſi glorieux travaux. Sans doute que toutes les nations commerçantes auroient tiré, avec le tems3, quelque utilité des relations formées avec ces régions, juſqu’alors inconnues, puiſqu’il eſt impoſſible qu’un peuple s’enrichiſſe ſans que les autres participent à ſes proſpérités : mais la cour de Madrid auroit toujours joui plutôt4 & plus [517]conſtamment des productions de ſes nouveaux établiſſemens. Si nous ne nous trompons, cet ordre de choſes valoit mieux pour l’Eſpagne qu’une combinaiſon qui réduit les Marianes à fournir des rafraîchiſſemens aux galions qui retournent du Mexique aux Philippines, comme la Californie à ceux qui vont des Philippines au Mexique.
Tranquilles pour leurs possessions, les conquérans se seraient livrés à l’amour des découvertes, qui était1 alors le génie dominant de la nation. Secondés par le talent de leurs nouveaux sujets pour la navigation, leur activité aurait porté les arts utiles et l’esprit de société dans les nombreuses îles2 qui couvrent l’Océan pacifique, et plus loin encore. L’univers eût été, pour ainsi [390]dire, agrandi par de si glorieux travaux. Sans doute que toutes les nations commerçantes auraient tiré, avec le temps3, quelque utilité des relations formées avec ces régions jusqu’alors inconnues, puisqu’il est impossible qu’un peuple s’enrichisse sans que les autres participent à ses prospérités ; mais la cour de Madrid aurait toujours joui plus tôt4 et plus constamment des productions de ses nouveaux établissemens. Si nous ne nous trompons, cet ordre de choses valait mieux pour l’Espagne qu’une combinaison qui réduit les Marianes à fournir des rafraîchissemens aux galions qui retournent du Mexique aux Philippines, comme la Californie à ceux qui vont des Philippines au Mexique.
495
La Californie eſt proprement une longue pointe de terre qui ſort des côtes ſeptentrionales de l’Amérique, & s’avance entre l’eſt & le ſud juſqu’à la Zone Torride : elle eſt baignée des deux côtés par la mer pacifique. La partie connue de cette péninſule a trois cens1 lieues de longueur, ſur dix, vingt, trente & quarante de large. Les géographes ne ſont pas d’accord ſur ſes longitudes & ſes latitudes2.
La Californie eſt proprement une longue pointe de terre qui ſort des côtes ſeptentrionales de l’Amérique, & s’avance entre l’Eſt & le Sud juſqu’à la Zone Torride : elle eſt baignée des deux côtés par la mer Pacifique. La partie connue de cette peninſule a trois cents1 lieues de longueur, ſur dix, vingt, trente & quarante de large.
La Californie eſt proprement une longue pointe de terre qui ſort des côtes ſeptentrionales de l’Amérique, & s’avance entre l’Eſt & le Sud juſqu’à la Zone Torride. Elle eſt baignée des deux côtés par la mer Pacifique. La partie connue de cette péninſule a trois cens1 lieues de longueur, ſur dix, vingt, trente & quarante de large.
La Californie est proprement une longue pointe de terre qui sort des côtes septentrionales de l’Amérique et s’avance entre l’est et le sud jusqu’à la zone torride. Elle est baignée des deux côtés par la mer Pacifique. La partie connue de cette péninsule a trois cents1 lieues de longueur sur dix, vingt, trente et quarante de large.
496
Il eſt impoſſible que dans un ſi grand eſpace, la nature du ſol & la température de l’air ſoient partout les mêmes. On peut dire cependant qu’en général le climat y eſt ſec & chaud à l’excès ; le terrein nud1, pierreux, montueux, ſabloneux2, ſtérile par conſéquent, & peu propre au labourage, à la multiplication des beſtiaux. Parmi le petit nombre d’arbres qu’on y trouve, le plus utile eſt le pitahaya dont les productions font4 la principale nourriture des Californiens. Ses branches canélées, perpendiculaires n’ont point de feuilles, & c’eſt des tiges que naît le fruit. Il eſt épineux comme le marron d’inde ; mais ſa chair reſſemble à celle de la figue, avec cet avantage qu’elle eſt encore plus douce & plus délicate5.
Il eſt impoſſible que dans un ſi grand eſpace [121], la nature du ſol & la température de l’air ſoient par-tout les mêmes. On peut dire cependant, qu’en général le climat y eſt ſec & chaud à l’excès ; le terrein nud1, pierreux, montueux, ſablonneux2, ſtérile par conſéquent, & peu propre au labourage &3 à la multiplication des beſtiaux. Parmi le petit nombre d’arbres qu’on y trouve, le plus utile eſt le pitahaya, dont les productions font4 la principale nourriture des Californiens. Ses branches cannelées & perpendiculaires n’ont point de feuilles, & c’eſt des tiges que naît le fruit. Il eſt épineux comme le marron d’inde ; mais ſa chair reſſemble celle de la figue, avec cet avantage, qu’elle eſt encore plus douce & plus délicate5.
Il eſt impoſſible que dans un ſi grand eſpace, la nature du ſol & la température de l’air ſoient par-tout les mêmes. On peut dire cependant, qu’en général le climat y eſt ſec & chaud à l’excès ; le terrein nud1, pierreux, montueux, ſablonneux2, ſtérile par conſéquent, & peu propre au labourage &3 à la multiplication des beſtiaux. Parmi le petit nombre d’arbres qu’on y trouve, le plus utile [518]eſt le pita-haya, dont les fruits ſont4 la principale nourriture des Californiens.
Il est impossible que dans un si grand espace la nature du sol et la température de l’air soient partout les mêmes. On peut dire cependant qu’en général le climat y est sec et chaud à l’excès ; le terrain nu1, pierreux, montueux, sablonneux2, stérile par conséquent, et peu propre au labourage et3 à la multiplication des bestiaux. Parmi le petit nombre d’arbres qu’on y trouve, le plus [391]utile est le pita-haya, dont les fruits sont4 la principale nourriture des Californiens.
497

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C’eſt une eſpèce de cierge qui, comme les autres, n’a point de feuilles. Ses tiges droites & cannelées ont les côtes chargées d’épines & ſupportent immédiatement des fleurs blanchâtres, ſemblables à celles du nopal ſur lequel vit la cochenille, mais beaucoup plus alongées2. Les fruits qui ſuccèdent à ſes fleurs ont à leur ſurface des inégalités produites par la baſe ſubſiſtante des écailles du calice. Ils ſont de la groſſeur d’un œuf de poule, rouges en-dehors & remplis intérieurement d’une pulpe blanche bonne à manger, plus douce & plus délicate que celle de la figue ordinaire. On trouve dans cette pulpe des petites ſemences noires & luiſantes.
C’est une espèce de cierge ou cactus1 qui, comme les autres, n’a point de feuilles. Ses tiges droites et cannelées, ont les côtes chargées d’épines et supportent immédiatement des fleurs blanchâtres, semblables à celles du nopal sur lequel vit la cochenille, mais beaucoup plus allongées2. Les fruits qui succèdent à ses fleurs ont à leur surface des inégalités produites par la base subsistante des écailles du calice. Ils sont de la grosseur d’un œuf de poule, rouges en-dehors et remplis intérieurement d’une pulpe blanche, bonne à manger, plus douce et plus délicate que celle de la figue ordinaire. On trouve dans cette pulpe des petites semences noires et luisantes.
498
La mer plus riche que la terre offre des poiſſons de toutes ſortes, dans la plus grande abondance & du goût le plus exquis. On y trouve même communément une eſpece de coquille dont l’éclat ſurpaſſe celui de la plus belle nacre. Elle eſt couverte d’une légére couche d’un beau vernis couleur d’azur, au travers duquel on apperçoit le brillant du fonds argenté de la coquille1. Mais ce qui rend le golphe2 de la Californie plus digne d’attention, ce ſont les perles, qui dans la ſaiſon de la pêche y attirent les habitans4 [86] de toutes les provinces5 de la nouvelle Eſpagne6.
La mer, plus riche que la terre, offre des poiſſons de toutes ſortes, dans la plus grande abondance & du goût le plus exquis. Mais ce qui rend le golfe2 de la Californie plus digne d’attention, ce ſont les perles, qui, dans la ſaiſon de la pêche, y attirent les habitans4 de toutes les provinces5 de la Nouvelle-Eſpagne6.
La mer, plus riche que la terre, offre des poiſſons de toutes ſortes, dans la plus grande abondance & du goût le plus exquis. Mais ce qui rend le golfe2 de la Californie plus digne d’attention, ce ſont les perles, qui, dans la ſaiſon favorable, y attirent3 de diverſes provinces du Mexique des hommes avides auxquels on a impoſé la loi4 de donner au gouvernement le quint5 de leur pêche6.
La mer, plus riche que la terre, offre des poissons de toutes sortes dans la plus grande abondance et du goût le plus exquis. Mais ce qui rend le golfe2 de la Californie plus digne d’attention, ce sont les perles, qui, dans la saison favorable, y attirent3 de diverses provinces du Mexique des hommes avides, auxquels on a imposé la loi4 de donner au gouvernement le quint5 de leur pêche6.
499
Il eſt établi en Amérique qu’on regarde comme une même nation tous les peuples qui parlent la même langue, ſoit qu’ils vivent enſemble, ſoit qu’ils ſoient diſperſés en différens cantons. Sous ce point de vue il y a ſix nations dans la Californie ſuivant quelques voyageurs, & trois ſelon d’autres. Cette diverſité d’opinions vient de ce que les uns ont vu des langues primitives, où d’autres, après un examen plus réfléchi, n’ont trouvé que des dialectes de la même langue.

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500
Les Californiens ſont bienfaits1 & fort robuſtes. L’impétuoſité jointe 2 une puſillanimité extrême, l’inconſtance avec une3 pareſſe exceſſive4, la ſtupidité & même l’inſenſibilité forment la baſe de5 leur caractere. Ce ſont des enfans en qui la raiſon n’eſt pas encore dévéloppée. Ils ſont plus baſanés6 que les Mexicains. Cette différence de couleur prouve que la vie policée de la ſociété renverſe ou change entierement l’ordre & les loix7 de la nature, puiſqu’on trouve ſous la Zone tempérée un peuple ſauvage plus noir que ne le ſont les nations civiliſées de la Zone Torride.
Les Californiens ſont bien faits1 & fort robuſtes. Une puſillanimité extrême, l’inconſtance, la3 pareſſe, la ſtupidité, & même l’inſenſibilité, forment leur caractere. Ce ſont des enfans, en qui la raiſon n’eſt pas encore développée. Ils ſont plus baſannés6 que les Mexicains. Cette différence de couleur prouve [122]que la vie policée de la ſociété, renverſe ou change entierement l’ordre & les loix7 de la nature, puiſqu’on trouve ſous la Zone Tempérée un peuple ſauvage plus noir que ne le ſont les nations civiliſées de la Zone Torride.
Les Californiens ſont bien faits1 & fort robuſtes. Une puſillanimité extrême, l’inconſtance, la3 pareſſe, la ſtupidité, & même l’inſenſibilité, forment leur caractère. Ce ſont des enfans, en qui la raiſon n’eſt pas encore développée. Ils ſont plus baſannés6 que les Mexicains. Cette différence de couleur prouve que la vie policée de la ſociété, renverſe ou change entiérement l’ordre & les loix7 de la nature, puiſqu’on trouve ſous la Zone Tempérée un peuple ſauvage plus noir que ne le ſont les nations civiliſées de la Zone Torride.
Les Californiens sont bien faits1 et fort robustes. Une pusillanimité extrême, l’inconstance, la3 paresse, la stupidité, et même l’insensibilité, forment leur caractère. Ce sont des enfans en qui la raison n’est pas encore développée. Ils sont plus [392]basanés6 que les Mexicains. Cette différence de couleur prouve que la vie policée de la société renverse ou change entièrement l’ordre et les lois7 de la nature, puisqu’on trouve sous la zone tempérée un peuple sauvage plus noir que ne le sont les nations civilisées de la zone torride.
501
Avant qu’on eut pénétré chez les Californiens, ils n’avoient aucune pratique de religion, & leur gouvernement étoit tel qu’on devoit l’attendre de leur ignorance. Chaque nation étoit un aſſemblage de pluſieurs cabanes plus ou moins nombreuſes ſelon la fertilité du terroir1, toutes unies entr’elles2 par des alliances, mais ſans aucun chef auquel elles fuſſent ſubordonnées3. L’obéiſſance filiale n’y étoit pas même connue, ou s’il y en avoit quelque légére trace, elle ceſſoit auſſi-tôt [87]que les enfans pouvoient ſe paſſer du ſecours de leur famille. Les Californiens ne connoiſſoient aucune eſpece de vêtement, mais leurs femmes cachoient leur nudité avec un ſoin extrême4.
Avant qu’on eût pénétré chez les Californiens, ils n’avoient aucune pratique de religion ; & leur gouvernement étoit tel qu’on devoit l’attendre de leur ignorance. Chaque nation étoit un aſſemblage de pluſieurs cabanes, plus ou moins nombreuſes, toutes unies entr’elles2 par des alliances, mais ſans aucun chef. L’obéiſſance filiale n’y étoit pas même connue. Les hommes n’y connoiſſoient aucune eſpece de vêtement, mais les femmes cachoient leur nudité avec un ſoin extrême4.
Avant qu’on eût pénétré chez les Californiens, ils n’avoient aucune pratique de religion ; & leur gouvernement étoit tel qu’on devoit l’attendre de leur ignorance. Chaque nation étoit un aſſemblage de pluſieurs cabanes, plus ou moins nombreuſes, toutes unies entre elles2 par des alliances, mais ſans aucun chef. L’obéiſſance filiale n’y étoit pas même connue, quoique ce ſentiment ſoit, ſinon plus vif, du moins plus pur dans l’état de nature que dans celui de ſociété4.
Avant qu’on eût pénétré chez les Californiens, ils n’avaient aucune pratique de religion, et leur gouvernement était tel qu’on devait l’attendre de leur ignorance. Chaque nation était un assemblage de plusieurs cabanes, plus ou moins nombreuses, toutes unies entre elles2 par des alliances, mais sans aucun chef. L’obéissance filiale n’y était pas même connue, quoique ce sentiment soit, sinon plus vif, du moins plus pur dans l’état de nature que dans celui de société4.
502
Soit qu’on eut apprit1, ſoit qu’on ignorat ces particularités, le Mexique n’eut pas été plutôt réduit & pacifié qu’on s’occupa de la conquête de la Californie. Cortez y aborda en 1526. Il n’eut pas ſeulement le tems de la reconnoître, parce qu’il fut forcé de retourner à ſon gouvernement, où le bruit de ſa mort avoit diſpoſé les eſprits un2 ſoulevement univerſel3. Les différentes tentatives qu’on fit depuis pour s’y établir, échouerent toutes. Les efforts de la cour ne furent pas plus heureux que ceux des particuliers. Pour peu qu’on ſuive avec attention l’eſprit qui les dirigeoit, on trouve un défaut d’humanité, de courage & de conſtance qui explique ces4 revers. Il n’y eut pas une ſeule expédition qui ne fut ou mal concertée, ou follement conduite.
Soit qu’on eût appris1, ſoit qu’on ignorât ces particularités, le Mexique n’eut pas été plutôt réduit & pacifié, qu’on s’occupa de la conquête de la Californie. Cortez y aborda en 1526. Il n’eut pas ſeulement le tems de la reconnoître, parce qu’il fut forcé de retourner à ſon gouvernement, où le bruit de ſa mort avoit diſpoſé les eſprits au2 ſoulevement. Les différentes tentatives qu’on fit depuis pour s’y établir, échouerent toutes. Les efforts de la cour ne furent pas plus heureux que ceux des particuliers. Pour peu qu’on ſuive avec attention l’eſprit qui les dirigeoit, on trouve un défaut d’humanité, de courage & de conſtance, qui [123]explique ce4 revers. Il n’y eut pas une ſeule expédition qui ne fût ou mal concertée, ou follement conduite.

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En effet, les ſecours qu’une police régulière aſſure à tous les individus chez les nations [520] civiliſées, les jeunes ſauvages ne les attendent que de leur père. C’eſt lui qui pourvoit à leur ſubſiſtance, quand ils ſont enfans ; c’eſt lui qui veille à leur ſûreté. Comment ne rechercheroient-ils pas ſa bienveillance ? comment n’éviteroient-ils pas avec ſoin ce qui pourroit les priver de ſon appui ?
En effet, les secours qu’une police régulière assure à tous les individus chez les nations civilisées, les jeunes sauvages ne les attendent que de leur père. C’est lui qui pourvoit à leur subsistance quand il sont enfans, c’est lui qui veille à leur sûreté. Comment ne rechercheraient-ils pas sa bienveillance ? comment n’éviteraient-ils pas avec soin ce qui pourrait les priver de son appui ?
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Un reſpect qui n’eſt point exigé ne ſauroit guère s’affoiblir1 dans des enfans qu’une habitude animale plus encore que le beſoin ramène toujours dans la cabane qui les a vu2 naître, & dont ils ne s’éloignent jamais à de grandes diſtances. Les ſéparations que l’éducation, l’induſtrie, le commerce occaſionnent ſi fréquemment parmi nous, & qui ne peuvent que relâcher les liens de la parenté, les ſauvages ne les connoiſſent3 point. Ils reſtent à côté de celui qui leur a donné l’exiſtence, tant qu’il vit. Comment s’écarteroient-ils de l’obéiſſance ? Rien ne leur eſt impérieuſement ordonné. Point d’être plus libre que le petit ſauvage. Il naît émancipé. Il va, il vient, il ſort, il rentre, il découche ſans qu’on lui demande ce qu’il a fait, ce qu’il eſt devenu. Jamais on ne s’aviſeroit d’employer l’autorité de la famille pour le ramener, [521]s’il lui plaiſoit de diſparoître. Rien de ſi commun dans les villes que les mauvais pères. Il n’y en a point au fond des forêts. Plus les ſociétés ſont opulentes, & plus il y a de luxe, moins la voix du ſang s’y fait entendre. Le dirai-je ? La ſévérité de notre éducation, ſa variété, ſa durée, ſes fatigues aliènent la tendreſſe de nos enfans. Il n’y a que l’expérience qui les reconcilie avec nous. Nous ſommes obligés d’attendre long-tems4 la reconnoiſſance5 de nos ſoins & l’oubli de nos réprimandes. Le ſauvage n’en entendit jamais dans la bouche de ſes parens. Jamais il n’en fut châtié. Lorſqu’il ſut frapper l’animal dont il avoit à ſe nourrir, il n’eut preſque plus rien à apprendre. Ses paſſions étant naturelles, il les ſatisfait ſans redouter l’œil des ſiens. Mille motifs contraignent nos parens à s’oppoſer aux nôtres. Croit-on qu’il n’y ait point d’enfant6 parmi nous à qui le deſir de jouir promptement d’une grande fortune ne faſſe trouver la vie de leurs pères trop longue ? J’aimerois7 à me le perſuader. Le cœur du ſauvage à qui ſon père n’a rien à laiſſer eſt étranger à cette eſpèce de parricide.
Un respect qui n’est point exigé ne saurait guère s’affaiblir1 dans des enfans qu’une habitude animale, plus encore que le besoin, ramène toujours dans la cabane qui les a vus2 naître, et dont ils ne s’éloignent jamais à de grandes distances. [393]Les séparations que l’éducation, l’industrie, le commerce, occasionnent si fréquemment parmi nous, et qui ne peuvent que relâcher les liens de la parenté, les sauvages ne les connaissent3 point. Ils restent à côté de celui qui leur a donné l’existence, tant qu’il vit. Comment s’écarteraient-ils de l’obéissance ? Rien ne leur est impérieusement ordonné. Point d’être plus libre que le petit sauvage. Il naît émancipé. Il va, il vient, il sort, il rentre, il découche sans qu’on lui demande ce qu’il a fait, ce qu’il est devenu. Jamais on ne s’aviserait d’employer l’autorité de la famille pour le ramener, s’il lui plaisait de disparaître. Rien de si commun dans les villes que les mauvais pères. Il n’y en a point au fond des forêts. Plus les sociétés sont opulentes, et plus il y a de luxe, moins la voix du sang s’y fait entendre. Le dirai-je ? la sévérité de notre éducation, sa variété, sa durée, ses fatigues, aliènent la tendresse de nos enfans. Il n’y a que l’expérience qui les réconcilie avec nous. Nous sommes obligés d’attendre long-temps4 la reconnaissance5 de nos soins et l’oubli de nos réprimandes. Le sauvage n’en entendit jamais dans la bouche de ses parens. Jamais il n’en fut châtié. Lorsqu’il sut frapper l’animal dont il avait à se nourrir, il n’eut presque plus rien à apprendre. Ses passions étant naturelles, il les satisfait sans redouter l’œil des siens. Mille motifs contraignent nos parens à s’opposer aux nôtres. Croit-on qu’il n’y ait point d’enfans6 [394]parmi nous à qui le désir de jouir promptement d’une grande fortune ne fasse trouver la vie de leurs pères trop longue ? Jaimerais7 à me le persuader. Le cœur du sauvage, à qui son père n’a rien à laisser, est étranger à cette espèce de parricide.
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Dans nos foyers, les pères âgés radotent [522]ſouvent au jugement de leurs enfans. Il n’en eſt pas ainſi dans la cabane du ſauvage. On y parle peu, & l’on y a une haute opinion de la prudence des pères. Ce ſont leurs leçons qui ſuppléent au défaut d’obſervations ſur les ruſes des animaux, ſur les forêts giboyeuſes, ſur les côtes poiſſonneuſes, ſur les ſaiſons & ſur les tems1 propres à la chaſſe & à la pêche. Le vieillard raconte-t-il quelques particularités de ſes guerres ou de ſes voyages ? rappelle-t-il les combats qu’il a livrés, les périls qu’il a courus, les embuches qu’il a évitées ? s’élève-t-il à l’explication des phénomènes les plus ſimples de la nature ? le ſoir, dans une nuit étoilée, à l’entrée de la cabane, leur trace-t-il du doigt le cours des aſtres qui brillent au-deſſus de leur tête, d’après les connoiſſances2 bornées qu’il en a ? il eſt admiré. S’il ſurvient une tempête, quelque révolution ſur la terre, dans les airs, ſur les eaux, quelque événement agréable ou fâcheux ? tous s’écrient, notre père nous l’avoit prédit ; & la ſoumiſſion pour ſes conſeils, la vénération pour ſa perſonne en ſont augmentés3. Lorſqu’il approche de ſes derniers momens, l’inquiétude & la douleur ſe [523]peignent ſur les viſages, les larmes coulent à ſa mort, & un long ſilence règne autour de ſa couche. On le dépoſe dans la terre, & l’endroit de ſa ſépulture eſt ſacré. On lui rend des honneurs annuels ; & dans les circonſtances importantes ou douteuſes, on va quelquefois interroger ſa cendre. Hélas ! les enfans ſont livrés à tant de diſtractions parmi nous, que les pères en ſont promptement oubliés. Ce n’eſt pas toutefois que je préférâſſe l’état ſauvage à l’état civiliſé. C’eſt une proteſtation que j’ai déja faite plus d’une fois. Mais plus j’y réfléchis, plus il me ſemble que depuis la condition de la nature la plus brute juſqu’à l’état le plus civiliſé, tout ſe compenſe à-peu-près4, vices & vertus, biens & maux phyſiques. Dans la forêt, ainſi que dans la ſociété, le bonheur d’un individu peut être moins ou plus grand que celui d’un autre individu : mais je ſoupçonne que la nature a poſé des limites à celui de toute portion conſidérable de l’eſpèce humaine, au-delà deſquelles il y a à-peu-près5 autant à perdre qu’à gagner.
Dans nos foyers, les pères âgés radotent souvent au jugement de leurs enfans. Il n’en est pas ainsi dans la cabane du sauvage. On y parle peu, et l’on y a une haute opinion de la prudence des pères. Ce sont leurs leçons qui suppléent au défaut d’observations sur les ruses des animaux, sur les forêts giboyeuses, sur les côtes poissonneuses, sur les saisons et sur les temps1 propres à la chasse et à la pêche. Le vieillard raconte-t-il quelques particularités de ses guerres ou de ses voyages ; rappelle-t-il les combats qu’il a livrés, les périls qu’il a courus ; les embûches qu’il a évitées ; s’élève-t-il à l’explication des phénomènes les plus simples de la nature ; le soir, dans une nuit étoilée, à l’entrée de la cabane, leur trace-t-il du doigt le cours des astres qui brillent au-dessus de leur tête d’après les connaissances2 bornées qu’il en a, il est admiré. S’il survient une tempête, quelque révolution sur la terre, dans les airs, sur les eaux, quelque événement agréable ou fâcheux, tous s’écrient, notre père nous l’avait prédit ! et la soumission pour ses conseils, la vénération pour sa personne, en sont augmentées3. Lorsqu’il approche de ses derniers momens l’inquiétude [395] et la douleur se peignent sur les visages, les larmes coulent à sa mort, et un long silence règne autour de sa couche. On le dépose dans la terre, et l’endroit de sa sépulture est sacré. On lui rend des honneurs annuels ; et, dans les circonstances importantes ou douteuses, on va quelquefois interroger sa cendre. Hélas ! les enfans sont livrés à tant de distractions parmi nous, que les pères en sont promptement oubliés. Ce n’est pas toutefois que je préférasse l’état sauvage à l’état civilisé. C’est une protestation que j’ai déjà faite plus d’une fois. Mais plus j’y réfléchis, plus il me semble que, depuis la condition de la nature la plus brute jusqu’à l’état le plus civilisé, tout se compense peu près4, vices et vertus, biens et maux physiques. Dans la forêt, ainsi que dans la société, le bonheur d’un individu peut être moins ou plus grand que celui d’un autre individu ; mais je soupçonne que la nature a posé des limites à celui de toute portion considérable de l’espèce humaine, au-delà desquelles il y a peu près5 autant à perdre qu’à gagner.
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Le Mexique n’eut pas été plutôt1 réduit & pacifié, que Cortès2 forma le projet d’ajouter [524] à ſa conquête la Californie. Lui-même, il ſe chargea, en 15263 de l’expédition, mais elle ne fut pas heureuſe. Celles qui ſe ſuccédèrent rapidement, pendant deux ſiècles, eurent le même ſort, ſoit que les particuliers en ſupportâſſent les frais, ſoit qu’elles ſe fiſſent aux dépens du gouvernement ; & cette continuité de revers n’eſt pas inexplicable.
Le Mexique n’eut pas été plus tôt1 réduit et pacifié, que Cortez2 forma le projet d’ajouter à sa conquête la Californie. Lui-même il se chargea, en 15263, de l’expédition ; mais elle ne fut pas heureuse. Celles qui se succédèrent rapidement pendant deux siècles eurent le même sort, soit que les particuliers en supportassent les frais, soit qu’elles se fissent aux dépens du gouvernement ; [396]et cette continuité de revers n’est pas inexplicable.
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L’uſage de lever les vues, les plans, les cartes des lieux qu’on parcouroit n’étoit pas alors fort commun. Si quelque aventurier plus intelligent ou plus laborieux que ſes compagnons écrivoit une relation de ſon voyage, cet écrit étoit rarement placé dans les dépôts publics. L’y mettoit-on ? Enſeveli dans la pouſſière, il étoit oublié. L’impreſſion auroit remédié à cet inconvénient, mais la crainte que les étrangers ne fuſſent inſtruits de ce qu’on croyoit important de leur cacher, faiſoit rejetter1 ce moyen de communication. De cette manière, les peuples n’acquéroient aucune expérience. Les abſurdités ſe perpétuoient ; & les derniers entrepreneurs échouèrent par les mêmes fautes qui avoient empêché le ſuccès des premiers.
L’usage de lever les vues, les plans, les cartes des lieux qu’on parcourait, n’était pas alors fort commun. Si quelque aventurier, plus intelligent ou plus laborieux que ses compagnons, écrivait une relation de son voyage, cet écrit était rarement placé dans les dépôts publics. L’y mettaiton, enseveli dans la poussière, il était oublié. L’impression aurait remédié à cet inconvénient, mais la crainte que les étrangers ne fussent instruits de ce qu’on croyait important de leur cacher faisait rejeter1 ce moyen de communication. De cette manière les peuples n’acquéraient aucune expérience. Les absurdités se perpétuaient ; et les derniers entrepreneurs échouèrent par les mêmes fautes qui avaient empêché le succès des premiers.
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L’Eſpagne fatiguée de ſes pertes & de ſes dépenſes1, avoit entierement renoncé à l’acquiſition de la Californie, lorſque les Jéſuites demanderent en 1697, qu’il leur fut permis de l’entreprendre. Dès qu’ils eurent obtenu le conſentement du gouvernement, ils commencerent l’exécution du plan de légiſlation qu’ils avoient formé d’après des notions2 exactes de la nature du ſol, du caractere des habitans, de l’influance3 du climat. Le fanatiſme ne guidoit point leurs pas. Ils arriverent chez les ſauvages qu’ils vouloient civiliſer, avec des curioſités qui puſſent les amuſer, des grains deſtinés à les nourrir, des vêtemens propres à leur plaire. La haine de ces peuples pour le nom Eſpagnol ne tint pas contre ces démonſtrations de bienveillance. Ils y répondirent autant [88] que leur peu de ſenſibilité & leur inconſtance4 le pouvoient permettre. Ces vices furent vaincus en partie par les religieux inſtituteurs qui ſuivoient leur projet avec la chaleur & l’opiniâtreté qui5 leur ſont particulieres6. Ils ſe firent charpentiers, mâçons, tiſſerands, cultivateurs, & réuſſirent par ces moyens à donner la connoiſſance7, & juſqu’à un certain point le goût des arts utiles9 à ces peuples. On les a tous réunis ſucceſſivement. En 1745, ils formoient quarante trois11 villages, dont la diſette d’eau &12 la ſtérilité du terrein avoient réglé les diſtances. Cette république augmentera à meſure que les ſucceſſeurs de ceux qui l’ont formée pouſſeront leurs travaux vers le nord, où ſelon un plan judicieuſement arrêté doit ſe faire la jonction des miſſions de la péninſule avec celle du continent. Elles ne ſeront ſéparées que par le fleuve Colorado13.
L’Eſpagne fatiguée de ſes pertes & de ſes dépenſes1, avoit entierement renoncé à l’acquiſition de la Californie, lorſque les Jéſuites demanderent en 1697, qu’il leur fût permis de l’entreprendre. Dès qu’ils eurent obtenu le conſentement du gouvernement, ils commencerent l’exécution du plan de légiſlation qu’ils avoient formé, d’après des nations2 exactes de la nature du ſol, du caractere des habitans, de l’influence3 du climat. Le fanatiſme ne guidoit point leurs pas. Ils arriverent chez les ſauvages qu’ils vouloient civiliſer, avec des curioſités qui puſſent les amuſer, des grains deſtinés à les nourrir, des vêtemens propres à leur plaire. La haîne de ces peuples pour le nom Eſpagnol, ne tint pas contre ces démonſtrations de bienveillance. Ils y repondirent autant que leur peu de ſenſibilité & l’inconſtance4 le pouvoient permettre. Ces vices furent vaincus en partie, par les religieux inſtituteurs qui ſuivoient leur projet avec la chaleur & l’opiniâtreté particulieres 5 leur corps6. Ils ſe firent charpentiers, maçons, tiſſerands, cultivateurs, & réuſſirent par ces moyens à donner la connoiſſance7, & juſqu’à un certain point, le goût des premiers8 arts à ces peuples ſauvages10. On les a tous réunis ſucceſſivement. [124]En 1745, ils formoient quarante-trois11 villages, ſéparés par12 la ſtérilité du terrein & la diſette d’eau. Cette république augmentera, meſure que les ſucceſſeurs de ceux qui l’ont formée pouſſeront leurs travaux vers le Nord, où, ſelon un plan judicieuſement arrêté, devoit ſe faire la jonction des miſſions de la peninſule avec celles du continent. Elles ne ſont ſéparées que par le fleuve Colorado13.
On1 avoit entiérement renoncé à l’acquiſition [525] de la Californie, lorſque les Jéſuites demandèrent en 1697, qu’il leur fût permis de l’entreprendre. Dès qu’ils eurent obtenu le conſentement du gouvernement, ils commencèrent l’exécution du plan de légiſlation qu’ils avoient formé, d’après des notions2 exactes de la nature du ſol, du caractère des habitans, de l’influence3 du climat. Le fanatiſme ne guidoit point leurs pas. Ils arrivèrent chez les ſauvages qu’ils vouloient civiliſer, avec des curioſités qui puſſent les amuſer, des grains deſtinés à les nourrir, des vêtemens propres à leur plaire. La haîne de ces peuples pour le nom Eſpagnol, ne tint pas contre ces démonſtrations de bienveillance. Ils y répondirent autant que leur peu de ſenſibilité & leur inconſtance4 le pouvoient permettre. Ces vices furent vaincus en partie, par les religieux inſtituteurs qui ſuivoient leur projet avec la chaleur & l’opiniâtreté particulières à5 leur corps6. Ils ſe firent charpentiers, maçons, tiſſerands, cultivateurs, & réuſſirent par ces moyens à donner la connoiſſance7, & juſqu’à un certain point, le goût des premiers8 arts à ces peuples ſauvages10. On les a tous réunis ſucceſſivement. En 1745, [526]ils formoient quarante-trois11 villages, ſéparés par12 la ſtérilité du terrein & la diſette d’eau13.
On1 avait entièrement renoncé à l’acquisition de la Californie, lorsque les jésuites demandèrent, en 1697, qu’il leur fût permis de l’entreprendre. Dès qu’ils eurent obtenu le consentement du gouvernement, ils commencèrent l’exécution du plan de législation qu’ils avaient formé d’après des notions2 exactes de la nature du sol, du caractère des habitans, de l’influence3 du climat. Le fanatisme ne guidait point leurs pas. Ils arrivèrent chez les sauvages, qu’ils voulaient civiliser, avec des curiosités qui pussent les amuser, des grains destinés à les nourrir, des vêtemens propres à [397]leur plaire. La haine de ces peuples pour le nom espagnol ne tint pas contre ces démonstrations de bienveillance. Ils y répondirent autant que leur peu de sensibilité et leur inconstance4 le pouvaient permettre. Ces vices furent vaincus en partie par les religieux instituteurs, qui suivaient leur projet avec la chaleur et l’opiniâtreté particulières à5 leur corps6. Ils se firent charpentiers, maçons, tisserands, cultivateurs, et réussirent par ces moyens à donner la connaissance7 et, jusqu’à un certain point, le goût des premiers8 arts à ces peuples sauvages10. On les a tous réunis successivement. En 1745 ils formaient quarante-trois11 villages, séparés par12 la stérilité du terrain et la disette d’eau13.
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La ſubſtance1 de ces bourgades a pour baſe le bled2 & les légumes qu’on y cultive, les fruits & les animaux domeſtiques d’Europe3, qu’on travaille tous les jours à y multiplier. Les Indiens ont chacun leur champ & la propriété de ce qu’ils récoltent ; mais telle eſt leur peu de prévoyance, qu’ils diſſipperoient4 en un jour ce qu’ils auroient ceuilli5, ſi leur miſſionnaire ne s’en chargeoit pour le leur diſtribuer à tems6. Ils fabriquent déja quelques étoffes groſſieres. Ce qui peut leur manquer en ce genre, & en quelques autres7 eſt acheté avec les perles qu’ils pêchent dans le golphe8, avec le vin qu’ils vendent à la nouvelle Eſpagne10, & dont l’expérience a appris qu’il étoit important de leur interdire l’uſage.
La ſubſiſtance1 de ces bourgades a pour baſe le bled2 & les légumes qu’on y cultive, les fruits & les animaux domeſtiques de l’Europe3, qu’on travaille tous les jours à y multiplier. Les Indiens ont chacun leur champ & la propriété de ce qu’ils récoltent ; mais telle eſt leur peu de prévoyance, qu’ils diſſiperoient4 en un jour ce qu’ils auroient recueilli5, ſi leur miſſionnaire ne s’en chargeoit pour le leur diſtribuer à propos6. Ils fabriquent déjà quelques étoffes groſſieres. Ce qui peut leur manquer, eſt acheté avec les perles qu’ils pêchent dans le golfe8, avec le vin, aſſez approchant de celui de Madere9, qu’ils vendent à la Nouvelle-Eſpagne & aux galions10, & dont l’expérience a appris qu’il étoit important de leur interdire l’uſage.
La ſubſiſtance1 de ces bourgades a pour baſe le bled2 & les légumes qu’on y cultive, les fruits & les animaux domeſtiques de l’Europe3, qu’on travaille tous les jours à y multiplier. Les Indiens ont chacun leur champ & la propriété de ce qu’ils récoltent : mais telle eſt leur peu de prévoyance, qu’ils diſſiperoient4 en un jour ce qu’ils auroient recueilli5, ſi leur miſſionnaire ne s’en chargeoit pour le leur diſtribuer à propos6. Ils fabriquent déja quelques étoffes groſſières. Ce qui peut leur manquer, eſt acheté avec les perles qu’ils pêchent dans le golfe8, avec le vin, aſſez approchant de celui de Madère9, qu’ils vendent à la Nouvelle-Eſpagne & aux galions10, & dont l’expérience a appris qu’il étoit important de leur interdire l’uſage.
La subsistance1 de ces bourgades a pour base le blé2 et les légumes qu’on y cultive, les fruits et les animaux domestiques de l’Europe3, qu’on travaille tous les jours à y multiplier. Les Indiens ont chacun leur champ et la propriété de ce qu’ils récoltent ; mais telle est leur peu de prévoyance, qu’ils dissiperaient4 en un jour ce qu’ils auraient recueilli5, si leur missionnaire ne s’en chargeait pour le leur distribuer à propos6. Ils fabriquent déjà quelques étoffes grossières. Ce qui peut leur manquer est acheté avec les perles qu’ils pêchent dans le golfe8, avec le vin, assez approchant de celui de Madère9, qu’ils vendent à la Nouvelle-Espagne et aux galions10, et dont l’expérience a appris qu’il était important de leur interdire l’usage.
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Une douzaine de loix1 fort ſimples ſuffiſent pour conduire cet état naiſſant. Le miſſionnaire [89]choiſit pour les faire obſerver l’homme le plus intelligent du village, & celui-ci peut infliger le fouet & la priſon, les ſeuls châtimens que l’on connoiſſe2.
Une douzaine de loix1 fort ſimples, ſuffiſent pour conduire cet état naiſſant. Le miſſionnaire choiſit pour les faire obſerver, l’homme le plus intelligent du village ; & celui-ci peut [125]infliger le fouet & la priſon, les ſeuls châtimens que l’on connoiſſe2.
Une douzaine de loix1 fort ſimples, ſuffiſent pour conduire cet état naiſſant. Le miſſionnaire choiſit pour les faire obſerver, l’homme le plus intelligent du village ; & celui-ci peut infliger le fouet & la priſon, les ſeuls châtimens que l’on connoiſſe2.
Une douzaine de lois1 fort simples suffisent pour conduire cet état naissant. Le missionnaire choisit pour les faire observer l’homme le plus intelligent du village, et celui-ci peut infliger le fouet et la prison, les seuls châtimens que l’on connaisse2.
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Trop de ſcènes cruelles & deſtructives ont juſqu’ici affligé nos regards, pour qu’il ne nous ſoit pas permis de les arrêter un moment ſur des travaux inſpirés par l’humanité & dirigés par la bienfaiſance. Toutes les autres conquêtes ont été faites par les armes. Nous n’avons vu que des hommes qui égorgeoient des hommes ou qui les chargeoient de chaînes. Les contrées que nous avons parcourues ont été ſucceſſivement autant de théâtres de la perfidie, de la férocité, de la trahiſon, de l’avarice & de tous les crimes auxquels on eſt porté par la réunion & la violence des paſſions effrénées. Notre plume, ſans ceſſe trempée dans le ſang, n’a tracé que des lignes ſanglantes. La contrée où nous ſommes entrés eſt la ſeule que la raiſon ait conquiſe. Aſſeyons-nous & reſpirons. Que le ſpectacle de l’innocence & de la paix diſſipe les idées lugubres dont nous avons été juſqu’à préſent obſédés, & ſoulage un moment notre ame des ſentimens douloureux qui l’ont ſi conſtamment oppreſſée, flétrie, déchirée. Hélas ! La jouiſſance nouvelle que j’éprouve durera trop peu pour qu’elle me ſoit enviée. Lecteurs, bientôt ces grandes cataſtrophes [528]qui bouleverſent ce globe & dont la peinture vous plaît, par les ſecouſſes violentes que vous en recevez, & par les larmes moitié délicieuſes, moitié amères qu’elles arrachent de vos yeux ſouilleront la ſuite de ces déplorables annales. Etes-vous méchant1 ? êtes-vous bons ? Si vous étiez bons, vous vous refuſeriez, ce me ſemble, au récit des calamités ; ſi vous étiez méchans, vous l’entendriez ſans pleurer. Cependant vous pleurez. Vous voulez être heureux, & c’eſt du malheur qu’il faut vous entretenir pour vous intéreſſer. Je crois en entrevoir la raiſon. Les peines des autres vous conſolent des vôtres, & l’eſtime de vous-même2 s’accroît par la compaſſion que vous leur accordez.
Trop de scènes cruelles et destructives ont jusqu’ici affligé nos regards pour qu’il ne nous soit pas permis de les arrêter un moment sur des travaux inspirés par l’humanité et dirigés par la bienfaisance. Toutes les autres conquêtes ont été faites par les armes. Nous n’avons vu que des hommes qui égorgeaient des hommes ou qui les chargeaient de chaînes. Les contrées que nous avons parcourues ont été successivement autant de théâtres de la perfidie, de la férocité, de la trahison, de l’avarice, et de tous les crimes auxquels on est porté par la réunion et la violence des passions effrénées. Notre plume, sans cesse trempée dans le sang, n’a tracé que des lignes sanglantes. La contrée où nous sommes entrés est la seule que la raison ait conquise. Asseyonsnous, et respirons. Que le spectacle de l’innocence et de la paix dissipe les idées lugubres dont nous avons été jusqu’à présent obsédés, et soulage un moment notre âme des sentimens douloureux qui l’ont si constamment oppressée, flétrie, déchirée. Hélas ! la jouissance nouvelle que j’éprouve durera trop peu pour qu’elle me soit enviée. Lecteurs, bientôt ces grandes catastrophes [399] qui bouleversent ce globe, et dont la peinture vous plaît par les secousses violentes que vous en recevez, et par les larmes moitié délicieuses, moitié amères, qu’elles arrachent de vos yeux, souilleront la suite de ces déplorables annales. Êtes-vous méchans1 ? êtes-vous bons ? Si vous étiez bons, vous vous refuseriez, ce me semble, au récit des calamités ; si vous étiez méchans, vous l’entendriez sans pleurer. Cependant vous pleurez. Vous voulez être heureux, et c’est du malheur qu’il faut vous entretenir pour vous intéresser. Je crois en entrevoir la raison. Les peines des autres vous consolent des vôtres, et l’estime de vous-mêmes2 s’accroît par la compassion que vous leur accordez.
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Il n’y a dans toute la Californie que deux garniſons de trente hommes chacune, & un ſoldat auprès de chaque miſſionnaire. Ces troupes étoient choiſies par les légiſlateurs & à leurs ordres, quoique payées par le gouvernement. La cour de Madrid n’avoit pas vu d’inconvénient à laiſſer ces foibles1 moyens dans2 des mains3 qui avoient acquis ſa confiance, & on lui a démontré qu’il n’y avoit que cet4 expédient pour empêcher l’oppreſſion de ſes nouveaux ſujets5.
Il n’y a dans toute la Californie que deux garniſons de trente hommes chacune, & un ſoldat auprès de chaque miſſionnaire. Ces troupes étoient choiſies par les légiſlateurs & à leurs ordres, quoique payées par le gouvernement. La cour de Madrid n’avoit pas vu d’inconvénient à laiſſer ces foibles1 moyens dans2 des mains3 qui avoient acquis ſa confiance ; & on lui a démontré qu’il n’y avoit que cet4 expédient pour empêcher l’oppreſſion de ſes nouveaux ſujets5.
Il n’y a dans toute la Californie que deux garniſons de trente hommes chacune, & un ſoldat auprès de chaque miſſionnaire. Ces troupes étoient choiſies par les légiſlateurs & à leurs ordres, quoique payées par le gouvernement. La cour de Madrid n’avoit pas vu d’inconvénient à laiſſer ces foibles1 moyens 2 des prêtres3 qui avoient acquis ſa confiance, & on l’avoit bien convaincue que c’étoit le ſeul4 expédient qui pût préſerver ſes nouvelles [529] conquêtes d’une oppreſſion entiérement deſtructive5.
Il n’y a dans toute la Californie que deux garnisons de trente hommes chacune, et un soldat auprès de chaque missionnaire. Ces troupes étaient choisies par les législateurs et à leurs ordres, quoique payées par le gouvernement. La cour de Madrid n’avait pas vu d’inconvénient à laisser ces faibles1 moyens 2 des prêtres3 qui avaient acquis sa confiance, et on l’avait bien convaincue que c’était le seul4 expédient qui pût préserver ses nouvelles conquêtes d’une oppression entièrement destructive5.
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Tel étoit l’état des choſes, lorſqu’en 17671 la cour de Madrid chaſſa de la Californie les Jéſuites2, comme elle les expulſoit3 de ſes autres provinces. Ces miſſionnaires4 avoient formé le projet de pouſſer leurs travaux ſur les deux rives de la mer juſqu’à la chaîne de montagnes qui lie la Californie à la Nouvelle-Eſpagne. Ils vouloient élever l’empire dont ils multiplioient les ſujets5un degré de puiſſance6 qui lui permît de voir d’un œil tranquille la navigation des Ruſſes7 & la découverte du paſſage que les Anglois cherchent depuis ſi long-tems au Nord-Oueſt. Loin8 d’avoir abandonné ces grands projets9, le miniſtère Eſpagnol leur10 a donné, dit-on11 plus d’étendue. Les deux mondes ne doivent pas même tarder à12 les voir exécutés13, à moins que14 des événemens imprévus n’y oppoſent des obſtacles inſurmontables15.
Tel était l’état des choses lorsque1 la cour de Madrid chassa de la Californie, comme de ses autres possessions, les jésuites qui4 avaient formé le projet de pousser leurs travaux sur les deux [400]rives de la mer jusqu’à la chaîne de montagnes qui lie la péninsule au Mexique. Le ministère espagnol a-t-il adopté ce beau plan ? qui le sait ? Réussira-t-il5l’exécuter ? qui peut le prévoir ? Ce6 qui est connu, c’est que les religieux instituteurs n’eurent pas été plus tôt solennellement proscrits, qu’ils furent accusés dans l’un7 et l’autre hémisphère d’avoir fait partout un abus énorme de l’autorité qu’ils avaient usurpée. On leur reprocha en particulier8 d’avoir décrié la Californie pour détourner9 le gouvernement de songer jamais10la prendre sous sa juridiction immédiate. Le11 plus grand de leurs crimes fut d’avoir caché que le pays était rempli de métaux précieux. Aucune expérience n’a encore prouvé qu’il y ait en effet des mines. Mais la démonstration en eûtelle été acquise, quel est l’homme de bien qui ne pensât que12 les missionnaires avaient rempli un devoir sacré en n’immolant pas13des richesses fictives14 des nations qui se reposaient sur eux de leur destinée15 ?
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Ils ſeront heureux tant qu’on ne connoîtra pas des1 mines ſur leur territoire. S’il y en a comme la grande quantité qui s’en trouve de l’autre côté du golfe, dans les provinces de Sonora & de Primeria le fait préſumer & qu’on les découvre2, l’édifice élevé avec tant de ſoin & d’intelligence ſera renverſé. Ce peuple diſparoîtra comme tant d’autres de deſſus3 la face4 de la terre. L'or que le gouvernement d’Eſpagne tireroit de la Californie le priveroit des avantages que ſa politique peut trouver aujourd’hui dans les travaux de ſes miſſionnaires. Il faut plutôt les encourager à pouſſer plus loin leurs entrepriſes utiles. Elles mettront peut-être la cour de Madrid en état de bâtir des forts qui leur5 permettroient de voir d’un œil tranquille la découverte du paſſage que les Anglois cherchent depuis ſi long-tems par le nord-oueſt à la mer pacifique. On a cru auſſi que ces forts pouvoient6 être une barriere contre les Ruſſes, qui en 1741 ont pénétré juſqu’à douze dégrés du Cap Mendocino, la poſition la plus ſeptentrionale connue7 de la8 Californie. [90]Mais ſi on9 eut fait attention10 que cette navigation ne pouvoit être entrepriſe que des mers de Kamskatka11, on auroit ſenti qu’il ne pouvoit s’y faire que des12 foibles armemens de ſimple curioſité, & hors d’état de cauſer la moindre inquiétude.
Ils ſeront heureux tant qu’on ne connoîtra pas de1 mines ſur leur territoire. S’il y en a, comme la grande quantité qui s’en trouve de l’autre côté du golfe le fait préſumer, elles ne ſeront pas plutôt découvertes, que2 l’édifice élevé avec tant de ſoin & d’intelligence ſera renverſé. Ce peuple diſparoîtra comme tant d’autres, de la ſurface4 de la terre. L’or que le gouvernement d’Eſpagne tireroit de la Californie, le priveroit des avantages que ſa politique peut trouver aujourd’hui dans les travaux de ſes miſſionnaires. Il faut plutôt les encourager à pouſſer plus loin leurs entrepriſes utiles. Elles mettront peut-être la cour de Madrid en état de bâtir des forts, qui lui5 permettroient de voir d’un œil tranquille la découverte du paſſage que les Anglois cherchent [126]depuis ſi long-tems par le Nord-Oueſt à la mer Pacifique. On a cru auſſi que ces remparts pourroient6 être une barriere contre les Ruſſes, qui, en 1741, ont pénétré juſqu’à douze dégrés du cap Mendocino, la poſition la plus ſeptentrionale qu’on ait reconnue7 de Californie. Mais ſi l’on9 eût obſervé10 que cette navigation ne pouvoit être entrepriſe que des mers de Kamschatka11, on auroit ſenti qu’il ne pouvoit s’y faire que de12 foibles armemens de ſimple curioſité, & hors d’état de cauſer la moindre inquiétude.

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Un avantage plus certain, moins éloigné, c’eſt la facilité que donne la Californie pour réduire les provinces qui s’étendent de l’autre côté du golfe juſqu’au Colorado. Ces riches contrées ſont ſi éloignées du Mexique, & d’un accès ſi difficile qu’il paroiſſoit également1 dangereux d’en tenter la conquête & inutile2 de la faire. La liberté, la sûreté de la mer de Californie, doivent encourager à l’entreprendre, donner les moyens d’y réuſſir, & en aſſurer le fruit. Les philoſophes eux-mêmes inviteront la cour de Madrid à ces expéditions, lorſqu’ils lui auront vu abjurer ſolemnellement les principes fanatiques & deſtructeurs, qui ont été juſqu’ici la baſe de ſa politique.
Un avantage plus certain, moins éloigné c’eſt la facilité que donne la Californie, pour réduire les provinces qui s’étendent de l’autre côté du golfe juſqu’au Colorado. Ces riches contrées ſont ſi éloignées du Mexique, & d’un accès ſi difficile, qu’il paroiſſoit auſſi1 dangereux d’en tenter la conquête, qu’inutile2 de la faire. La liberté, la ſûreté de la mer de Californie, doivent encourager à l’entreprendre, donner les moyens d’y réuſſir, & en aſſurer le fruit. Les philoſophes eux-mêmes inviteront la cour de Madrid à ces expéditions, lorſqu’ils lui auront vu abjurer ſolemnellement les principes fanatiques & deſtructeurs, qui ont été juſqu’ici la baſe de ſa politique.

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En attendant que l’Eſpagne ſe livre à ces vaſtes ſpéculations1, la Californie ſert de lieu de relâche aux vaiſſeaux qui vont des Philippines, au Mexique. Le Cap Saint-Lucas2, ſitué à l’extrêmité méridionale de la péniſule3, eſt l’endroit4 où ils s’arrêtent. Ils y trouvent un bon port, des rafraîchiſſemens, & des ſignaux qui les avertiſſent s’il a paru quelques ennemis5 dans ces parages les plus dangereux pour eux, & ceux où ils ont été les plus ſouvent attaqués6. Ce fut en 1734 que le Gallion7 y arriva8 pour la premiere fois. Ses ordres9 & ſes beſoins l’y ont toujours amené depuis.
En attendant que l’Eſpagne ſe livre à ces vaſtes ſpéculations1, la Californie ſert de lieu de relâche aux vaiſſeaux qui vont des Philippines [127] au Mexique. Le cap San-Lucas2, ſitué à l’extrémité méridionale de la peninſule3, eſt l’endroit4 où ils s’arrêtent. Ils y trouvent un bon port, des rafraîchiſſemens, & des ſignaux qui les avertiſſent s’il a paru quelque ennemi5 dans ces parages les plus dangereux pour eux, & ceux où ils ont été le plus ſoulent attaqués6. Ce fut en 1734 que le galion7 y arriva8 pour la premiere fois. Ses ordres9 & ſes beſoins l’y ont toujours amené depuis.
En attendant que ces vaſtes ſpéculations ſoient ou détruites ou réaliſées1, la Californie ſert de lieu de relâche aux vaiſſeaux qui vont des Philippines au Mexique. Le cap Saint-Lucas2, ſitué à l’extrémité méridionale [530]de la péninſule3 eſt le lieu4 où ils s’arrêtent. Ils y trouvent un bon port, des rafraîchiſſemens & des ſignaux qui les avertiſſent s’il a paru quelque ennemi5 dans ces parages les plus dangereux pour eux. Ce fut en 1734 que le galion7 y aborda8 pour la première fois. Ses ordres9 & ſes beſoins l’y ont toujours amené depuis.
Quoi qu’il en soit1, la Californie sert de lieu de relâche aux vaisseaux qui vont des Philippines au Mexique. Le cap Saint-Lucas2, situé à l’extrémité méridionale de la péninsule3, est le lieu4 où ils s’arrêtent. Ils y trouvent un bon port, des rafraîchissemens et des signaux qui les avertissent s’il a paru quelque ennemi5 dans ces parages, les plus dangereux pour eux. Ce fut en 1734 que le galion7 y aborda8 pour la première fois. Ses ordre9 [401]et ses besoins l’y ont toujours amené depuis.
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Le ſyſtême adopté par tous les gouvernemens de l’Europe de tenir les colonies dans la dépendance [91] la plus abſolue de la métropole, a toujours rendu ſuſpectes à beaucoup de politiques Eſpagnols. Les1 liaiſons du Mexique avec l’Aſie. L’opinion où l’on a été, où l’on eſt encore qu’il n’eſt pas poſſible de conſerver2 les Philippines ſans cette communication, les a ſeule empêchés de réuſſir à l’interrompre. Ils ſont ſeulement parvenus à la borner en empêchant le Pérou d’y prendre part. Ce vaſte empire a été privé par des loix ſéveres & multipliées de l’avantage de tirer directement de l’Orient les marchandiſes dont il avoit beſoin, de la liberté même de les tirer indirectement de la nouvelle Eſpagne3.
Le ſyſtême adopté par tous les gouvernemens de l’Europe, de tenir les colonies dans la dépendance la plus abſolue de la métropole, a toujours rendu ſuſpectes à beaucoup de politiques Eſpagnols, les1 liaiſons du Mexique avec l’Aſie. L’opinion où l’on a été, où l’on eſt encore, qu’il n’eſt pas poſſible de conſerver2 les Philippines ſans cette communication, les a ſeule empêchés de réuſſir l’interrompre. Ils ſont ſeulement parvenus la borner, en empêchant le Pérou d’y prendre part. Ce vaſte empire a été privé par des loix ſéveres & multipliées, de l’avantage de tirer directement de l’Orient les marchandiſes dont il avoit beſoin, de la liberté même de les tirer indirectement de la Nouvelle-Eſpagne3.

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Le système adopté par tous les gouvernemens de l’Europe, de tenir les colonies dans la dependance la plus absolue de la métropole, a toujours rendu suspectes à beaucoup de politiques espagnols les1 liaisons du Mexique avec l’Asie. Combien2 les maximes d’Alberoni étaient différentes3 !
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Ces entraves révoltoient le génie hardi & fécond d’Alberoni. Plein des vues les plus étendues pour la proſpérité, pour la gloire de la monarchie qu’il reſſuſſitoit, il vouloit y retenir les tréſors du nouveau monde auxquels elle n’y avoit ſervi juſqu’alors que d’entrepôt. Dans ſon plan, l’Orient devoit fournir tout l’habillement aux colonies Eſpagnoles, à la métropole même qui l’auroit reçu par le canal de ſes colonies. Il1 s’attendoit bien que les puiſſances dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts les plus eſſentiels2, & ruineroit toute3 l’induſtrie, chercheroient à le traverſer ; mais il travailloit à4 braver leurs5 courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déja donné ſes ordres pour qu’on mit les côtes & les ports de la mer du ſud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
Ces entraves révoltoient le génie hardi & fécond d’Alberoni. Plein des vues les plus étendues pour la proſpérité & pour la gloire de la monarchie qu’il reſſuſcitoit, il vouloit [128]y retenir les tréſors du nouveau-monde, auxquels elle n’avoit ſervi juſqu’alors que d’entrepôt. Dans ſon plan, l’Orient devoit fournir tout l’habillement aux colonies Eſpagnoles, la métropole même, qui l’auroit reçu par le canal de ſes colonies. Il1 s’attendoit bien que les puiſſances dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts & ruineroit l’induſtrie, chercheroient à le traverſer ; mais il travailloit à4 braver leur5 courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déjà donné ſes ordres, pour qu’on mît les côtes & les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
Alberoni1 s’attendoit bien que les puiſſances, dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts & ruineroit l’induſtrie, chercheroient à le traverſer : mais il ſe croyoit en état de4 braver leur5 courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déja donné ſes ordres, pour qu’on mît les côtes & les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
Alberoni1 s’attendait bien que les puissances dont cet arrangement blesserait les intérêts et ruinerait l’industrie chercheraient à le traverser ; mais il se croyait en état de4 braver leur5 courroux dans les mers d’Europe, et il avait déjà donné ses ordres pour qu’on mît les côtes et les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des escadres fatiguées qui pourraient les attaquer.
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Ces vues manquoient de juſteſſe. Alberoni entraîné par l’enthouſiaſme de ſes opinions, par ſa haine, pour des nations qui vouloient enchaîner ſa politique, ne s’appercevoit pas que les ſoieries, les toiles arrivées en Eſpagne par la [92]voie qu’il ſe propoſoit ſeroient d’un prix exceſſif, d’un prix qui en arrêteroit néceſſairement la conſommation. A l’égard du projet de faire habiller les deux Amériques par l’Aſie, nous n’y voyons rien que de très-ſenſé.
Ces vues manquoient de juſteſſe. Alberoni entraîné par l’enthouſiaſme de ſes opinions, par ſa haîne pour des nations qui vouloient enchaîner ſa politique, ne s’appercevoit pas que les ſoieries, les toiles arrivées en Eſpagne par la voie qu’il ſe propoſoit, ſeroient d’un prix exceſſif, d’un prix qui en arrêteroit néceſſairement la conſommation. A l’égard du projet de faire habiller les deux Amériques par l’Aſie, nous n’y voyons rien que de très-ſenſé.

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Cet homme, né de lui-même, était parvenu, par des événemens presque romanesques, à mettre la cour de Madrid dans sa dépendance. Soit inquiétude naturelle, soit sentiment de ses forces, il voulut redonner aux conseils qu’il dirigeait l’influence dans les affaires générales qu’ils avaient perdue depuis plus d’un siècle. Le souverain, le ministère, la nation, tout se prêta à cette illusion ou à cet espoir. Les ressorts de l’état furent remontés. Une machine, qu’on croyait généralement usée, reprit ses fonctions ; peut-être même ses mouvemens furent-ils trop rapides. Cette impulsion intérieure fut secondée au-dehors par des intrigues compliquées, et cependant vivement conduites. Les meilleurs esprits se remplirent d’incertitude et de défiance. On vit se brouiller les puissances liées de temps immémorial par des intérêts communs ; les puissances divisées par des haines éternelles se rapprochèrent. L’activité, l’audace, l’ambition du seul Alberoni assemblaient ces nuages, qui menaçaient nos régions d’un bouleversement universel, des plus étonnantes révolutions.
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Les Colons ſeroient vêtus plus agréablement, à meilleur marché, d’une maniere plus convenable3 au climat. Les guerres de l’Europe ne les expoſeroient pas à manquer des choſes de premiere néceſſité5. Ils ſeroient plus riches, plus affectionnés à la6 patrie principale, plus en état de ſe défendre contre les ennemis qu’elle leur attire. Ces ennemis eux-mêmes ſeroient moins redoutables, parce qu’ils perdroient peu peu7 les forces que l’approviſionnement du Pérou8 & du Mexique9 leur procure. Enfin l’Eſpagne en percevant ſur les marchandiſes des Indes les mêmes droits qu’elle perçoit ſur celles que lui10 fourniſſent ſes rivaux, ne perdroit aucune branche de ſes revenus. Elle pourroit même, ſi ſes beſoins l’exigeoient, obtenir de ſes colonies des ſecours qu’elles n’ont actuellement, ni la volonté, ni le pouvoir de lui fournir. Nous n’inſiſterons pas davantage ſur le commerce du Mexique avec les Indes Orientales ; il faut parler de ſes liaiſons avec l’Europe par la mer du nord, & commencer par celle que forment les productions du Guatimala11.
Les colons ſeroient vêtus plus agréablement, à meilleur marché, d’une maniere plus convenable3 au climat. Les guerres de l’Europe ne les expoſeroient pas à manquer des choſes de premiere néceſſité5. Ils ſeroient [129] plus riches, plus affectionnés à leur6 patrie principale, plus en état de ſe défendre contre les ennemis qu’elle leur attire. Ces ennemis eux-mêmes ſeroient moins redoutables, parce qu’ils perdroient peu-à-peu7 les forces que l’approviſionnement du Pérou8 & du Mexique9 leur procure. Enfin l’Eſpagne, en percevant ſur les marchandiſes des Indes les mêmes droits qu’elle perçoit ſur celles que lui10 fourniſſent ſes rivaux, ne perdroit aucune branche de ſés revenus. Elle pourroit même, ſi ſes beſoins l’exigeoient, obtenir de ſes colonies des ſecours qu’elles n’ont actuellement ni la volonté, ni le pouvoir de lui fournir. Nous n’inſiſterons pas davantage ſur le commerce du Mexique avec les Indes orientales ; il faut parler de ſes liaiſons avec l’Europe par la mer du Nord & commencer par celle que forment les productions du Guatimala11.
Le ſyſtême adopté par tous les gouvernemens de l’Europe, de tenir les colonies dans la dépendance la plus abſolue de la métropole, a toujours rendu ſuſpectes beaucoup de politiques Eſpagnols les liaiſons du Mexique avec l’Aſie. Loin de penſer comme eux, Alberoni vouloit donner cette liberté une extenſion illimitée. Il lui paroiſſoit trèsſage de faire habiller les deux Amériques par les Indes1. Les colons, diſoit-il2, ſeroient vêtus plus agréablement, à meilleur marché, d’une manière plus analogue3 au climat. Les guerres de l’Europe ne les expoſeroient pas à manquer ſouvent4 des choſes les plus néceſſaires5. Ils ſeroient plus riches, plus affectionnés à la6 patrie principale, plus en état de ſe défendre contre les ennemis qu’elle leur attire. Ces ennemis eux-mêmes ſeroient [531]moins redoutables, parce qu’ils perdroient peu-à-peu7 les forces que l’approviſionnement du Mexique8 & du Pérou9 leur procure. Enfin l’Eſpagne, en percevant ſur les marchandiſes des Indes les mêmes droits qu’elle perçoit ſur celles que fourniſſent, ſes rivaux, ne perdroit aucune branche de ſes revenus. Elle pourroit même, ſi ſes beſoins l’exigeoient, obtenir de ſes colonies des ſecours qu’elles n’ont actuellement ni la volonté, ni le pouvoir de lui fournir.
L’ancien monde ne suffisait pas aux magnifiques spéculations d’un homme qui avançait toujours tant qu’il voyait quelque chose au-delà de ce qu’il avait vu. Le nouveau entra pour beaucoup dans ses immenses combinaisons. Loin de penser qu’il fallût borner les relations de la nouvelle Espagne avec les Philippines, il voulait donner à cette liberté une extension illimitée. Il lui paraissait très-sage de faire habiller les deux Amériques par les Indes1. Les colons, disait-il2, seraient vêtus plus agréablement, à meilleur marché, d’une manière plus analogue3 au climat. Les guerres de l’Europe ne les exposeraient pas à manquer souvent4 des choses les plus nécessaires5. Ils seraient plus riches, plus affectionnés à la6 patrie principale, plus en état de se défendre contre les ennemis qu’elle leur attire. Ces ennemis eux-mêmes seraient moins redoutables, parce qu’ils perdraient peu peu7 les forces que l’approvisionnement du Mexique8 et du Pérou9 leur procure. Enfin l’Espagne, en percevant sur les marchandises des Indes les mêmes droits qu’elle perçoit sur celles que fournissent ses rivaux, ne perdrait aucune branche de ses revenus. Elle pourrait même, si ses besoins l’exigeaient, obtenir de ses colonies des secours qu’elles n’ont actuellement ni la volonté ni le pouvoir de lui fournir.
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Les vues du miniſtre hardi & entreprenant s’étendoient plus loin encore. Il vouloit que la métropole elle-même formât des liaiſons immenſes avec l’Orient par la voie de ſes colonies d’Amérique. Selon lui, les Philippines, qui juſqu’alors avoient payé un tribut énorme à l’activité des nations Européennes ou Aſiatiques qui leur portoient des manufactures ou des productions, pouvoient les aller chercher ſur leurs propres vaiſſeaux & les obtenir de la première main. En livrant la même quantité de métaux que leurs concurrens, les habitans de ces iſles1 acheteroient à meilleur marché, parce que ces métaux venant directement d’Amérique, auroient moins ſupporté [532]de frais que ceux qu’il faut voiturer dans nos régions, avant de les faire paſſer aux Indes. Les marchandiſes embarquées à Manille arriveroient à Panama ſur une mer conſtamment tranquille, par une ligne trèsdroite & avec les mêmes vents2. Au moyen d’un canal très-court, ſollicité depuis long-tems par le commerce, on feroit enſuite arriver aiſément les cargaiſons l’embouchure du Chagre3 où elles ſeroient chargées pour l’Europe.
Les vues du ministre hardi et entreprenant s’étendaient plus loin encore. Il voulait que la Métropole elle-même formât des liaisons immenses [403]avec l’Orient par la voie de ses colonies d’Amérique. Selon lui, les Philippines, qui jusqu’alors avaient payé un tribut énorme à l’activité des nations européennes ou asiatiques qui leur portaient des manufactures ou des productions, pouvaient les aller chercher sur leurs propres vaisseaux et les obtenir de la première main. En livrant la même quantité de métaux que leurs concurrens, les habitans de ces îles1 acheteraient à meilleur marché, parce que ces métaux, venant directement d’Amérique, auraient moins supporté de frais que ceux qu’il faut voiturer dans nos régions avant de les faire passer aux Indes. Les marchandises embarquées à Manille arriveraient au Mexique ou2 au Pérou3, où elles seraient chargées pour l’Europe.
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Ces entraves révoltoient le génie hardi & fécond d’Alberoni. Plein des vues les plus étendues pour la proſpérité, pour la gloire de la monarchie qu’il reſſuſſitoit, il vouloit y retenir les tréſors du nouveau monde auxquels elle n’y avoit ſervi juſqu’alors que d’entrepôt. Dans ſon plan, l’Orient devoit fournir tout l’habillement aux colonies Eſpagnoles, à la métropole même qui l’auroit reçu par le canal de ſes colonies. Ilmonde auxquels elle n’y avoit ſervi juſqu’alors que d’entrepôt. Dans ſon plan, l’Orient devoit fournir tout l’habillement aux colonies Eſpagnoles, à la métropole même qui l’auroit reçu par le canal de ſes colonies. Il1 s’attendoit bien que les puiſſances dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts les plus eſſentiels2, & ruineroit toute3 l’induſtrie, chercheroient à le traverſer ; mais il travailloit à4 braver leurs5 courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déja donné ſes ordres pour qu’on mit les côtes & les ports de la mer du ſud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
Ces entraves révoltoient le génie hardi & fécond d’Alberoni. Plein des vues les plus étendues pour la proſpérité & pour la gloire de la monarchie qu’il reſſuſcitoit, il vouloit [128][128]y retenir les tréſors du nouveau-monde, auxquels elle n’avoit ſervi juſqu’alors que d’entrepôt. . Dans ſon plan, l’Orient devoit fournir tout l’habillement aux colonies Eſpagnoles, , la métropole même, qui l’auroit reçu par le canal de ſes colonies. Il1 s’attendoit bien que les puiſſances dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts & ruineroit l’induſtrie, chercheroient à le traverſer ; mais il travailloit à4 braver leur5 courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déjà donné ſes ordres, pour qu’on mît les côtes & les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
Alberoni1 s’attendoit bien que les puiſſances, dont cet arrangement bleſſeroit les intérêts & ruineroit l’induſtrie, chercheroient à le traverſer : mais il ſe croyoit en état de4 braver leur5 courroux dans les mers d’Europe, & il avoit déja donné ſes ordres, pour qu’on mît les côtes & les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des eſcadres fatiguées qui pourroient les attaquer.
Alberoni1 s’attendait bien que les puissances dont cet arrangement blesserait les intérêts et ruinerait l’industrie chercheraient à le traverser ; mais il se croyait en état de4 braver leur5 courroux dans les mers d’Europe, et il avait déjà donné ses ordres pour qu’on mît les côtes et les ports de la mer du Sud en état de ne rien craindre des escadres fatiguées qui pourraient les attaquer.
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Ces combinaiſons trouvèrent des approbateurs. Aux yeux des enthouſiaſtes d’Alberoni, & il y en avoit beaucoup, c’étoient les efforts ſublimes d’un puiſſant génie pour la proſpérité & pour la gloire de la monarchie qu’il reſſuſcitoit. D’autres, en plus grand [533]nombre, ne virent dans ces projets ſi grands en apparence, que les délires d’une imagination déréglée qui s’exageroit les reſſources d’un état ruiné, & qui ſe promettoit de donner le commerce du monde entier à une nation réduite depuis deux ſiècles à l’impoſſibilité de faire le ſien. La diſgrace de cet homme extraordinaire calma la fermentation qu’il avoit excitée dans les deux mondes. Les liaiſons des Philippines avec le Mexique continuèrent ſur l’ancien pied, ainſi que celles que cette grande province entretenoit avec le Pérou par la mer du Sud.
Ces combinaisons trouvèrent des approbateurs. Aux yeux des enthousiastes d’Alberoni, et il y en avait beaucoup, c’étaient les efforts sublimes d’un puissant génie pour la prospérité et pour la gloire de la monarchie qu’il ressuscitait. D’autres, en plus grand nombre, ne virent dans ces projets, si grands en apparence, que les délires d’une imagination [404] déréglée qui s’exagerait les ressources d’un état ruiné, et qui se promettait de donner le commerce du monde entier à une nation réduite depuis deux siècles à l’impossibilité de faire le sien. La disgrâce de cet homme extraordinaire calma la fermentation qu’il avait excitée dans les deux mondes. Les liaisons des Philippines avec le Mexique continuèrent sur l’ancien pied, ainsi que celles que cette grande province entretenait avec le Pérou par la mer du Sud.
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Les côtes de ce grand empire1 ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des cordillieres2 font regner un printemps3 éternel, des vents réguliers & doux. Dès4 qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’athmoſphere5 de l’eſt à l’oueſt n’étant plus interrompue par cette chaîne prodigieuſe7 de montagnes, le climat devient différent. A la vérité la navigation eſt ſûre8 & facile9 dans ces parages, depuis le milieu d’octobre juſqu’au commencement10 de mai ; mais durant le reſte de l’année, les coups de vent d’oueſt11, les tourbillons violens, les pluies exceſſives, les chaleurs étouffantes, les calmes abſolus : tous ces obſtacles qui ſe réuniſſent, ou qui ſe ſuccédent rendent12 la mer fâcheuſe, dangereuſe même. Dans toute cette étendue de côte qui paſſe ſix cens lieues, on ne voit pas une ſeule barque, ni le moindre canot, ſoit pour le commerce, ſoit pour la pêche. Les ports même qu’on y trouve répandus ſont ouverts, ſans défenſe, expoſés aux caprices du premier corſaire qui jugera propos de tourner ſon avidité de ce côté de tourner ſon avidité de ce côté là. Celui d’Acapulco où arrivent les Gallions eſt le ſeul qui ait attiré l’attention du gourvernement Celui d’Acapulco où arrivent les Gallions eſt le ſeul qui ait attiré l’attention du gourvernement14.
Les côtes de ce grand empire1 ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des Cordelieres2 font régner un printems3 éternel, des vents réguliers & doux. Dès4 qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’athmoſphere5 de l’Eſt à l’Oueſt n’étant plus interrompue par cette chaîne prodigieuſe7 de montagnes, le climat devient différent. A la vérité, la navigation eſt ſûre8 & facile9 dans ces parages, depuis le milieu d’octobre juſqu’au commencement10 de mai ; mais durant le reſte de l’année, les coups de vent d’Oueſt11, les tourbillons violens, les pluies exceſſives, les chaleurs étouffantes, les calmes abſolus ; ; tous ces obſtacles qui ſe réuniſſent, ou qui ſe ſuccédent, , rendent12 la mer fâcheuſe, dangereuſe même. Dans toute cette étendue de côtes qui eſt de plus de ſix cents lieues, on ne voit pas une ſeule barque, ni le moindre canot, , ſoit pour le commerce, ſoit pour la pêche [118]. [118]. Les ports même qu’on y trouve répandus, , ſont ouverts, ſans défenſe, expoſés aux caprices du premier corſaire qui voudra tourner ſon avidité de ce côté-là. Celui d’Acapulco où arrivent les galions, eſt le ſeul qui ait attiré l’attention du gouvernement14.
Les côtes du Mexique1 ne reſſemblent pas à celles du Pérou, où le voiſinage & la hauteur des Cordelières2 font régner un printems3 éternel, des vents réguliers & doux. Auſſi-tôt4 qu’on a paſſé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’atmoſphère5 de l’Eſt à l’Oueſt n’étant plus interrompue par cette prodigieuſe6 chaîne de montagnes, le climat devient différent. A la vérité, la navigation eſt facile8 & ſûre9 dans ces parages depuis le milieu d’octobre juſqu’à la fin10 de mai : mais, durant le reſte de l’année, les calmes &11 les orages y rendent alternativement12 [534] la mer fâcheuſe &13 dangereuſe.
Les côtes du Mexique1 ne ressemblent pas à celles du Pérou, où le voisinage et la hauteur des Andes2 font régner un printemps3 éternel, des vents réguliers et doux. Aussitôt4 qu’on a passé la ligne à la hauteur de Panama, la libre communication de l’atmosphère5 de l’est à l’ouest n’étant plus interrompue par cette prodigieuse6 chaîne de montagnes, le climat devient différent. A la vérité, la navigation est facile8 et sûre9 dans ces parages depuis le milieu d’octobre jusqu’à la fin10 de mai ; mais, durant le reste de l’année, les calmes et11 les orages y rendent alternativement12 la mer fâcheuse et13 dangereuse.
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La côte qui borde cet océan a ſix cens1 lieues. Autrefois, il ne ſortoit des rades que la nature y a formées, ni un bâtiment pour le commerce, ni un canot pour la pêche. Cette inaction étoit bien en partie la ſuite de l’indolence des peuples : mais les funeſtes diſpoſitions faites par la cour de Madrid y avoient plus de part encore.
La côte qui borde cet océan a six cents1 lieues. Autrefois il ne sortait des rades que la nature y a formées ni un bâtiment pour le commerce, ni un canot pour la pêche. Cette inaction était bien en partie la suite de l’indolence des peuples ; mais les funestes dispositions faites par la cour de Madrid y avaient plus de part encore.
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La communication, entre les empires des incas & de Montezuma devenus provinces Eſpagnoles, fut libre dans les premiers tems1 par la mer du Sud. On la borna quelque tems2 après à deux navires. Elle fut abſolument prohibée en 1636. Des repréſentations preſſantes & réitérées déterminèrent à la rouvrir au bout d’un demi-ſiècle, mais avec des reſtrictions qui la rendoient nulle. Ce n’eſt qu’en 1774, qu’il a été permis à l’Amérique Méridionale & Septentrionale de faire tous les échanges que leur intérêt mutuel pourroit comporter. Les différentes contrées de ces deux régions tireront, ſans doute, de grands avantages de ce nouvel ordre de choſes. On peut prédire cependant qu’il ſera plus utile au pays de Guatimala qu’à tous les autres.
La communication entre les empires des Incas et de Montézuma, devenus provinces espagnoles, fut libre dans les premiers temps1 par la mer du Sud. On la borna quelque temps2 après à deux navires. Elle fut absolument prohibée en 1636. Des représentations pressantes et réitérées déterminèrent à la rouvrir au bout d’un demi-siècle, mais avec des restrictions qui la rendaient nulle. Ce n’est qu’en 1774 qu’il a été permis à l’Amérique méridionale et septentrionale de faire tous les échanges que leur intérêt mutuel pourrait comporter. Les différentes contrées de ces deux régions tireront sans doute de grands avantages de ce nouvel ordre de choses. On peut prédire cependant qu’il sera plus utile au pays de Guatimala qu’à tous les autres.
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La juridiction de cette audience s’étend douze lieues à l’ouest, soixante à l’est, cent au nord, et trois cents au sud. Sur ce vaste espace se trouvent, comme dans le reste du Mexique, des montagnes, des volcans, des lacs, des déserts, des rivières alternativement débordées et sans eau, des contrées salubres et malsaines, d’innombrables troupeaux, des mines, des tyrans et des esclaves, l’extrême misère à côté de la plus scandaleuse opulence, l’indolence avec tous les genres de corruption. Mais ce département a sur ceux de Mexico et de Guadalaxara quelques avantages. Il récolte un blé supérieur au leur. Ce n’est que sur son territoire que croît l’indigo. Son cacao de [406]Soconusco est le plus parfait que l’on connaisse. Aussi n’en permet-on l’exportation que pour l’approvisionnement du souverain. Le peu qui peut s’en échapper en fraude est vendu le double de celui de Caraque même.
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Sur la mer du Sud Guatimala possède plusieurs ports, dont celui de Sonsonate ou de la Trinité est le principal. De ces diverses rades il peut expédier des bâtimens pour les parages de Guadalaxara. C’est la région du globe la plus féconde en métaux. A l’époque de la conquête, on parla de ces richesses avec l’enthousiasme que ne manquent guère d’exciter les objets nouveaux. Une politique bien ou mal entendue défendit depuis de rien écrire sur la source de ces grands trésors ; et l’on n’en sait que ce que les premiers historiens en publièrent. Ils seront mieux connus lorsque les côtes, dont la plupart des mines ne sont que peu éloignées, verront aborder un plus grand nombre de navigateurs.
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En continuant leur route, les vaisseaux atteignent Acapulco, où se trouvent réunies toutes les étoffes, toutes les productions, toutes les voluptés de l’Asie. Ils s’y chargent de la quantité de ces précieuses marchandises, dont ils peuvent espérer un débit avantageux.
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Plus loin est la mer Vermeille, anciennement célèbre par l’abondante pêche des belles perles qui s’y fait, et de nos jours par les riches mines ouvertes sur ses rivages. La Californie, qui forme [407]ce golfe, quoique assez récemment sortie d’un état purement sauvage, a déjà quelques-uns des besoins des sociétés civilisées depuis long-temps ; et on lui connaît un superflu suffisant pour se procurer le nécessaire.
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Ce que Guatimala a obtenu de son territoire, ce qu’il tient de ses échanges ne peut manquer de trouver un débouché avantageux à Panama, à Guayaquil, sur les côtes du Pérou ou du Chili, et jusque dans le Paraguay.
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Les objets que demande le Pérou ſont expédiés1 de cette capitale par2 la mer du Sud3. L’or, l’argent, l’indigo deſtinés pour notre continent, ſont portés, à dos de mulet, au bourg6 Saint-Thomas, ſitué7 à ſoixante lieues de la ville dans le fond d’un lac très-profond qui ſe perd dans le golfe de Honduras8. Tant de richeſſes ſont échangées dans cet entrepôt contre les marchandiſes arrivées d’Europe [539]dans les mois de juillet ou9 d’août. Ce marché eſt entiérement ouvert, quoiqu’il eût été facile de le mettre à l’abri de toute inſulte. On le pouvoit d’autant plus aiſément, que ſon entrée eſt retrécie par deux rochers élevés qui s’avancent des deux côtés à la portée du canon. Il eſt vraiſemblable que l’Eſpagne ne changera de conduite que lorſqu’elle aura été punie de ſa négligence. Rien ne ſeroit plus aiſé12.
Les mers du nord n’offrent Guatimala qu’un port1 de mer, et il est au golfe Dolcé. C’est2 là, et là seulement, que3 l’or, que4 l’argent, que5 l’indigo destinés pour notre continent sont portés à dos de mulet, et déposés 6 Saint-Thomas, bourgade située7 à soixante lieues de la ville. Tant de richesses sont échangées dans cet entrepôt contre les marchandises arrivées d’Europe dans les mois de juillet et9 d’août. Ce marché est aussi le point de communication d’une partie du Mexique avec les autres possessions espagnoles de l’Amérique septentrionale. Le lieu10 est entièrement ouvert, quoiqu’il eût été facile de le mettre à l’abri de toute insulte. On le pouvait d’autant plus aisément, que son entrée est rétrécie par deux rochers élevés qui s’avancent des deux côtes, à la portée du canon. Il est vraisemblable que l’Espagne ne changera de conduite que lorsqu’elle aura été punie de sa négligence. Rien, dit-on11, ne serait plus facile12.
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Les vaiſſeaux qui entreprendroient1 cette expédition2 reſteroient en toute3 sûreté dans la rade. Mille ou douze cens4 hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes où ils trouveroient des chemins commodes, & des ſubſiſtances. Le reſte de la route ſe ſeroit par5 des plaines peuplées & abondantes. On arriveroit à Guatimala qui n’a pas un ſoldat6, ni la moindre fortification7. Ses quarante, mille ames8 Indiens, Negres, Metis, Eſpagnols qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance. Ils livreroient à leur ennemi dont ils craindroient d’exciter la rage9, les richeſſes immenſes10 qu’ils accumulent depuis deux11 ſiecles, & la contribution ſeroit au moins de ſix ou ſept12 millions de piaſtres13. Les troupes14 regagneroient leurs bâtimens avec ce15 butin, & ſi elles16 le vouloient avec des otages qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite. Le commerce de Campêche ſeroit expoſé à la même invaſion s’il en valoit la peine17.
Les vaiſſeaux qui entreprendroient1 cette expedition2, reſteroient en toute3 ſûreté dans la rade. Mille ou douze cens4 hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes, où ils trouveroient [133]des chemins commodes & des ſubſiſtances. Le reſte de la route ſe feroit travers5 des plaines peuplées & abondantes. On arriveroit à Guatimala qui n’a pas un ſoldat6, ni la moindre fortification7. Ses quarante mille ames8, Indiens, négres, métis, Eſpagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance. Ils livreroient à l’ennemi, pour ſauver leur vie9, les richeſſes immenſes10 qu’ils accumulent depuis deux11 ſiécles ; & la contribution ſeroit au moins de trente12 millions. Les troupes14 regagneroient leurs bâtimens avec ce15 butin ; & ſi elles16 le vouloient, avec des otages, qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite. Le commerce de Campêche ſeroit expoſé la même invaſion, s’il en valoit la peine17.
Les vaiſſeaux qui entreprendroient1 cette expédition2 reſteroient en ſûreté dans la rade. Mille ou douze cens4 hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes où ils trouveroient des chemins commodes & des ſubſiſtances. Le reſte de la route ſe feroit à travers5 des plaines peuplées & abondantes. On arriveroit à Guatimala, qui n’a pas un ſoldat6, ni la moindre fortification7. Ses quarante mille ames8, Indiens, nègres, métis, Eſpagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance. Ils livreroient à l’ennemi, pour ſauver leur vie9, les richeſſes qu’ils accumulent depuis trois11 ſiècles ; & la contribution ſeroit au moins de trente12 millions. Les [540]troupes14 regagneroient leurs bâtimens avec ce15 butin ; & ſi elles16 le vouloient avec des ôtages qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite.
Les vaisseaux qui formeraient1 cette entreprise2 resteraient en sûreté dans la rade. Mille ou douze cents4 hommes débarqués à Saint-Thomas traverseraient quinze lieues de montagnes, où ils trouveraient des chemins commodes et des subsistances. Le reste de la route se ferait à travers5 des plaines peuplées et abondantes. On arriverait à Guatimala, qui n’a ni fortifications6 ni troupes7. Ses quarante mille Indiens, nègres, métis, espagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, seraient incapables de la moindre résistance. Ils livreraient à l’ennemi, pour sauver leur vie9, les richesses qu’ils accumulent depuis trois11 siècles, et la contribution serait au moins de trente12 millions. Les aventuriers14 regagneraient leurs bâtimens avec le15 butin, et, s’ils16 le voulaient, avec des otages qui assureraient la tranquillité de leur retraite.
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Cette audience domine ſur douze lieues à l’Oueſt, ſoixante à l’Eſt, cent au Nord, & trois cens au Sud. Sept ou huit provinces forment cette grande juriſdiction.

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Celle de Coſta-Ricca eſt très-peu peuplée, très-peu cultivée & n’offre guère que des troupeaux. Une grande partie des anciens habitans s’y ſont juſqu’ici refuſés au joug.

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Six mois d’une pluie qui tombe en torrens & ſix mois d’une ſéchereſſe dévorante affligent Nicaragua réguliérement chaque année. Ce ſont les hommes les plus efféminés de la Nouvelle-Eſpagne quoique des moins riches.

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Les Caſtillans n’exercèrent nulle part plus de cruautés qu’à Honduras. Ils en firent un déſert. Auſſi n’en tire-t-on qu’un peu de caſſe & quelque ſalſe-pareille.

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Vera-Paz étoit en poſſeſſion de fournir à l’ancien Mexique les plumages éclatans dont on compoſoit ces tableaux ſi long-tems vantés. La province a perdu toute ſon importance, depuis que ce genre d’induſtrie a été abandonné.

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Soconuſco n’eſt connu que par la perfection de ſon cacao. La plus grande partie de ce fruit ſert à l’Amérique même. Les deux [536]cens quintaux qu’on en porte en Europe appartiennent au gouvernement. S’il y en a plus que la cour ne peut conſommer, on le vend au public le double de ce que coûte celui de Caraque.

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Quoiqu’au centre du Mexique, Chiapa formoit un état indépendant de cet empire à l’arrivée des Eſpagnols : mais ce canton plia auſſi devant des armes que rien n’arrêtoit. Il y eut là peu de ſang répandu, & les Indiens y ſont encore plus nombreux qu’ailleurs. Comme la province n’eſt abondante qu’en grains, en fruits, en pâturages, peu des conquérans s’y fixèrent ; & c’eſt peut-être pour cela que l’homme y eſt moins dégradé, moins abruti que dans les contrées remplies de mines ou avantageuſement ſituées pour le commerce. Les origènes montrent de l’intelligence, ont quelque aptitude pour les arts, & parlent une langue qui a de la douceur, même une ſorte d’élégance. Ces qualités ſont ſur-tout remarquables à Chiapa de losIndios, ville aſſez importante où leurs familles les plus conſidérables ſe ſont réfugiées, qu’ils occupent ſeuls, & où ils jouiſſent de grands privilèges. Sur la rivière qui [537]baigne ſes murs s’exercent habituellement l’adreſſe & le courage de ces hommes moins opprimés que leurs voiſins. Avec des bateaux, ils forment des armées navales. Ils combattent entre eux, ils s’attaquent & ils ſe défendent avec une agilité ſurprenante. Ils bâtiſſent des châteaux de bois qu’ils couvrent de toile peinte & qu’ils aſſiègent. Ils n’excellent pas moins à la courſe des taureaux, au jeu des cannes, à la danſe, à tous les exercices de corps. Combien ces détails feront regretter que les Indiens ſoient tombés au pouvoir d’un vainqueur qui a reſſerré les liens de leur ſervitude au lieu de les relâcher.

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La province de Guatimala a, comme les autres provinces de ſa dépendance, des troupeaux, des mines, du bled, du maïs, du ſucre, du coton : mais aucune ne partage avec elle l’avantage de cultiver l’indigo. C’eſt ſur ſon territoire qu’eſt placée une ville de ſon nom, où ſont réunis les adminiſtrateurs & les tribunaux néceſſaires au gouvernement d’un ſi grand pays.

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La province de Guatimala, une des plus grandes de la nouvelle Eſpagne1, fut conquiſe en 1524 & en 1525, par Pierre de Alvarado, un des lieutenans de Cortez. Il y bâtit pluſieurs villes, & en particulier la capitale, qui porte le nom de la province. Elle eſt ſituée2 dans une vallée large d’environ trois mille3, & bornée par deux montagnes aſſez élevées. De celle qui [93]eſt au ſud, tombent4 des caſcades5 & des fontaines qui procurent aux villages ſitués ſur la pente, une fraîcheur délicieuſe, & y entretiennent perpétuellement des fleurs & des fruits. L’aſpect de la montagne qui eſt au nord eſt effroyable. Il n’y paroît jamais de verdure. On n’y voit que des cendres, des pierres calcinées. Une eſpece de tonnerre que les habitans attribuent au bouillonnement des métaux mis en fuſion dans les cavernes de la terre ; ſe6 fait entendre continuellement. Il ſort de ces fourneaux intérieurs des flammes, des torrens de ſouffre7 qui rempliſſent l’air d’une infection horrible. Guatimala, ſuivant l’expreſſion du pays8, eſt ſituée9 entre le paradis & l’enfer, au quatorzieme dégré, trente minutes de latitude10.
La province de Guatimala, l’une des plus grandes de la Nouvelle-Eſpagne1, fut conquiſe en 1524 & en 1525, par Pierre de Alvarado, un des lieutenans de Cortez. Il y bâtit pluſieurs villes, & en particulier la capitale, qui porte le nom de la province. Elle eſt ſituée2 dans une vallée large d’environ trois milles3, & bornée par deux montagnes aſſez élevées. De celle qui eſt au Sud coulent4 des ruiſſeaux5 & des fontaines, [130]qui procurent aux villages ſitués ſur la pente une frâicheur délicieuſe, & y entretiennent perpétuellement des fleurs & des fruits. L’aſpect de la montagne qui eſt au Nord eſt effroyable. Il n’y paroît jamais de verdure. On n’y voit que des cendres, des pierres calcinées. Une eſpece de tonnerre, que les habitans attribuent au bouillonnement des métaux mis en fuſion dans les cavernes de la terre, s’y6 fait entendre continuellement. Il ſort de ces fourneaux interieurs des flammes, des torrens de ſoufre7, qui rempliſſent l’air d’une infection horrible. Guatimala, ſuivant l’expreſſion du pays8, eſt ſituée9 entre le paradis & l’enfer.
Cette cité célèbre1 fut, bien ou mal-à-propos bâtie2, dans une vallée large d’environ trois milles3, & bornée par deux montagnes [538] aſſez élevées. De celle qui eſt au Sud coulent4 des ruiſſeaux5 & des fontaines qui procurent aux villages ſitués ſur la pente, une fraîcheur délicieuſe, & y entretiennent perpétuellement des fleurs & des fruits. L’aſpect de la montagne qui eſt au Nord eſt effroyable. Il n’y paroît jamais de verdure. On n’y voit que des cendres, des pierres calcinées. Une eſpèce de tonnerre, que les habitans attribuent au bouillonnement des métaux mis en fuſion dans les cavernes de la terre, s’y6 fait entendre continuellement. Il ſort de ces fourneaux intérieurs des flammes, des torrens de ſouffre7 qui rempliſſent l’air d’une infection horrible. Guatimala, ſelon une expreſſion très-uſitée8, eſt ſitué9 entre le paradis & l’enfer.
La célèbre et importante cité qui reste ainsi exposée au pillage1 fut, bien ou mal propos, originairement bâtie2 dans une vallée large d’environ trois milles3, et bornée par deux montagnes assez élevées. De celle qui est au sud coulent4 des ruisseaux5 et des fontaines qui procurent aux villages situés sur la pente une fraîcheur délicieuse, et y entretiennent perpétuellement des fleurs et des fruits. L’aspect de la montagne qui est au nord est effroyable. Il n’y paraît jamais de verdure. On n’y voit que des cendres, des pierres calcinées. Une espèce de tonnerre, que les habitans [409] attribuent au bouillonnement des métaux mis en fusion dans les cavernes de la terre, s’y6 fait entendre continuellement. Il sort de ces fourneaux intérieurs des flammes, des torrens de soufre7 qui remplissent l’air d’une infection horrible. Guatimala, selon une expression très-usitée8, est situé9 entre le paradis et l’enfer. Des tremblemens de terre lui causèrent de grands dommages des époques plus ou moins reculées. Celui de 1772 ne lui laissa que des ruines10.
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Sa poſition, ſon éloignement de Mexico & de Guadalajara1 la firent choiſir pour être le ſiege d’une audience qui étend ſa juriſdiction trois cens lieues au ſud, cent au nord, ſoixante à l’eſt, & douze à l’oueſt vers la mer du ſud. Les avantages que cette diſtinction lui procuroit, lui formerent de bonne heure3 une aſſez grande population, & cette population fit valoir les dons qu’elle tenoit de la nature. Il n’y a point de contrée dans cette partie du nouveau monde4, où elle ait répandu ſes bienfaits avec plus de profuſion. L’air eſt très-ſaint, & le climat fort tempéré. La volaille & le gibier y ſont d’une abondance, d’une délicateſſe extrêmes. La terre ne produit nulle part de meilleur bled. Les rivieres, les lacs, la mer offrent de tous côtés du poiſſon exquis. Les bœufs s’y ſont tellement multipliés qu’il faut faire tuer ceux qui ſont devenus ſauvages dans les montagnes, de peur [94]qu’ils ne nuiſſent8 à la culture par leur nombre exceſſif.
Sa poſition, ſon éloignement de Mexico & de Guâdalaxara1, la firent choiſir pour être le ſiége d’une Audience, qui étend ſa juriſdiction ſur2 trois cens lieues au Sud, cent au Nord, ſoixante à l’Eſt, & douze à l’Oueſt vers la mer du Sud. Les avantages que cette diſtinction lui procuroit, lui formerent de bonne-heure3 une aſſez grande population, & cette population fit valoir les dons qu’elle tenoit de la nature. Il n’y a point de contrée dans cette partie du nouveau-monde4, où elle ait répandu ſes bienfaits avec plus de profuſion. L’air y5 eſt très-ſain, & le climat fort tempéré. La volaille & le gibier y ſont d’une abondance [131]&6 d’une délicateſſe extrêmes. La terre ne produit nulle part de meilleur bled. Les rivieres, les lacs, la mer, offrent de tous côtés du poiſſon exquis. Les bœufs s’y ſont tellement multipliés, qu’il faut faire tuer tous7 ceux qui ſont devenus ſauvages dans les montagnes, de peur qu’ils ne nuiſent8 à la culture par leur nombre exceſſif.

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Cette fertilité n’eſt pas1 pourtant ce qui rend le Guatimala précieux à la métropole. L’Eſpagne ne tient proprement à ſa colonie que par l’indigo qu’elle en retire. Il eſt fort ſupérieur à celui que produit le reſte de l’Amérique. On employe à cette culture quelques negres, & une partie des Indiens qui ont ſurvécu à la tyrannie des conquérans. Leurs ſueurs3 en fourniſſent annuellement, pour l’Europe ſeulement, deux milles4 cinq cens ſurrons qui ſe vendent l’un dans l’autre à Cadix, trois cens vingt piaſtres fortes5. Cette riche production eſt portée à dos de mulet avec quelques autres objets peu importans au bourg Saint-Thomas, ſitué à ſoixante lieues de Guatimala, dans le fond d’un lac très-profond qui ſe perd dans le golphe6 de Honduras. Ces marchandiſes y attendent toujours pour être échangées celles qui ſont envoyées d’Europe ſur trois ou quatre7 bâtimens médiocres qui arrivent communément dans les mois de juillet ou d’août. Leur cargaiſon en retour eſt groſſie de quelques cuirs, quelque caſſe, quelque ſalſe pareille8, qui eſt tout ce que fournit au commerce la province de Honduras, quoiqu’elle ait cent cinquante lieues de long, ſur ſoixante & quatrevingt9 de large. L’éclat que lui donnerent d’abord ſes mines d’or ne fut que paſſager : elles tomberent dans un oubli entier après avoir ſervi de tombeau à près d’un millions10 d’Indiens. Le territoire qu’ils habitoient eſt reſté inculte & déſert : c’eſt aujourd’hui la contrée la plus pauvre de l’Amérique. Les hommes & les terres s’y ſont fondus en or, & l’or à rien.
Cette fertilité n’eſt pourtant pas2 ce qui rend le Guatimala précieux à la métropole. L’Eſpagne ne tient proprement à ſa colonie, que par l’indigo qu’elle en retire. Il eſt fort ſupérieur à celui que produit le reſte de l’Amérique. On employe à cette culture quelques négres, & une partie des Indiens qui ont ſurvécu à la tyrannie des conquérans. Les travaux de ces eſclaves3 en fourniſſent annuellement, pour l’Europe ſeulement, deux mille4 cinq cens ſurrons, qui ſe vendent l’un dans l’autre à cadix 1680 l5. Cette riche production eſt portée à dos de mulet, avec quelques autres objets peu importans, au bourg Saint-Thomas, ſitué à ſoixante lieues de Guatimala, dans le fond d’un lac très-profond qui ſe perd dans le golfe6 de Honduras. Ces marchandiſes y attendent toujours, pour être échangées, celles qui ſont envoyées d’Europe ſur quelques7 bâtimens médiocres qui arrivent communément dans les mois de juillet ou d’août. Leur cargaiſon en retour eſt groſſie [132]de quelques cuirs, quelque caſſe, quelque ſalſe-pareille8, qui eſt tout ce que fournit au commerce la province de Honduras, quoiqu’elle ait cent cinquante lieues de long ſur ſoixante & quatre-vingts9 de large. L’éclat que lui donnerent d’abord ſes mines d’or ne fut que paſſager : elles tomberent dans un oubli entier, après avoir ſervi de tombeau à près d’un million10 d’Indiens. Le territoire qu’ils habitoient eſt reſté inculte & déſert : c’eſt aujourd’hui la contrée la plus pauvre de l’Amérique. Les hommes & les terres s’y ſont fondus en or, & l’or eſt devenu11 à rien.

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Le lac ou le peu qui ſort de Honduras vient ſe réunir aux riches productions de Guatimala pour former enſemble une valeur de douze cens mille piaſtres1 eſt tout-à-fait2 ouvert, quoiqu’il eut été aiſé3 de le mettre à l’abri de toute inſulte. On le pouvoit d’autant plus aiſement que ſon entrée eſt rétrecie par deux rochers élevés, qui s’avancent des4 deux côtés à la portée du canon. Il eſt vraiſemblable que l’Eſpagne ne changera de conduite, que lorſqu’elle aura été punie de ſa négligence. Rien ne ſeroit plus aiſé6.
Guatimala fournit preſque toute la valeur des 6,ooo,ooo livres, que forment ſes productions jointes celles de Honduras. Le lac où ces richeſſes vont ſe réunir1 eſt tout-à-fait2 ouvert, quoiqu’il eût été facile3 de le mettre à l’abri de toute inſulte. On le pouvoit d’autant plus aiſément, que ſon entrée eſt rétrécie par deux rochers élevés, qui s’avancent de4 deux côtés à la portée du canon. Il eſt vraiſemblable que l’Eſpagne ne changera de conduite, que lorſqu’elle aura été punie de ſa négligence. Rien ne ſeroit plus aiſé6.
Les objets que demande le Pérou ſont expédiés de cette capitale par la mer du Sud. L’or, l’argent, l’indigo deſtinés pour notre continent, ſont portés, à dos de mulet, au bourg Saint-Thomas, ſitué ſoixante lieues de la ville dans le fond d’un lac très-profond qui ſe perd dans le golfe de Honduras. Tant de richeſſes ſont échangées dans cet entrepôt contre les marchandiſes arrivées d’Europe [539]dans les mois de juillet ou d’août. Ce marché1 eſt entiérement2 ouvert, quoiqu’il eût été facile3 de le mettre à l’abri de toute inſulte. On le pouvoit d’autant plus aiſément, que ſon entrée eſt retrécie par deux rochers élevés qui s’avancent des4 deux côtés à la portée du canon. Il eſt vraiſemblable que l’Eſpagne ne changera de conduite que lorſqu’elle aura été punie de ſa négligence. Rien ne ſeroit plus aiſé6.
Les mers du nord n’offrent Guatimala qu’un port de mer, et il est au golfe Dolcé. C’est là, et là seulement, que l’or, que l’argent, que l’indigo destinés pour notre continent sont portés à dos de mulet, et déposés Saint-Thomas, bourgade située à soixante lieues de la ville. Tant de richesses sont échangées dans cet entrepôt contre les marchandises arrivées d’Europe dans les mois de juillet et d’août. Ce marché est aussi le point de communication d’une partie du Mexique avec les autres possessions espagnoles de l’Amérique septentrionale. . Le lieu1 est entièrement2 ouvert, quoiqu’il eût été facile3 de le mettre à l’abri de toute insulte. On le pouvait d’autant plus aisément, que son entrée est rétrécie par deux rochers élevés qui s’avancent des4 deux côtes, à la portée du canon. Il est vraisemblable que l’Espagne ne changera de conduite que lorsqu’elle aura été punie de sa négligence. Rien, dit-on5, ne serait plus facile6.
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Les vaiſſeaux qui entreprendroient1 cette expédition2 reſteroient en toute3 sûreté dans la rade. Mille ou douze cens4 hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes où ils trouveroient des chemins commodes, & des ſubſiſtances. Le reſte de la route ſe ſeroit par5 des plaines peuplées & abondantes. On arriveroit à Guatimala qui n’a pas un ſoldat6, ni la moindre fortification7. Ses quarante, mille ames8 Indiens, Negres, Metis, Eſpagnols qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance. Ils livreroient à leur ennemi dont ils craindroient d’exciter ennemi dont ils craindroient d’exciter la rage9, les richeſſes immenſes10 qu’ils accumulent depuis deux11 ſiecles, & la contribution ſeroit au moins de ſix ou ſept12 millions de piaſtres13. Les troupes14 regagneroient leurs bâtimens avec ce15 butin, & ſi elles16 le vouloient avec des otages qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite. Le commerce de Campêche ſeroit expoſé à la même invaſion s’il en valoit la peine17.
Les vaiſſeaux qui entreprendroient1 cette expedition2, reſteroient en toute3 ſûreté dans la rade. Mille ou douze cens4 hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes, où ils trouveroient [133]des chemins commodes & des ſubſiſtances. Le reſte de la route ſe feroit travers5 des plaines peuplées & abondantes. On arriveroit à Guatimala qui n’a pas un ſoldat6, ni la moindre fortification7. Ses quarante mille ames8, Indiens, négres, métis, Eſpagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance. Ils livreroient à l’ennemi, , pour ſauver leur vie9, les richeſſes immenſes10 qu’ils accumulent depuis deux11 ſiécles ; & la contribution ſeroit au moins de trente12 millions. Les troupes14 regagneroient leurs bâtimens avec ce15 butin ; & ſi elles16 le vouloient, avec des otages, qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite. Le commerce de Campêche ſeroit expoſé la même invaſion, s’il en valoit la peine17.
Les vaiſſeaux qui entreprendroient1 cette expédition2 reſteroient en ſûreté dans la rade. Mille ou douze cens4 hommes débarqués à Saint-Thomas, traverſeroient quinze lieues de montagnes où ils trouveroient des chemins commodes & des ſubſiſtances. Le reſte de la route ſe feroit à travers5 des plaines peuplées & abondantes. On arriveroit à Guatimala, qui n’a pas un ſoldat6, ni la moindre fortification7. Ses quarante mille ames8, Indiens, nègres, métis, Eſpagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, ſeroient incapables de la moindre réſiſtance. Ils livreroient à l’ennemi, pour ſauver leur vie9, les richeſſes qu’ils accumulent depuis trois11 ſiècles ; & la contribution ſeroit au moins de trente12 millions. Les [540]troupes14 regagneroient leurs bâtimens avec ce15 butin ; & ſi elles16 le vouloient avec des ôtages qui aſſureroient la tranquillité de leur retraite.
Les vaisseaux qui formeraient1 cette entreprise2 resteraient en sûreté dans la rade. Mille ou douze cents4 hommes débarqués à Saint-Thomas traverseraient quinze lieues de montagnes, où ils trouveraient des chemins commodes et des subsistances. Le reste de la route se ferait à travers5 des plaines peuplées et abondantes. On arriverait à Guatimala, qui n’a ni fortifications6 ni troupes7. Ses quarante mille Indiens, nègres, métis, espagnols, qui n’ont jamais vu d’épée, seraient incapables de la moindre résistance. Ils livreraient à l’ennemi, pour sauver leur vie9, les richesses qu’ils accumulent depuis trois11 siècles, et la contribution serait au moins de trente12 millions. Les aventuriers14 regagneraient leurs bâtimens avec le15 butin, et, s’ils16 le voulaient, avec des otages qui assureraient la tranquillité de leur retraite.
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On trouve entre les golphes1 de Campêche & de Honduras une grande péninſule, nommée Yucatan. Quoiqu’il n’y ait2 ni ruiſſeau, ni riviere, l’eau eſt partout ſi près de la terre, & les [96]coquillages ſont en ſi grand nombre, qu’il eſt viſible que cette3 eſpace immenſe a fait autrefois partie de la mer. Il n’y avoit point de métaux, & il n’y avoit que4 peu de population &5 de culture, lorſque les Eſpagnols la découvrirent6. Elle fut mépriſée. On s’apperçut dans la ſuite que les bois7 qui la couvroient étoient propres pour la teinture, & on8 y bâtit la ville de Campêche, qui devint l’entrepôt de cette production précieuſe, & qui lui donna ſon nom.
On trouve entre les golfes1 de Campêche & de Honduras une grande péninſule, nommée Yucatan. Quoiqu’elle n’ait2 ni ruiſſeau, ni riviere, l’eau eſt par-tout ſi près de la terre, & les coquillages ſont en ſi grand nombre, qu’il eſt viſible que cet3 eſpace immenſe a fait autrefois partie de la mer. Lorſque les Eſpagnols la découvrirent, ils y trouverent4 peu de population, peu5 de culture ; & n’y trouverent point de métaux6. Elle fut mépriſée. On s’apperçut dans la ſuite que les arbres7 qui la couvroient étoient propres pour la teinture, & l’on8 y bâtit la ville de Campêche, qui devint [134]l’entrepôt de cette production précieuſe, & qui lui donna ſon nom.

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Le danger n’eſt plus malheureuſement le même. Un affreux tremblement à détruit Guatimala de fond en comble en 1772. Cette ville, une des plus riches de l’Amérique, n’offre plus que des ruines.

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Elle1 renaîtroit bientôt dans d’autres contrées : car, que ne peuvent point les nations actives & induſtrieuſes ? Par elles des régions qu’on croyoit inhabitables ſont peuplées. Les terres les plus ingrates ſont fécondées. Les eaux ſont repouſſées, & la fertilité s’élève ſur le limon. Les marais portent des maiſons. A travers des monts entr’ouverts, l’homme ſe fait des chemins. Il ſépare à ſon gré ou lie3 les rochers par des ponts qui reſtent comme ſuſpendus ſur la profondeur obſcure de l’abîme, au fond duquel le torrent courroucé ſemble murmurer de ſon audace. Il oppoſe des digues à la mer & dort tranquillement dans le domicile qu’il a fondé au-deſſous des flots. Il aſſemble quelques planches ſur leſquelles4 il s’aſſied ; il dit aux vents de le porter [541]à l’extrémité5 du globe, & les vents lui obéiſſent. Homme, quelquefois ſi puſillanime & ſi petit, que tu te montres grand, & dans tes projets, & dans tes œuvres ! Avec deux foibles6 leviers de chair, aidés de ton intelligence, tu attaques la nature entière & tu la ſubjugues. Tu affrontes les élémens conjurés, & tu les aſſervis. Rien ne te réſiſte, ſi ton ame eſt tourmentée par l’amour ou le deſir de poſſéder une belle femme que tu haïras un jour ; par l’intérêt ou la fureur de7 remplir tes coffres d’une richeſſe qui te promette des jouiſſances que tu te refuſeras ; par la gloire ou l’ambition d’être loué par tes contemporains que tu mépriſes, ou d’une poſtérité que tu ne dois pas eſtimer davantage. Si tu fais de grandes choſes par paſſion8, tu n’en fais pas de moindres par ennui. Tu ne connoiſſois9 qu’un monde. Tu ſoupçonnas qu’il en étoit un autre. Tu l’allas chercher & tu10 le trouvas. Je te ſuis pas à pas dans ce monde nouveau. Si la hardieſſe de tes entrepriſes m’en dérobe quelquefois l’atrocité, je ſuis toujours également confondu, ſoit que tes forfaits me glacent d’horreur, ſoit que tes vertus me tranſportent d’admiration.
La ville1 renaîtrait bientôt dans d’autres contrées ; car que ne peuvent point les nations actives et industrieuses ! Par elles des régions qu’on croyait inhabitables sont peuplées. Les terres les plus ingrates sont fécondées. Les eaux sont repoussées, et la fertilité s’élève sur le limon. Les marais portent des maisons. A travers des monts entr’ouverts l’homme se fait des chemins. Il sépare ou lie2 à son gré les rochers par des ponts qui restent comme suspendus sur la profondeur obscure de l’abîme, au fond duquel le torrent courroucé semble murmurer de son audace. Il oppose des digues à la mer, et dort tranquillement dans le domicile qu’il a fondé au-dessous des flots. Il assemble quelques planches sur lesquels4 il s’assied ; il dit aux vents de le porter aux extrémités5 du globe, et les vents lui obéissent. Homme, quelquefois si pusillanime et si petit, que tu te montres grand, et dans tes projets et dans tes œuvres ! Avec deux faibles6 leviers de [410]chair, aidés de ton intelligence, tu attaques la nature entière, et tu la subjugues. Tu affrontes les élémens conjurés, et tu les asservis. Rien ne te résiste, si ton âme est tourmentée par l’amour ou le désir de posséder une belle femme que tu haïras un jour ; par l’intérêt ou la fureur pour7 remplir tes coffres d’une richesse qui te promette des jouissances que tu te refuseras ; par la gloire ou l’ambition d’être loué par tes contemporains que tu méprises, ou d’une postérité que tu ne dois pas estimer davantage ; si tu fais de grandes choses par ambition8, tu n’en fais pas de moindres par ennui. Tu ne connaissais9 qu’un monde, tu soupçonnas qu’il en était un autre. Tu l’allas chercher, et le trouvas. Je te suis pas à pas dans ce monde nouveau. Si la hardiesse de tes entreprises m’en dérobe quelquefois l’atrocité, je suis toujours également confondu, soit que tes forfaits me glacent d’horreur, soit que tes vertus me transportent d’admiration.
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Tels étoient ces fiers Eſpagnols qui conquirent l’Amérique : mais le climat, une mauvaiſe adminiſtration, l’abondance de toutes choſes énervèrent leurs deſcendans. Tout ce qui portoit l’empreinte de la difficulté ſe trouva au-deſſus de leurs ames1 corrompues ; & leurs bras amollis ſe refuſèrent à tous les travaux. Durant ce long période, ce fut un engourdiſſement dont on voit peu d’exemples dans l’hiſtoire2. Comment une cité, engloutie par des volcans, ſeroit-elle alors ſortie de ces3 décombres ? Mais, depuis quelques années la nation ſe régénère. Déja l’on a tracé le plan d’une autre ville, plus vaſte, plus commode4, plus belle5 que celle qui exiſtoit : & elle ſera6 élevée à huit lieues de l’ancienne ſur une baſe plus ſolide. Déja la cour de Madrid, s’écartant de ſes meſures ordinairement trop lentes, a aſſigné les fonds néceſſaires pour la conſtruction des édifices publics. Déja e s7 citoyens déchargés des tributs qui pouvoient ſervir de raiſon ou de prétexte à leur inaction, ſe prêtent aux vues8 du gouvernement. Un nouveau Guatimala embellira bientôt la Nouvelle-Eſpagne. Si cette activité ſe ſoutient, ſi elle augmente, les Anglois [543] ſeront vraiſemblablement chaſſés des établiſſemens qu’ils ont commencés entre le lac de Nicaragua & le cap Honduras9.
Tels étaient ces fiers Espagnols qui conquirent l’Amérique ; mais le climat, une mauvaise administration, l’abondance de toutes choses, énervèrent leurs descendans. Tout ce qui portait l’empreinte de la difficulté se trouva au-dessus de leurs armes1 corrompues ; et leurs bras amollis se refusèrent à tous les travaux. Comment une cité engloutie par des volcans serait-elle alors sortie de ses3 décombres ? Mais depuis quelques années la nation se régénère. Déjà l’on a tracé le plan [411]d’une autre ville plus vaste, plus belle4, plus commode5 que celle qui existait, et elle est6 élevée à huit lieues de l’ancienne sur une base plus solide. Déjà la cour de Madrid, s’écartant de ses mesures ordinairement trop lentes, a assigné les fonds nécessaires pour la construction des édifices publics. Déjà les7 citoyens, déchargés des tributs qui pouvaient servir de raison ou de prétexte à leur inaction, se prêtent aux mesures8 du gouvernement. Un nouveau Guatimala embellira bientôt la nouvelle Espagne9.
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Cette contrée occupe cent quatre-vingts lieues de côtes, & s’enfonce dans l’intérieur des terres juſqu’à des montagnes fort hautes, plus ou moins éloignées de l’océan.

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Le climat de cette région eſt ſain & aſſez tempéré. Le ſol en eſt communément uni, très-bien arroſé, &paroît propre à toutes les productions cultivées entre les tropiques. On n’y eſt pas expoſé à ces fréquentes ſéchereſſes, à ces terribles ouragans qui détruiſent ſi ſouvent, dans les iſles du Nouveau-Monde les eſpérances les mieux fondées.

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On s’est permis jusqu’ici de prononcer sur un peuple par la nature des habitations qu’il occupait. Si ses maisons étaient sales, mal entretenues, grossièrement construites, on affirmait sans balancer qu’il gémissait dans la misère ou sous l’oppression. Si avec des richesses il fermait les yeux sur les agrémens d’une demeure propre et commode, on l’accusait de stupidité. S’il se passionnait pour des ornemens bizarres plus propres à empêcher le but des logemens qu’à les embellir, c’était de caprice ou d’extravagance qu’il était convaincu.
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Cependant, si l’on nous jugeait d’après ces principes, en apparence si raisonnables, peut-être serions-nous jugés trop sévèrement. Sous plusieurs points de vue la multitude est à peu de chose près ce que furent ses pères. Les générations se sont plus ou moins rapidement remplacées sans que les usages journaliers aient suivi le cours des lumières [412]. L’habitude de voir, d’occuper, de respecter peut-être les monumens d’une barbarie héréditaire, a jeté un voile épais et obscur sur ce qu’ils avaient de plus dégoûtant. Le siècle des arts a été trop indulgent pour beaucoup d’objets que des siècles d’ignorance lui avaient transmis. Il fallait que l’eau, la terre, le feu ; que les élémens conjurés nous avertissent par leurs ravages que le temps de tout changer était arrivé. Alors nous nous sommes réveillés ; alors nos facultés se sont développées ; alors nous avons senti nos forces ; alors notre génie a pris son essor ; alors des édifices dignes du roi de la nature se sont élevés sur de vieilles ruines ; alors enfin le mal est devenu la source du bien ; et cette heureuse révolution sera peut-être plus entière à Guatimala que partout ailleurs.
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Dans la juridiction de cette ville se trouve le golfe de Honduras, auquel on accorde cent cinquante lieues de long sur quatre-vingt de large. C’était, selon le témoignage de las Cazas, au temps de la conquête, une des contrées les plus peuplées du Nouveau-Monde. Le fer, le feu, les mines, les rigueurs de l’esclavage ne tardèrent pas à rendre absolument déserte la partie qui tomba au pouvoir des Espagnols. Ils n’y possèdent plus que trois ou quatre bourgades, le fort d’Omoa, avantageusement situé sur les bords de l’Océan, et la petite île de Rattan, qui a un assez bon port.
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Les Mosquites sont toujours restés en possession [413]de la côte orientale, qui s’étend depuis la rivière Saint-Jean jusqu’au cap de Honduras, et dans l’intérieur des terres, de l’espace qui se trouve entre une chaîne de montagnes et l’Océan. L’air que ce peuple respire est sain et assez tempéré. Son sol est communément uni, très-bien arrosé, et propre à toutes les productions cultivées entre les tropiques.
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Le gouvernement de ces sauvages est républicain. Dans les guerres qu’ils ont à soutenir contre d’autres Américains ou contre les Espagnols, ils choisissent pour chefs les plus intrépides, les plus expérimentés de leurs soldats ; mais l’autorité qui leur a été confiée n’a de durée que celle des hostilités.
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Le pays eſt principalement habité par1 les Moſquites. Ces Indiens2 furent autrefois nombreux : mais3 la petite-vérole a conſidérablement4 diminué leur population. On ne penſe pas qu’actuellement leurs diverſes tribus puſſent5 mettre plus de neuf6 ou dix7 mille hommes ſous les armes.
Toutes les traditions attestent que1 les Mosquites furent autrefois nombreux. Les guerres3, la petite-vérole, et d’autres calamités ont extrêmement4 diminué leur population. On ne pense pas qu’actuellement leurs diverses tribus puissent5 mettre plus de dix6 ou douze7 mille hommes sous les armes. Cette force n’est que peu grossie par les Sambos, descendus des nègres de Guinée, qu’une violente tempête poussa autrefois sur ces parages. Leur teint, leurs traits, leurs cheveux, leurs inclinations ne permettent pas de leur donner une autre origine8.
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Les premiers aventuriers européens qui infestèrent les mers d’Amérique de leurs brigandages allaient quelquefois renouveler leur eau et leurs [414]vivres chez les Mosquites. L’accueil qu’ils en recevaient les décida à en embarquer avec eux quelques-uns des plus intrépides. Une haine commune contre l’Espagnol, et le butin qu’on faisait sur lui, ne tardèrent pas à former entre eux des liaisons intimes. Cependant aucun des hommes féroces que la mer avait vomis sur cet autre hémisphère n’avait songé à fixer son domicile dans une contrée où il pouvait se promettre une liberté entière. Ce ne fut qu’en 1730 qu’un petit nombre d’Anglais s’y déterminèrent.
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Leur premier établissement fut formé vingt-six lieues à l’est du cap Honduras. Sa position sur la rivière Black, qui n’a que six à sept pieds d’eau à son embouchure, ne paraissait pas l’appeler à de très-grandes prospérités. A cinquante lieues de ce poste est Gracias-a-Dios. Ce fut près de ce promontoire fameux que les Anglais se placèrent sur un fleuve navigable, dont les bords sont fertiles. Soixante-dix lieues plus loin, ces hommes entreprenans trouvèrent à Blew-Fields des plaines vastes et fécondes, un port commode, et un rocher qu’il était facile de rendre imprenable.
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Une nation, encore moins multipliée, eſt fixée aux environs du cap Gracias-à-Dios. Ce ſont les Samboes deſcendus, dit-on, d’un navire de Guinée qui fit autrefois [544]naufrage ſur ces parages. Leur teint, leurs traits, leurs cheveux, leurs inclinations ne permettent guère de leur donner une autre origine.

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Les Anglois ſont les ſeuls Européens que leur cupidité ait fixés dans ces lieux ſauvages.

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Leur premier établiſſement fut formé vers 1730, vingt-ſix lieues à l’Eſt du cap Honduras. Sa poſition à l’extrémité de la côte & ſur la rivière Black, qui n’a que ſix pieds d’eau à ſon embouchure, retardera & empêchera peut-être toujours ſes progrès.

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A cinquante-quatre lieues de cette colonie eſt Gracias-à-Dios, dont la rade, formée par un bras de mer, eſt immenſe & aſſez ſûre. C’eſt tout près de ce cap fameux que ſe ſont placés les Anglois ſur une rivière navigable & dont les bords ſont très-fertiles.

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Soixante-dix lieues plus loin, cette nation entreprenante a trouvé à Blew-Field des plaines vaſtes & fécondes, un fleuve acceſſible, un port commode & un rocher qu’on rendroit aiſément inexpugnable.

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Les trois comptoirs n’occupoient, en 1769, que deux cens1 ſix blancs, autant de mulâtres & neuf cens eſclaves. Sans compter les [545]mulets2 & quelques autres objets envoyés la Jamaïque3, ils expédièrent cette année, pour l’Europe, huit cens4 mille pieds de bois de Mahagoni, deux cens5 mille livres peſant de ſalſe-pareille & dix mille livres d’écailles6 de tortue. Les bras ont été multipliés depuis. On a commencé à planter des cannes ; dont8 le premier9 ſucre s’eſt trouvé d’une qualité ſupérieure10. De bons obſervateurs affirment qu’une11 poſſeſſion tranquille du pays des Moſquites, vaudroit mieux un jour pour la Grande-Bretagne, que toutes les iſles12 qu’elle occupe actuellement dans les Indes Occidentales.
Les trois comptoirs n’occupaient en 1769 que deux cent1 six blancs, un nombre peu près égal de mulâtres2, et neuf cents esclaves3. Ils expédièrent cette année pour l’Europe huit cent4 mille pieds de bois de mahagoni, deux cent5 mille livres pesant de salsepareille, et dix mille livres d’écaille6 de tortue. Leurs autres produits, ainsi [415]que les mulets qu’ils avaient élevés, passèrent la Jamaïque7. Les bras se multiplièrent très-rapidement les années suivantes, et leur action fut tournée vers8 le sucre. Ce fut avec un tel succès que10 de bons observateurs ne craignirent pas d’affirmer que la11 possession tranquille du pays des Mosquites vaudrait mieux un jour pour la Grande-Bretagne que toutes les îles12 qu’elle occupe actuellement dans les Indes occidentales.
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La nation1 ne paroît2 former aucun doute ſur ſon droit de propriété. Jamais, diſent3 ſes écrivains, l’Eſpagne ne ſubjugua ces peuples4, & jamais ces peuples5 ne ſe ſoumirent à l’Eſpagne. Ils étoient indépendans, de droit & de fait, lorſqu’en 1670 leurs chefs ſe jettèrent6 d’eux-mêmes dans les bras de l’Angleterre, & reconnurent ſa ſouveraineté. Cette ſoumiſſion étoit ſi peu forcée qu’elle fut renouvellée7 à pluſieurs repriſes. A leur ſollicitation, la cour de Londres envoya ſur leur territoire en 1741, un corps de troupes, que ſuivit [546]bientôt une adminiſtration civile. Si, après la pacification de 1763, on retira la milice & le magiſtrat, ſi l’on ruina les fortifications élevées pour la ſûreté des ſauvages & de leurs défenſeurs, ce fut par l’ignorance du miniſtère qui ſe laiſſa perſuader que le pays des Moſquites faiſoit partie de la baie de Honduras. Cette erreur ayant été diſſipée, il a été8 formé de nouveau, dans ces contrées, un gouvernement régulier au commencement de 1776.
Le cabinet de Saint-James1 ne paraissait2 former aucun doute sur son droit de propriété. Jamais, disaient3 ses écrivains, l’Espagne ne subjugua les Mosquites4, et jamais les Mosquites5 ne se soumirent à l’Espagne. Ils étaient indépendans de droit et de fait, lorsqu’en 1670 leurs chefs se jetèrent6 d’eux-mêmes dans les bras de l’Angleterre, et reconnurent sa souveraineté. Cette soumission était si peu forcée, qu’elle fut renouvelée7 à plusieurs reprises. A leur sollicitation la cour de Londres envoya sur leur territoire, en 1741 un corps de troupes que suivit bientôt une administration civile. Si, après la pacification de 1763, on retira la milice et le magistrat, si l’on ruina les fortifications élevées pour la sûreté des sauvages et de leurs défenseurs, ce fut par l’ignorance du ministère, qui se laissa persuader que le pays des Mosquites faisait partie de la baie de Honduras. Cette erreur ayant été dissipée, il fut8 formé de nouveau dans ces contrées un gouvernement régulier au commencement de 1776.
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Les démêlés de l’Amérique septentrionale avec sa métropole amenèrent une rupture entre l’Espagne et l’Angleterre. La cour de Madrid fit attaquer un établissement qui coupait ses possessions, ouvrait une porte facile au commerce interlope, et pouvait avec le temps acquérir une grande force. Une colonie naissante ne pouvait opposer et n’opposa en effet qu’une faible résistance. Les nations, occupées des grandes scènes qui à cette époque ensanglantaient le globe, aperçurent à peine cet événement ; mais il n’échappa pas aux yeux attentifs de l’homme de bien, pour qui rien de ce qui peut intéresser ses semblables n’est indifférent. Il s’affligea de voir les Mosquites enchaînés ou massacrés. Il s’affligea de voir ceux de ces malheureux qui avaient échappé au glaive ou à la servitude exposés à périr de misère dans les forêts. Il s’affligea de voir des peuples entiers proscrits sur leur terre natale. Il s’affligea de voir des champs nouvellement défrichés rentrer dans le néant où ils avaient langui depuis l’origine du monde. Il s’affligea de voir étouffer au berceau de nombreuses générations qui pouvaient un jour prospérer sur ce sol fertile.
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Enveloppée d’ennemis, la Grande-Bretagne se vit obligée d’acheter, en 1783, la paix par des sacrifices. Un de ceux qu’on exigea le plus impérieusement fut une renonciation formelle à ses droits ou ses prétentions sur le district qu’elle avait occupé presqu’au centre du Mexique. La [417]cession fut-elle de bonne foi ? Se promit-on intérieurement de recouvrer dans des circonstances plus heureuses ce qu’arrachait le malheur des temps ? L’avenir résoudra peut-être ce problème.
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On ne balanceroit pas s’occuper de la diſcuſſion de ces grands intérêts, ſi1 les puiſſances ſe conduiſoient2 par la raiſon ou la juſtice : mais4 c’eſt la force &5 la convenance qui décident tout entre elles, bien qu’aucune d’elles n’ait eu juſqu’à préſent le front d’en convenir. Souverains, qu’eſt-ce que cette mauvaiſe honte qui vous arrête ? Puiſque l’équité n’eſt pour vous qu’un vain nom, déclarez-le. A quoi ſervent ces traités qui ne garantiſſent point de paix, auxquels le plus foible6 eſt contraint d’accéder ; qui ne marquent dans l’un & dans l’autre des contractans que l’épuiſement des moyens de continuer la guerre, & qui ſont toujours enfreints ? [547]Ne ſignez que des ſuſpenſions d’armes, & n’en fixez point la durée. Si vous avez réſolu d’être injuſtes, ceſſez au-moins7 d’être perfides. La perfidie eſt ſi lâche, ſi odieuſe. Ce vice ne convient pas à des potentats. Le renard ſous la peau du lion, le lion ſous la peau du renard ſont deux animaux également ridicules. Mais, au lieu de parler des ſourds qu’on ne convainc de rien & qu’on peut irriter, diſons quelque choſe des baies de Honduras, de Campêche, & de la péninſule d’Yucatan qui les ſépare8.
Rarement1 les puissances se conduisent-elles2 par la raison ou par3 la justice. C’est la force, c’est5 la convenance qui décident tout entre elles, bien qu’aucune d’elles n’ait eu jusqu’à présent le front d’en convenir. Souverains, qu’est-ce que cette mauvaise honte qui vous arrête ? Puisque l’équité n’est pour vous qu’un vain nom, déclarez-le. A quoi servent ces traités, qui ne garantissent point de paix, auxquels le plus faible6 est contraint d’accéder, qui ne marquent dans l’un et dans l’autre des contractans que l’épuisement des moyens de continuer la guerre, et qui sont toujours enfreints ? Ne signez que des suspensions d’armes, et n’en fixez point la durée. Si vous avez résolu d’être injustes, cessez au moins7 d’être perfides. La perfidie est si lâche, si odieuse ! Ce vice ne convient pas à des potentats. Le renard sous la peau du lion, le lion sous la peau du renard, sont deux animaux également ridicules.
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Quelles que soient ou puissent devenir les dispositions des cours de Londres et de Madrid, celles des Mosquites ne sont pas douteuses. On sait qu’en 1787, leurs guerriers, tous leurs guerriers sans exception, se rassemblèrent. On sait que dans leur conférence ils jurèrent d’une voix unanime de ne jamais reconnaître les Espagnols pour [418]maîtres, de n’en pas même souffrir un seul sur leur territoire. On sait qu’ils jurèrent d’être éternellement fidèles à leur alliance avec la Grande-Bretagne. On sait qu’ils jurèrent de verser jusqu’à la dernière goutte de leur sang pour la défense des Anglais qui étaient encore parmi eux, ou qui viendraient s’y fixer un jour. On sait que, pour n’être pas gênés dans leurs mouvemens, ils placèrent leurs femmes et leurs enfans dans des gorges et sur des montagnes inaccessibles. On sait que ceux de leurs chefs qui avaient eu la faiblesse de recevoir des armes du gouvernement espagnol les renvoyèrent avec hauteur et indignation, résolus à ne se servir désormais que de celles qu’ils tiendraient d’une main amie.
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L’Yucatan, situé entre les golfes de Honduras et de Campèche, s’avance en pointe à l’entrée des mers du Mexique, dont il est la partie la plus méridionale. On lui donne cent lieues de long sur vingt et vingt-cinq de large. Tout paraît indiquer que l’Océan couvrait il n’y a pas long-temps la péninsule entière. Ses terres basses sont encore partout couvertes de mangliers, partout submergées. Il faut beaucoup s’éloigner des côtes pour trouver un sol qui ne soit inondé que dans la saison des pluies.
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Herréra assure que, lorsque le pays fut découvert en 1517, les hommes y portaient des miroirs d’une pierre brillante où ils se contemplaient sans cesse, tandis que les femmes ne se servaient pas [419]de cet instrument si cher à la beauté. C’est un fait trop bizarre pour être cru sur le témoignage d’un écrivain qui, quoique le plus exact, le moins crédule des historiens de sa nation, n’a pas été toujours assez en garde contre la passion que les premiers aventuriers de son pays avaient pour le merveilleux.
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Cette péninſule a cent lieues de long ſur vingt & vingt-cinq de large. Le pays eſt entiérement uni. On n’y voit, ni rivière, ni ruiſſeau : mais par-tout l’eau eſt ſi près de la terre, par-tout les coquillages ſont en ſi grande abondance, que ce grand eſpace a dû faire autrefois partie de la mer. Les premiers Eſpagnols qui parurent ſur ces côtes y trouvèrent établi, au rapport d’Herrera, un uſage très-particulier. Les hommes y portoient généralement des miroirs d’une pierre brillante, dans leſquels ils ſe contemploient ſans ceſſe, tandis que les femmes ne ſe ſervoient pas de cet inſtrument ſi cher à la beauté.

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Si l’uſage continu que les femmes font du miroir dans nos contrées, ne montre que le deſir de plaire aux hommes, en ajoutant aux attraits qu’elles ont reçus de la nature, ce que l’art peut leur donner de piquant ; les hommes feroient à Yucatan les mêmes frais pour plaire aux femmes. Mais c’eſt un fait ſi bizarre qu’on peut le rejetter en doute, à moins qu’on ne l’étaie d’un fait plus bizarre encore, c’eſt que les hommes ſe livrent à l’oiſiveté, tandis que les femmes ſont condamnées aux travaux. Lorſque les fonctions propres aux deux ſexes ſeront perverties, je ne ſerai point étonné de trouver à l’un la frivolité de l’autre.

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Yucatan, Honduras, Campêche n’offrirent pas1 aux dévaſtateurs du nouvel hémiſphère ces2 riches métaux qui leur faiſoient traverſer tant de mers. Auſſi négligèrent-ils, mépriſèrent-ils ces contrées. Peu3 d’entre eux s’y fixèrent ; & ceux4 que le ſort y jetta5 ne tardèrent6 pas à contracter l’indolence Indienne. Aucun ne s’occupa du ſoin de faire naître des productions dignes d’être exportées7. Ainſi que les peuplades qu’on avoit détruites ou aſſervies, ils vivoient8 de cacao, [549]de maïs auxquels ils avoient ajouté10 la reſſource facile & commode des troupeaux tirés de l’ancien monde11. Pour payer leur12 vêtement qu’ils13 ne vouloient14 pas ou15 ne ſavoient16 pas fabriquer eux-mêmes & quelques autres objets17 de médiocre valeur que leur fourniſſoit l’Europe, ils n’avoient proprement de reſſource qu’un18 bois de teinture connu dans tous les marchés ſous le nom de bois de Campêche.
Comme l’Yucatan n’offrit1 aux dévastateurs du Nouveau-Monde aucun des2 riches métaux qu’on y allait chercher, ils le méprisèrent. Le petit nombre3 d’entre eux que le sort y fixa5 ne tarda6 pas à contracter l’indolence des aborigènes. L’oppresseur s’accoutuma vivre7, ainsi que les opprimés8, de cacao et9 de maïs, auxquels il joignit10 la ressource facile et commode des troupeaux tirés de l’ancien hémisphère11. Pour payer son12 vêtement, qu’il ne voulait ou13 ne savait14 pas faire, il fit cultiver par les peuplades asservies le tabac, qui croissait sans soin dans le pays, et qui15 ne tarda16 pas être naturalisé avec plus ou moins17 de succès sur le reste du globe ; il fit couper par les mêmes mains un18 bois de teinture connu dans tous les marchés sous le nom de bois de Campèche.
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L’arbre qui fournit ce bois reſſembleroit aſſez, s’il étoit moins gros, à notre aube-épine. L’écorce de ſes jeunes branches eſt polie, blanche, armée de pointes : mais celle des vieilles eſt preſque ſans pointes, noirâtre & raboteuſe1. Ses feuilles2 ſont petites3 & d’un verd pâle. Il a4 la ſeve blanche & le cœur5 rouge. Ce cœur6 devient noir7 quelque tems8 après avoir été coupé, & ſi on le met dans l’eau9, il lui donne une ſi vive couleur d’ancre qu’on s’en ſert fort bien pour écrire. C’eſt le cœur ſeul détaché de la ſeve qu’on porte en Europe pour teindre en violet & en noir. Les Indiens employés10la coupe de ce bois s’attachent11 de préférence aux vieux arbres12 qui ayant moins de ſeve, donnent moins de peine abattre13 & à réduire en bûches. Il s’en trouve qui ont cinq ou ſix pieds de circonférence, & qu’on fait ſauter avec de la poudre14.
Si cet arbre étoit moins gros, il reſſembleroit aſſez l’aube-épine1. Ses feuilles2 ſont petites3 & d’un verd pâle. Sa partie4 la plus intérieure, d’abord5 rouge, devient noire7, quelque tems8 après que le bois a été abbatu9. Il n’y10 a que ce cœur11 de l’arbre12, qui donne le noir13 & le violet14.
L’arbre qui le fournit, aſſez élevé, a des feuilles alternes, compoſées de huit folioles taillées en cœur & diſpoſées ſur deux rangs le long d’une côte commune1. Ses fleurs petites & rougeâtres2 ſont raſſemblées en épis aux extrémités des rameaux. Elles ont chacune un calice d’une ſeule pièce, du fond duquel s’élèvent cinq pétales3 & dix étamines diſtinctes. Le piſtil placé dans le centre devient une petite gouſſe ovale, applatie, partagée dans ſa longueur en deux ovales & remplies de deux ou trois ſemences. La partie4 la plus intérieure du bois, d’abord5 rouge, devient noire7 quelque tems8 après que le bois a été abattu9. Il n’y10 a que le cœur11 de l’arbre12 qui donne le noir13 & le violet14.
L’arbre qui le fournit, assez élevé, a des feuilles alternes, composées de huit folioles taillées en cœur, et disposées sur deux rangs le long d’une côte commune1. Ses fleurs, petites et rougeâtres2, sont rassemblées en épis aux extrémités des rameaux. Elles ont chacune un calice d’une seule [420]pièce, du fond duquel s’élèvent cinq pétales3 et dix étamines distinctes. Le pistil, placé dans le centre, devient une petite gousse ovale, aplatie, partagée dans sa longueur en deux ovales, et remplies de deux ou trois semences. La partie4 la plus intérieure du bois, d’abord5 rouge, devient noire7 quelque temps8 après que le bois a été abattu9. Il n’y10 a que le cœur11 de l’arbre12 qui donne le noir13 et le violet14.
579
Campêche dut au ſeul commerce1 de cette production l’avantage d’être un marché très-conſidérable. Elle recevoit tous les ans pluſieurs vaiſſeaux dont les cargaiſons ſe diſtribuoient dans l’intérieur des terres, & qui prenoient en retour2 des bois & des métaux que cette circulation y attiroit. Cette proſpérité alla toujours en augmentant3 juſqu’à l’établiſſement des Anglois4 à la Jamaïque.
Campêche dut au ſeul commerce1 de cette production l’avantage d’être un marché très-conſidérable. Elle recevoit tous les ans pluſieurs vaiſſeaux, dont les cargaiſons ſe diſtribuoient dans l’intérieur des terres, & qui prenoient en retour2 des bois & des métaux que cette circulation y attiroit. Cette proſpérité alla toujours en augmentant3, juſqu’à l’établisſement des Anglois4 à la Jamaïque.
Le goût1 de ces couleurs qui étoit plus répandu, il y a deux ſiècles, qu’il ne l’eſt peut-être aujourd’hui, procura un débouché conſidérable ce bois précieux. Ce fut au profit2 des Eſpagnols ſeuls3 juſqu’à l’établiſſement des Anglois4 à la Jamaïque.
Le goût1 de ces couleurs, qui était plus répandu il y a deux siècles qu’il ne l’est peut-être aujourd’hui, procura un débouché considérable à ce bois précieux. Ce fut au profit2 des Espagnols seuls3 jusqu’à l’établissement des Anglais4 à la Jamaïque.
580
Dans1 la foule des corſaires qui ſortoient tous les jours de cette iſle2 devenue célébre, pluſieurs allerent croiſer dans la baye3 de Campêche4 pour intercepter les vaiſſeaux qui y naviguoient. Ces brigands connoiſſoient5 ſi peu la valeur du bois qui en étoit l’unique production6 que lorſqu’ils en trouvoient des barques chargées7, ils n’en emportoient8 que les ferremens. Un d’entr’eux9 ayant enlevé un gros bâtiment qui ne portoit pas autre choſe, le conduiſit dans la tamiſe avec le ſeul projet de l’armer en courſe ; & contre ſon attente il vendit fort cher un bois dont il faiſoit ſi peu de cas, qu’il n’avoit ceſſé d’en brûler pendant ſon voyage. Depuis cette époque10, les corſaires qui n’étoient pas heureux à la mer, ne manquoient jamais de ſe rendre à la riviere de Champeton où ils embarquoient les piles de bois qui ſe trouvoient toujours formées ſur le rivage.
Parmi1 la foule des corſaires qui ſortoient tous les jours de cette iſle2 devenue célébre, pluſieurs allerent croiſer dans la baie3 de Campêche4, pour intercepter les vaiſſeaux qui y naviguoient. Ces brigands connoiſſoient5 ſi peu la valeur du bois qui en étoit l’unique production6, que lorſqu’ils en trouvoient des barques chargées7, ils n’en emportoient8 que les ferremens. Un d’entr’eux9 ayant enlevé un gros bâtiment qui ne portoit pas autre choſe, le conduiſit dans la Tamiſe avec le ſeul projet de l’armer en courſe ; & contre ſon attente, [135]il vendit fort cher un bois dont il faiſoit ſi peu de cas, qu’il n’avoit ceſſé d’en brûler pendant ſon voyage. Depuis cette découverte10, les corſaires qui n’étoient pas heureux à la mer, ne manquoient jamais de ſe rendre à la riviere de Champeton, où ils embarquoient les piles de bois qui ſe trouvoient toujours formées ſur le rivage.
Dans1 la foule des corſaires qui ſortoient tous les jours de cette iſle2 devenue célèbre, pluſieurs allèrent croiſer dans les deux baies & ſur les côtes3 de la péninſule4, pour intercepter les vaiſſeaux qui y naviguoient. Ces brigands connoiſſoient5 ſi peu la valeur de leur chargement6, que lorſqu’ils en trouvoient des barques remplies7, ils n’emportoient8 que les ferremens. Un d’entre eux9 ayant enlevé un gros bâtiment qui ne portoit pas autre choſe, le conduiſit dans la Tamiſe avec le ſeul projet de l’armer en courſe ; & contre ſon attente, il vendit fort cher un bois dont il faiſoit ſi peu de cas, qu’il n’avoit ceſſé d’en brûler pendant ſon voyage. Depuis cette découverte10, les corſaires qui n’étoient pas heureux à la mer, ne manquoient jamais de ſe rendre à la rivière de Champeton, où ils embarquoient les piles de bois qui ſe trouvoient toujours formées ſur le rivage.
Dans1 la foule des corsaires qui sortaient tous les jours de cette île2 devenue célèbre, plusieurs allèrent croiser dans les deux baies et sur les côtes3 de la péninsule4 pour intercepter les vaisseaux qui y naviguaient. Ces brigands connaissaient5 si peu la valeur de leur chargement6, que, lorsqu’ils en trouvaient des barques remplies7, ils n’emportaient8 que les ferremens. Un d’entre eux9 ayant enlevé un gros bâtiment qui ne portait pas autre chose, le conduisit dans la Tamise avec le seul projet de l’armer en course ; et, contre son attente, il vendit fort cher un bois dont il faisait si peu de cas, qu’il n’avait cessé d’en brûler pendant son voyage. Depuis cette découverte10, les corsaires qui n’étaient pas heureux à la mer ne [421]manquaient jamais de se rendre à la rivière de Champeton, où ils embarquaient les piles de bois qui se trouvaient toujours formées sur le rivage.
581
La paix de leur nation avec l’Eſpagne ayant mis des entraves à leurs violences, pluſieurs d’entr’eux1 ſe livrerent à la coupe du bois dinde. Le Cap Catoche leur en fournit d’abord beaucoup2. Dès qu’ils le virent diminuer, ils allerent s’établir entre Tabaſco & la riviere de Champeton, autour du lac triſte, & dans l’iſle3 aux bœufs qui en eſt fort proche. En 1675 ils y étoient deux cens4 ſoixante. Leur ardeur d’abord5 extrême ne tarda pas à ſe rallentir6. L’habitude de l’oiſiveté reprit le deſſus. Comme ils étoient la plupart excellens tireurs, la chaſſe devint leur paſſion la plus forte ; & leur ancien goût pour le brigandage fut réveillé par cet exercice. Bientôt ils commencerent à faire des courſes dans les bourgs Indiens, dont ils enlevoient les habitans. Les femmes étoient deſtinées à les ſervir, & [98]on vendoit les hommes à la Jamaïque, ou dans d’autres iſles7. L’Eſpagnol tiré de ſa léthargie par ces excès, les ſurprit au milieu de leurs débauches, & les enleva la plupart dans leurs cabanes. Ils furent conduits priſonniers à Mexico, où ils finirent leurs jours dans les travaux des mines.
La paix de leur nation avec l’Eſpagne ayant mis des entraves à leurs violences, pluſieurs d’entr’eux1 ſe livrerent à la coupe du bois d’Inde. Le cap Catoche leur en fournit d’abord en abondance2. Dès qu’ils le virent diminuer, ils allerent s’établir entre Tabaſco & la riviere de Champeton, autour du lac Triſte, & dans l’iſle3 aux Bœufs qui en eſt fort proche. En 1675 ils y étoient deux cents4 ſoixante. Leur ardeur, d’abord5 extrême, ne tarda pas à ſe rallentir6. L’habitude de l’oiſiveté reprit le deſſus. Comme ils étoient la plupart excellens tireurs, la chaſſe devint leur paſſion la plus forte ; & leur ancien goût pour le brigandage, fut réveillé par cet exercice. Bientôt ils commencerent à faire des courſes dans les bourgs Indiens, dont ils enlevoient les habitans. Les femmes étoient deſtinées à les ſervir, & on vendoit les hommes à la Jamaïque, ou dans d’autres iſles7. L’Eſpagnol tiré de ſa léthargie par ces excès, les ſurprit au milieu de leurs débauches, & les enleva [136]la plupart dans leurs cabanes. Ils furent conduits priſonniers à Mexico, où ils finirent leurs jours dans les travaux des mines.
La paix de leur nation avec l’Eſpagne ayant mis des entraves à leurs violences, pluſieurs d’entre eux1 ſe livrèrent à la coupe du bois d’Inde. Le cap Catoche leur en fournit d’abord en abondance2. Dès qu’ils le virent diminuer, ils allèrent s’établir entre Tabaſco & la rivière de Champeton, autour du lac Triſte, & dans l’iſle3 aux Bœufs qui en eſt fort proche. En 1675 ils y étoient deux cens4 ſoixante. Leur ardeur, d’adord5 extrême, ne tarda pas à ſe ralentir6. L’habitude de l’oiſiveté reprit le deſſus. Comme ils étoient la plupart excellens tireurs, la chaſſe devint leur paſſion la plus forte ; & leur ancien goût pour le brigandage, fut réveillé par cet exercice. Bientôt ils commencèrent à faire des courſes dans les bourgs Indiens, dont ils enlevoient les habitans. Les femmes étoient deſtinées à les ſervir, & on vendoit les hommes à la Jamaïque, ou dans d’autres iſles7. L’Eſpagnol tiré de ſa léthargie par ces excès, les ſurprit au milieu de leurs débauches, & les enleva la plupart dans leurs cabanes. Ils furent conduits priſonniers à Mexico, où ils finirent leurs jours dans les travaux des mines.
La paix de leur nation avec l’Espagne ayant mis des entraves à leurs violences, plusieurs d’entre eux1 se livrèrent à la coupe du bois d’Inde. Le cap Catoche leur en fournit d’abord en abondance2. Dès qu’ils le virent diminuer, ils allèrent s’établir entre Tabasco et la rivière de Champeton, autour du lac Triste, et dans l’île3 aux Bœufs, qui en est fort proche. En 1675, ils y étaient deux cent4 soixante. Leur ardeur, d’abord5 extrême, ne tarda pas à se ralentir6. L’habitude de l’oisiveté reprit le dessus. Comme ils étaient la plupart excellens tireurs, la chasse devint leur passion la plus forte, et leur ancien goût pour le brigandage fut réveillé par cet exercice. Bientôt ils commencèrent à faire des courses dans les bourgs indiens, dont ils enlevaient les habitans. Les femmes étaient destinées à les servir, et on vendait les hommes à la Jamaïque, ou dans d’autres îles7. L’Espagnol, tiré de sa léthargie par ces excès, les surprit au milieu de leurs debauches, et les enleva la plupart dans leurs cabanes. Ils furent conduits prisonniers à Mexico, où ils finirent leurs jours dans les travaux des mines.
582
Ceux qui avoient échappé ſe refugierent dans le golphe1 de Honduras, où ils furent joints par des vagabonds de l’Amérique ſeptentrionale. Ils parvinrent avec le tems2 à former un corps de quinze cens3 hommes. L’indépendance, le libertinage, l’abondance où ils vivoient leur rendoient4 agréable le terrein mal-ſain5 qu’ils habitoient. De bons retranchemens aſſuroient leur ſort & leurs ſubſiſtances, & ils ſe bornoient aux occupations que leurs malheureux compagnons gémiſſoient d’avoir négligées. Seulement ils avoient la précaution de ne jamais entrer dans l’intérieur du pays pour couper du bois ſans être bien armés.
Ceux qui avoient échappé, ſe refugierent dans le golfe1 de Honduras, où ils furent joints par des vagabonds de l’Amérique ſeptentrionale. Ils parvinrent, avec le tems2, à former un corps de quinze cents3 hommes. L’indépendance, le libertinage, l’abondance où ils vivoient, leur rendoit4 agréable le pays marécageux5 qu’ils habitoient. De bons retranchemens aſſuroient leur ſort & leurs ſubſiſtances ; & ils ſe bornoient aux occupations, que leurs malheureux compagnons gémiſſoient d’avoir négligées. Seulement ils avoient la précaution de ne jamais entrer dans l’intérieur du pays pour couper du bois, ſans être bien armés.
Ceux qui avoient échappé, ſe réfugièrent [552]dans le golfe1 de Honduras, où ils furent joints par des vagabonds de l’Amérique Septentrionale. Ils parvinrent, avec le tems2, à former un corps de quinze cens3 hommes. L’indépendance, le libertinage, l’abondance où ils vivoient, leur rendoit4 agréable le pays marécageux5 qu’ils habitoient. De bons retranchemens aſſuroient leur ſort & leurs ſubſiſtances ; & ils ſe bornoient aux occupations, que leurs malheureux compagnons gémiſſoient d’avoir négligées. Seulement ils avoient la précaution de ne jamais entrer dans l’intérieur du pays pour couper du bois, ſans être bien armés.
Ceux qui avaient échappé se réfugièrent dans le golfe1 de Honduras, où ils furent joints par des vagabonds de l’Amérique septentrionale. Ils parvinrent avec le temps2 à former un corps de quinze [422]cents3 hommes. L’indépendance, le libertinage, l’abondance où ils vivaient, leur rendaient4 agréable le pays marécageux5 qu’ils habitaient. De bons retranchemens assuraient leur sort et leurs subsistances, et ils se bornaient aux occupations que leurs malheureux compagnons gémissaient d’avoir négligées. Seulement ils avaient la précaution de ne jamais entrer dans l’intérieur du pays pour couper du bois sans être bien armés.
583
Leur travail fut ſuivi du plus grand ſuccès. A la vérité, la tonne qui s’étoit vendue juſqu’à trente & quarante livres ſterlings, étoit tombée inſenſiblement à huit1 ; mais on ſe dédommageoit par la quantité de ce qu’on perdoit ſur le prix. Les coupeurs livroient le fruit de leur travail2 aux Jamaïcains qui leur portoient du vin de Madere de3 liqueurs fortes, des toiles, des habits, &4 aux colonies Angloiſes5 du Nord, de l’Amérique qui leur fourniſſoient leur nourriture. Ce commerce toujours interlope, & l’occaſion6 de tant de déclamations eſt devenue7 licite en 1763. On a aſſuré8 à la grande Bretagne9 la liberté de couper du bois, mais ſans pouvoir élever des fortifications, avec l’obligation même de détruire celles qui avoient été élevées10. La [99]cour de Madrid a fait11 rarement des ſacrifices qui lui ayent plus coûté12 que celui d’établir au milieu de ſes poſſeſſions une nation active, puiſſante, ambitieuſe. Si nous ne nous trompons, il eſt poſſible de13 rendre cette14 conceſſion peu près inutile, & voici comment15.
Leur travail fut ſuivi du plus grand ſuccès. A la vérité, la tonne qui s’étoit vendue juſqu’à neuf cents livres, étoit tombée inſenſiblement à très-bas prix1, mais on ſe dédommageoit par la quantité de ce qu’on perdoit ſur le prix. Les coupeurs livroient le fruit de leurs peines ; ſoit2 aux Jamaïcains qui leur portoient du vin de Madere, des3 liqueurs fortes, des toiles, des habits, ſoit4 aux colonies Angloiſes5 du Nord de l’Amérique qui leur fourniſſoient leur nourriture. Ce commerce toujours interlope, & qui fut l’objet6 de tant de [137]déclamations, eſt devenu7 licite en 1763. On a aſſuré8 à la Grande-Bretagne9 la liberté de couper du bois, mais ſans pouvoir élever des fortifications, avec l’obligation même de détruire celles qui avoient été conſtruites10. La cour de Madrid a fait11 rarement des ſacrifices qui lui ayent plus coûté12 que celui d’établir au milieu de ſes poſſeſſions une nation active, puiſſante, ambitieuſe. Mais il eſt poſſible de13 rendre cette14 conceſſion à-peu-près inutile, & voici comment15.
Leur travail fut ſuivi du plus grand ſuccès. A la vérité, la tonne qui s’étoit vendue juſqu’à neuf cens livres, étoit tombée inſenſiblement une valeur médiocre1 : mais on ſe dédommageoit par la quantité de ce qu’on perdoit ſur le prix. Les coupeurs livroient le fruit de leurs peines ; ſoit2 aux Jamaïcains qui leur portoient du vin de Madère, des3 liqueurs fortes, des toiles, des habits ; ſoit4 aux colonies Angloiſes5 du nord de l’Amérique, qui leur fourniſſoient leur nourriture. Ce commerce toujours interlope, & qui fut [553]l’objet6 de tant de déclamations, devint7 licite en 1763. On aſſura8 à la Grande-Bretagne9 la liberté de couper du bois, mais ſans pouvoir élever des fortifications, avec l’obligation même de détruire celles qui avoient été conſtruites10. La cour de Madrid fit11 rarement des ſacrifices auſſi difficiles12 que celui d’établir au milieu de ſes poſſeſſions une nation active, puiſſante, ambitieuſe. Auſſi chercha-t-elle immédiatement après la paix, 13 rendre inutile une14 conceſſion que des circonſtances fâcheuſes lui avoient arrachée15.
Leur travail fut suivi du plus grand succès. A la vérité, la marchandise diminua de valeur1 ; mais on se dédommageait par la quantité de ce qu’on perdait sur le prix. Les coupeurs livraient le fruit de leurs peines, soit2 aux Jamaïcains, qui leur portaient du vin de Madère, des3 liqueurs fortes, des toiles, des habits ; soit4 aux colonies anglaises5 du nord de l’Amérique, qui leur fournissaient leur nourriture. Ce commerce, toujours interlope, et qui fut l’objet6 de tant de déclamations, devint7 licite en 1763. On assura8 à la Grande-Bretagne9 la liberté de couper du bois, mais sans pouvoir élever des fortifications, avec l’obligation même de détruire celles qui avaient été construites10. La cour de Madrid fit11 rarement des sacrifices aussi difficiles12 que celui d’établir au milieu de ses possessions une nation active, puissante, ambitieuse ; aussi chercha-t-elle, immédiatement après la paix, à13 rendre inutile une14 concession que des circonstances fâcheuses lui avaient arrachée15.
584
L’Yucatan eſt coupé du nord-eſt au ſud-oueſt, c’eſt-à-dire, dans preſque toute ſa longueur, par une chaîne de montagnes. Au nord1 de ces montagnes eſt la baye de Campêche, dont le terrein ſec & aride donne un bois d’excellente qualité, & qui ſe vend dans tous les marchés à peu près le double2 de celui que coupent les Anglois à la baye méridionale de Honduras, où3 le ſol gras & preſque marécageux, n’en produit qu’une eſpece batarde & qui donne moins4 de teinture. Si, comme5 les expreſſions un peu vagues du traité nous portent à le penſer6, la grande Bretagne n’a acquis que le droit7 de s’établir dans8 les lieux que ſes ſujets avoient uſurpés, l’Eſpagne peut mettre fin à ſes inquiétudes en encourageant la coupe de ſon excellent bois, de maniere à fournir la conſommation de l’Europe entiere. Par cette politique judidicieuſe, elle ruinera9 la colonie Angloiſe, & ſe débaraſſera ſans violence d’un voiſinage encore plus dangeureux qu’il ne le lui paroît : alors elle regagnera une branche importante de commerce réduite depuis long-tems à ſi peu10 de choſes, que Campêche ne reçoit11 plus de la métropole qu’un vaiſſeau tous les trois ou quatre ans. Ce qu’il n’enleve pas12 eſt porté ſur des petits bâtitimens13 à la Vera-Cruz14, qui eſt le vrai point d’union du Mexique avec l’Eſpagne.
L’Yucatan eſt coupé du Nord-Eſt au SudOueſt, c’eſt-à-dire, dans preſque toute ſa longueur, par une chaîne de montagnes. Au Nord1 de ces montagnes eſt la baie de Campêche, dont le terrein ſec & aride donne un bois d’excellente qualité, & qui ſe vend dans tous les marchés à-peu-près le double2 de celui que coupent les Anglois à la baie méridionale de Honduras, où3 le ſol gras & preſque marécageux, n’en produit qu’une eſpece bâtarde, & qui donne moins4 de teinture. Si, comme5 les expreſſions un peu vagues du traité portent le penſer6, la Grande-Bretagne n’a acquis que le droit7 de s’établir dans8 les lieux que ſes ſujets avoient uſurpés ; l’Eſpagne peut mettre fin à ſes inquiétudes, en encourageant la coupe de ſon excellent bois, de maniere fournir la conſommation de l’Europe entiere. Par cette politique judicieuſe, elle ruinera9 la colonie [138] Angloiſe, & ſe débarraſſera ſans violence d’un voiſinage encore plus dangereux qu’il ne lui paroît : alors elle regagnera une branche importante de commerce qui eſt réduite depuis long-tems à ſi peu10 de choſe, que Campêche ne reçoit11 plus de la métropole qu’un vaiſſeau tous les trois ou quatre ans. Ce qu’il n’enleve pas12 eſt porté ſur de petits bâtimens13 à la Vera-Cruz14, qui eſt le vrai point d’union du Mexique avec l’Eſpagne.
Le bois qui croît ſur le terrein ſec de Campêche eſt fort ſupérieur celui qu’on coupe dans les marais1 de Honduras. Cependant le dernier étoit d’un uſage beaucoup plus commun, parce que le prix du premier avoit depuis long-tems paſſé toutes les bornes. Ce défaut2 de vente étoit une punition de l’aveuglement, de l’avidité du fiſc3. Le miniſtère Eſpagnol comprit la fin cette grande vérité. Il déchargea ſa marchandiſe4 de tous5 les droits dont on l’avoit accablée, il6 la débarraſſa7 de toutes8 les entraves qui gênoient ſa circulation ; & alors elle eut un grand débit dans tous les marchés. Bientôt [554]les Anglois ne trouveront plus de débouché. Sans avoir manqué ſes engagemens9, la cour de Madrid ſe verra délivrée d’une concurrence qui lui rendoit inutile la poſſeſſion de deux grandes provinces. Quelquefois Cadix tire le bois directement du lieu10 de ſon origine11 ; plus ſouvent il12 eſt envoyé13 à la Vera-Crux14, qui eſt le vrai point d’union du Mexique avec l’Eſpagne.
Le bois qui croît sur le terrain sec de Campèche est fort supérieur à celui qu’on coupe dans les marais1 de Honduras. Cependant le dernier était d’un usage beaucoup plus commun, parce que le prix du premier était excessif. Ce défaut2 de vente était une punition de l’aveuglement, de l’avidité du fisc3. Le ministère espagnol comprit à la fin cette grande vérité. Il déchargea sa marchandise4 de tous5 les droits dont on l’avait accablée ; il6 la débarrassa7 de toutes8 les entraves qui gênaient sa circulation ; et alors elle eut un grand débit dans tous les marchés. Peu peu les Anglais trouvèrent moins de débouchés. Ils en perdront encore avec le temps, quoiqu’en les privant de leurs établissemens9, la paix de 1783 les ait maintenus dans la coupe du bois depuis la rivière de Bellize ou Wally jusqu’à celle de RioHondo. Quelquefois Cadix tire le bois directement du lieu10 de son origine11 ; plus souvent il12 est envoyé13 à la Véra-Cruz14, qui est le vrai point d’union du Mexique avec l’Espagne.
585
Villa Ricca, ou la vieille Vera Cruz fait1 d’abord le centre de la correſpondance2. Cette ville [100]fondée par Cortez dans le lieu3 où il débarqua4 ; eſt ſituée quatre-vingt lieues de la capitale5, ſur une6 riviere preſque ſans eau7 une partie de l’année, mais aſſez forte pendant8 la ſaiſon pluvieuſe pour9 recevoir les plus grands vaiſſeaux. Les dangers qui les menaçoient toujours, qui les faiſoient ſouvent périr10 dans une poſition où rien ne les défendoit contre la violence des vents ſi communs dans ſes11 parages, firent12 chercher un abri plus sûr, & on le trouva dix-huit mille13 plus bas ſur la même côte. On y bâtit la VeraCruz14dix-neuf dégrés douze minutes15 de latitude nord, ſelon les obſervations du célébre Halley16.
Vieja Vera-Cruz ſervit1 d’abord d’entrepôt2. Cette ville, fondée par Cortez, dans le lieu même3 où il prit terre4, eſt placée5 ſur une6 riviere qui manque d’eau7 une partie de l’année, mais qui dans8 la ſaiſon pluvieuſe, peut9 recevoir les plus grands vaiſſeaux. Le danger auquel ils étoient expoſés10, dans une poſition où rien ne les défendoit contre la violence des vents ſi communs dans ces11 parages, fit12 chercher un abri plus ſûr ; & on le trouva dix-huit milles13 plus bas ſur la même côte. On y bâtit Vera-Cruz Nueva14, à ſoixante-douze lieues15 de la capitale du Mexique16.
Vieja Vera-Crux ſervit1 d’abord d’entrepôt2. Cette ville, fondée par Cortès ſur la plage3 où il aborda d’abord4, eſt placée5 ſur les bords d’une6 rivière qui manque d’eau7 une partie de l’année, mais qui dans8 la ſaiſon des pluies peut9 recevoir les plus grands vaiſſeaux. Le danger auquel ils étoient expoſés10, dans une poſition où rien ne les défendoit contre la violence des vents ſi communs dans ces11 parages, fit12 chercher un abri plus ſûr, & on le trouva dix-huit milles13 plus bas ſur la même côte. On y bâtit Vera-Crux Nueva14, à ſoixante-douze lieues15 de la capitale de l’Empire16.
Vieja-Véra-Cruz servit1 d’abord d’entrepôt2. Cette ville, fondée par Cortez sur la plage3 où il aborda d’abord4, est placée5 sur les bords d’une6 rivière qui manque d’eau7 une partie de l’année, mais qui dans8 la saison des pluies peut9 recevoir les plus grands vaisseaux. Le danger auquel ils étaient exposés10, dans une position où rien ne les défendait contre la violence des vents, si communs dans ces11 parages, fit12 chercher un abri plus [424]sûr, et on le trouva dix-huit milles13 plus bas sur la même côte. On y bâtit Véra-Cruz-Nueva14, à soixante-douze lieues15 de la capitale de l’empire16.
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La ville1 eſt ſituée au milieu d’une plaine ſtérile & ſabloneuſe, environnée de hautes montagnes au delà deſquelles on trouve2 des prairies couvertes de troupeaux, des terres fertiles3 & cultivées, un climat agréablement tempéré. Au ſud-eſt coule une riviere peu conſidérable qui forme une petite iſle4ſon embouchure. De grands marais qu’il n’eſt pas poſſible de deſſécher, infeſtent le côté du ſud. Le vent du nord pouſſe tant de ſable du côté de la mer que les murs en ſont preſque tout couverts. Des pluies continuelles rendent l’air très-mal-ſain depuis avril juſqu’en novembre. Il le devient moins le reſte de l’année, parce que le vent & le ſoleil ſe tempérent mutuellement. La longueur de la ville eſt d’un demi-mille, & ſa largeur de la moitié. Les rues ſont droites, & les maiſons communément bâtie de bois. Il y a peu de nobleſſe, peu même de négocians conſidérables qui préférent le ſéjour de Los Angeles. Le nombre des Eſpagnols ſe réduit à trois mille, la plupart mulâtres ou métis, ce qui ne les empêche [101] pas de ſe nommer blancs. Leur ſobriété eſt ſi grande qu’ils ſe nourriſſent preſqu’uniquement de confitures & de chocolat. Il n’y a pas au monde un peuple plus ſuperſtitieux5.
Vera-Cruz Nueva1 eſt ſituée ſous un ciel, qu’un ſoleil brûlant & des pluies continuelles rendent alternativement fâcheux & mal-ſain2. Des ſables arides la bornent au Nord3, & des marais infects4l’Oueſt. Ses rues ſont droites, mais ſes maiſons bâties de bois. On n’y voit point de nobleſſe, & les négocians euxmêmes [139] préférent le ſéjour d’Angeles. Le petitnombre d’Eſpagnols, fixés par l’avarice ou par l’indigence, dans un lieu ſi triſte & ſi dangereux, vivent dàns une retraite & avec une parcimonie ignorées dans les autres places de commerce. La ville a pour fortifications un mur, huit tours placées de diſtance en diſtance, & deux baſtions qui donnent ſur le rivage. Ces ouvrages, foibles en eux-mêmes & mal-entendus, ſont dans un déſordre inexprimable ; auſſi ne compte-t-on pour la défenſe de la place, que ſur la fortereſſe de Saint-Jean-d’Illua, bâtie ſur un roc, en face & un mille de la ville5.
Vera-Crux Nueva1 eſt ſituée ſous un ciel qu’un ſoleil brûlant & de fréquens orages rendentdéſagréable & mal-ſain2. Des ſables arides la bornent au Nord3 & des marais infects4[555]l’Oueſt. Tous les édifices y ſont en bois. Elle n’a pour habitans qu’une garniſon médiocre, quelques agens du gouvernement, les navigateursarrivés d’Europe & ce qu’il faut de commiſſionnaires pour recevoir & pour expédierles cargaiſons5.
Véra-Cruz-Nueva1 est située sous un ciel qu’un soleil brûlant et de fréquens orages rendent désagréableet malsain2. Des sables arides la bornentau nord3, et des marais infects4l’ouest. Tous les édifices y sont en bois. Elle n’a pour habitansqu’une garnison médiocre, quelques agens du gouvernement, les navigateurs arrivés d’Europe, et ce qu’il faut de commissionnaires pour recevoir et pour expédier les cargaisons5.
587
Le1 port de la Vera-Cruz, qui2 ne peut3 contenir que trente ou trente-cinq Vaiſſeaux, expoſés même quelquefois4des accidens terribles par la fureur5 des vents du nord, eſt formé par l’iſle de ſaint-Jean Dulua. C’eſt un rocher fort bas, ſouvent ſubmergé, éloigné de la côte d’environ un mille. Un château quarré, défendu par une médiocre garniſon, muni d’une nombreuſe artillerie & fini6 en 1582, en couvre toute la ſurface : elle n’a dans toutes ſes dimenſions que la longueur d’un trait de fleche. On entre dans le port par deux canaux, l’un au nord & l’autre au ſud. Pluſieurs petites iſles que les Eſpagnols nomment Cayos, & quantité7 de roches8 à fleur d’eau qui n’ont au déhors que la groſſeur d’un tonneau rendent dangereuſe dans l’obſcurité l’approche de la côte. Ces défenſes naturelles n’ayant pas été ſuffiſantes pour empêcher les flibuſtiers de ſurprendre9 la place en 1712, on bâtit10 ſur le rivage des tours élevées11, où des ſentinelles veillent continuellement pour prévenir de pareilles ſurpriſes13.
Ce1 port a l’inconvénient de2 ne contenir que trente ou trente-cinq bâtimens, qu’il ne met pas même toujours4l’abri de la fureur5 des vents du Nord. On n’y entre que par deux canaux ſi reſſerrés, qu’il n’y peut paſſer qu’un navire. Les approches même6 en ſont rendues ſi dangereuſes par pluſieurs petites iſles, que les Eſpagnols nomment Cayos, & par un grand nombre7 de rochers8 à fleur d’eau preſque imperceptibles. Ces obſtacles qu’on croyoit ne pouvoir être ſurmontés qu’avec des connoiſſances locales acquiſes par une expérience de pluſieurs années, ayant été vaincus par des corſaires audacieux qui ſurprirent9 la place en 1712, on conſtruiſit10 ſur le rivage des tours, où des ſentinelles attentifs12 veillent continuellement la ſûreté commune13.
Son1 port eſt formé par la petite iſle de Saint-Jean d’Ulua. Il a l’inconvénientde2 ne pouvoir3 contenir que trente ou trente-cinq bâtimens, encore ne les met-il pas entiérement4l’abri5 des vents du Nord. On n’y entre que par deux canaux ſi reſſerrés, qu’il n’y peut paſſer la fois qu’un navire. Les approches même6 en ſont rendues extrêmementdangereuſes par un grand nombre7 de rochers8 à fleur d’eau. Les pilotes du pays croyoient généralement que des connoiſſanceslocales acquiſes par une expérience de pluſieurs années, pouvoient ſeules faire éviter tant d’écueils. Des corſaires audacieuxayant ſurpris9 la place en 1712, on conſtruiſit10 ſur le rivage des tours, où des ſentinelles attentifs12 veillent continuellement à la ſûreté commune13.
Son1 port est formé par la petite île de Saint-Jean-d’Ulua. Il a l’inconvénient de2 ne pouvoir3 contenir que trente ou trente-cinq bâtimens, encore ne les met-il pas entièrement4l’abri5 des vents du nord. On n’y entre que par deux canaux si resserrés, qu’il n’y peut passer à la fois qu’un navire. Les approches même6 en sont rendues extrêmement dangereuses par un grand nombre7 de rochers8 à fleur d’eau. Les pilotes du pays croyaient généralementque des connaissances locales acquises par une expérience de plusieurs années pouvaient seules faire éviter tant d’écueils. Des corsaires audacieuxayant surpris9 la place en 1712, on construisit10sur le rivage des tours, où des sentinelles attentives12 veillent continuellement à la sûreté commune13.
588
C’eſt dans ce mauvais port, le ſeul1 proprementqui ſe trouve2 dans le golfe qu’arrive la flotte deſtinée à approviſionner le3 Mexique des marchandiſes d’Europe4. On l’expédie5 de Cadix tous les deux, trois, ou quatre ans, ſuivant7 les beſoins & les circonſtances. Elle eſt ordinairementcompoſée de quinze à vingt8 bâtimens marchands, éſcortés9 par deux vaiſſeaux de guerre10, ou par un plus11 grand nombre, ſi l’on a des inquiétudes12.
C’eſt dans ce mauvais port, le ſeul1 proprement qui ſoit2 dans le golfe, qu’arrive la flotte deſtinée à approviſionner le3 Mexique des marchandiſes de l’Europe4. On l’expédie5 de Cadix tous les deux, trois ou quatre ans, ſuivant7 les beſoins & les circonſtances. Elle eſt ordinairement compoſée de quinze ou vingt8 bâtimens marchands, eſcortée9 par deux vaiſſeaux de guerre10 ou par un plus11 grand nombre, ſi la politique l’exige12.
C’eſt dans cette mauvaiſe rade, la ſeule1 proprement qui ſoit2 dans le golfe, qu’arrivent les objets deſtinés pour l’approviſionnement du3 [556]Mexique. Les navires qui les y portent n’abordent pas ſucceſſivement4. On les expédie5 de Cadix, en flotte6, tous les deux, trois ou quatre ans, ſelon7 les beſoins & les circonſtances. Ce ſont communément douze quatorze gros8 bâtimens marchands, eſcortés9 par deux vaiſſeaux de ligne10, ou par un grand nombre ſi la tranquillité publique eſt troublée ou menacée. Pour prévenir les dangers que les ouragans leur feroient courir l’atterrage, ils partent d’Eſpagne dans les mois de février ou de mai & de juin, prennent dans leur marche des rafraîchiſſemens Porto-Rico, & arrivent, après ſoixante-dix ou quatre-vingts jours de navigation, Vera-Crux, d’où leur chargement entier eſt porté dos de mulet Xalapa12.
C’est dans cette mauvaise rade, la seule1 proprement qui soit2 dans le golfe, qu’arrivent les objets [425] destinés pour l’approvisionnement du3 Mexique. Les navires qui les y portent n’abordent pas successivement4. On les expédie5 de Cadix en flotte6 tous les deux, trois ou quatre ans, selon7 les besoins et les circonstances. Ce sont communément douze à quatorze gros8 bâtimens marchands, escortés9 par deux vaisseaux de ligne10, ou par un grand nombre, si la tranquillité publique est troublée ou menacée. Pour prévenir les dangers que les ouragans leur feraient courir à l’attérage, ils partent d’Espagne dans les mois de février, ou de mai et de juin, prennent dans leur marche des rafraîchissemens à Porto-Rico, et arrivent, après soixante-dix ou quatre-vingts jours de navigation, à Véra-Cruz, d’où leur chargement entier est porté à dos de mulet à Xalapa12.
589
Des vins, des eaux-de-vie, des huiles [102] forment la partie la plus volumineuſe de la cargaiſon. Les étoffes d’or & d’argent, les galons, les draps, les toiles, les ſoieries, les dentelles, les chapeaux, les bijoux, les diamans, les épiceries en forment1 la partie la plus riche.
Des vins, des eaux-de-vie, des huiles, forment la partie la plus volumineuſe de la cargaiſon. Les étoffes d’or & d’argent, les galons, les draps, les toiles, les ſoieries, les dentelles, les chapeaux, les bijoux, les diamans, les épiceries, en compoſent1 la partie la plus riche.

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590
La flotte part d’Europe dans le mois de juillet, au plutard1 dans les premiers jours d’août, pour éviter les dangers que lui feroit courir la violence des vents du nord en pleine mer, ſur-tout aux atterrages2 ſi elle étoit expédiée dans une autre ſaiſon. Elle prend en paſſant des rafraîchiſſemens à Porto-Ricco3, & ſe rend à la Vera-Cruz, d’où ſa cargaiſon eſt portée à Jalap4 ſituée à une diſtance5peu près égale du Port & de Mexico6. Les loix bornent à ſix mois la foire7 qui s’y tient : elle8 eſt cependant9 prolongée quelquefois10 à la priere des négocians du pays ou de ceux d’Eſpagne. C’eſt la proportion des métaux & des11 marchandiſes qui détermine l’avantage ou la perte dans les12 échanges. Si l’un de ces objets abonde plus que l’autre, le vendeur ou l’acheteur ſont écraſés néceſſairement14. Autrefois le tréſor royal étoit envoyé de la capitale à la Vera-Cruz pour y attendre la flotte. Depuis que cette clef du nouveau monde15 fut pillée par des corſaires en 1683, il s’arrête juſqu’à16 l’arrivée des vaiſſeaux à Los17 Angeles, qui en18 eſt éloigné de trente-cinq lieues.
La flotte part d’Europe dans le mois de juillet, au plus tard1 dans les premiers jours d’août, pour éviter les dangers que lui feroit courir la violence des vents du Nord en pleine mer, ſur-tout aux attérages2, ſi elle étoit expédiée dans une autre ſaiſon. Elle prend en paſſant des rafraîchiſſemens à Porto-Rico3, & ſe rend à la Vera-Cruz, d’où ſa cargaiſon eſt portée à Xalapa. Dans cette ville4, ſituée à douze lieues du port, adoſſée5une montagne, commodément bâtie, ſe tient une foire, que6 les loix bornent à ſix ſemaines, mais7 qui quelquefois8 eſt prolongée, à la priere des négocians du [141]pays ou de ceux d’Eſpagne. C’eſt la proportion des métaux avec les11 marchandiſes, qui détermine l’avantage ou la perte des12 échanges. Si l’un de ces objets abonde plus que l’autre, il en réſulte de grands dommages pour13 le vendeur ou pour l’acheteur14. Autrefois le tréſor royal étoit envoyé de la capitale à la Vera-Cruz, pour y attendre la flotte. Depuis que cette clef du nouveau-monde15 fut pillée par des corſaires, en 1683, il attend16 l’arrivée des vaiſſeaux, & s’arrête 17 Angeles, qui n’en18 eſt éloigné que19 de trente-cinq lieues.

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591
Lorſque les affaires ſont finies on embarque l’or, l’argent, la cochenille, les cuirs, la vanille, le bois de campêche, quelques autres objets peu importans que fournit le Mexique. La flotte prend alors la route de la Havanne1, où après avoir été jointe par quelques vaiſſeaux de regiſtre expédiés pour différens ports, elle ſe rend à Cadix par le canal de Bahama.
Lorſque les affaires ſont finies, on embarque l’or, l’argent, la cochenille, les cuirs, la vanille, le bois de Campêche, quelques autres objets peu importans que fournit le Mexique. La flotte prend alors la route de la Havane1, où après avoir été jointe par quelques vaiſſeaux de regiſtre, expédiés pour différens ports, elle ſe rend à Cadix par le canal de Bahama.

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Dans cette ville, ſituée à douze lieues du port, adoſſée à une montagne, & commodément bâtie, ſe tient une foire que les anciens réglemens bornoient à ſix ſemaines, mais qui actuellement dure quatre mois, & que quelquefois on prolonge encore, à la prière des marchands Eſpagnols ou Mexicains. Lorſque les opérations de commerce ſont terminées, les métaux & les autres objets donnés [557]par le Mexique en échange des productions & des marchandiſes de l’Europe, ſont envoyés à Vera-Crux1, où ils ſont embarqués pour notre hémiſphère. Les ſaiſons pour les faire partir ne ſont pas toutes également favorables. Il ſeroit dangereux de mettre à la voile dans les mois d’août & de ſeptembre, & impoſſible de le faire en octobre & en novembre. ,
Dans cette ville, située à douze lieues du port, adossée à une montagne et commodément bâtie, se tient une foire que les anciens règlemens bornaient à six semaines, mais qui actuellement dure quatre mois, et que quelquefois on prolonge encore à la prière des marchands espagnols ou mexicains. Lorsque les opérations de commerce sont terminées, les métaux et les autres objets donnés par le Mexique en échange des productions et des marchandises de l’Europe sont envoyés à Véra-Cruz1, où ils sont embarqués pour notre hémisphère. Les saisons pour les faire partir ne sont pas toutes également favorables. Il serait dangereux de mettre à la voile dans les mois d’août [426]et de septembre, et impossible de le faire en octobre et en novembre.
593

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La flotte prend toujours la route de la Havane, où elle eſt jointe par les bâtimens qui reviennent de Honduras, de Carthagène, d’autres deſtinations. Elle s’y arrête dix ou douze jours pour renouveller1 ſes vivres, pour donner aux navires le tems2 de charger à fret les ſucres, les tabacs, les autres objets que fournit l’iſle3 de Cuba. Le canal de Bahama eſt débouqué. On remonte juſqu’à la hauteur de la Nouvelle-Angleterre ; & après avoir navigué long-tems4 par cette latitude de quarante degrés, on tire enfin vers le Sud-Eſt pour reconnoître le cap Saint-Vincent & aboutir à Cadix.
La flotte prend toujours la route de la Havane, où elle est jointe par les bâtimens qui reviennent de Honduras, de Carthagène, d’autres destinations. Elle s’y arrête dix ou douze jours pour renouveler1 ses vivres, pour donner aux navires le temps2 de charger à fret les sucres, les tabacs, les autres objets que fournit l’île3 de Cuba. Le canal de Bahama est débouqué. On remonte jusqu’à la hauteur de la Nouvelle-Angleterre ; et, après avoir navigué long-temps4 par cette latitude de quarante degrés, on tire enfin vers le sud-est pour reconnaître le cap Saint-Vincent et aboutir à Cadix.
594
Dans l’intervalle d’une flotte à l'autre, la cour d’Eſpagne1 fait partir deux vaiſſeaux de guerre qu’on appelle Azogues, pour porter à la VeraCruz3 le vif-argent néceſſaire à l’exploitation des mines du Mexique. On4 le tiroit5 originairement du Pérou6. Les envois étoient ſi incertains7, ſi lents8, ſi ſouvent accompagnés de fraude qu’il9 fut jugé plus convenable en 173410, de les faire d’Europe même. Les mines de Guadalcanal en Andalouſie11 en fournirent d’abord les moyens. On les a depuis négligées pour les mines plus abondantes d'Almaden dans l’Eſtramadure12. Les Azogues auxquels ont joint quelquefois deux ou trois bâtimens marchands qui ne peuvent porter que des fruits d’Eſpagne, ſe chargent en retour du prix13 des marchandiſes vendues depuis14 le départ de la flotte15, ou du produit de celles qui avoient été données16crédit17.
Dans l’intervalle d’une flotte à l’autre, la cour d’Eſpagne1 fait partir deux vaiſſeaux de guerre qu’on appelle Azogues, pour porter la Vera-Cruz3 le vif-argent néceſſaire à l’exploitation des mines du Mexique. On4 le tiroit5 originairement du Pérou6. Les envois étoient ſi incertains7, ſi lents8, ſi ſouvent accompagnés de fraude, qu’il9 fut jugé plus convenable en 173410, de les faire d’Europe même. Les mines [142] de Guadalcanal en fournirent d’abord les moyens. On les a depuis négligées pour les mines plus abondantes d’Almaden dans l’Eſtramadoure12. Les azogues, auxquels on joint quelquefois deux ou trois bâtimens marchands qui ne peuvent porter que des fruits d’Eſpagne, ſe chargent en retour du prix13 des marchandiſes, vendues depuis14 le départ de la flotte15, ou du produit de celles qui avoient été données16crédit17.
Dans l’intervalle d’une flotte à l’autre, la cour de Madrid1 fait partir un ou2 deux vaiſſeaux de guerre qu’on appelle azogues, pour [558]porter au Mexique3 le vif-argent néceſſaire à l’exploitation des mines. Le Pérou4 le fourniſſoit5 originairement : mais6 les envois étoient ſi lents7, ſi incertains8, ſi ſouvent accompagnés de fraude, qu’en 1734, il9 fut jugé plus convenable de les faire d’Europe même. Les mines de Guadalcanal en fournirent d’abord les moyens. On les a depuis négligées pour les mines plus abondantes d’Almaden en Eſtramadoure12. Les azogues ſe chargent leur retour du produit des ventes faites depuis le départ de la flotte, des ſommes rentrées pour les crédits accordés, &13 des fonds que les négocians Mexicains veulent employer pour leur compte dans l’expédition prochaine14. Le gouvernement permet habituellement que trois15 ou quatre navires marchands ſuivent ſes vaiſſeaux. Leur cargaiſon entière devroit être en fruits ou en boiſſons : mais il s’y gliſſe frauduleuſement des objets plus importans. Ces bâtimens reviennent toujours ſur leur leſt16, à moins que, par une faveur ſpéciale, on ne leur permette de prendre quelque cochenille17.
Dans l’intervalle d’une flotte à l’autre la cour de Madrid1 fait partir un ou2 deux vaisseaux de guerre qu’on appelle azogués, pour porter au Mexique3 le vif-argent nécessaire à l’exploitation des mines. Le Pérou4 le fournissait5 originairement ; mais6 les envois étaient si lents7, si incertains8, si souvent accompagnés de fraude, qu’en 1734 il9 fut jugé plus convenable de les faire d’Europe même. Les mines de Guadalcanal en fournirent d’abord les moyens. On les a depuis négligées pour les mines plus abondantes d’Almaden. Les azogués se chargent à leur retour du produit des ventes faites depuis le départ de la flotte, des sommes rentrées pour les crédits accordés, et13 des fonds que les négocians mexicains [427] veulent employer pour leur compte dans l’expédition prochaine14. Le gouvernement permet habituellement que trois15 ou quatre navires marchands suivent ses vaisseaux. Leur cargaison entière devrait être en fruits ou en boissons ; mais il s’y glisse frauduleusement des objets plus importans. Ces bâtimens reviennent toujours sur leur lest16, à moins que, par une faveur spéciale, on ne leur permette de prendre quelque cochenille17.
595

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Si des raiſons de convenance ou de politique retardent le départ d’une nouvelle flotte, la cour fait paſſer de la Havane à la VeraCrux1 [559] un de ſes vaiſſeaux. Il s’y charge de tout ce qui appartient au fiſc, & des métaux que les débiteurs ou les ſpéculateurs veulent faire paſſer du nouvel hémiſphère dans l’ancien.
Si des raisons de convenance ou de politique retardent le départ d’une nouvelle flotte, la cour fait passer de la Havane à la Véra-Cruz1 un de ses vaisseaux. Il s’y charge de tout ce qui appartient au fisc, et des métaux que les débiteurs ou les spéculateurs veulent faire passer du nouvel hémisphère dans l’ancien.
596

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La Nouvelle-Eſpagne envoya à ſa métropole, année commune, depuis 1748 juſqu’en 1753, par la voie de la Vera-Crux1 & de Honduras, 62,661,466 livres2 ; dont 574,550 en or ; 43,621,497 en argent ; 18,465,419 en productions, prix d’Europe.
La Nouvelle-Espagne envoya à sa métropole, année commune, depuis 1748 jusqu’en 1753, par la voie de la Véra-Cruz1 et de Honduras, 62,661,466 liv2., dont 574,550 en or, 43,621,497 en argent, 18,465,419 en productions, prix d’Europe.
597

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Dans les productions, il y avoit 529,200 livres pour la couronne ; 17,936,219 pour les négocians.
Dans les productions, il y avait 529,200 livres pour la couronne ; 17,936,219 pour les négocians.
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Dans l’or & l’argent il y avoit 25,649,040 livres1 pour le commerce ; 12,067,007 livres pour les agens du gouvernement ou pour les particuliers qui vouloient faire paſſer leur fortune en Europe ; 6,480,000 livres pour le fiſc.
Dans l’or et l’argent, il y avait 25,649,040 liv1. pour le commerce ; 12,067,007 livres pour les agens du gouvernement, ou pour les particuliers qui voulaient faire passer leur fortune en Europe ; 6,480,000 livres pour le fisc.
599

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La cour de Madrid ne doit pas tarder à voir augmenter ce tribut ; & voici ſur quels fondemens eſt appuyée cette conjecture.
La cour de Madrid ne doit pas tarder à voir augmenter ce tribut ; et voici sur quels fondemens est appuyée cette conjecture.
600

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Le Mexique étoit anciennement ſans défenſe : car qu’attendre de quelques bourgeois que chaque ville devoit mettre ſous les armes, [560]lorſqu’un péril, plus ou moins grand, menaçoit l’état. On ne tarda pas à former de ces milices diſperſées, ſix régimens d’infanterie & deux de cavalerie, auxquels on a depuis fait donner des inſtructions par des officiers envoyés d’Europe. Le tems1 étendit les idées. Des hommes, habituellement occupés des arts & du commerce parurent un trop foible2 appui à l’autorité ; & elle ſe décida à lever, dans le pays même, deux bataillons d’infanterie, deux régimens de dragons qui n’eurent d’autre profeſſion que la profeſſion militaire. Après la paix de 1763, le gouvernement jugea que des peuples amollis par l’oiſiveté & par le climat, étoient peu propres à la guerre ; & des troupes régulières furent envoyées de la métropole dans la colonie. Ce ſyſtême eſt ſuivi encore ; & il y a toujours au Mexique trois ou quatre bataillons de notre continent, qui ne ſont relevés qu’après un ſéjour de quatre années.
Le Mexique était anciennement sans défense ; car qu’attendre de quelques bourgeois que chaque ville devait mettre sous les armes, lorsqu’un péril plus ou moins grand menaçait l’état ? On ne tarda pas à former de ces milices dispersées six régimens d’infanterie et deux de cavalerie, auxquels on a depuis fait donner des instructions par des officiers envoyés d’Europe. Le temps1 étendit les idées. Des hommes habituellement occupés des arts et du commerce, parurent un trop faible2 appui à l’autorité, et elle se decida à lever, dans le pays même, deux bataillons d’infanterie, deux régimens de dragons, qui n’eurent d’autre profession que la profession militaire. Après la paix de 1763, le gouvernement jugea que des peuples amollis par l’oisiveté et par le climat étaient peu propres à la guerre ; et des troupes régulières furent envoyées de la métropole dans la colonie. Ce système est suivi encore ; et il y a toujours au Mexique trois ou quatre bataillons de notre continent qui ne sont relevés qu’après un séjour de quatre années.
601

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A ces moyens de conſervation, il en a été ajouté d’autres non moins efficaces. L’iſle1 de Saint-Jean d’Ulua, qui forme le port de Vera-Crux2, & qui doit le défendre, n’avoit que peu & de mauvaiſes fortifications3. On les a raſées. [561]Sur leurs ruines & dans un roc vif ont été élevés naguère des ouvrages étendus, ſolides, capables de la plus opiniâtre réſiſtance. Si, contre toute apparence, cette clef du Mexique étoit forcée, le pays, après ce revers, ne ſeroit pas encore ſans défenſe. A vingt-quatre lieues de la mer, au débouché des montagnes, dans une plaine que rien ne domine, furent jettés5, en 1770, les fondemens de la magnifique citadelle de Pérote. Les arſenaux, les caſernes, les magaſins, tout y eſt à l’abri des bombes.
A ces moyens de conservation il en a été ajouté d’autres non moins efficaces. L’île1 de Saint-Jean d’Ulua, qui forme le port de Véra-Cruz2, et qui doit le défendre, était encore sans fortification en 1568. Celles qui, vers cette époque lui furent [429]données, quoique construites sur un mauvais plan, quoique médiocres, quoiqu’en ruine, ont subsisté jusqu’à nos jours sans la moindre amélioration3. On les a enfin4 rasées. Sur leurs ruines et dans un roc vif ont été élevés naguère des ouvrages étendus, solides, capables de la plus opiniâtre résistance. Si, contre toute apparence, cette clef du Mexique était forcée, le pays, après ce revers, ne serait pas encore sans défense. A vingt-quatre lieues de la mer, au débouché des montagnes, dans une plaine que rien ne domine, furent jetées5, en 1770, les fondemens de la magnifique citadelle de Pérote. Les arsenaux, les casernes, les magasins, tout y est à l’abri des bombes.
602

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Selon les apparences, la cour de Madrid ne diminuera jamais le nombre des troupes qu’elle entretient dans la Nouvelle-Eſpagne : mais la partie du revenu public qu’abſorboient les fortifications, ne doit pas tarder à groſſir ſes tréſors, à moins qu’elle ne l’emploie, dans la colonie même, à former des établiſſemens utiles. Déja ſur les bords1 de la rivière d’Alvarado, où les bois de conſtuc- tion2 abondent, s’ouvrent de grands chantiers. Cette nouveauté eſt d’un heureux préſage. D’autres la ſuivront ſans doute. Peut-être, après trois ſiècles d’oppreſſion ou de léthargie, le Mexique va-t-il remplir les hautes [562]deſtinées auxquelles la nature l’appelle vainement depuis ſi long-tems3. Dans cette douce eſpérance, nous quitterons l’Amérique Septentrionale pour paſſer dans la Méridionale, où nous verrons, par un ordre de la providence qui ne changera jamais, les mêmes effets produits par les mêmes cauſes ; les mêmes haînes ſuſcitées par la même férocité ; les mêmes précautions ſuggérées par les mêmes alarmes ; les mêmes obſtacles oppoſés par les mêmes jalouſies ; le brigandage engendré par le brigandage ; le malheur vengé par le malheur ; une perſévérance ſtupide dans le mal, & la leçon de l’expérience inutile.
Selon les apparences, la cour de Madrid ne diminuera jamais le nombre des troupes qu’elle entretient dans la Nouvelle-Espagne ; mais la partie du revenu public qu’absorbaient les fortifications ne doit pas tarder à grossir ses trésors, à moins qu’elle ne l’emploie, dans la colonie même, à former des établissemens utiles. Déjà sur les bord1 de la rivière d’Alvarado où les bois de construction2 abondent, s’ouvrent de grands chantiers. Cette nouveauté est d’un heureux présage. D’autres la suivront sans doute. Peut-être, après trois siècles d’oppression ou de léthargie, le Mexique va-t-il remplir les hautes destinées auxquelles la nature l’appelle vainement depuis si long-temps3. Dans cette douce espérance, nous quitterons l’Amérique septentrionale pour passer dans la méridionale [430] où nous verrons, par un ordre de la Providence qui ne changera jamais, les mêmes effets produits par les mêmes causes ; les mêmes haines suscitées par la même férocité ; les mêmes précautions suggérées par les mêmes alarmes ; les mêmes obstacles opposés par les mêmes jalousies ; le brigandage engendré par le brigandage ; le malheur vengé par le malheur ; une persévérance stupide dans le mal, et la leçon de l’expérience inutile.
603
S’il reſte encore quelque choſe en arriere, il eſt communément rapporté par les vaiſſeaux de guerre que l’Eſpagne fait conſtruire à la Havanne1, & qui paſſent toujours à la Vera-Cruz avant de ſe rendre en Europe. Les affaires ſe conduiſent autrement au Pérou comme on le verra dans le livre ſuivant.
S’il reſte encore quelque choſe en arriere, il eſt communément rapporté par les vaiſſeaux de guerre que l’Eſpagne fait conſtruire à la Havane1, & qui paſſent toujours à la VeraCruz avant de ſe rendre en Europe. Les affaires ſe conduiſent autrement au Pérou, comme on le verra dans le livre ſuivant.

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604
Fin du ſixieme Livre1.
Fin du ſixieme Livre1.
Fin du ſixième Livre1.
FIN DU TROISIÈME VOLUME1.